OIP, Les conditions de détention en France rapport 2005, Chapitre Liens familiaux
Paris, éditions la Découverte, 2005, 288 pages.
Malgré les déclarations de principe répétées des pouvoirs publics, le fonctionnement des établissements pénitentiaires ne permet pas de garantir le maintien des liens familiaux et affectifs des personnes incarcérées.
Le lieu d’affectation du détenu et les transferts dont il fait l’objet restent à la discrétion d’une administration obnubilée par les questions de sécurité. Très inégales, les conditions de visite des familles sont marquées par la suspicion qui entoure le déroulement des parloirs. Conduite sur une échelle restreinte, la phase d’expérimentation d’unités de visite familiale a enfin été initiée.
Contexte
La surpopulation chronique des établissements pénitentiaires et l’obsession sécuritaire qui y règne sont à l’origine d’entraves permanentes au maintien des liens familiaux des personnes détenues. Utilisation des transferts comme sanctions disciplinaires déguisées, attribution et retrait arbitraires des permis de visite, limitation et censure draconiennes des communications écrites et téléphoniques, constituent autant d’abus qui viennent alourdir la vie quotidienne des détenus et renforcer les conséquences sociales et familiales de l’incarcération. Multipliant les déclarations d’intention et assurant que « le maintien des liens familiaux est l’un des axes prioritaires de travail fixés aux services pénitentiaires » [1], la Chancellerie demeure hostile à tout assouplissement de la réglementation en vigueur, notamment en ce qui concerne la procédure d’affectation du proche incarcéré. Pourtant, « faute de disposition contraignante », a relevé en mars 2004 la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), « le critère du lieu de résidence des proches des intéressés ne revêt qu’une importance relative au regard des considérations de sécurité ou encore des impératifs de gestion de places » [2]. Aussi, l’avis de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) estimant essentiel « que l’administration pénitentiaire aide le détenu à maintenir un contact avec sa famille proche » [3], est peu suivi. Au-delà de la perte du logement et de l’emploi, la détérioration des liens affectifs et familiaux « fait, la plupart du temps, intrinsèquement partie de la sanction pénale » [4]. On estime pourtant qu’un détenu sur deux a un conjoint et que six détenus sur dix ont des enfants. Ces derniers rencontrent les plus grandes difficultés à assurer l’exercice de leur autorité parentale. On estime pourtant que « chaque année, plusieurs dizaines de milliers d’enfants, entre 70 et 80 000, sont confrontés à la séparation imposée par la détention d’un de leurs parents » [5]. Dans la plupart des établissements, la charge d’accueillir les familles dans des conditions décentes est confiée à des associations subventionnées par les collectivités locales. Leurs prestations sont très inégales et les membres de la famille comme l’entourage amical du détenu doivent déjouer de nombreux obstacles - psychologiques, matériels et financiers - pour garder le contact avec leur parent ou le proche incarcéré. Au point que les familles apparaissent bien souvent comme les « victimes cachées du crime » [6], subissant également de leur côté la sanction pénale. Quant au détenu, le fonctionnement des établissements pénitentiaires ne lui permet pas de développer des relations suffisamment constructives avec l’extérieur pour améliorer les conditions dans lesquelles se déroulera sa sortie de prison.
Initialement écroué dans une maison d’arrêt du sud de la France, un homme condamné à 10 ans d’emprisonnement a effectué une demande d’affectation au sein d’un centre de détention plus proche du domicile de sa mère. Dans le cadre d’une « opération de désencombrement », il a fait l’objet d’un transfert quelques mois plus tard dans un centre pénitentiaire. Mais, constatant des problèmes relationnels avec d’autres détenus, la direction de cet établissement a décidé de le transférer vers un autre centre de détention, où il était censé rester en transit en attendant une place dans le lieu d’affectation qu’il avait demandé. Dans l’incapacité d’assumer les frais consécutifs à des trajets de 1 000 km aller-retour, la mère de ce détenu a été contrainte de souscrire un crédit destiné à financer deux visites mensuelles. L’homme n’a pu recevoir la visite de sa grand-mère pour qui le voyage est trop long et difficile et n’a vu son frère qu’une seule fois en neuf mois. A ses demandes réitérées de transfert, la direction lui a répondu dans un premier temps qu’il devrait attendre un an avant d’obtenir l’affectation souhaitée. Dans un second temps, cette même direction l’a informé qu’elle s’opposerait à ce transfert si le détenu, toujours en but à des problèmes relationnels avec ses codétenus, persistait à vouloir bénéficier d’un placement en quartier d’isolement, allant jusqu’à le menacer d’une affectation dans un lieu encore plus éloigné de ses proches.
Outre qu’il ne prend pas en compte les besoins psychologiques et sociaux de la personne détenue, l’éloignement du lieu d’incarcération est l’obstacle principal au maintien des relations familiales lors de la période de détention. Des pères, des mères, des conjoints et des enfants sont contraints de parcourir la France entière pour une demi-heure de visite au membre de la famille détenu. Maintes fois déplorée, l’indifférence dont font habituellement preuve les services pénitentiaires, en matière de rapprochement des lieux d’affectation et d’habitation, aggrave l’impact de l’incarcération d’une personne sur l’ensemble des membres de la famille comme pour la plupart de ses proches. Dans le cadre du placement en détention provisoire, le Code de procédure pénale prévoit que les prévenus doivent être incarcérés au sein de la maison d’arrêt où siège la juridiction d’instruction ou de jugement chargée de leur affaire. Afin de limiter les conséquences néfastes de cette disposition, la CNCDH a recommandé en mars 2004 que « les prévenus dont l’instruction est terminée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement puissent bénéficier d’un rapprochement familial dans cet intervalle » [7]. Dans sa réponse, en janvier 2005, le ministère de la Justice affiche une apparente bonne volonté en certifiant que « dans toute la mesure du possible, l’administration pénitentiaire prend en compte, pour décider du lieu d’affectation, les souhaits du détenu et la nécessité de privilégier le rapprochement familial » [8]. Néanmoins, en réaffirmant par ailleurs que l’affectation des prévenus peut « être conditionnée par un souci de proximité des juridictions », la Chancellerie signifie qu’elle renonce par là même à faire évoluer leurs pratiques. S’agissant des personnes faisant l’objet d’une condamnation à une peine supérieure à un an, les conséquences sociales et familiales liées au choix du lieu d’incarcération résultent essentiellement des critères retenus par l’administration dans sa gestion des places disponibles en établissements pour peine (EP). Les délais d’attente avant une affectation dans un centre de détention ou dans une maison centrale peuvent s’avérer très longs - de quelques mois à plusieurs années - en raison du numerus clausus ayant cours dans ce type d’établissements. En effet, souhaitant garder la maîtrise des affectations des condamnés dans ces établissements, les services pénitentiaires privilégient le maintien en maison d’arrêt d’un certain nombre de personnes. Sur ce point, la CNCDH a considéré que « les décisions relatives à l’affectation et à ses changements devraient relever de l’autorité judiciaire, ou être prises sur son avis conforme », en réitérant « sa demande que les autorités pénitentiaires organisent, avant la prise d’une décision d’affectation, un débat contradictoire » avec la personne condamnée. Mais, là encore, la fin de non-recevoir des pouvoirs publics est manifeste : « la décision relative à l’affectation et au changement d’affectation d’un détenu condamné doit demeurer de la compétence de l’administration pénitentiaire ». Pour le ministère de la Justice, cette décision « est au cœur du métier pénitentiaire et de nature à créer les synergies nécessaires entre services (service d’insertion et de probation, surveillants, direction des établissements) pour une vraie dynamique de l’exécution de la peine ». Défavorable aux recommandations de la CNCDH visant à transférer cette compétence à l’autorité judiciaire, la décision d’affectation pour les condamnés à une peine de plus de dix ans intervient, quant à elle, au terme d’un séjour de six semaines au Centre national d’observation de Fresnes (CNOF, Val-de-Marne). A l’issue de cette période d’observation, les détenus sont incarcérés à la maison d’arrêt de Fresnes en attendant leur transfert. Evaluée à une dizaine de mois par la direction du CNOF, cette attente peut durer dans la pratique de deux mois à deux ans. Seuls quatre établissements pour peine sont susceptibles d’accueillir les femmes condamnées. Du fait de la répartition des centres de détention concernés sur l’ensemble du territoire - tous au nord d’une ligne reliant Rennes à Marseille - les conséquences en matière d’éloignement familial sont particulièrement prégnantes pour les femmes. La situation n’est pas meilleure pour les mineurs condamnés au point d’avoir motivé une mise en garde de la Défenseure des enfants sur les conséquences d’affectations éloignées du lieu d’habitation d’origine. Claire Brisset déplore que « certains jeunes détenus dont les relations avec leur famille étaient très distendues ou très conflictuelles avant même leur incarcération vivent souvent celle-ci dans une grande solitude, la famille se désintéressant de leur situation ce qui est particulièrement problématique au moment de leur libération » [9]. Un avertissement que le ministère de la Justice ne semble pas avoir entendu. En effet, dans le cadre de son programme immobilier, il a prévu la création d’un établissement pour peine permettant le regroupement dans un seul site des mineurs condamnés, ce qui ne manquera pas de poser avec d’autant plus d’acuité la question de la distance qui les séparera de leurs familles.
