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Liens familiaux et sociaux

Liens familiaux : Rapport 2003 - les conditions de détention en France

Mise en ligne : 15 mai 2007

Texte de l'article :

OIP, Les conditions de détention en France rapport 2003, Chapitre Liens familiaux
Paris, éditions la Découverte, 2003, 233 pages.

Malgré les effets d’annonce sur ce thème plutôt consensuel, rien ne change : les décisions d’affectation en établissement ne tiennent toujours pas compte du lieu de résidence de la famille du détenu, les permis de visite sont discrétionnairement accordés ou retirés, les visites au parloir se heurtent à de multiples obstacles et le droit à la sexualité reste bafoué. Seules évolutions récentes, et contradictoires : la première expérience d’unité de visite familiale mise en place à l’automne 2003 et la répression, depuis mars 2003, des « parloirs sauvages » jusqu’ici tolérés.

Chiffres-clés :

Plus de 70 000 enfants ont un père ou un beau-père en prison.
250 000 personnes exercent chaque mois leur droit de visite (enquête de 1998).
45 permissions de sortir pour 100 détenus en 2002.

Selon une enquête de l’INSEE de février 2002 [1], plus de 70 000 enfants, dont 73 % sont des mineurs, ont un père ou un beau-père en prison. En 1998, une étude menée par l’administration pénitentiaire a permis de constater que sur une période d’un mois, plus de 250 000 personnes entrent en prison pour y exercer un droit de visite. Autant de personnes pour qui le maintien des liens familiaux prend un sens autrement plus concret que celui du Code de procédure pénale selon lequel « il doit être particulièrement veillé au maintien et à l’amélioration des relations [des détenus] avec leurs proches, pour autant que celles-ci paraissent souhaitables dans l’intérêt des uns et des autres ». Le consensus politique sur ce thème est parfait. Le maintien des liens familiaux « constitue une donnée essentielle pour la future réinsertion des condamnés », affirmait ainsi la commission d’enquête de l’Assemblée nationale en juin 2000 [2]. Pourtant, les « obstacles matériels souvent démesurés pour des familles défavorisées » qu’elle dénonçait ne sont toujours pas levés. De même, lesdites familles ne sont toujours pas « traitées convenablement par les responsables de l’administration pénitentiaire alors même que la famille subit de toute façon les effets de l’incarcération ». Au contraire, les liens familiaux sont souvent utilisés comme un moyen de chantage envers les détenus pour qui le maintien d’un contact avec les proches revêt un enjeu fondamental. Et le droit à la vie privée et familiale est régulièrement bafoué par les règles de vie pénitentiaire. A commencer par les procédures d’affectation dans les établissements pénitentiaires qui ne tiennent compte qu’exceptionnellement de la proximité des proches, alors que prévalent les critères de désengorgement ou de sécurité. Il en est de même pour les permis de visite, délivrés et retirés au gré des humeurs locales et des priorités définies unilatéralement. Enfin, le droit à l’intimité et à la sexualité demeure largement utopique dans des parloirs soumis à une surveillance constante et en l’absence d’unités de vie familiale (UVF), promises depuis près de vingt ans.

Pour la commission d’enquête de l’Assemblée nationale en 2000, « le premier obstacle [au maintien des liens familiaux] est l’éloignement du détenu » car « l’affectation dans une maison d’arrêt dépend du ressort du siège de la juridiction d’instruction ou de jugement devant laquelle le prévenu est appelé à comparaître ». Un constat toujours vrai, qui peut s’étendre aux condamnés, dont la situation n’est pas plus enviable. Ceux dont la peine est d’une durée supérieure à un an sont censés la purger en établissement pour peines (maison centrale ou centre de détention). Mais le respect d’une forme de numerus clausus tacite dans ce type d’établissements oblige les condamnés à attendre qu’une place se libère pour être transférés. L’attente peut durer de longs mois, voire des années, en particulier lorsque l’affectation définitive dépend d’un passage au Centre national d’observation de Fresnes (Val-de-Marne) où l’on décide de l’affectation des condamnés à une peine supérieure à dix ans. Le critère du rapprochement familial n’intervient alors qu’après une longue liste d’autres éléments tels que l’encombrement des établissements ou l’ordre et la sécurité. 
 
Le 19 décembre 2002, Monsieur H. est transféré de la maison centrale d’Arles (Bouches-du-Rhône) au centre de détention de Lannemezan (Hautes-Pyrénées), soit à plus de 600 kilomètres de Nice où réside sa femme. Cette décision de transfert, justifiée par des travaux de rénovation dans la prison selon le sous-directeur de la maison centrale d’Arles, est intervenue sans que l’intéressé en ait été informé au préalable, et sans tenir compte ni des contacts que Monsieur H. entretenait avec ses proches, ni du projet d’aménagement de peine qu’il était en train de mettre sur pied avec l’aide du service d’insertion et de probation. 

