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Lettre ouverte des parents d’Ohiane Errazkin Galdos

Mise en ligne : 14 janvier 2005

Texte de l'article :

Paris,11 janvier 2005
 
Solidaires du Peuple Basque en lutte-Paris vous transmet la traduction en français de la lettre ouverte que les parents d’Ohiane Errazkin Galdos ont envoyée à la juge Laurence Le Vert en ce début d’année.
 
Ohiane a été retrouvée morte dans sa cellule de Fleury Mérogis le 8 juillet 2004, victime de la politique de dispersion et d’éloignement des Prisonniers Politiques Basques, politique décidée, organisée et mise en oeuvre conjointement par les états français et espagnols.
 
Le 10 juillet suivant, à Donostia (San Sebastian), 15 000 personnes 
rendaient hommage à la militante d’ETA,.
 
C’est à la demande des parents d’Ohiane que nous vous faisons parvenir cette lettre qui doit être diffusée le plus largement possible.

 
 
MADAME LE JUGE
 
Manu Errazkin Aleman et Antxoni Galdos Oronoz- Parents d’Oihane
 
(Après avoir laissé s’écouler un certain temps depuis le fatidique 8 juillet et pouvoir ainsi nous exprimer d’une façon plus sereine, nous rendons publique la lettre ouverte adressée à Laurence Le Vert).
 
Madame Le Juge : voilà l’entête des nombreuses lettres de demande de permis de visite à notre fille que nous, la famille et amis d’Oihane, t’avons fait parvenir. Lettres écrites poliment mais, par contre, ta politesse a été de répondre parfois avec un incroyable retard et d’autres fois par le silence. Seuls quelques membres de la famille ont eu “la chance” d’avoir reçu la grâce de “ton” permis. Ses amis par contre ont reçu uniquement “ton” silence comme réponse. Tu n’as même pas autorisé une seule visite de son compagnon. Il est clair que tu as agi selon ton bon vouloir, que ton attitude ne répond pas au respect du règlement judiciaire ou de la loi mais à des décisions arbitraires et tout à fait personnelles, comme s’il y avait là un cruel désir de vengeance rendu possible grâce au pouvoir de décision que tu as. Un exemple de cela est la lettre que nous avons envoyée au mois d’avril pour l’anniversaire d’Oihane le 2 mai, que tu as retenue sans jamais la lui faire parvenir et qu’au mois de septembre tu nous as renvoyée, ouverte, avec le tampon “n’habite plus à l’adresse indiquée”. Quelle canaillerie ! Il est clair que nous appartenons à des bandes différentes.
 
 Tu fais partie de ce genre de personnes qui forment un groupe -en réalité une bande- à un moment donné, qui levaient le poing parce que c’était à la mode : elles pouvaient ainsi montrer leur montre ou leur bracelet. Nous, nous faisons partie de ceux qui lèvent encore leur poing avec orgueil, parce que nous croyons que l’utopie non seulement peut, mais doit devenir une réalité, que nous sommes toujours convaincus que la situation doit être renversée, et nous sommes là dans ce but.
 
 Ceux de ta bande sont des gens qui ne montrent jamais leur visage ; pour cela ils en envoient d’autres qui ne chipoteront pas quand vient l’heure d’utiliser la violence pour faire respecter votre “justice" et vos "lois”, des fonctionnaires de prison infantilisés, des gardiens ou des individus masqués aux pelages divers, bleus, verts, rouges ou noirs qui cachent leur honte car ils en ont beaucoup à cacher ; peu importe qui ils sont. Nous faisons partie de ceux qui font toujours face, eux-mêmes. Nous n’utilisons personne, c’est nous qui recevons toujours les coups, mais la tête haute et le visage découvert et, lorsqu’il n’en est pas ainsi, c’est parce que vos gens nous ont recouvert la tête par la force.
 
 Les gens de ta bande sont des gens qui déforment, occultent et manipulent l’histoire tout en l’ornant de mensonges en racontant ce qui leur convient. C’est l’histoire réécrite par les vainqueurs. Nous, nous faisons partie de ceux qui ont fait, et doivent encore faire, un immense effort pour connaître l’ histoire de notre pays, fouillant dans les bibliothèques, les bouquins, les documents divers. Personne ne nous en a fait cadeau. N’oublie jamais que ce sont des militants basques qui faisaient partie des premiers à entrer dans Paris le jour de sa libération.
 