Originaire du Pas-de-Calais, un homme écroué en juin 2000 est resté incarcéré à la maison d’arrêt de Caen (Calvados) jusqu’au 31 mars 2004, en dépit d’une décision d’affectation au centre de détention de Bapaume datant du 28 novembre 2002. Durant quinze mois, cette situation l’a privé des visites de son épouse qui, malade, ne pouvait effectuer de longs trajets. Incarcéré le 2 février 2001 à la maison d’arrêt d’Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône), un autre détenu, originaire de la même région, a reçu quant à lui sa décision d’affectation à Bapaume le 9 décembre 2003. Du fait de cet éloignement, il n’a jamais pu recevoir la visite de ses deux enfants pendant dix-sept mois. En réponse à ses courriers, la direction de l’administration pénitentiaire l’a informé, en date du 11 mai 2004, que son transfert était censé se dérouler dans le courant du quatrième trimestre 2004 avant de lui annoncer, le 7 octobre, que la procédure ne devrait pas commencer avant le premier semestre 2005. Le 13 mai 2005, il a été transféré à Fresnes avant de finalement rejoindre, après trois mois, le centre de détention de Bapaume.
L’éloignement d’un détenu de sa famille peut également survenir à tout moment du fait d’un transfert décidé par l’administration pénitentiaire. Depuis une circulaire du 18 avril 2003, « le principe de la séparation des condamnés en fonction du quantum et du reliquat de leur peine » [10] n’est plus appliqué. Désormais, seul le résultat de l’évaluation de la personnalité du condamné conduit à déterminer son lieu d’affectation. En accordant « une plus grande souplesse » aux services de l’administration, cette réforme se voit assigner l’objectif de permettre des affectations « mieux individualisées » et « mieux adaptées », notamment grâce à « l’élargissement du panel des établissements disponibles » qui permettra « de mieux prendre en considération la nécessité du maintien des liens familiaux ». En pratique, il s’avère que l’appréciation de la personnalité du condamné se fait pour l’essentiel au regard de sa « dangerosité » présumée, autrement dit son comportement en détention. Analysant la provenance des condamnés affectés au sein du quartier maison centrale, le rapport d’activité 2003 du centre pénitentiaire de Lannemezan (Hautes-Pyrénées) fait état de 19 transferts « par mesure d’ordre et de sécurité, en exclusion d’autres établissements pour peine » pour cinq transferts « à la demande de l’intéressé ». Définie par la CNCDH comme une « sanction occulte à l’encontre d’individus jugés difficiles », le transfèrement est en effet couramment utilisé en tant que mesure d’ordre intérieur. Réagissant à ce type de décisions, la CNCDH préconise qu’« une mesure administrative aboutissant à rompre une situation établie et éloignant un détenu de sa famille » ne doit pouvoir intervenir « que pour un motif impérieux d’intérêt général ». Elle estime aussi que « les transferts en cascade doivent être proscrits », rappelant la nécessité de garder un « caractère tout à fait exceptionnel au transfèrement imposé au détenu ». Telle n’est pas l’option choisie par le gouvernement. « L’administration pénitentiaire doit conserver ses prérogatives », explique le ministère de la Justice, « la priorité de préserver les liens familiaux doit se concilier avec les impératifs d’ordre et de sécurité qui lui sont imposés » en tenant compte des critères « liés à la dangerosité du détenu et à la sécurité des établissements ». Ce mode de gestion d’une partie de la population détenue fait l’objet d’une critique récurrente de la part du Comité de prévention de la torture (CPT). A l’issue d’une visite de plusieurs établissements en France en 1993, le CPT avait ainsi estimé que « le transfèrement continuel d’un détenu peut engendrer des effets très néfastes sur son bien- être physique et psychique. Les conditions minimales pour l’existence dans un milieu de vie cohérent et suivi ne sont plus assurées ». De plus, ajoutait le Comité, « un détenu qui se trouve dans une telle situation aura de très sérieuses difficultés à maintenir des contacts avec sa famille, ses proches et son avocat. L’effet des transfèrements successifs sur un détenu pourrait de ce fait constituer un traitement inhumain et dégradant ».
Du fait de la surpopulation chronique qui sévit au sein des prisons françaises, l’administration se réserve la possibilité d’utiliser un autre type de transfert, à des fins de désencombrement. Ces déplacements d’un établissement vers un autre touchent toutes les catégories de détenus. Là encore, la circulaire de 2003 précise que les « opérations de désencombrement, en dépit de l’urgence qui le plus souvent s’y attache, doivent être guidées par le même souci d’individualisation qui prévaut à toute affectation ». Pourtant, imposés sans autre justification que des impératifs de gestion liés au tau d’occupation des établissements, ces transferts -individuels ou collectifs - s’avèrent aux antipodes de toute démarche d’individualisation de la peine. A la maison d’arrêt de Foix (Ariège), 63 transferts ont été réalisés en 2004 dont 10 par mesure d’ordre interne et 24 pour désencombrement.
