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"Lire en prison" de Joelle Guidez

BBF 2002, Paris, t. 47, n° 5, p. 74-78

Mise en ligne : 18 octobre 2003

Le Dôme médiathèque d’Albertville - Conservateur territorial, Joëlle Guidez dirige le Dôme médiathèque d’Albertville, après avoir travaillé dans la ville de Bron, puis à Décines, en tant que bibliothécaire

Texte de l'article :

 [1] Les bibliothèques en milieu pénitentiaire

Si un jour je vais en prison, je n’emporterai qu’un seul livre :Un dictionnaire.Parce que lorsqu’on est seul, on perd le sens des mots.Et lorsqu’on perd le sens des mots,On perd le sens de la vie. Marguerite Duras

Lire en prison est un fait de tous les temps. Éduquer, rééduquer, apprendre, s’informer, comprendre, se distraire, s’évader par l’esprit, il y a des livres pour toutes les situations. Oublier le temps qui ne passe pas, c’est sans doute le principal attrait et la principale fonction de la lecture en prison.

Lire en prison n’est pas chose facile. Les cellules partagées à plusieurs, la télévision omniprésente, le bruit incessant, l’impossibilité de s’isoler sont des freins inéluctables à la pratique de la lecture. Pourtant, cette activité calme est largement encouragée par l’administration pénitentiaire, comme tout ce qui peut réduire l’agitation des détenus, tout ce qui peut les inciter à retrouver le chemin de la citoyenneté et du retour à la société civile.
Les conditions d’accès aux livres dans les établissements pénitentiaires sont pour le moins disparates, d’une prison à l’autre, d’une région à l’autre.

Dispositifs politiques et mise en place dans les régions

Quand, le 25 janvier 1986, les ministères de la Justice et de la Culture signent un protocole d’accord, ils mettent en avant l’accès de la population pénale aux différentes formes de pratique culturelle : renforcer le dispositif de réinsertion sociale déjà mis en œuvre pour la Justice, prendre en compte les besoins culturels de toute une population jusque-là peu touchée par l’action culturelle pour le ministère de la Culture. Ce protocole veut encourager les prestations culturelles de qualité, valoriser le rôle des personnels pénitentiaires, sensibiliser et associer, chaque fois que possible, les instances locales à ces actions. Ce protocole insiste particulièrement sur la politique de la lecture en spécifiant que toute nouvelle construction et tout programme de réhabilitation d’établissement ancien doivent prévoir l’aménagement d’une bibliothèque accessible aux détenus.

En 1990, un deuxième protocole d’accord est signé par les deux ministères. Il conforte l’idée de diffusion et de déploiement de pratiques culturelles et artistiques pour prévenir les difficultés d’insertion ou de réinsertion des personnes dont l’administration pénitentiaire a la charge. Ce protocole insiste sur la volonté des deux ministères de lutter contre les exclusions en assurant, sous les formes les plus diverses et les plus exigeantes, la rencontre entre un public en difficulté, les créateurs et le champ culturel dans son ensemble.

En décembre 1992, une circulaire interministérielle définit le «  Fonctionnement des bibliothèques et développement des pratiques de lecture dans les établissements pénitentiaires ».

« La lecture est un droit non limité par la décision de justice ou le règlement intérieur d’un établissement. Le développement des pratiques de lecture et d’écriture est essentiel pour la structuration d’un individu. La politique de développement de la lecture menée par l’administration pénitentiaire est la traduction d’une volonté d’intégrer le fonctionnement de la prison dans la cité. » Ainsi débute le texte de la circulaire. La lecture devient une condition de mise en œuvre d’une politique de développement culturel. La bibliothèque constitue un appui et une ouverture essentiels à toutes les actions d’enseignement et de formation conduites en direction des personnes incarcérées les plus démunies.

Les protocoles établis entre les ministères ont abouti, en région, à la signature de conventions entre les administrations décentralisées, les directions régionales des affaires culturelles (Drac) et les directions régionales des services pénitentiaires (DRSP). Ces conventions avaient pour but de contractualiser une action culturelle en milieu pénitentiaire avec, en finalité, l’insertion ou la réinsertion dans la société. La première étape était l’installation et la pérennité de bibliothèques dans tous les établissements, la lecture étant le premier pas vers un processus d’acculturation et donc vers l’intégration dans une société qui avait jusque-là exclu.

