Une lecture de « Médecin – chef à la prison de la Santé »
de Véronique VASSEUR.
Madame Vasseur a eu une vie très difficile, au service des détenus, et moi, sarcastique et fielleuse, je trouve à redire… Non, je ne suis pas cruelle ! Je fais simplement un « procès en légitimité ». En clair : hors de question de se résigner à laisser la parole à cette figure de l’humanisme chic.
Madame Vasseur se présente comme « médecin ». Zut alors ! je me faisais une autre idée de la déontologie… Quoiqu’il en soit, une personne qui raconte ainsi ce qu’elle a vu (fait ?) ne mérite que mon opprobre tapageuse !
Ce qui intéresse Madame Vasseur, c’est son nombril (ou son visage, mis judicieusement en valeur par la couverture) et sa fatigue :
« La journée a été dure. C’est moi qui suis malade maintenant… tant de stress, de panique, de courses dans les longs corridors. Il semble que ce petit monde manque d’imagination : si l’un se coupe à tel endroit, une heure après c’est un autre qui se coupe au même endroit. Certains se pendent ; mais, heureusement, c’est plus rare car on leur enlève ceinture, lacets, etc. Par contre, c’est incroyable ce qu’ils peuvent avaler : lames de rasoir, clés, pièces de monnaie, pinces à ongles, couteaux, fourchettes, cuillers, vis, boulons, clous, lunettes… Parfois, dans certains ventres, on retrouve une véritable batterie de cuisine. » (p. 33)
Non seulement Madame Vasseur dit des conneries (les détenus ont plus de ceinture et de lacets à leur disposition que des pièces de monnaies ou des clés !), mais en plus, ce qui la choque, c’est leur « manque d’imagination ». Et leurs souffrances, elles ne sont pas choquantes ?
Quand madame Vasseur fait de la prévention du suicide, c’est à la tête du client. Médecin bien sous tous rapports, réjouis-toi !
« Ce matin, rien qu’un médecin généraliste incarcéré pour abandon de famille et non-paiement de pension alimentaire, arrêté sans pouvoir prévoir un remplaçant, complètement traumatisé par deux jours de dépôt avec des toxicos, des violeurs, affolé par la crasse et les conditions moyenâgeuses de détention. Peur panique du sida, de la sodomie. J’ai fini par lui obtenir une cellule où il sera seul. Je le revois le soir. Il me sourit, soulagé dans sa détresse » (p. 39)
Méchant pointeur, tu es déjà moins bien traité !
« Deux gardiens arrivent, affolés : une pendaison. Je pars en courant avec eux, munie de la valise d’urgence et de l’oxygène. Le type s’est pendu au clou qui sert à accrocher son lit. Il tremble de partout. C’est un barge accusé de viol et de meurtre. Il s’est raté et les gardiens l’ont trouvé pendu en amenant son déjeuner. Il explique que sa fiancée est morte dans un accident de voiture et qu’il vient de l’apprendre. Un calmant, et le psychiatre à qui je passe le relais. » (p. 71)
Mais Madame Vasseur fait-elle toujours bien son travail ? Je sursaute en lisant les lignes suivantes :
« Un détenu vient de se suicider. Un pauvre gosse qui avait été flanqué au mitard pour une connerie alors qu’il venait de perdre sa mère et de s’ouvrir les veines. Il s’est pendu aux barreaux de sa cellule avec son drap. » (p. 80)
Je sursaute, parce que, quelques pages avant, Madame Vasseur dit comment elle conçoit son obligation de visite des malades au quartier disciplinaire :
« Visite au quartier disciplinaire. D’habitude, je me planque derrière la porte et ne vois que les détenus qui ont un problème » (p. 78)
Ce qui intéresse Madame Vasseur, ce sont les VIP, pas les souffrances ou les drames d’un détenu ordinaire :
« Un jeune de vingt et un ans est en larmes. Il a été violé à Fleury où il a été contaminé par le virus du sida. Il a essayé de se pendre. Tapie, lui, est parti à l’aube pour Aix-en-Provence dans le plus grand secret » (p. 152)
D’ailleurs, dans son monde, le drame d’une automutilation, c’est l’occasion d’étaler sa culture, pas sa bonté :
« un détenu condamné pour viol de sa fille de quatorze an est assis dans la coursive du bloc par terre. Il s’est volontairement tailladé les deux mains et vient de se couper l’oreille. Il s’est pris pour Van Gogh ! Il est couvert de sang et gît là, par terre, jambes écartées, depuis une heure. » (p. 132)
Je me demande comment Madame Vasseur peut écrire sans penser à ceux dont elle évoque l’intimité et les souffrance avec tant de désinvolture… Une automutilation n’est pas un jeu, et quelle sera la réaction de ce détenu ou de ses proches à la lecture du récit de ce drame ?
« Un autre détenu s’est coupé le doigt, mais n’a pas voulu le rendre et l’a mis dans sa bouche. Il le rentre et le sort. Au début, j’ai cru que c’était une cigarette. Finalement, il est parti à l’hôpital, mais on n’a jamais retrouvé le doigt qu’il avait fini par planquer dans sa culotte ! » (p. 175)
Un point d’exclamation pour tout commentaire : Madame Vasseur, vous manquez décidément de cœur.
Mais, décidément, je ne suis pas la seule à être méchante avec cette femme : le monde entier lui est hostile, surtout ces farceurs de taulards qui ne savent plus quoi inventer…
« Un autre détenu vient de s’immoler par le feu, quelle ambiance ! » (p. 133)
Madame Vasseur, je reste à votre disposition pour parler, entre quatre yeux, de la mort d’un proche, dans ces murs… que vous aimez tant, finalement :
« J’aime cet endroit chargé de beauté, de souffrance, de misère, peuplé de fantômes » (p. 155)
Mais votre place est plus sûrement au Conseil d’Administration d’une organisation qui gère la misère des détenus, et pas auprès de ceux qui vivent l’injustice du système et qui voient en ces « fantômes » autre chose qu’une figure de style.
A bonne entendeur, salut !
ricordeaugwen@yahoo.fr