Les conditions d’octroi ou de retrait des permis de visite et l’accès aux parloirs peuvent également concourir au délitement des relations familiales. Concernant les autorisations de visite pour les condamnés, le pouvoir discrétionnaire de l’administration pénitentiaire est entier, puisque le chef d’établissement est seul responsable de leur délivrance comme de leur suppression. Pour les prévenus, seul le juge d’instruction est compétent pour délivrer un permis de visite. L’imprécision des critères d’octroi est source d’incompréhension pour les personnes qui se voient refuser une autorisation. En effet, le chef d’établissement n’accordera de permis de visite aux personnes extérieures à la famille que s’il considère qu’elles contribuent à « l’insertion sociale ou professionnelle » du condamné. De plus, dès lors qu’il ne s’agit pas de la famille proche, tous les permis sont soumis à une enquête préfectorale de moralité. Or, comme le relevait, en 2004, la commission de surveillance de la maison d’arrêt de Reims (Marne), « le traitement des demandes est lent : il faut six à huit semaines avant d’obtenir un retour d’enquête ». Le projet de Charte pénitentiaire européenne élaboré sous l’égide du Conseil de l’Europe demande aux Etats membres d’établir « des règles précises et obligatoires » [11] concernant le droit de visite. La surpopulation des prisons, entraînant une hausse du nombre de demandes à traiter, conduit à allonger encore les délais d’attente pour l’obtention d’un permis de visite qui ne garantit pas pour autant l’accès aux parloirs. Il faut d’abord pouvoir réserver une place au parloir : les bornes électroniques ou tactiles prévues à cet effet souffrent de pannes fréquentes et il est bien spécifié sur les tickets qu’elles délivrent que ce titre ne fait pas office de preuve. Un tel dispositif a permis néanmoins de « réduire de 75 % les demandes de rendez-vous par téléphone », indique la maison d’arrêt de Brest (Finistère) dans son rapport d’activité 2004. Ensuite, les familles doivent s’adapter à des plages horaires imposées. Dans certains cas, les parloirs ne sont organisés que le week-end, comme à la maison centrale de Saint-Maur (Indre), aux centres de détention de Châteaudun (Eure-et-Loir), Bapaume (Pas-de-Calais) et Val-de-Reuil (Eure), à la maison d’arrêt de Meaux (Seine-et-Marne), au centre pénitentiaire de Melun (Seine-et-Marne), et dans cinq des six établissements pour peine de la région pénitentiaire de Strasbourg. Ailleurs les parloirs n’ont lieu qu’en semaine. L’organisation de la maison d’arrêt de Laval (Mayenne) semble exceptionnelle. Le rapport d’activité 2004 indique que les visites sont autorisées toutes les après-midi de la semaine avec « un double parloir pour les personnes ne résidant pas dans le département ». En outre, une plage horaire est ménagée le samedi matin « pour les personnes ne pouvant se déplacer en semaine pour raison professionnelle ». La durée des parloirs varie fortement selon les établissements, en l’absence de règle commune et contraignante. Certains organisent facilement des parloirs d’une durée prolongée, tandis que d’autres y sont très réticents. Ces disparités sont accentuées par la surpopulation. Ainsi, du fait de « la montée en charge du nombre de détenus, mais surtout de prévenus, l’organisation qui permettait l’octroi d’une heure à chaque visite a montré toutes ses limites », indique le rapport d’activité 2004 de la maison d’arrêt de Lure (Haute-Saône). A la maison d’arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine), la surpopulation a entraîné des restrictions et les parloirs prolongés ne sont désormais accordés que si le visiteur a parcouru plus de 150 kilomètres.
A l’issue de sa visite des maisons d’arrêt de Loos (Nord) et Toulon (Var) en juin 2003 [12], le CPT a pris soin de souligner que « le surpeuplement avait des incidences néfastes sur les contacts des détenus avec le monde extérieur ». Le Comité a estimé qu’« à Loos, il n’était plus possible d’assurer pour tous les prévenus les trois parloirs hebdomadaires ; à Toulon, si les trois tours étaient apparemment assurés à présent, leur durée était le plus souvent amputée. En outre, dans ce dernier établissement, le surencombrement allié au manque de personnel ne permettait pas d’organiser des visites les samedis et dimanches ». Une situation rencontrée dans de nombreux autres établissements qui, un an plus tard, a suscité de la part de la CNCDH, la demande que « soit étendu à toutes les prisons, le système de parloirs en vigueur dans les établissements pour peines, permettant des rencontres de plusieurs heures voire de deux demi-journées successives en semaine comme en week-end ». Dans sa réponse, le gouvernement a signifié qu’il « approuve un tel objectif » tout en précisant qu’il « n’est cependant pas immédiatement réalisable compte tenu de la surpopulation dans certains établissements pénitentiaires ». Pour lui, « seule la mise à niveau du parc pénitentiaire et la poursuite du recrutement des personnels pénitentiaires permettront de desserrer la contrainte qui pèse sur les dispositifs parloirs des maisons d’arrêt en assurant une meilleure répartition des détenus et plus particulièrement des condamnés, autorisant ainsi des marges de progrès sur les rythmes et les fréquences des visites familiales en maisons d’arrêt à partir d’un nombre moindre de personnes prises en charge ». Aucune mesure transitoire ne semble donc à l’ordre du jour d’ici la livraison en 2007 des premiers établissements du programme de construction décidé en 2002. A la maison d’arrêt de Laval, qui dispose de « 5 cabines » permettant « seulement 101 parloirs par semaine », les doubles parloirs sont supprimés « en cas de forte surpopulation ». Pour ce qui est de la maison d’arrêt de Brest, le rapport d’activité 2004 signale qu’ « en fonction de l’encombrement et de la fréquence des visites, des prolongations de temps de parloirs peuvent être équitablement autorisées. Pour autant, le sureffectif carcéral croissant ajouté au nombre de cabines parloirs désormais insuffisantes limitent évidemment ces possibilités ».
Le 13 avril 2005, un détenu à la maison d’arrêt de La Santé (Paris) fait l’objet d’une convocation devant la commission de discipline prévue à 9 h 30. Quelques jours auparavant, un parloir double avait été programmé à 9 h avec ses parents qui résident au pays basque. A 9 h 15, le détenu s’enquiert auprès du chef de détention que ses parents ont bien été avertis de l’annulation du parloir. La réunion de la commission débute vers 11h00. Le détenu demande alors confirmation auprès du directeur de l’établissement qui préside la commission de discipline que ses parents ont bien été prévenus. Ce dernier lui assure que cela été fait. Au sortir de la réunion, l’avocate du détenu l’informe que ses parents, arrivés devant l’établissement à 8h30, n’ont été avisés qu’à ce moment là de l’annulation du parloir et l’ont immédiatement contactée afin qu’elle obtienne des explications. L’avocate est alors mise en relation avec la personne en charge des parloirs, qui lui répond que le détenu a préféré aller en promenade au lieu de se rendre au parloir. Après l’insistance de l’avocate, son interlocuteur admet que la visite a été annulée en raison du passage en commission de discipline et que les parents n’en ont pas été informés. L’avocate insiste alors pour qu’une visite soit organisée dans l’après-midi. Vers 14 h, elle est avertie qu’une visite pourra avoir lieu vers 15 h. Elle téléphone aussitôt aux parents qui, à la gare, attendent le départ du TGV pour repartir chez eux. Ils prennent un taxi et arrivent à 15 h devant la maison d’arrêt, remettent leurs papiers d’identité et attendent d’être appelés pour la visite. Quelques instants plus tard, un surveillant leur annonce que faute de place, le parloir n’aura pas lieu.
