Roger Ferreri, psychiatre, s’exprime à l’occasion des « états généraux contre la nuit sécuritaire », à Villejuif. Roger Ferreri est une figure du milieu de la psychiatrie publique. Psychiatre, psychanalyste et chef d’un service de psychiatrie infanto-juvénile dans le département de l’Essonne, il est depuis le début un des membres actifs du collectif des 39 contre la nuit sécuritaire. Et de ce fait participe au meeting, ce samedi à Villejuif contre les projets du gouvernment en matière de psychiatrie
Un débat court dans le milieu de la psychiatrie mais aussi chez les associations de malades pour souhaiter la judiciarisation dans les décisions de privation de liberté en psychiatrie, pour en finir avec les décisions actuelles relevant du préfet. Vous dites que c’est une fausse bonne idée.
Oui. Un certain nombre d’entre nous pense qu’il serait judicieux de proposer que la décision d’hospitalisation sous contrainte soit d’ordre juridique. Bien souvent une phrase résume cette position : pas de privation de liberté sans l’intervention d’un juge, car comme on dit, il est le garant à ce jour du contradictoire. D’abord, je constate que la privation de la liberté par la justice est quoi qu’on en dise toujours de l’ordre de la punition. Le malade mérite-t-il d’être inclus dans ce modèle de la punition ? Est-ce cela que l’on veut ? Surveiller et punir. De plus, pour moi, la contrainte n’est pas un soin.
Oui, mais c’est toujours mieux que l’arbitraire d’une décision administrative….
C’est ce que j’entends. On pointe qu’à présent, la décision d’hospitalisation sous contrainte est prise par le préfet, que c’est donc l’Etat, et donc au final, politique. Or, quand la décision est ainsi administrative et politique, en tant que psychiatre, je peux, moi, me battre contre ce pouvoir. A l’inverse que faire par rapport une décision de justice. Le juge, comment va-t-il faire ? Il va renvoyer aux experts. Un expert dit toujours plus à partir de toujours moins. La justice passe par l’expertise. Il me semble que lorsque que l’on est psychiatre, on peut se battre contre une décision d’un préfet, en tout cas beaucoup plus que contre la vérité de l’expert ou de la justice. Avec le préfet, la divergence d’intérêts nécessaire entre l’acte de soins et la société peut s’exprimer. Avec un juge, on ne peut pas.
C’est à dire ?
Avec le juge, on va dire que c’est objectivement pour leur bien. On va dire que c’est la vérité de la Raison contrôlée par la vérité judiciaire, une affaire bien bouclée ne laissant pas beaucoup de place à la dispute. Cela m’inquiète, car nous ne sommes pas loin d’un discours de bon colonialisme. Ces gens sons fous, il faut que l’on pense et décide à leur place. Et on se va débrouiller pour les protéger. En fait, on se protège, nous, mais on ne les protège pas. La justice doit protéger des hospitalisations abusives, les textes actuellement en vigueur le permettent, ce n’est pas pour autant que les patients sont informés de leurs droits quand ils sont hospitalisés, comme ce la devrait être. Je le redis, la contrainte n’est pas du soin, c’est une décision de la société. Je pense que la société a le droit de se protéger. Cela étant, lorsque vous mettez quelqu’un dans une chambre d’isolement, vous n’avez pas le droit de penser que c’est pour son bien, ou pour endiguer son morcellement psychotique. On le fait, parce que l’on ne sait pas quoi faire d’autre. Hospitaliser quelqu’un sous contrainte parce que c’est cela qu’il fallait faire n’ouvre pas du tout les mêmes possibles que de se résigner à le faire. Un même acte isolé, certes, mais qui ouvre sur deux espaces de soin tout à fait différents tant pour la relation avec le patient que pour la dynamique institutionnelle.
Mais peut-on s’en contenter ?
Il faut rester dans l’inquiétude, pas une inquiétude passive, bien au contraire une inquiétude qui engage l’acte du coté de l’implication des soignants et non pas du coté de l’effectivité du droit ou d’un bien-faire préétabli. Tout acte se supporte d’un point d’arbitraire, on ne peut pas dire et agir comme si cela avait été écrit par avance. La folie représente pour nous ce que l’on ne peut pas partager. Michel Foucault disait que c’était le temps du partage « du partage lui-même » que la folie ne cessait de réinterroger et qu’il convenait de ne pas évacuer cette interrogation sous couvert des sciences de l’homme. L’homme dans son humanité ne peut pas être réduit au simple objet de lui-même sauf à promouvoir la figure du savant ivre de pouvoir qui rêve de diriger un monde où l’homme ne serait plus qu’une analogie d’humanoïde. Il est heureux que la folie s’origine dans un savoir populaire, un savoir insue que nous possédons tous et qui fait surgir en nous le terme de folie quand nous rencontrons quelqu’un qui prend en défaut les bases de notre signification. La psychiatrie n’existe qu’après ce savoir. Malheur à nous, si nous en arrivions à demander à la psychiatrie d’effacer les limites qui bornent nos échanges de sens pour construire une folie produite par la connaissance d’un homme normal. Nous quitterions le monde de la raison comme fiction politique pour entrer dans celui de la raison comme norme. Cela s’appelle la normalisation, l’histoire nous a montré que le droit n’y résiste pas, étant lui-même normalisé. Il faut nous rendre à l’évidence, la joie de voir le mur de Berlin tombé ne doit nous empêcher de prendre au sérieux qu’il est plutôt tombé du mauvais coté.
