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Lutter contre la récidive : des solutions existent

Mise en ligne : 2 septembre 2005

Texte de l'article :

Qu’au cours d’une législature, le Parlement se saisisse de la question de la récidive des infractions pénales, rien de plus normal. Encore faudrait-il qu’il le fasse dans un réel souci d’efficacité, en cohérence avec nos engagements internationaux et dans le respect des fondements humanistes de notre République.

Légiférer en connaissance de cause . Ainsi ne conviendrait-il pas de suivre les recommandations du Conseil de l’Europe sur Le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale (30 septembre 1999), sur Les règles européennes concernant les sanctions et mesures appliquées dans la communauté (29 novembre 2000), sur La libération conditionnelle, (24 septembre 2003), sur La gestion des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue peine (9 octobre 2003) ?
Le législateur ne devrait-il pas s’appuyer sur les travaux de la communauté scientifique, systématiquement oubliée par les missions parlementaires ? Ne devrait-il pas être à l’écoute de la société civile organisée aux compétences multiples : sociétés savantes [1], associations professionnelles, syndicats, associations, mouvements politiques  [2] ?
Dans une approche rationnelle de la récidive, la priorité doit revenir au développement des connaissances scientifiques et de leur diffusion auprès des professionnels et de l’ensemble de la société. Nous faisons quatre propositions concrètes :
- Mise en place, à la Direction de l’administration pénitentiaire, d’une statistique permanente sur la récidive, reposant sur l’observation suivie de sortants du milieu fermé et du milieu ouvert. Ce système serait l’un des outils d’aide à la décision des juges d’application des peines (JAP) et des tribunaux, en complément d’approches plus qualitatives à développer.
- Financement par la mission de recherche « Droit et Justice » de programmes de recherches pluridisciplinaire à mener en parallèle dans plusieurs pays européens ayant des systèmes d’aménagement des peines différents (par exemple France, Suisse, Suède et Angleterre Pays de Galles).
- Mise en place de programmes de formation pluridisciplinaires (initiale et continue) sur l’aménagement des peines et la récidive à l’Ecole de la magistrature, à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire et dans toutes les écoles relevant du Ministère de la Justice ou du Ministère de l’Intérieur. Ces programmes ne devraient pas se limiter à l’étude des textes juridiques.
- Création d’un Institut national d’études de la criminalité (INEC), placé sous la tutelle du ministère de la recherche et de tous les autres ministères concernés, pluridisciplinaire (sciences du droit, sciences de la société, sciences du psychisme, philosophie) [3]. L’Observatoire national de la délinquance (OND) qui dépend aujourd’hui du Ministère de l’Intérieur y trouverait naturellement sa place. En attendant... mise en place, plus modestement, d’un Observatoire (indépendant) de la récidive des délits et des crimes.

Des peines certaines mais systématiquement aménagées. Afin d’aider les condamnés à (ré) apprendre à vivre dans le respect des lois et de protéger les victimes potentielles de nouveaux délits et de nouveaux crimes, toute peine privative de liberté doit être aménagée. La peine prononcée adaptée, par son aménagement, au devenir du condamné, prend tout son sens et tend à rétablir le lien social entre l’auteur de l’infraction et la société. Le respect dû aux victimes et la sécurité de tous, pour l’avenir sont à ce prix. Une telle orientation est en contradiction avec l’existence des peines perpétuelles et des périodes de sûreté à la française.
 
Nous proposons que la peine de « réclusion criminelle » maximale soit de 30 ans (peine prononcée). La détermination de ce maximum devrait faire l’objet d’un accord européen. Les cours d’assises pourraient accompagner le prononcé d’une peine de 30 ans d’une « mesure de sûreté » à mettre en place lors de la levée d’écrou. La peine ayant été exécutée (en milieu fermé, voire en milieu ouvert), la « mesure de sûreté » serait prononcée pour une durée d’un an renouvelable. Compte tenu de l’importance du sujet, la création de ces « mesures de sûreté », les procédures et instances de décision à inventer, devraient faire l‘objet d’un débat public d’ampleur, s’appuyant sur les différentes expériences européennes (Belgique, Suisse, Europe du Nord). Toute peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle devrait être exécutée dans sa totalité (période sous écrou incompressible) pour partie en milieu fermé, pour partie en milieu ouvert. Aussi la période sous écrou définie au moment du procès, ne pourrait-elle, en aucune manière, être prolongée pour l’affaire concernée. Une telle orientation nécessite que le Président de la République renonce aux grâces collectives du 14 juillet. Des procédures transitoires devraient être utilisées afin d’éviter les réactions de la population des personnes incarcérées. Ce principe implique aussi l’abolition du système des réductions de peines.