Selon le Code de procédure pénale, « l’accès au parloir implique, outre la fouille des détenus avant et après l’entretien, les mesures de contrôles jugées nécessaires à l’égard des visiteurs, pour des motifs de sécurité ». Dans les faits, les mesures de contrôle réalisées par les personnels pénitentiaires ne reposent pas toujours sur des motifs sérieux, sont parfois systématiques, occasionnant des fouilles souvent humiliantes. Ainsi, à la maison d’arrêt de Luynes (Bouches-du-Rhône), en juillet 2004, une mère de détenu a été soumise à une fouille à corps alors même qu’elle ne pouvait communiquer avec son fils qu’au travers d’un hygiaphone. Lors des parloirs, tout échange d’objet ou de courrier est strictement prohibé. Ainsi, en juin 2005, malgré les fortes chaleurs et l’absence d’aération dans les parloirs de la maison d’arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis), les familles en visite ne pouvaient amener des bouteilles d’eau. Le rapport d’activité de la maison d’arrêt de Brest fait état de « la mise en place expérimentale d’un dispositif de biométrie permettant le contrôle d’identité, surtout au retour des parloirs ». Par ailleurs, lors de leur arrivée, les familles sont régulièrement contrôlées par les services de police et de gendarmerie dans le but de lutter contre l’introduction de produits stupéfiants en prison. Ces opérations « coups de poings », menées le plus souvent avec des « brigades canines » et donnant lieu à des fouilles à corps, sont traumatisantes pour les familles et leurs enfants. Le rapport d’activité de la maison d’arrêt de La Roche-sur-Yon (Vendée) évoque dans son chapitre « Sécurité », « trois contrôles des familles à l’entrée des parloirs » en 2004. Le régime des visites est soumis à des règles dont la violation peut conduire à de lourdes sanctions. Une personne s’est vue retirer son permis de visite, en juillet 2003, pour avoir tenté de transmettre des disques compacts à son compagnon incarcéré à la maison centrale de Saint-Maur (Indre). En septembre 2003, le juge des référés du tribunal administratif de Limoges a rejeté le recours contestant cette décision, au motif que l’irrégularité reprochée à la visiteuse est avérée et que son cas ne présentait pas de caractère d’urgence [13]. A Niort (Deux-Sèvres), une étudiante de 20 ans a été condamnée par le tribunal correctionnel, en mars 2004, à un mois de prison ferme pour avoir tenté de donner un téléphone portable à son frère emprisonné à la maison d’arrêt de la ville, lors d’une visite au parloir. La suspicion de l’administration pénitentiaire à l’encontre des familles de détenus se manifeste également par l’existence de parloirs avec dispositif de séparation. Ces derniers ont pourtant été légalement supprimés en 1983, sauf pour les cas où il existe « de sérieuses raisons de redouter un incident, en cas d’incident au cours de la visite ou à la demande du visiteur ou du visité ». Dans de nombreux établissements, ce type de dispositif reste couramment utilisé à titre de sanction disciplinaire. Qui plus est, par une note du 20 octobre 2003, l’administration pénitentiaire a usé d’une possibilité fournie par la loi dite « Perben II » [14] pour demander aux directeurs des maisons d’arrêt de faire usage, pour « les détenus les plus dangereux » de la possibilité de « décider que les visites auront lieu systématiquement dans un parloir avec dispositif de séparation » [15]. En février 2004, un détenu transféré à la maison d’arrêt de Rouen (Seine-Maritime) a entamé une grève de la faim pour protester contre les parloirs hygiaphones auxquels il était soumis depuis plus d’un mois.
Depuis que la loi dite « Perben I » [16] incrimine le fait de téléphoner ou de transmettre des lettres en fraude et de tenter de communiquer avec les détenus par dessus les murs d’enceinte, les condamnations pour « parloirs sauvages » se multiplient. Outre qu’elles s’accompagnent, le cas échéant, de la suppression du permis de visite, toutes ces infractions sont passibles d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. A Caen (Calvados), un homme a été condamné en mars 2005 à un mois d’emprisonnement ferme pour « communication non autorisée avec un détenu ». A Bordeaux (Gironde), une femme s’est vu infliger une amende de 500 € et retirer son permis de visite pour deux mois après avoir tenté de communiquer avec son époux incarcéré à la maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan. Certains établissements ont été prompts à organiser la lutte contre ces « parloirs sauvages ». Le rapport d’activité 2004 de la maison d’arrêt d’Auxerre (Yonne) indique que « la direction s’est attachée à sanctionner systématiquement les détenus se livrant à des tapages ou à des parloirs sauvages » par 30 jours de quartier disciplinaire. Par ailleurs, « dans le cadre de la lutte contre les parloirs sauvages, un effort soutenu a été fait, en étroite collaboration avec les services de police nationale. Certaines interpellations ont donné lieu à des gardes à vues, suivies de convocations au tribunal correctionnel ». Quant à la direction de la maison d’arrêt de Reims (Marne), elle a installé aux alentours de l’établissement « un ensemble de caméras de vidéo-surveillance et un système audio permettant de repérer les faits délictueux et d’enregistrer les délinquants ». En août 2004, un homme de 27 ans libéré un mois plus tôt de cet établissement a été repéré par ce dispositif, alors qu’il tentait de communiquer par dessus le mur avec l’un de ses anciens codétenus. Le tribunal correctionnel de la ville l’a condamné à deux mois de prison avec sursis. Cette nouvelle condamnation ayant entraîné la révocation de la mesure de liberté conditionnelle dont il bénéficiait, il purge désormais une peine de deux ans et de demi de prison.
Bénéficiant d’une mesure de libération conditionnelle depuis mars 2003, un homme entame en décembre 2004 une correspondance écrite et téléphonique avec un détenu incarcéré au centre pénitentiaire de Lannemezan (Hautes-Pyrénées). Malgré le transfert de ce dernier au centre de détention de Muret (Haute-Garonne), la relation épistolaire ainsi que les conversations au téléphone perdurent. Se décidant à solliciter un permis de visite pour consolider la relation amicale qui s’est construite, l’homme en liberté conditionnelle a reçu pour toute réponse ce courrier du chef d’établissement : « Il ressort des informations recueillies qu’une autorisation de visite à votre profit paraît incompatible avec le maintien de la sécurité et du bon ordre dans l’établissement (...) vos visites n’interviendraient pas dans l’intérêt du traitement pénitentiaire de l’intéressé, en particulier en ce qui concerne sa réinsertion et la prévention de la récidive. »
Les conditions dans lesquelles s’effectue l’accueil des familles en attente de parloirs sont très inégales. La commission de surveillance du centre de détention de Bédenac (Charente-Maritime), note en novembre 2004 qu’« actuellement, les familles de détenus attendent sur le parking de l’établissement avant d’accéder au parloir, sans être protégées des intempéries ». Une situation qui est pratiquement la règle, en effet, sur l’ensemble du territoire, seules 29 associations proposent un hébergement - payant - aux familles. Très rares aussi sont celles qui ont pu mettre en place des navettes jusqu’à la prison, alors que de nombreux établissements sont éloignés des gares qui les desservent. En l’absence de transport en commun reliant la gare au centre de détention d’Argentan (Orne), le Secours catholique et l’association socioculturelle de l’établissement organisent depuis 2000 une « prise en charge, deux fois par mois, des frais de taxi pour les personnes en difficulté », indique le rapport d’activité 2004. Un dispositif qui est loin d’être généralisé. Seuls 3 établissements sur les 20 que compte la région pénitentiaire de Bordeaux sont desservis par des navettes, alors même que certains, tels les centres de détention de Neuvic (Dordogne) et de Bédenac, sont à plus de 12 kilomètres de la gare la plus proche. Aucun service de transport n’est à disposition des familles ou des proches pour les 12 établissements de la région pénitentiaire de Strasbourg. La maison centrale d’Ensisheim (Haut-Rhin) ou le centre de détention de Saint-Mihiel (Meuse) sont pourtant respectivement à 12 et 18 kilomètres de la gare la plus proche. A Varennes-le-Grand (Saône-et-Loire), il n’y a d’autre solution pour les familles que d’utiliser un taxi pour faire le trajet de 13 kilomètres qui relie la gare à l’établissement. Les surcoûts qu’entraînent ces frais de déplacement sont signalés dans de nombreux endroits. En conséquence, les associations en charge de l’accueil des familles estiment que l’administration pénitentiaire devrait être en mesure de délivrer des bons de transports aux plus démunies d’entre elles, notamment lorsque l’éloignement du détenu résulte d’une mesure administrative. De même, la garde des enfants pendant la durée du parloir ou le « service linge », qui permet à la famille de récupérer le linge sale du détenu et de lui en remettre du propre, sont loin d’être systématiquement proposés. Interpellés à ce sujet, les services pénitentiaires répondent généralement qu’il ne leur revient pas de prendre en charge les difficultés financières rencontrées par les familles. Au sein des établissements récemment mis en service, les structures d’accueil des familles sont intégrées au « périmètre pénitentiaire » et comportent généralement une salle commune d’accueil au sein de laquelle est installée une baie vitrée qui permet aux surveillants d’exercer de façon continue un contrôle des familles mais aussi de l’activité des associations. A ce dispositif, s’ajoute la mise à disposition, pour l’association en charge de l’accueil des familles, d’agents de justice ou des stagiaires désignés par l’administration. En 2003, lors de l’ouverture de la maison d’arrêt de Seysses (Haute-Garonne), malgré l’existence d’une convention liant l’établissement à une association qui oeuvrait au sein de l’ancienne prison, cette dernière à finalement été éconduite au profit d’une autre, mieux disposée à l’égard de l’administration. Pendant quelques semaines, l’accueil des familles s’est effectué sur le trottoir.