Mais les familles ont plus confiance en la justice que dans les psychiatres…
Elles n’ont pas tout a fait tort quand on voit l’état actuel de la psychiatrie et les difficultés qu’elles rencontrent pour qu’un de leurs proches soit honorablement suivi. La psychiatrie souffre d’un manque sensible de moyens, mais cela ne suffit pas pour explique la situation actuelle, elle souffre globalement aussi et surtout, aux équipes et personnes près qui continuent d’œuvrer coûte que coûte qu’il ne faut surtout pas oublier, d’un manque d’allant, d’une perte de savoir-faire, d’un désespoir reflet des angoisses de notre époque, bon nombre d’équipes se réfugient dans la plainte et le renoncement plutôt que de combattre avec protestation.
Néanmoins, pourquoi des associations de familles, d’anciens psychiatrisés enfourchent-elles la judiciarisation et la proposition de soins sous contrainte en ambulatoire ? La continuité de la contrainte hors le temps hospitalier est présentée par le gouvernement comme la continuité des soins. Régression, Illusion, Imposture avons-nous répondu au groupe des 39 contre la nuit sécuritaire. Régression parce que nous retournons au modèle d’avant la Révolution française qui avec Pinel avait pris pour parti de refuser la contention. Illusion parce que les patients essaieront de se soustraire à cette obligation et risquent fort d’augmenter les SDF. Illusion encore parce que cela ne peut que désimpliquer encore plus bon nombre de psychiatres devant les cas difficiles qui se cantonneront à prescrire et menacer pour s’en débarrasser au plus vite. Imposture qui installe une tromperie où la menace remplacerait à elle seule les moyens et l’élan à redonner aux équipes.
Cela étant dit je peux me risquer à faire une hypothèse qui témoigne de la complexité de la représentation, c’est-à-dire de parler à la place d’au moins un autre. Pourquoi espérer de la judiciarisation, de la contrainte aux soins quand on représente les familles ou les
psychiatrisés ? Ici cet autre ne peut qu’être représenté, au moment de sa folie, celui qui la subit n’a pas voix au chapitre ou s’il a voix au chapitre c’est qu’il est alors entendu hors sa folie. Au moment de sa folie la personne qui en souffre n’est pas usager de la folie. Nous sommes confrontés à une étrange casuistique où celui qui est touché dans sa proximité personnelle ou fraternelle propose une amélioration en vue de l’espoir de « guérison » qui deviedra disparition de la personne au nom de laquelle il s’est mobilisé. Ce que je dis n’est pas une critique mais un simple avertissement bien moins compliqué que dans la réalité, où il nous faut mettre au travail nos utiles divergences. Eux ils ont le droit de penser comme des défroqués parce qu’ils n’ont pas choisi de
quitter un statut. Les psychiatres qui se prononcent pour la contrainte aux soins en ambulatoire n’ont quant eux aucune excuse de cet ordre. Il faut toujours passer par le conflit, la tension. Le pire, c’est quand tout s’éteint. Maintenir les tensions, c’est maintenir quelque chose qui se prête à discussion. Tenir la place du psychiatre, c’est considérer que l’on intervient dans une tension, dans un conflit où rien ne va. Cette tension n’est pas faite pour être réglée, mais pour ouvrir des possibles.
Vous dites, aussi, que se focaliser sur ce débat de la loi est un débat écran ?
Le problème, aujourd’hui, avec ce que j’appelle le néolibéralisme, c’est l’isolement des personnes, les unes avec les autres. Le néolibéralisme éclate, isole. Le dernier résistant à l’isolement, ce sont, peut-être, les fous. C’est ce qui résiste à tout modèle. Les faire rentrer dans une norme, c’est cela la politique de Sarkozy. C’est l’effet le plus destructeur de la situation actuelle. L’important, c’est que le fou reste dans la question de la singularité, et non pas enfermé dans une cohorte. Le fou n’est pas un personnage au sens où personnage désignerait ici une offre socialement repérable qu’elle soit d’ailleurs bien ou mal. Le lien social consiste à partager ce que nous ne pouvons pas dire d’absolu et de définitif sur nos vies. Que cela disparaisse et la folie se fait jour. En un sens on peut dire que nous n’avons trouvé mieux que les fous pour incarner la folie. L’important aujourd’hui n’est pas de parfaire le modèle de la contrainte. La question, qui se pose donc n’est donc pas d’améliorer, ni de rendre plus efficace les modalités de placement sous contrainte, mais de mettre en place les conditions politiques et pratiques du dépérissement de leur utilisation en promouvant un accueil de la folie qui soit aussi, dans le rapport à chacun, une disposition pour ne pas dire un fait de civilisation.
Recueilli par Eric Favereau