Pour faire face à certaines situations de surpeuplement, l’administration pénitentiaire procède aussi à des transferts massifs pour désencombrement. Selon la circulaire du 9 décembre 1998 relative aux procédures d’orientation et aux décisions d’affectation des condamnés, de telles opérations, « en dépit de l’urgence qui le plus souvent s’y attache, doivent être guidées par le même souci d’individualisation qui prévaut à toute affectation et se fonder, autant que possible, sur le volontariat des personnes concernées. Ainsi, doit être évité le transfert de détenus recevant des visites fréquentes. Sauf urgence particulière, le transfert de détenus en cours de scolarité ou participant à un stage de formation professionnelle ne doit en aucun cas intervenir avant la fin de l’année scolaire en cours ou avant le terme du stage. » Dans la pratique, ces dispositions sont rarement respectées, de même que la loi du 12 avril 2000 qui impose de recueillir, dans le cadre d’un débat contradictoire, le point de vue du détenu destinataire d’une décision susceptible de lui être défavorable. Très nombreux et peu efficaces, ces transferts ne font qu’engendrer d’autres situations de surpopulation, alors même que la circulaire du 9 décembre 1998 souligne que « les opérations de désencombrement ne doivent pas être pour autant génératrices de troubles ou de difficultés dans les établissements d’accueil ».

Dans la région pénitentiaire de Toulouse, la maison d’arrêt de Tarbes (Hautes-Pyrénées) sert à désencombrer les maisons d’arrêt de Toulouse (Haute-Garonne), de Villeneuve-les-Maguelonne (Hérault) ou d’autres établissements de la région. Ainsi, sur les trois premiers trimestres de l’année 2002, 83 transfèrements étaient enregistrés. Une situation qui a conduit le juge des libertés et de la détention et le juge de l’application des peine du tribunal de grande instance (TGI) de Tarbes à alerter le président du tribunal et le procureur de la République, par un courrier en date du 8 novembre 2002 : « ces transfèrements décidés dans l’urgence sont générateurs de situations douloureuses pour les détenus, éloignés géographiquement de leur milieu familial, visités ensuite rarement par leurs proches et confrontés à des difficultés matérielles évidentes pour élaborer des projets d’aménagement de peine. Cette gestion purement quantitative opérée sans concertation avec l’autorité judiciaire pose de sérieuses questions. Ces transfèrements sont à l’évidence générateurs de tensions au sein de la détention ou de décompensations au plan médical ou psychiatrique ; il est à noter ainsi que le nombre d’hospitalisations d’office est particulièrement élevé concernant les condamnés de la maison d’arrêt de Tarbes et que, depuis cette année, les passages à l’acte suicidaire sont exponentiels. » Et de conclure : « ces arrivées ont eu pour effet de placer l’établissement lui-même en situation de surencombrement, ce qui a notamment imposé, en février 2002, le transfèrement de onze détenus d’origine tarbaise vers le centre de détention de Joux-la-Ville près d’Auxerre. »

Une fois décidée l’affectation de la personne incarcérée, ses proches doivent, afin de le voir, obtenir un permis de visite. Une procédure entièrement laissée à la discrétion de l’administration pénitentiaire, de même que le retrait de l’autorisation accordée. La commission Canivet, en 2000 [3], s’interrogeait « sur l’absence d’une voie procédurale aménagée pour une telle sanction, comme de son caractère permanent », même « si l’on peut comprendre que [le droit de visite] puisse être retiré en cas d’incident lors de la visite ». Selon elle, « la difficulté provient finalement autant du pouvoir ainsi laissé au chef d’établissement ou au surveillant et de l’imprécision de la norme que du caractère quasi-discrétionnaire de cette décision en raison de l’absence de recours véritable à son encontre. »

Le jeudi 9 mai 2002, à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne), Madame B., enceinte de huit mois, qui venait rendre visite à son compagnon Monsieur M., se présente à l’entrée de la prison avec quelques minutes de retard. Le surveillant lui explique que son tour est passé. Devant ce refus, elle interpelle le surveillant de façon insultante. Dès le lendemain, le chef de service pénitentiaire prononce le retrait définitif du permis de visite de Madame B. Saisi par l’avocat de Monsieur M., le chef d’établissement décide de suspendre le permis de visite pour six mois.