Les conditions de visite au parloir ne facilitent guère les relations entre un parent détenu et ses enfants. Afin de limiter le risque d’isolement, voire d’exclusion sociale générée par l’incarcération, des actions sont menées par des associations d’accueil des familles et des relais enfants-parents : permanences et point d’accueil des familles, accompagnement des enfants mineurs lors des parloirs. « Certes », comme le souligne dans son rapport 2004 Claire Brisset, « des efforts ont été consentis pour la réalisation de lieux de visite plus convenables dans les établissements neufs ou pour l’amélioration de locaux plus anciens et souvent vétustes. » Cependant, « la plupart de ces parloirs restent exigus, sombres, peu aérés, exposés à la chaleur et au froid ». De plus, souligne la Défenseure des enfants, « la configuration, l’équipement des parloirs restent très généralement inadaptés à la présence d’enfants venus dans le cadre des visites ordinaires des familles ». Dans ce contexte, elle s’est penchée sur les entraves que subit une personne détenue dans l’exercice de ses droits de parent. « Dans les décisions concernant l’enfant qui réclament l’aval des deux parents, son avis est souvent court-circuité », déplore-t-elle. De fait, devant la complexité des conditions qui entourent aussi bien l’entrée en détention de l’enfant que l’extraction du détenu, le juge pour enfants renonce souvent à organiser la rencontre de l’enfant et du parent détenu et ce, même lorsqu’il est prévu qu’il entende les deux parents avant de prendre une mesure éducative. Au sein du centre de détention d’Argentan, « le Secours catholique en partenariat avec l’administration pénitentiaire et le juge de l’application des peines organise des rencontres à l’extérieur du CD. Une permanence juridique gratuite a été mise en place au sein de l’établissement, ce qui permet d’informer les détenus sur leurs droits à l’égard de leurs enfants ». Cette initiative est exceptionnelle.
Incarcéré à la maison d’Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône), un détenu s’est vu refuser la reconnaissance anticipée de paternité de son fils né le 10 décembre 2003 au motif qu’ « à la lecture de la fiche pénale de l’intéressé, [le procureur de la République] note que celui-ci est détenu sans interruption depuis le 26 avril 2002, aussi il convient d’inviter l’intéressé à établir une reconnaissance à l’issue de sa détention. » Or, en plus de sa condamnation, l’homme fait l’objet d’un arrêté d’expulsion qui sera effectif à sa sortie de prison, il n’aura donc aucune autre possibilité de reconnaître son fils.
En outre, la possibilité prévue par la loi d’accorder une libération conditionnelle à un détenu doté de l’autorité parentale et dont le reliquat de peine est inférieur à quatre ans, risque de disparaître. En effet, évoquant son projet de loi sur la récidive [17] qui sera voté à l’automne en seconde lecture à l’Assemblée nationale, le garde des Sceaux a décidé de supprimer cette disposition pour les détenus concernés. La faculté reconnue aux personnes détenues, depuis une note du 17 novembre 2000 [18], de signer les livrets scolaires de leurs enfants, reste soumise dans la pratique à l’autorisation préalable qui s’applique à toute remise de documents. La circulaire n’impose pourtant cette condition qu’aux objets ou lettres restant aux mains des détenus. Une note recommandant aux chefs d’établissements d’envisager la possibilité pour les détenus de remettre un cadeau en main propre à leur enfant a été diffusée en 2003. Généralement, le cadeau est remis à l’enfant après sa sortie du parloir. La maison d’arrêt de Laval prévoit la « possibilité pour les pères de cantiner des jouets pour leurs enfants et de leur remettre au parloir », indique le rapport d’activité 2004. Celui de la maison d’arrêt de Fontenay-le-Comte (Vendée) indique que « des cadeaux sont réalisés par les personnes détenues à certaines périodes de l’année : la St Valentin, la fête des mères et Noël, et sont offerts lors des parloirs avec les familles ». A la maison d’arrêt de La Roche-sur-Yon, des « ateliers de création de bijoux fantaisie à l’approche de la fête des mères et de Noël » sont organisés « pour que les détenus puissent les offrir à leur famille ». Toutefois, les enfants ne peuvent pas faire parvenir à leur parent incarcéré les cadeaux qu’ils ont réalisés pour lui à l’école. Dans ces conditions, la visite de deux heures, en juin 2004, d’une quinzaine d’enfants à la maison d’arrêt des hommes de Fleury-Mérogis (Essonne) - en l’absence des mères qui n’étaient pas conviées - est tout à fait exceptionnelle.
Chaque année, une cinquantaine d’enfants âgés de moins de 18 mois vivent auprès de leur mère incarcérée. Leur présence est encadrée par la circulaire du 16 août 1999 [19] qui précise que « la mission de l’administration pénitentiaire ne s’exerce qu’à l’égard de la mère détenue, elle n’a aucun mandat vis-à-vis de l’enfant et, celui-ci n’étant pas détenu, sa prise en charge ne relève pas de l’administration pénitentiaire ». Concrètement, les enfants relèvent de la responsabilité de la Protection maternelle et infantile (PMI) pour ce qui concerne les soins. Actuellement, 25 établissements ont aménagé une ou deux places pour recevoir une mère et son enfant. Les plus importantes « nurseries pénitentiaires » sont situées au sein des maisons d’arrêt des Baumettes à Marseille (Bouches-du-Rhône) et de Fleury-Mérogis (Essonne). A Fleury, la nurserie peut accueillir jusqu’à 13 femmes avec leur enfant de moins de 18 mois - il y en avait huit en juin 2004 - et 13 femmes enceintes. Sur les dix femmes enceintes incarcérées à cette date, seules cinq avaient choisi de vivre à la nurserie, les cinq autres préférant la détention classique. Outre une cour de promenade réservée, la circulaire prévoit que les cellules fassent au moins 15 m², de manière à séparer l’espace de l’enfant de celui de la mère ainsi qu’une salle d’activité pour préparer les repas, laquelle n’est habituellement pas accessible la nuit. Toutefois, de l’avis de la Défenseure des enfants, ces aménagements « contribuent fortement à isoler la mère des autres détenues. Dans le quartier de détention des femmes, l’espace mère-enfant peut être très nettement séparé, par exemple à Rennes, aux Baumettes, à Fleury-Mérogis. » Dans son rapport, elle relève également qu’en 2003, l’affluence ponctuelle de détenues avec enfants a contraint la maison d’arrêt de Marseille à « doubler les cellules, c’est-à-dire à installer deux mères et deux enfants dans les 15 m² prévus pour une mère et un enfant, ce qui est évidemment très problématique ».