La première région à officialiser un tel engagement a été la région Aquitaine. En 1993, dans cette région, un protocole entre les deux administrations instaurait un véritable partenariat et construisait une action culturelle dans les établissements pénitentiaires. Cette expérience constructive devait « faire boule de neige » et conduire d’autres administrations régionales à faire de même. Ce furent les régions Limousin (1994), Bourgogne (1994), Provence-Alpes-Côte d’Azur, Corse (1995), Languedoc-Roussillon (1995), Centre (1995), Franche-Comté (1996), Champagne-Ardenne (1996). Vinrent ensuite Rhône-Alpes (1997) et Auvergne (1998). Depuis 1997, toutes les structures ont la mission d’effectuer un état des lieux sur le développement culturel dépassant le seul cadre de la lecture.

Les directions régionales (Justice et Culture) confient aux agences de coopération entre bibliothèques ou aux centres régionaux du livre le soin de mettre en œuvre cette politique et s’appuient, en ce sens, sur le rôle fédérateur de ces organismes. Ceux-ci recrutent des chargés de mission afin d’effectuer, dans un premier temps, un état des lieux des structures de lecture, de réaliser une étude de besoins tant quantitatifs que qualitatifs, et d’instaurer une politique partenariale avec l’appui des collectivités territoriales, seules garantes d’une pérennisation de l’action culturelle menée. En Ile-de-France, région non pourvue d’agence de coopération, c’est la Fédération française de coopération entre bibliothèques (FFCB) qui effectue cet état des lieux.

En 1999, l’administration pénitentiaire crée les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) dans chaque département. Ces services ont, entre autres, pour mission de développer l’action culturelle en milieu pénitentiaire et ont en charge la gestion des bibliothèques de prison. Des crédits de fonctionnement sont affectés pour le renouvellement des livres dans ces bibliothèques.

En 2000, le ministère de la Justice recrute des « agents de justice », sur le mode des emplois-jeunes, au sein des SPIP. Ces agents sont affectés entre autres au fonctionnement des bibliothèques et à l’action culturelle. Les profils de poste sont laissés à l’appréciation des SPIP.

Le cadre politique et technique étant dessiné, aux niveaux national et local, nous pouvons décrire à présent, comment vivent les bibliothèques dans les établissements.

Les bibliothèques de prison

Les données et observations qui vont suivre relèvent d’une enquête portant sur 165 bibliothèques de 114 établissements [2]. Cette enquête a été effectuée sous forme de grille à compléter envoyée aux différents chargés de mission « développement culturel en milieu pénitentiaire » en région. Il s’agissait pour eux de répondre quantitativement ou qualitativement à une série d’indicateurs qui nous ont paru les plus pertinents pour rendre compte de l’état et de l’activité de ces bibliothèques.

Les résultats des régions Alsace, Lorraine, Pays-de-la-Loire, Basse Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Picardie ne figurent pas ici. En effet ni l’Alsace, ni la Lorraine n’ont signé de convention Drac/DRSP. Il n’y a donc pas de chargé de mission. Ces régions ont contractualisé un partenariat avec l’Éducation nationale. Les chargés de mission en Basse-Normandie, Nord-Pas-de-Calais et Picardie, n’ayant pris leurs fonctions que très récemment, n’avaient pu collecter les données demandées.

Une bibliothèque, un local

Située le plus souvent en quartier de détention, (lorsqu’elle est hors du périmètre de détention, cela pose des problèmes de sécurité et d’accès), la bibliothèque est un lieu à part entière. Elle peut être installée dans une cellule aménagée, ou dans deux ou trois cellules, dans un local approprié et conçu à cet usage. Dans ce cas, la bibliothèque est identifiée, son accès est facilité. Il existe encore des bibliothèques confinées dans des armoires. Ces dernières (on en dénombre, en 2001, 9 % de la totalité des établissements) sont pour la plupart dans les quartiers de femmes, chez les mineurs ou encore dans les centres de semi-liberté.