L’octroi de permis de visite aux enfants est lui aussi subordonné au bon vouloir des autorités compétentes. Ainsi, le parquet de la Cour d’appel de Versailles, compétente pour les demandes de visite à des prévenus, refuse systématiquement les requêtes pour les enfants âgés de 7 à 16 ans « sauf circonstances particulières » par crainte des « conséquences psychologiques ». A l’inverse, un magistrat de Douai a déclaré en juin 2002 « ne jamais faire de difficultés » et essayer « au contraire de maintenir les liens familiaux ».

Au-delà de l’octroi du permis de visite, l’accès au parloir n’est pas toujours chose aisée pour les familles. Les horaires de visite, fixés par le règlement intérieur de chaque établissement, sont rarement adaptés pour des familles travaillant ou venant de loin. Ainsi, à la maison d’arrêt de Grenoble (Isère), les jours réservés aux visites des prévenus sont le mardi, mercredi et vendredi. Nombre de proches de ces détenus sont donc contraints de prendre des congés pour venir au parloir. Déjà en 2000, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale invitait pourtant l’administration à réfléchir à « un système qui modulerait les horaires en fonction de l’éloignement de la famille ».

Quant à la réservation des parloirs, elle est souvent soumise à des aléas divers et variés : bornes électroniques en panne, standards téléphoniques saturés, horaires de prise de rendez-vous absurdes.

A la maison d’arrêt de Grenoble (Isère), la réservation des parloirs se fait par le biais d’une borne électronique située dans les locaux de l’association chargée de gérer la maison d’accueil pour les familles. Ces locaux ne sont ouverts que l’après-midi, mais les visites pour les mineurs se déroulent le matin. Les familles sont donc obligées de revenir l’après-midi ou de téléphoner entre 8 heures et 8 heures 55.
A la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne), la ligne téléphonique affectée à la réservation des parloirs est constamment occupée, et lorsque les familles finissent par obtenir un interlocuteur, les parloirs sont complets. Malgré une augmentation de 38 % du nombre de détenus entre 2001 et 2002 (3 261 personnes incarcérées au 1er janvier 2002), un seul surveillant est affecté au service de réservation. Après les réclamations de nombreuses familles et la parution de plusieurs articles de presse, le directeur a mis en place, en novembre 2002, une ligne Indigo « exclusivement dédiée à la réservation des parloirs à la maison d’arrêt des hommes ». Cette ligne n’a pas pour autant résolu le problème et de nombreux détenus n’ont pu voir leurs proches lors des fêtes de fin d’année. La ligne téléphonique est, en effet, occupée dès le matin. Lorsque les familles parviennent, après plusieurs essais, à accéder au serveur, celui-ci leur demande de patienter en attendant qu’un opérateur puisse répondre, jusqu’à ce qu’elles entendent le message suivant : « toutes les lignes sont occupées, veuillez rappeler ultérieurement ». Quand un opérateur finit par répondre, les parloirs sont complets. En outre, les communications sur la ligne Indigo coûtent cher. La gestion des appels pour réserver les parloirs a depuis été confiée à une société privée.

Une fois pris le rendez-vous au parloir, reste à se rendre à l’établissement pénitentiaire. Selon une enquête du Collectif national des FRAMAFAD (Fédérations régionales des associations des maisons d’accueil et des familles et amis de détenus), effectuée de janvier à avril 2001, un tiers des établissements ne sont pas desservis par les transports en commun les jours de parloirs. Ainsi, au centre de détention d’Eysses (Lot-et-Garonne), les parloirs se déroulent exclusivement le week-end mais le bus reliant la prison à la ville la plus proche ne circule pas le dimanche. Les familles ne disposant pas d’un véhicule personnel doivent marcher trente-cinq minutes. Pour se rendre au centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure (Allier), il faut prendre deux bus depuis la gare puis marcher 500 mètres sur une route sans bas-côté.

Le maintien des liens passe parfois par des moyens détournés que sont les « parloirs sauvages », désormais sévèrement sanctionnés. Par exemple, sur les quais de la gare en face de la maison d’arrêt de Lyon-Saint-Paul (Rhône), de nombreuses familles tentent régulièrement d’échanger quelques mots. Ces pratiques étaient jusqu’à présent tolérées et fort répandues. Depuis la loi Sarkozy sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003, il s’agit d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’un an maximum et de 15 000 euros d’amende. De premières condamnations ont déjà été prononcées. A Toulon, deux personnes ont été arrêtées par une patrouille de police alors qu’elles parlaient à un détenu depuis la rue. Elles ont été condamnées à 120 heures de travail d’intérêt général.