Protégé par la Convention européenne des droits de l’homme, le droit au respect de la vie privée implique de garantir au détenu une sphère d’intimité. Pourtant, la réglementation qui encadre les correspondances écrites et téléphoniques entre les détenus et des personnes extérieures, notamment les membres de la famille ou les proches, se caractérise par l’intrusion qu’elle organise de la part des personnels de l’administration pénitentiaire. Dans le cadre de son Etude sur les droits de l’homme dans la prison, la CNCDH a préconisé plusieurs assouplissements. En effet, pour la Commission, les correspondances « s’avèrent essentielles en prison, dans la mesure où elles permettent de préserver des relations affectives que l’espacement des visites et l’éloignement géographique du lieu d’incarcération viennent souvent contrarier ». Or, « en ce domaine comme dans bien d’autres, la pratique est fort variable selon les sites ». En maison d’arrêt, il est interdit aux détenus de téléphoner. La CNCDH a pourtant préconisé « une généralisation de l’accès au téléphone à l’ensemble des prisons ». De même, à quatre reprises (1991, 1994, 1996 et 2000) le CPT a demandé aux autorités françaises de revenir sur l’interdiction de contact téléphonique, considérant que ce « refus total est inacceptable, notamment à l’égard des détenus qui ne reçoivent pas de visites régulières de membres de leur famille, à cause de la distance séparant celle-ci de la prison ». Dans les établissements pour peine, la réglementation prévoit qu’il n’est possible de téléphoner qu’aux personnes titulaires de permis de visite. Dans la pratique, l’administration a longtemps admis des correspondances téléphoniques avec d’autres personnes, mais elle tend à revenir sur cette tolérance. En janvier 2005, dans la réponse qu’il a adressé à la CNCDH, le gouvernement a répondu qu’il entendait harmoniser le règlement au sein des établissements pour peine mais qu’il ne prévoyait aucune évolution pour ce qui est des maisons d’arrêt, faute d’« expertise financière ». La CNCDH estime que le contrôle opéré par l’administration pénitentiaire sur le courrier « aboutit à une auto-censure de la part des détenus et de leurs proches dans leurs échanges. Cette autolimitation peut conduire à un appauvrissement des rapports affectifs et en définitive à un isolement sentimental de la personne détenue ». En conséquence, elle préconise un contrôle plus approfondi du courrier sur décision judiciaire, dans le cas de figure où une vérification externe laisse suspecter la présence d’un objet illicite. Le gouvernement s’est contenté de rétorquer que « pour des raisons de sécurité (par exemple pour éviter l’envoi d’argent, de produits stupéfiants, d’un plan d’évasion), le courrier ne saurait circuler librement » et que l’intervention judiciaire serait beaucoup trop lourde à mettre en oeuvre. implique de garantir au détenu une sphère d’intimité. Pourtant, la réglementation qui encadre les correspondances écrites et téléphoniques entre les détenus et des personnes extérieures, notamment les membres de la famille ou les proches, se caractérise par l’intrusion qu’elle organise de la part des personnels de l’administration pénitentiaire. Dans le cadre de son
En dépit des multiples recommandations du CPT relatives aux visites conjugales, le Code de procédure pénale demeure toujours silencieux sur la question du droit à la sexualité en détention, d’où un tabou persistant et des tolérances qui diffèrent fortement d’une prison à l’autre. Dans certains établissements, les relations sexuelles au parloir sont proscrites et sanctionnées, le plus souvent sur la base d’une disposition réglementaire prohibant le fait « d’imposer à la vue d’autrui des actes obscènes ou susceptibles d’offenser la pudeur ».
Le 10 septembre 2004, le tribunal administratif de Versailles a condamné l’administration pénitentiaire pour des retards d’acheminement de courrier. Saisi la veille, en urgence, par un détenu de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne), le juge des référés administratifs a en effet considéré comme une « atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale du droit au respect de la correspondance » le fait de ne pas se voir « remettre son courrier dans un délai raisonnable ». Depuis le début de son placement en détention provisoire en octobre 2003, le détenu avait constaté de façon régulière « l’extrême lenteur d’acheminement de son courrier », les retards pouvant aller jusqu’à un mois. La direction de l’établissement n’avait cependant pas jugé utile de répondre à ses courriers de protestation ou à ceux de son avocat, ni même à la demande d’explication adressée par le juge d’instruction. Devant le tribunal administratif, le ministère de la Justice s’est contenté de répondre « que l’urgence n’était pas démontrée », le problème résultant « de difficultés d’organisation du service auxquelles il a été remédié depuis ». Le tribunal a cependant considéré que ces retards, par leur « caractère répété » et leur « importance », étaient susceptibles d’entraîner des « incidences [...] tant sur la vie personnelle que sur la situation administrative » de l’intéressé et, qu’en ce sens, ils portaient atteinte au respect de sa correspondance, garantie par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Considérant que le ministère de la Justice n’avait apporté « aucun élément » indiquant que les faits ne perduraient pas et que le manque d’effectifs ne pouvait justifier ces retards, il l’a enjoint « dans le délai d’une semaine », à prendre, « toutes mesures propres à assurer l’acheminement dans un délai raisonnable du courrier adressé et reçu par l’intéressé » et à lui verser 1 000 € au titre des frais de justice.
Un détenu de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) a été sanctionné en juillet 2003 de deux mois de parloirs avec dispositif de séparation pour avoir eu une relation sexuelle avec sa fiancée. En janvier 2004, la Cour administrative d’appel de Marseille a confirmé la légalité d’une sanction - de quinze jours de quartier disciplinaire et d’un mois de suppression de parloir sans dispositif de séparation - infligée à un détenu qui se voyait reprocher des relations intimes dans un parloir. Dans d’autres établissements, les personnels préfèrent fermer les yeux. « Il faut pourtant savoir que ces relations, lorsqu’elles ont lieu, se déroulent dans des conditions indignes, avec des aménagements rudimentaires qui placent le couple, les familles présentes et leurs enfants, les surveillants, dans une situation extrêmement gênante », avait constaté la commission d’enquête de l’Assemblée nationale [20] en 2000. La « grande hypocrisie » alors dénoncée par les députés perdure, leurs recommandations visant à pallier « l’absence de règles claires » étant toujours ignorées par l’administration. En novembre 2003, dans son rapport sur la prévention du suicide en milieu carcéral, le psychiatre Jean-Louis Terra a expliqué que « pendant les parloirs, les couples ont une vie intime pour laquelle l’ambivalence est de mise, à la fois illégale et en pratique objet d’une tolérance avec les risques de l’arbitraire. Quelquefois, des aménagements discrets protègent cette intimité et évitent la promiscuité avec les parloirs familiaux » [21]. Le psychiatre dénonce les conséquences délétères de cette situation : « le seul discours autorisé entre détenus sur la sexualité est celui du dénigrement de la femme et la sur-valorisation des prouesses viriles. La surenchère sexiste permet de supporter la privation et l’agression des faibles devient un défoulement méritoire, une exhibition de sa masculinité, un label de virilité » [22]. En mars 2004, le Parlement européen a approuvé à une large majorité un rapport qui préconise, entre autres réformes, que soit garanti le « droit à une vie affective et sexuelle prévoyant des mesures et des lieux appropriés » [23].