Des procédures adaptées à la gravité des infractions commises. Les procédures d’aménagement des peines doivent naturellement dépendre de la longueur de la peine prononcée, comme c’est déjà en partie le cas. On distinguera les « courtes peines » (un an ferme ou moins), les peines intermédiaires (plus d’un an à 5 ans), les longues peines (plus de 5 ans à 10 ans), les très longues peines (plus 10 ans à 30 ans).
Dans le système proposé, les « courtes peines » sont exécutées, à temps partiel ou à plein temps, en milieu ouvert (semi-liberté, placement à l’extérieur, placement sous surveillance électronique fixe). 
La libération conditionnelle (sans levée d’écrou [4]) est la mesure centrale d’aménagement des peines de plus d’un an. Elle doit concerner l’immense majorité des condamnés à plus d’un an. Les autres mesures d’aménagement s’inscrivent dans cette perspective (permissions de sortir, placement à l’extérieur, semi-liberté, placement sous surveillance électronique fixe, voire placement sous surveillance électronique mobile, pour les peines les plus lourdes).
Pour les condamnés aux « peines intermédiaires », nous proposons un système de libération conditionnelle d’office aux 2/3 de la peine pour les récidivistes et à ½ peine pour les non-récidivistes, les mesures d’aide et de contrôle étant définies par le JAP.
Les condamnés aux « longues peines » continueront à pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle aux 2/3 de la peine pour les récidivistes et à ½ peine pour les non-récidivistes, la décision étant prise par le JAP (système discrétionnaire). En fonction des progrès réalisés dans l’avenir en matière d’aménagement des peines, ce système devrait évoluer vers un système de libération d’office, comme pour les peines intermédiaires. De même, les condamnés aux « très longues peines » peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle aux 2/3 de la peine pour les récidivistes et à ½ peine pour les non-récidivistes. La décision est prise par le tribunal de l’application des peines (système discrétionnaire). En fonction des progrès réalisés dans l’avenir en matière d’aménagement des peines, ce système devrait évoluer vers un système de libération d’office, comme pour les peines intermédiaires. Nous proposons que la partie exécutée en détention ne puisse pas excéder 20 ans.

Des hommes et des femmes débout. Aménager des peines n’a de sens que si les lois de la République ne s’arrêtent pas aux portes des prisons. Au-delà du respect des droits de l’homme, l’Etat doit se donner les moyens pour qu’aucune personne incarcérée ne vive dans l’oisiveté : chaque détenu doit se voir proposer l’une au moins des activités suivantes : a. emploi dans un atelier, b. formation générale ou professionnelle, c. activité culturelle et de formation à la citoyenneté. Dans ces trois cas, la personne doit bénéficier d’une rémunération. Ces possibilités doivent aussi être offertes aux personnes placées en détention provisoire. Les capacités maximales des établissements pénitentiaires sont à redéfinir dans cette perspective et ne pas être dépassées.

Tribune de Pierre V. Tournier publiée dans le quotidien Libération, le lundi 18 juillet 2005.

Notes:

[1] Voir par exemple l’Association française de criminologie (AFC) et ses 500 adhérents appartenant à toutes les professions du champ pénal, sans compter ses 40 personnes morales adhérentes

[2] Voir par exemple le Collectif « Octobre 2001 » qui rassemble aujourd’hui 18 organisations nationales

[3] On pourrait s’inspirer de la création, après la seconde guerre mondiale, de l’Institut national d‘études démographiques (INED)

[4] Dans le système français de libération conditionnelle existant aujourd’hui, il y a levée d’écrou. Nous proposons que le libéré conditionnel soit désormais placé sous écrou dans l’établissement le plus proche de son domicile. Sa situation serait ainsi comparable, sur ce point, à celle d’un condamné placé sous surveillance électronique