La bibliothèque, avec ses modalités d’utilisation, est signalée au moment de l’incarcération. Elle fait l’objet de publicité par affiches ou quelquefois par voie du canal interne de télévision.

Onze d’entre elles ont une superficie de plus de 80 m2, normes préconisées dans la circulaire de 1992. Des bibliothèques se créent dans les quartiers d’isolement ou disciplinaires, comme en Champagne-Ardenne à Clairvaux ou en maison centrale de Saint-Maur dans la région Centre.

L’accès

Soixante-seize pour cent des bibliothèques sont en accès direct  [3] , tous types d’établissements confondus. Cet accès est réglementé. Les détenus se rendent à la bibliothèque sur inscription la veille, ou sur simple demande au personnel de surveillance. Le détenu est accompagné dans ses déplacements et ne peut rester qu’un laps de temps mesuré entre 10 à 30 minutes : temps jugé trop court pour véritablement choisir ses lectures. D’où la nécessité de rendre le fonds attractif : présentoirs, signalétique claire, classement par sujets ou centres d’intérêt (la classification Dewey est largement adoptée).

L’accès pour 15 % des bibliothèques est libre. Il s’agit surtout des établissements pour peine, maisons centrales ou centres de détention [4].
L’accès indirect (10 % des bibliothèques) ou par listes ne favorise pas la pratique de lecture. Dans ces établissements, le nombre d’inscrits est moins élevé. Le choix des emprunts se fait par des listes qui circulent dans les cellules. Les détenus remplissent une fiche avec plus de titres qu’ils ne peuvent emprunter (en cas d’indisponibilité des titres choisis). Les listes sont classées par titre, auteur, quelquefois sujet. Ce mode d’appropriation est plutôt fastidieux et n’engage pas à la découverte.

L’accès direct est un véritable enjeu dans la négociation avec les directions des établissements. C’est la clé du développement de la lecture en milieu pénitentiaire.

Les collections

Dans certains établissements, les fonds de livres étaient constitués de dons d’organismes (organisations caritatives, ambassades ou même librairies). La qualité des fonds était alors aléatoire, et les livres proposés ne correspondaient pas aux demandes des détenus. Les bibliothèques territoriales (municipales ou départementales) ont apporté leur soutien en effectuant des dépôts permanents ou renouvelés. Mais les conditions de retour des documents étant hautement improbables, certaines de ces bibliothèques ont renoncé à ce service pourtant apprécié. Dans les établissements dits des « 13 000 [5] », une dotation en livres a constitué le fonds de départ.

Le désherbage et l’élimination des ouvrages en mauvais état ou dont le contenu (pour les documentaires) est désuet ont constitué la première étape pour donner un aspect vivant aux bibliothèques. Les bibliothèques publiques ont là aussi démontré leur savoir-faire et se sont investies dans la réorganisation des bibliothèques de prison.

Selon les recommandations de l’Ifla, il faudrait prendre en compte un minimum de 20 livres par détenu. À l’heure actuelle, seules 26 % des bibliothèques atteignent ce quota.

Un peu plus de la moitié des bibliothèques souscrit des abonnements à des revues, de 1 à 30 titres. On est cependant loin des normes énoncées par l’Ifla, à savoir : pour 50 détenus, 10 titres ; de 51 à 100 détenus, 15 titres ; plus de 100 détenus, 20 titres. La gestion des périodiques est rendue difficile surtout quand ceux-ci sont prêtés, les détenus ayant tendance à les garder dans les cellules. De plus, dans ce domaine, les phénomènes de « caïdat » sont fréquents : « réservations » systématiques pour quelques détenus. Le plus souvent, c’est l’association socioculturelle des détenus qui finance les abonnements.

Le budget

Le budget est sans doute le point le plus discriminant. La réforme des SPIP a permis cependant de consacrer une part de financement aux activités culturelles. Ce budget est, entre autres, affecté aux acquisitions des bibliothèques. En Rhône-Alpes, la subvention pour l’action culturelle et les bibliothèques s’élève à 0,15 euro (1 F) par détenu et par jour de détention. Quelques bibliothèques (5 sur 165 en 2001) ne disposent d’aucun budget régulier. L’actualisation des fonds devient alors un exercice difficile.