Maintes fois évoquée et reportée, l’expérimentation d’un projet des unités de visite familiale (UVF) a finalement débutée en septembre 2003 au centre pénitentiaire de Rennes (Ille-et-Vilaine) puis en avril 2004 à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime). L’ouverture de la troisième UVF est prévue à la maison centrale de Poissy (Yvelines) au second semestre 2005. L’extension de l’expérience, qui devait concerner d’autres établissements, n’a pas eu lieu. Dans un courrier adressé à l’OIP le 14 juin 2005, le directeur du centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède (Var) admet qu’« il existe sur ce nouvel établissement deux UVF qui ne sont pas mises en fonctionnement ». La lenteur de la mise en place de ces structures est d’autant moins compréhensible que les premières évaluations sont très positives. Aux termes de la circulaire du 18 mars 2003 relative à l’expérimentation d’unités de visites familiales, les UVF réservent aux détenus condamnés la possibilité de recevoir des membres de leur famille au sein de locaux spécialement aménagés implantés dans l’établissement pénitentiaire, sans surveillance directe et selon leur propre règlement intérieur. Les UVF sont réservées à des détenus condamnés à de longues peines qui ne bénéficient pas de permissions de sortir ou d’autres aménagements de peine. La possibilité d’accès aux UVF n’est ouverte qu’aux membres de la famille proche et élargie ainsi qu’aux personnes justifiant d’un lien affectif avec la personne incarcérée dans le cadre d’un projet familial. Le chef d’établissement détermine la durée de la visite, qui s’échelonne entre 6 et 48 heures. Une fois par an, une visite de 72 heures peut être accordée. Des contrôles et des interventions des personnels pénitentiaires peuvent avoir lieu au cours de la visite. L’ancien garde des Sceaux, Dominique Perben, a estimé le premier bilan « encourageant » [24]. Un constat rejoignant celui du Sénat qui, observant l’UVF implantée au centre pénitentiaire de Rennes, a noté que les visites étaient composées « pour la moitié de visites d’enfants à leur mère incarcérée, souvent accompagnés de l’autre parent ou d’un membre de la famille, voire du travailleur social du domicile des enfants. Les autres visites présentent un caractère conjugal. Le directeur de l’administration pénitentiaire a observé que l’ouverture de ces appartements familiaux avait créé un climat favorable non seulement au sein de la population pénale concernée, mais aussi au sein des différentes équipes de personnels qui se sont véritablement appropriés le projet » [25]. Il n’en reste pas moins, comme le souligne le rapport d’activité 2003 du centre pénitentiaire de Saint-Martin-de-Ré, que « la problématique des parloirs intimes est toujours présente et ne devrait pas s’atténuer d’une manière significative à l’occasion de la mise en service des UVF. C’est les espaces de liens avec l’extérieur qui sont à mettre en œuvre, les UVF seront sur l’établissement la dimension la plus aboutie, les autres gagneraient à l’être d’une façon aussi réussie ». Il est à noter que le dispositif des UVF ne concerne pas les maisons d’arrêt, où les détenus peuvent attendre des années une affectation dans un établissement pour peine. Ne bénéficiant d’aucune mesure d’aménagement de leur peine, les prévenus n’ont pas la possibilité de bénéficier d’une permission de sortir pour préserver le lien familial ou à l’occasion d’un événement familial, fut-ce un décès. En 2004, 25 441 permissions de sortir ont été accordées pour des personnes condamnées au motif de « maintien des liens familiaux » et 959 du fait de « circonstances familiales graves ». La même année, sur l’ensemble du territoire, seuls 249 placements en semi-liberté ont été accordés au motif de « participation à la vie familiale »
L’information délivrée aux familles par les services pénitentiaires, touchant à la vie quotidienne en détention, aux besoins psychologiques ou sociaux que peut développer le parent incarcéré ou à l’occasion d’incidents le concernant, est largement défaillante, voire parfois inexistante. Dans la situation particulière qui fait suite au décès d’un personne détenue - 223 sont survenus en 2004, dont 115 suicides -, des dispositions inclues dans une circulaire de 1981 stipulent que « l’entourage d’un détenu, déjà bien souvent éprouvé par la détention elle-même, mérite, dans des circonstances pénibles comme celles-ci, une considération et une compréhension particulières » [26]. Pour ce faire, les personnels de l’administration pénitentiaire sont conviés à « choisir à chaque fois le mode de communication propre à assurer la diffusion la plus rapide de la nouvelle. En tout état de cause et particulièrement dans le cas d’un décès, il faut éviter tout retard qui pourrait être mal interprété ». Ces recommandations ne sont que rarement respectées. En janvier 2004, l’administration pénitentiaire a été condamnée à verser la somme de 400 € à la famille d’un détenu qui s’était suicidé au quartier disciplinaire de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne). La direction de l’établissement n’avait prévenu les proches qu’un mois après le décès. Dans l’intervalle, les services municipaux s’étaient chargés de l’inhumation. En décembre 2003, la compagne d’un détenu a été informée de la mort de ce dernier à l’occasion d’une conversation avec un intervenant alors que le décès était survenu cinq jours auparavant à l’établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF).
En accord avec la Préfecture de la Somme, une note de la direction de la maison d’arrêt d’Amiens (Somme) du 10 février 2005 établit « que les détenus hospitalisés ne feront pas l’objet de visite familiale du fait de durées d’hospitalisation généralement très courtes ». La note prévoit que des visites en milieu hospitalier pourront être « exceptionnellement » autorisées « au regard de critères particuliers (détenus en fin de vie) sans que cela puisse mettre en péril la sécurité publique ». Les raisons invoquées par la note sont « l’inexistence de locaux sécurisés au CHU Sud, de la présence de détenus hors des chambres sécurisées du CHU Nord, et / ou des personnalités du détenu et du visiteur ». De plus, début mars 2005, une note de la direction des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) de la Somme précise que le rôle des conseillers d’insertion et de probation (CIP) vis-à-vis des familles des détenus hospitalisés doit se borner « à informer les familles de ne pas se rendre aux parloirs suite à une hospitalisation de détenu ». Il est également rappelé que « le SPIP n’est pas habilité ni autorisé à indiquer le lieu d’hospitalisation pas plus que l’état de santé du détenu ». La note prévoit aussi que, lorsque les familles sont insistantes, le SPIP leur demande « le nom et les coordonnées du médecin traitant de la famille et communique ces éléments à l’UCSA ou au SMPR », et leur indique « qu’il va se mettre en relation avec les services médicaux mais ne précise pas UCSA ou SMPR ». Et lorsque « les sollicitations [des familles] deviennent par trop insistantes, voire menaçantes, les travailleurs sociaux du SPIP saisissent leur chef de service », il était alors prévu que « le chef de service SPIP communique alors avec le chef d’établissement qui apprécie l’opportunité d’indiquer à la famille les démarches à suivre ».
Les courriers qu’elle lui avait adressés dans ce laps de temps lui ont été retournés, barrés de trois lettres : DCD. Au milieu du mois de janvier, elle n’avait toujours pas reçu de courrier l’informant officiellement de ce décès. Une procédure visant à l’information des familles en cas de décès survenu à l’EPSNF a été mise en place suite aux protestations de cette femme. En mai 2005, il fallu plus d’une semaine pour que la direction de la prison d’Osny (Val-d’Oise) prévienne la famille d’un détenu décédé en cellule suite à une bagarre avec l’un de ses codétenus. Dans le cas de décès survenant dans l’entourage proche du détenu, l’information ne se fait pas dans de meilleures conditions. Ainsi, en décembre 2003, un détenu de la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne) a été prévenu du décès de son père à sa sortie du quartier disciplinaire, soit deux jours après le décès. Il n’a pas été autorisé à assister aux obsèques et n’a bénéficié d’une permission de sortir qu’un mois plus tard, afin de pouvoir se recueillir durant cinq minutes, menotté, sur la tombe de son père. Le même traitement a été réservé à un jeune détenu de la maison d’arrêt de Nancy (Meurthe-et-Moselle) qui s’est vu refuser une permission de sortir pour assister à l’inhumation de son frère, lequel s’était suicidé à la maison d’arrêt d’Epinal (Vosges). En novembre 2002, la Cour européenne des droits de l’homme a pourtant donné raison à un détenu polonais qui l’avait saisie après s’être vu refuser une permission de sortir devant lui permettre d’assister aux obsèques de ses parents [27].
