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Maison d’arrêt de Paris-la-Santé : Arrêté en état de souffrance psychique, un homme se suicide quelques heures après son incarcération

Mise en ligne : 14 mai 2008

Dernière modification : 12 août 2008

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Texte de l'article :

La section française de l’OIP informe des faits suivants :

Incarcéré le 6 mars 2008 au matin à la maison d’arrêt de la Santé en dépit d’une ingestion massive de médicaments, un jeune homme s’est pendu en cellule dans l’après-midi. Il avait déjà tenté de mettre fin à ses jours en avril 2005, lors d’un précédent séjour en détention, ne supportant plus les actes homophobes dont il était victime. Le 4 mars 2008 à 17 heures, M.L. est placé en garde à vue pour « violences volontaires aggravées » et « dégradation de biens privés », à la suite d’une altercation avec son ami. Une fiche de recherche signale qu’il est en état d’évasion depuis le 4 juillet 2005, date à laquelle il n’a pas réintégré le centre pénitentiaire d’Avignon - le Pontet (84) à l’issue d’une permission de sortir.

Ayant ingéré préalablement à l’altercation avec son ami une quinzaine de comprimés d’anxyolitiques, il est hospitalisé durant sa garde à vue à l’Hôtel-Dieu pour des examens médicaux et une consultation psychiatrique. Un médecin décrit le 5 mars les propos et le comportement de M.L. comme étant « adaptés », et qualifie son geste d’ « impulsif, sans intention suicidaire ». M.L. ne déclare aucun antécédent psychiatrique, mais un « trouble de la personnalité » est cependant repéré par l’un des médecins, qui note également que l’intéressé à déclaré avoir tenté de se suicider en prison. Le lendemain, à 9 H 40, un second médecin note que M.L. « est tout à fait réveillé », qu’il a « redécoré sa chambre avec le plateau du petit déjeuner », qu’il « boude comme un enfant », et « ne souhaite pas échanger de paroles ». Le praticien l’informe alors que la surveillance médicale a duré le temps nécessaire.

A sa sortie de l’Hôtel-Dieu en fin de matinée, M.L. est incarcéré à la maison d’arrêt de la Santé. Il est découvert pendu dans sa cellule après la fermeture des portes, vers 19 heures. Il n’a été vu ni par l’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), ni par le service médico psychologique régional (SMPR) de la maison d’arrêt. Ces deux services n’ont du reste pas été informés de l’incarcération d’un détenu fragile.

Il apparaît pourtant que M.L. a vécu ses précédents séjours en prison, en 2004 et 2005, « comme un enfer », selon les propos de son père . En effet, son homosexualité ayant rapidement été révélée, il s’est plaint de violences de codétenus et d’insultes homophobes durant toute sa détention. Ainsi, le 11 février 2004, soit un mois après son placement en détention provisoire, son avocat signale au juge d’instruction dans le cadre d’une demande de mise en liberté, que « l’homophobie exprimée tant par certains surveillants que par la plupart des détenus l’oblige à rester 24 heures sur 24 en cellule ». Il n’ose plus sortir en promenade, et « n’a accès ni au sport ni au service scolaire ». Il sollicite l’intervention du service social, mais « en vain ».

Remis en liberté le 16 février 2004, il est condamné le 14 juin 2004 à 2 ans d’emprisonnement pour infraction à la législation sur les stupéfiants et réintègre la prison du Pontet le 10 janvier 2005. De nouveau victime d’insultes et de violences de codétenus, il tente de se suicider en avril.

Le 4 juillet 2005, alors qu’il s’apprête à sortir en permission pour un entretien de recherche d’emploi, il est violemment agressé par un détenu. Alors qu’il se trouve à l’extérieur, il avertit son avocate qu’il ne rentrera pas à la prison le soir-même comme prévu. Celle-ci en informe immédiatement par fax le centre pénitentiaire, précisant qu’elle-même, les parents de M.L. et son compagnon ont tenté de le raisonner, sans succès, et qu’il « ne supporte plus, alors même qu’il est éligible à un aménagement de peine à la rentrée, d’être ainsi malmené dans un lieu où il n’est pas en sécurité ». Le jour même, la direction répond que « le gradé de bâtiment au sein duquel est affecté M.L. » est informé de l’incident, et que M.L., qui « a d’ailleurs identifié son agresseur, (...) sera reçu à son retour de permission afin d’être entendu concernant l’agression dont il déclare avoir été victime », et que « d’ores et déjà, un changement d’affectation est prévu afin qu’il soit isolé du détenu mis en cause ». N’ayant pas regagné l’établissement à l’issue de sa permission, il est signalé en état d’évasion.

Interrogée par l’OIP au sujet des conditions de sa prise en charge à son arrivée à la maison d’arrêt de la Santé, l’administration pénitentiaire déclare qu’elle ne disposait pas d’indication sur l’état psychologique de M.L., et qu’il n’y a pas eu de sa part d’expression ou de signe laissant penser qu’il mettrait fin à ses jours. Il a donc été « vu et suivi comme tout arrivant, par des surveillants ». Interrogé le 22 avril sur la question de savoir si le magistrat ayant ordonné la mise en détention de M.L. avait connaissance de son état psychologique, le parquet de Paris s’est abstenu de répondre, malgré plusieurs relances.

L’OIP rappelle :

  • la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui considère que les personnes privées de libertés « sont fragiles et que les autorités ont le devoir de les protéger », et que celles-ci méconnaissent leurs obligations de prévention du suicide lorsqu’elles « savaient ou auraient dû savoir sur le moment qu’un individu donné était menacé de manière réelle et immédiate dans sa vie et qu’elles n’ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient sans doute pallié ce risque » (CEDH, Keenan c/Royaume-Uni, 3 avril 2001) ;
  • les dispositions de l’article D.155 du Code de procédure pénale, aux termes desquels le dossier individuel du détenu « qui suit l’intéressé dans les différents établissements où il serait éventuellement transféré (...) contient tous les renseignements tenus à jour, utiles à déterminer l’existence d’un éventuel risque suicidaire » ;
  • le rapport de mission du Pr Jean-Louis Terra sur la prévention du suicide des personnes détenues de décembre 2003, qui précise que figure parmi les facteurs de passage à l’acte « l’incarcération, avec la notion de choc carcéral » et rappelle qu’un « système documentaire partagé est à mettre en place », qui « devrait être ouvert lors de la garde à vue, et suivre la personne déférée puis écrouée », afin de permettre le « recueil des informations pertinentes pour évaluer le degré de risque de suicide, d’urgence et de dangerosité ».
  • l’Etude sur les droits de l’homme en prison de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), de mars 2004, qui estime que la politique de prévention du suicide en prison « doit véritablement être considérée comme prioritaire », et que « l’accueil des arrivants » qui « doit être organisé dans des conditions adéquates afin de permettre de limiter au maximum le choc carcéral ».