Certaines bibliothèques, et ce, grâce à l’action et aux conseils des chargés de mission en région, sollicitent le Centre national du livre (CNL) pour des demandes de subvention thématiques ou plus larges, s’il s’agit de constitution de fonds nouveaux. En 2000 [6], 49 établissements déposaient une demande pour un montant global de 113 193 euros (742 500 F). La région la plus demandeuse est sans conteste la région Ile-de-France avec 8 établissements pour une somme de 54 119 euros (355 000 F), soit près de la moitié des sommes attribuées. Viennent ensuite la Franche-Comté, l’Aquitaine, la Bourgogne et Champagne-Ardenne. Ces demandes, selon le CNL, sont en général satisfaites. Les thèmes mis en avant sont variés. On remarque la prédominance de sujets ou de genres comme la BD, la poésie, l’histoire, la littérature policière et la découverte du monde.

Les intervenants

Les intervenants en milieu carcéral proviennent d’horizons différents. Cette hétérogénéité se traduit autant dans les statuts que dans les formations.
Les bibliothèques sont placées sous la responsabilité d’un travailleur social du SPIP, soit le référent. Celui-ci, pris dans ses activités quotidiennes, n’arrive pas toujours à assumer cette responsabilité et la délègue, pour le fonctionnement au jour le jour, au détenu ou au bénévole en place. Le référent prend en charge la gestion du budget, les questions d’ordre organisationnel (heures d’ouvertures, passage des détenus…) à voir avec la direction de l’établissement, et les questions d’ordre matériel (fournitures, logiciel de gestion…). Il a un rôle essentiel de coordination entre les différents intervenants concernés par la bibliothèque.

Les détenus classés  [7] (auxiliaires de bibliothèque) le sont pour des raisons propres à l’administration (attitude en détention avec le personnel de surveillance et avec les codétenus) et sur des critères qui n’ont pas beaucoup à voir avec des compétences en matière de lecture [8]. Ils assurent le fonctionnement de la bibliothèque au quotidien, l’équipement des livres, leur rangement et les opérations de prêt. Quand ils sont particulièrement motivés, ils conseillent en lecture les détenus qui se rendent à la bibliothèque. Une formation de base est absolument nécessaire. Elle leur est prodiguée par les bibliothécaires professionnels qui interviennent en prison. La FFCB a publié un Guide pour le détenu bibliothécaire, outil de référence pour enseigner les notions de base.
Les surveillants, s’ils n’ont pas de rôle effectif au sein de la bibliothèque, assurent le bon fonctionnement des déplacements dans l’établissement. Accompagner les détenus à la bibliothèque peut être considéré comme une charge supplémentaire. Ils ont une grande influence sur les négociations avec la direction sur le mode d’accès de la bibliothèque. Un accès direct est vécu par eux comme cause possible de troubles.

Les professionnels des bibliothèques des bibliothèques municipales (BM) ou des bibliothèques départementales de prêt (BDP) territorialement compétentes interviennent de plusieurs façons : pour un dépôt et lors du renouvellement de celui-ci, pour des prêts ponctuels, pour répondre à des demandes précises de certains détenus (livres en langue étrangère, livres pour parfaire une formation ou poursuivre des études…), pour dispenser des formations aux détenus classés, pour procéder au désherbage et à l’actualisation des fonds, pour proposer et concevoir des animations. On en recense 94 qui passent d’une demi-journée par mois jusqu’à un temps plein (Poitiers). À Pau, un bibliothécaire partage son temps entre la maison d’arrêt et une annexe de quartier. Leur concours est précieux et cette professionnalisation est souhaitable. Elle est le gage de l’amélioration de l’offre de lecture. Ce partenariat est contractualisé par des conventions signées avec les autorités de tutelle.

Des bénévoles sont aussi présents dans les bibliothèques, issus, par exemple, du mouvement associatif caritatif. À Valence, ils sont encadrés par les référents du SPIP et participent aux réunions de concertation avec toute l’équipe. À Saint-Quentin-Fallavier (Isère), deux bibliothécaires bénévoles viennent du réseau des bibliothèques de la BDP.
Des agents de justice sont affectés au développement culturel et à la bibliothèque. Ils gèrent, en lien avec les référents, les acquisitions, les permanences d’ouverture, les animations. Leur présence est un atout pour le bon fonctionnement de la bibliothèque. Recrutés sur des profils très divers, ils n’ont pas ou peu de formation bibliothéconomique. Ils suivent des journées de sensibilisation organisées par les chargés de mission en région ou par les BDP.