L’information des familles lorsque le parent incarcéré est hospitalisé est tout aussi défaillante, alors que le Code de procédure pénale prévoit qu’au sein de l’hôpital, « les règlements pénitentiaires demeurent applicables à son égard, notamment en ce qui concerne ses relations avec l’extérieur ». En janvier 2004, la mère d’un jeune homme poignardé dans le dos par un codétenu dans les cuisines de la maison d’arrêt de Varces (Isère) a été informée de l’hospitalisation de son fil lorsqu’elle s’est rendue à l’établissement pour lui rendre visite, trois jours après. Avisée à cet instant de l’annulation du parloir, elle n’a obtenu, malgré son insistance, aucune précision sur l’état de santé de son fils, ni sur la raison pour laquelle il avait été hospitalisé. Se précipitant à l’hôpital, elle s’est vu refuser l’accès à la chambre où était alité son fils par les policiers de garde, faute d’autorisation de visite.
Témoignages
« Empêcher un père de prendre son fils dans ses bras »
Personne détenue dans une maison d’arrêt, février 2005.
On m’empêche de prendre mon fils dans mes bras alors que je ne peux le voir qu’une demi-heure par semaine. Parce que je souhaitais lui faire des câlins, les surveillants m’ont sorti de force de la cabine pour me placer au parloir hygiaphone. Quelle loi peut empêcher un père de prendre son fils dans ses bras ?
« Il suffirait d’un peu de bonne volonté »
Personne détenue dans un centre de détention, décembre 2004.
Alors que depuis quelques mois d’onéreux travaux d’aménagement sont entrepris afin d’augmenter le nombre de places disponibles, rien n’est fait pour réduire l’impact de la surpopulation au niveau des parloirs. Lorsque le problème est abordé auprès des membres de la direction, ceux-ci ne trouvent qu’à répondre : « On en est bien conscient, mais nous n’avons pas de budget nous permettant d’augmenter le nombre de places ». Ce serait pourtant une dépense infime par rapport aux déplacements de l’infrastructure scolaire, de la bibliothèque entraînant, par ailleurs, la suppression du terrain de tennis, du boulodrome couvert, d’une pièce nous permettant de nous mettre à l’abri des intempéries lors des promenades. Il suffirait d’un peu de bonne volonté. La semaine précédant Noël, des familles venant des quatre coins de la France se sont vues refuser le parloir de l’après-midi.
« Et en attendant, je suis sans parloir »
Personne détenue dans un centre de détention, juillet 2004.
Depuis janvier 2004, mon amie sollicite un permis de visite. Fin février, la police l’a contactée afin de procéder à l’enquête de moralité requise. Début mars, un « avis favorable » a été transmis au parquet. Mais, depuis 7 mois, rien n’a bougé. Le parquet ne répond pas. En attendant, je suis sans parloir.
« Aux parloirs, les biberons sont interdits »
Personne détenue dans une maison d’arrêt, mai 2004.
J’ai un enfant âgé d’un an. Aux parloirs, les biberons sont interdits depuis l’arrivée d’une nouvelle surveillante. Il y fait pourtant chaud et, de toute façon, une heure sans possibilité de boire c’est trop pour un enfant en bas âge. D’après certaines surveillantes, les enfants n’ont pas besoin de venir aux parloirs. Je suis en prison, je suis heureuse lorsque je vois mon fils.
« Outre le coupable, la prison punit son entourage »
Personne détenue dans une maison d’arrêt, février 2005.
Six mois avant mon jugement, j’ai été transféré au sein d’une maison d’arrêt dans le cadre d’un rapprochement familial. Trois jours après mon procès, j’ai été transféré dans un autre établissement en raison d’un manque de place dans celui où j’étais. J’ai contesté cette décision mais je n’ai pu obtenir gain de cause ; bon gré mal gré, nous avons accepté cette situation mon épouse et moi. Celle-ci travaillant sur Paris, Amiens était beaucoup plus pratique en termes de temps et d’argent, sans parler du parloir qui, ici, est de trente minutes dans une salle commune sans possibilité d’intimité. Tout s’est écroulé depuis mon incarcération. Mon épouse s’est retrouvée démunie, obligée de déménager devant les charges du loyer. J’ai l’immense chance d’avoir une femme merveilleuse qui m’aime, me soutient, me permet de m’en sortir. Mais à quel prix pour elle ! Quatre ans maintenant que nous n’avons pas passé plus d’une heure ensemble, et ce jamais seuls. Beaucoup de compagnes craquent, ne tiennent pas le coup, cela se comprend. Outre le coupable, la prison punit son entourage. Rien n’est vraiment fait pour maintenir, faciliter les liens. Je n’ose penser à tous mes compagnons de misère qui n’ont pas la chance d’être aimés et soutenus car ce n’est pas l’administration pénitentiaire qui leur donnera la moindre chance de se réinsérer et s’en sortir.
« Il faut donc que j’attende un jugement qui ne vient pas »
Personne détenue dans un centre pénitentiaire, mai 2005.
Tant que l’on n’est pas jugé, la Justice ne regarde pas si l’on est loin de sa famille. Sans me demander mon avis, on m’a affecté dans une autre maison d’arrêt ; depuis je n’ai plus de parloir. Ma concubine et mes enfants sont à 200 km sans possibilité de venir me voir en raison tant de problèmes de santé que d’argent. Toutes mes demandes de transfert pour rapprochement familial ont été refusées au motif que je n’ai pas encore été jugé. Il faut donc que j’attende un jugement qui ne vient pas.
« J’étais en droit de conserver mon permis »
Frère d’une personne détenue en maison d’arrêt, février 2005.
Je possédais un permis de visite pour voir mon frère incarcéré dans une maison d’arrêt. Ce dernier a fait appel de sa condamnation en première instance, et à ma grande surprise, le gardien m’a annoncé que mon permis était annulé pour les prochaines visites, que je n’avais d’autre choix que de renouveler ma demande auprès du procureur général de la cour d’appel. J’ai effectué cette démarche cependant, le même jour j’ai appris que d’autres familles avaient conservé leur permis en dépit de l’appel. Tant la lecture du Code de procédure pénale que les conseils de diverses associations me permettent d’affirmer que j’étais en droit de conserver mon permis. Deux longues semaines se sont aujourd’hui écoulées, et malgré mes nombreux appels à la maison d’arrêt et au Parquet, l’information de notre avocat que pourtant nous payons bien cher, rien n’a bougé, je reste dans le flou.
« On me dit après 10 minutes que le parloir est terminé »
Personne détenue dans un centre de détention, août 2005.
Je suis désemparé face à toutes les difficultés que je rencontre pour maintenir mes liens avec ma famille. J’ai demandé un rapprochement familial mais il n’a pas été pris en considération. Je suis le père de trois enfants de 3 ans et demi, 7 ans et 11 ans. Le juge des affaires familiales du tribunal de grande instance a ordonné que soit mis en place un parloir chaque mois dans le cadre des relais enfants-parents. Mais à chaque parloir il y a un problème : soit un manque de personnel me dit-on, soit on me fait attendre 2 heures pendant que mes fils attendent eux de leur côté. Une fois le parloir commencé, on me dit après 10 minutes que le parloir est terminé. Mon épouse et ma petite fille se sont vues refuser le parloir à trois alors que nous ne pouvons nous voir que tous les deux mois compte tenu de la distance de 700 km aller-retour et les frais que cela engendre. Je travaille justement dans le but de participer à ces frais. Le problème se situe dans l’accueil des familles, la direction se refusant à mettre en place un système de réservation. Ceux qui ont la chance d’arriver les premiers ont un parloir le matin ou sont prioritaires l’après-midi. En venant de loin, on a au mieux la faveur d’avoir un parloir de 40 minutes le soir ! Vous pouvez alors comprendre qu’une petite fille comme la mienne, qui s’est levée à 5 heures du matin pour venir, soit fatiguée et excédée quand elle doit patienter avec la chaleur jusqu’à 17 heures.