Depuis 1983, les parloirs avec dispositif de séparation ont été supprimés, sauf dans les cas où « il existe de sérieuses raisons de redouter un incident, en cas d’incident au cours de la visite ou à la demande du visiteur ou du visité ». Pourtant, à la maison d’arrêt de Seysses (Haute-Garonne), qui a ouvert ses portes en janvier 2003, les parloirs se déroulent dans des box séparés en deux par un muret recouvert d’une tablette assez large pour empêcher tout contact entre le détenu et sa famille. Pour protester contre cette régression hors-la-loi, une soixantaine de détenus ont refusé de réintégrer leurs cellules, le 2 février 2003. En guise de réponse, l’administration a fait intervenir les forces de l’ordre et les « mutins » ont réintégré leurs cellules. Même s’il s’agit d’une situation exceptionnelle, elle illustre la peur de l’extérieur qui hante les services pénitentiaires. Tout échange d’objet et de courrier est interdit lors des parloirs, cette prohibition atteignant parfois les limites du ridicule. Ainsi, selon l’enquête des FRAMAFAD auprès des lieux d’accueil de famille de détenus, les familles ne peuvent pas faire entrer au parloir, pour des raisons d’ordre et de sécurité : un biberon (51 % des cas), un dessin (51 %), un carnet scolaire (66 %). Il faut toutefois rappeler que, dans ce dernier cas, une circulaire du 17 novembre 2000, dite circulaire « Botton », permet aux parents incarcérés de consulter et signer des documents concernant l’enfant au cours d’un parloir. En revanche, les enfants ne peuvent faire parvenir à leur parent incarcéré les cadeaux qu’ils réalisent pour lui à l’école à l’occasion de la fête des mères ou des pères.

En juin 2002, Madame W. a envoyé à son mari, incarcéré au centre pénitentiaire de Lorient-Ploemeur (Morbihan), un colis contenant des cadeaux confectionnés par leurs enfants à l’occasion de la fête des pères. La carte de vœux et le dessous de verre en émaux fabriqués par les jumeaux de cinq ans ne sont jamais parvenus à leur destinataire, alors que, l’année précédente, l’ancienne direction avait permis à ce même détenu de recevoir les cadeaux en bois confectionnés à l’école par ses enfants. L’actuelle direction a estimé, dans un courrier du 17 juin 2002, que « la fête des pères n’est pas une fête reconnue par l’administration pénitentiaire comme donnant des droits particuliers » et que « si l’an dernier, des courriers ont été remis, ce devait être à titre exceptionnel. » 
 
En mars 2000, la commission Canivet s’interrogeait « sur la pertinence de l’interdiction faite à tout détenu de recevoir ou d’envoyer des colis (...) alors que le droit à la correspondance est admis, puisque peut être résolu le problème de la fouille indispensable à la sécurité. L’exception même, laissée à la totale discrétion du chef d’établissement, peut susciter une interrogation sur la réalité du droit à la correspondance reconnu. »

Enfin, le droit à la sexualité des détenus et de leurs proches reste un point particulièrement sensible pour l’administration pénitentiaire. Dans son rapport publié en juillet 2000, la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale estimait déjà que la « nécessité de réglementation exige[ait] que l’on aborde la question des relations sexuelles au parloir. » Selon elle, « l’administration centrale fait preuve en l’occurrence d’une grande hypocrisie en se réfugiant derrière le projet d’unités de visite familiale pour régler le problème. En l’absence de règles claires sur le sujet, les pratiques diffèrent ; il semblerait ainsi que les relations sexuelles soient tolérées dans un établissement comme Clairvaux ; elles sont signalées et stoppées au centre de détention de Caen ; elles sont sanctionnées à Val-de-Reuil. Là encore, la solution choisie procède plus du poids de la coutume, d’une politique du directeur, que d’une véritable réflexion sur la sexualité en prison. Il faut pourtant savoir que ces relations, lorsqu’elles ont lieu, se déroulent dans des conditions indignes, avec des aménagements rudimentaires qui placent le couple, les familles présentes et leurs enfants, les surveillants, dans une situation extrêmement gênante. » Ainsi, au centre de détention d’Eysses (Lot-et-Garonne), les parloirs se passent dans une salle commune qui peut accueillir une trentaine de personnes. Faute de lieu permettant une certaine intimité, des relations sexuelles ont parfois lieu au vu et au su de tous, ce qui a conduit certains détenus à renoncer aux visites de leurs enfants. 