Des emplois-jeunes enfin apportent leur concours dans le fonctionnement des bibliothèques. Ils sont recrutés par les bibliothèques municipales (Lyon, Nîmes), ou, comme en Bretagne, par la Fédération des œuvres laïques.

Les partenariats avec les bibliothèques publiques

Les bibliothèques publiques, par l’intermédiaire de leurs autorités de tutelle, ont signé des conventions fixant les objectifs et clarifiant les missions et devoirs de chaque partenaire. À ce jour, on compte 63 BM et 31 BDP. L’action conjuguée des Drac et de leurs conseillers pour le livre, des chargés de mission dans les régions est porteuse de succès et répond aux directives émises dans les protocoles interministériels. Ces conventions, en contractualisant la coopération sur le plan local, sont les garantes de la pérennisation du développement de la lecture en milieu pénitentiaire. Il convient de les encourager, et c’est à ce stade qu’interviennent les chargés de mission sur le plan régional.

Les animations

Un livre n’est véritablement accessible que si l’on se donne la peine de le faire vivre. Bien des établissements pénitentiaires ont compris tout l’intérêt de manifestations, de rencontres, d’ateliers d’écriture ou de bandes dessinées. Les acteurs de la culture ont saisi ce que représentait l’accès à la culture des populations marginalisées, surtout des personnes incarcérées. Les acteurs de la pénitentiaire savent que les incitations extérieures d’artistes entrent de plain-pied dans le processus d’acculturation et donc de réinsertion des personnes dont ils ont la charge. Cette rencontre permet des échanges riches et diversifiés. René Frégni, dans la maison d’arrêt des Baumettes à Marseille, conduit depuis de nombreuses années des ateliers d’écriture avec les détenus. Échappée littérale des détenus, recours littéraire de l’écrivain : à lire ses livres, on sent l’imprégnation forte du milieu carcéral. À Valence, l’atelier d’écriture conduit par François Joly a figé les transferts des détenus, tant l’attention était grande. Le résultat est la publication d’un livre édité par un éditeur national [9]. Les manifestations extérieures (Foires et fêtes du livre, manifestations nationales ou locales) font écho dans les cellules, et il n’est pas rare de voir des détenus donner leur avis sur des livres présents au Festival du premier roman de Chambéry, par exemple, et rencontrer leurs auteurs.

Bibliothèques publiques, bibliothèques d’établissements pénitentiaires se soutiennent pour donner la parole aux auteurs et sortir les livres des rayons.

Éléments de réflexion pour la formation des personnels

Les agents de justice, les emplois-jeunes, les travailleurs sociaux qui ont la charge des bibliothèques d’établissements pénitentiaires ne sont pas formés aux techniques bibliothéconomiques, ni même à l’action culturelle. Des formations existent, comme les BEATEP (brevet d’État d’animateur technicien de l’Éducation populaire et de la Jeunesse) « médiateurs du livre », mais la mise en situation dans les prisons avec tout ce que cela comporte comme codes et comme publics particuliers n’est que très peu exploitée. Les BDP ouvrent leur programme de formation aux agents de justice qui travaillent en milieu carcéral. Les agences de coopération organisent des journées de sensibilisation, des rencontres avec des professionnels ou des acteurs de la vie culturelle. Une réflexion sur la formation des personnels est plus que nécessaire.

Le contenu de la formation initiale des surveillants à l’École nationale de l’administration pénitentiaire (Enap) ne comporte aucune intervention sur le développement de l’action culturelle en milieu carcéral. Seuls les conseillers pour l’insertion et la probation (CIP), ont une approche culturelle, et ce trois heures pendant l’ensemble de leur formation.