 Les gens de ta bande ont eu le souci de contrôler et diriger les différents médias pour lancer des campagnes d’intoxication, répétant à satiété un mensonge après l’autre, mettant en avant ce qui n’est pas important et ignorant ce qui l’est vraiment, brandissant avant tout les “versions officielles”, utilisant des participants à des “tables rondes” idiots, des forums et des associations d’origine douteuse, des gens qui passent leur temps à s’attribuer des médailles, maladroits faiseurs de mots, véritables “ânes” culturels qui ne savent raisonner que par le biais de l’insulte et de la provocation, et qui ne veulent en aucune façon que le conflit soit réglé. Ils risqueraient de grossir la liste des gens au chômage et ne sauraient rien faire d’autre. Nous faisons partie de ceux qui, telle que l’expérience nous l’a appris dans de nombreux cas et à cause de nos principes, mettent en cause les “versions officielles”, financent leurs propres médias et, lorsque d’une manière injuste vous les faites fermer, les font ressurgir avec plus de force encore.
 
Ceux de ta bande, soutiennent des États crées grâce aux différentes conquêtes militaires de colonies et de territoires lointains, en ayant pour cela massacré au nom de Dieu et du Roi des peuples entiers, et cela à cause du caprice de ceux qui avaient le pouvoir de décision. Encore de nos jours ils maintiennent des peuples soumis, tels le nôtre qui tout au long de son histoire a souffert des avatars des différents régimes, que se soient des tyrans, des souverains, des inquisiteurs, des empereurs ou des cardinaux. Même si au Nord on décapitait des rois et si au sud on les ressuscitait, les conséquences ont été et sont toujours les mêmes : le refus de nos droits et le manque de respect absolu envers notre peuple. Nous appartenons à un peuple dont l’idiosyncrasie est marquée par le respect de l’ancien, de l’antique, de ses personnes âgées, sans pour autant être ancrés dans le passé. Nous avons par contre appris à vivre le présent avec un regard tourné vers le futur. Vous n’êtes pas capables de respecter la langue, l’histoire et la culture d’un peuple dont l’origine se perd dans la nuit des temps et qui, tout simplement à cause de cela, mérite le plus absolu des respects. Respect pour le choix de ce que nous voulons devenir : vivre en tant que basques, avec nos usages et nos coutumes, avec la volonté de construire une société plus juste et équitable, être maîtres de notre destin, avoir des rapports avec tous ceux que nous choisissons.....Et voilà la clef : le respect, car nous sommes convaincus, comme le montre l’histoire d’Euskal Herria, que tant qu’il n’y aura pas de respect, la révolte sera là.
 
Nous en avons marre du genre de société que vous nous offrez. Marre que vous décidiez depuis Madrid ou Paris de ce que nous les Basques avons à faire. Marre de nous sentir étrangers dans notre propre terre. Marre d’autant de juges inquisiteurs, d’autant de répression gratuite, d’autant de tortionnaires qui restent impunis, d’autant de malfaiteurs favorisés ou graciés, d’autant d’élus qui font la sieste au parlement tout en recevant des salaires énormes, de Parlements qui après avoir approuvé certaines propositions ne font rien pour qu’elles arrivent à terme, de législateurs qui au tournant de la rue oublient ce qu’ils ont ordonné. Marre de ceux qui n’arrêtent pas de condamner, la seule chose qu’ils obtiennent étant de mettre des obstacles à la résolution du conflit. Marre de tous ces culs bénis qui n’hésitent pas à suivre les processions ou un monarque, et sont incapables de revendiquer ce qui nous appartient, en toute dignité et fermeté. Marre d’autant de corruption et d’effronterie politiques, d’autant de politiciens qui font le clown - mais des faux clowns car les vrais font un noble métier. Marre de voir les banques obtenir d’incroyables bénéfices, même en temps de profonde crise économique. Marre de voir supprimés autant d’acquis sociaux qu’on a eu tant de mal à décrocher, parfois au prix de morts. Et cela à cause de l’avarice de quelques-uns et de la négligence d’autres.
 
Pour ces raisons, et d’autres que les pages d’un Larousse ne sauraient contenir, nous t’envoyons, Madame Le Juge, à toi et à ceux de ta bande, notre mépris le plus profond.
 
Nous ne te souhaitons pas de bien te porter.
 
Fiers de notre fille : Manu et Antxoni.