Le 11 novembre 2002, au centre pénitentiaire de Clairvaux (Aube), Madame G. rend visite à son époux incarcéré au quartier d’isolement. Installés dans une salle servant de parloir pour les isolés, les jeunes mariés débutent une relation sexuelle. Deux surveillants ouvrent alors la porte et traversent la salle. Selon la direction de l’établissement, les surveillants se seraient « dirigés vers la salle des parloirs au prétexte d’y prendre un café ». Or, au lieu d’emprunter le couloir menant à la machine à café, ils passent par la salle où les époux avaient été placés. C’est à ce moment-là qu’ils les découvrent « dénudés dans des ébats amoureux avancés ». Ils auraient alors « continué leur chemin ; c’est dans la salle voisine qu’ils se seraient esclaffés d’un rire qui aurait irrité Monsieur G. ». Informée des faits par l’avocat du détenu, la juge d’application des peines a immédiatement demandé des explications à la direction et s’est dite « particulièrement choquée que de tels comportements du personnel de surveillance, contraires aux missions de surveillance et de réinsertion confiées à l’administration pénitentiaire, soient tolérés au centre pénitentiaire de Clairvaux ». Pour elle, « une attitude professionnelle eût consisté soit à faire respecter immédiatement le règlement des parloirs, soit à accepter que le détenu et son épouse aient des relations sexuelles pendant la visite, sans intervenir ni regarder leurs ébats. » Elle ajoute enfin que ce comportement constitue un « traitement provocant et humiliant d’un détenu et d’une personne extérieure à l’établissement [...] qui pourrait manifestement être à l’origine d’incidents graves en détention ». Dans sa réponse au magistrat, la direction de l’établissement a précisé que « le compte-rendu [d’incident] rédigé par les agents [contre Monsieur G.] a été classé sans suite, compte tenu que leur comportement prêtait pour le moins à confusion. » Quant aux surveillants, ils « ont été sévèrement interpellés pour leur comportement et informés qu’à l’avenir ils pourraient encourir une sanction disciplinaire ». 

Après de longues années de tergiversations, la phase expérimentale des unités de vie familiale (UVF) vient enfin de débuter à la maison centrale pour femmes de Rennes (Ille-et-Vilaine). Composée de trois petits appartements dotés de deux chambres séparées et d’une « salle de vie », cette première unité expérimentale doit permettre aux détenues d’y recevoir leur conjoint et/ou leurs enfants pour des séjours n’excédant pas 72 heures, en l’absence de toute surveillance directe. Après les expériences pilotes de Casabianda (Corse) et de Mauzac (Dordogne), interrompues par le changement de majorité de 1986, un rapport de juin 1995 insistait sur l’importance de « l’instauration, dans les établissements pénitentiaires, de lieux privatifs permettant à la famille, dont l’un des membres est détenu, de vivre intra-muros pendant un certain temps toutes les dimensions de la vie familiale, de la préparation de ses repas à un sommeil partagé en passant par des rapports amoureux ». Les premières expérimentations étaient prévues dès 1999. Si le nouveau calendrier de la Chancellerie est respecté, deux autres unités expérimentales devraient ouvrir pour les hommes, dans les maisons centrales de Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime) en novembre 2003 et de Poissy (Yvelines) dans le courant du premier trimestre 2004. En revanche, les locaux déjà construits dans le nouveau centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet (Vaucluse) ne peuvent être utilisés, « la décision d’ouverture de ces unités dans les centres de détention n’[ayant] pas été prise au niveau national », selon le directeur de l’établissement. De fait, la généralisation de l’expérience à tous les établissements pour peines ne semble pas devoir intervenir rapidement. Le 19 juillet 2001, le ministère de la Justice avait pourtant déclaré au Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), qui l’interrogeait sur ce point, que le dispositif avait « vocation à s’étendre sur d’autres sites selon un calendrier qui n’est pas encore arrêté ». Mais le secrétaire d’Etat aux programmes immobiliers de la Justice a multiplié, ces derniers mois, les déclarations contradictoires sur ce dossier. Ainsi, il promettait, le 9 mai 2003, que « si tout se passe bien, [les UVF] seront généralisées à l’ensemble des centres de détention », alors qu’il avait annoncé, trois jours auparavant, qu’il ne souhaitait pas « faire croire que les UVF seront le modèle adopté » dans le cadre du programme de construction de vingt-huit nouvelles prisons à l’horizon 2007.

Parallèlement, le nombre de permissions de sortir, outil fondamental du maintien des liens familiaux, a fortement diminué ces dernières années. De 66 pour 100 détenus en 1997, il est passé à 45 pour 100 détenus en 2002.

Notes:

[1] Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), L’histoire familiale des détenus, février 2002

[2] Assemblée nationale, La France face à ses prisons, juin 2000

[3] Commission Canivet, L’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, La Documentation française, 2000