Les professionnels de bibliothèques, s’ils concourent au bon fonctionnement des bibliothèques de prison, ne sont pas pour autant informés des conditions et des règlements de l’administration pénitentiaire.
La rencontre entre les deux milieux est à approfondir. Une réflexion doit s’engager au niveau des administrations centrales (Direction du livre et de la lecture et Direction de l’administration pénitentiaire) pour mettre au point des actions de formation pour les intervenants en milieu pénitentiaire. Ce programme pourrait se construire en région avec la collaboration des Drac (conseillers pour le livre), des DRSP (chefs d’unité d’action socio-éducative), des SPIP, des agences de coopération (chargés de mission développement de l’action culturelle en milieu carcéral). Cette formation serait portée par les centres régionaux de formation [10]. Elle s’articulerait sur la connaissance du milieu (univers carcéral), la connaissance du public et de ses besoins en matière de lecture, la connaissance des dispositifs institutionnels ; mais aussi sur la connaissance du fonctionnement des bibliothèques, de la production éditoriale, des possibilités d’obtention de subventions, la connaissance du contexte culturel et de ses institutions, l’approche de la conduite de projets culturels, et l’approche des mécanismes d’insertion sociale.

Formation qui justifierait pleinement l’action culturelle en prison.

Évaluation et suivi

La volonté politique mise en pratique dans les régions a donné les résultats que nous avons exposés. Des bibliothèques ont été aménagées dans les établissements. Des budgets sont affectés pour les acquisitions. Les bibliothèques publiques s’engagent dans un processus d’aide technique et professionnelle au travers de conventions.

Qu’adviendra-t-il dans cinq ans, lorsque les contrats des agents de justice seront clos ? La question de la pérennité de l’action en bibliothèque et du développement de la lecture reste entière et préoccupante.

La perspective de concevoir toute bibliothèque d’établissement pénitentiaire comme une annexe de la bibliothèque territorialement compétente est d’une grande justesse. Et cette bibliothèque se doit d’être le pivot de toute action culturelle à conduire dans ces établissements. Les efforts, importants dans leur ensemble, sont à poursuivre pour que les détenus, population « empêchée » par définition, soient pris en compte et bénéficient d’outils culturels comme tout un chacun.

Il y a des livres en prison. On doit pouvoir dire : il y a de véritables bibliothèques en prison.

Juin 2002
Site de la BBF

Notes:

[1] Cet article est le résultat d’un travail entrepris pendant mon stage d’études (de septembre à novembre 2001) à la Direction du livre et de la lecture, au Bureau du développement de la lecture, travail qui consistait en une actualisation de la connaissance des bibliothèques d’établissements pénitentiaires sur le territoire métropolitain

[2] Ce nombre n’est pas exhaustif et ne représente pas la totalité des bibliothèques des établissements. L’Administration pénitentiaire gère 185 établissements dans la France, selon Les chiffres-clés de l’Administration pénitentiaire, janvier 2001

[3] L’accès direct doit se comprendre, ici, comme la possibilité donnée au détenu de se rendre lui-même à la bibliothèque pour y choisir ses lectures, et non de passer commande par l’intermédiaire de listes. Cet accès direct est d’ailleurs grandement préconisé dans la circulaire interministérielle de décembre 1992

[4] « Établissement pénitentiaire qui reçoit exclusivement des condamnés dont le reliquat de peine est au moins égal à un an. On distingue différents types d’établissements pour peine : les centres de détention et les maisons centrales. » Voir : Glossaire

[5] Programme de constructions nouvelles (25 établissements, 13 000 places) initié par le garde des Sceaux, Albin Chalandon, de 1989 à 1992. Certaines fonctions dans ces établissements sont sous-traitées à des entreprises privées : restauration, entretien, service médical, blanchisserie…

[6] Je n’ai pu obtenir les données complètes de 2001, les demandes n’étant pas toutes parvenues au moment de mon stage

[7] Ils peuvent être rémunérés ou non

[8] De plus en plus, les bibliothèques partenaires peuvent définir avec les personnels des SPIP le profil du détenu classé

[9] Le poulpe en prison, Baleine, 2002, coll. « Le Poulpe »

[10] Une réflexion est à mener avec l’ensemble des partenaires puisque les centres régionaux de formation ne peuvent pas, par exemple, accueillir des agents bénévoles