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Marc Sontrop : Un été à Lantin

Mise en ligne : 23 septembre 2002

Dernière modification : 15 mai 2005

Texte de l'article :

Un été à Lantin

« Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons » (Dostoïevski).

On est une fois de plus baisé de partout mais on s’amuse. Bannissons l’écriture et la lecture. Tous analphabètes. La prison me refuse trois ouvrages expédiés et commandés aux Ed. Bruylant dont « Devoirs et prérogatives de l’avocat ». Lecture inoffensive ou subversive ?

J’ai une nouvelle fois à me plaindre de mon avocat. Alors, je m’informe. Je me documente.

Dans le Rapport 1998-1999 de l’OIP (Observatoire International des Prisons) il était déjà fait état des nombreux mouvements de grèves du personnel des prisons.

De manière générale ces mouvements ont continué en 2000 et 2001. En 2002, ils prennent de l’ampleur. Trois mois que je suis détenu à la Maison d’Arrêt de Lantin. Cinquième grève dans cette sinistre prison-poubelle qui se dégrade de plus en plus.

Privés de notre liberté, avec ces grèves à répétition, on nous fait vivre une double peine en nous privant des visites familiales, des sorties-préaux, douche, téléphone, cantine, courrier sortant et entrant, des activités, du travail pour ceux qui en ont, etc.

Dans une société comme la nôtre qui érige la liberté individuelle au premier rang de tout, cette double peine, des jours durant qui finissent par totaliser des semaines, constitue un traitement inhumain et dégradant.

Les ambulances et le SMUR service Médical d’Urgence et de Réanimation) entre silencieusement en prison et repartent escortés par des policiers, gyrophares allumés. Encore un désespéré.

Dans la Maison d’Arrêt où je suis, la quasi-totalité des cellules destinées à une personne sont occupées par deux personnes.

Les fenêtres brisées lors des grèves sont « remplacées » par des plaques métalliques soudées ! On étouffe. Promiscuité, puanteur inouïe. Tu chies, tu te laves, tu te branles à côté de l’autre, etc.

L’autre fume. Moi pas. Ailleurs, l’un est sourd, la T.V. à fond. L’autre est un calme à l’ouïe fine. C’est l’horreur. L’agressivité domine entre détenus.

Vivre en milieu aussi étroit et clos de manière forcée avec une personne non choisie peut te rendre « fou ».

J’aurais bien étranglé mon précédent DUO. Je ne supportais plus son tabagisme. Plus nécessaire. Il est mort fin juin, dans l’indifférence totale.

Plus besoin d’entraves subtiles à la rencontre avec nos avocats. On ne les voit plus ! J’ai beau m’en plaindre au Bâtonnier, au Président section détenus du BAJ (Bureau Aide Judiciaire). Le premier prend acte de mes différentes récriminations, sans plus. Le second n’estime pas utile de me répondre. Et ainsi va la démocratie. En prison, tu n’existes plus. Pour plus personne ou presque. Mon avocat est un pénaliste liégeois réputé. Il est de première division. J’ai pourtant le sentiment qu’on joue en provinciale. Plus aucune règle n’est respectée.

Des avocats qu’on ne voit pas nous représentent sans notre avis devant les tribunaux au motif - en plus des grèves - « que des difficultés de transfert des détenus, dues notamment à l’organisation des transports et au manque de véhicules, il échet d’autoriser le conseil de l’inculpé à représenter son client » (arrêt de la Cour d’appel de Liège du 7 mai 2002).

Ces gens s’auto-autorisent à ne plus m’entendre, à juger sans moi et tout le monde considère cela normal. Voilà où en sont, j’ai pas tout dit, loin de là, les prisons et la justice en Belgique.

Je suis en prison parce que j’ai incendié mon logement pour attirer l’attention sur moi et me plaindre des lenteurs, de l’indifférence du Parquet de Liège dans une affaire de succession (de ma mère).

Mon acte est un combat. C’est mon quatrième incendie depuis 1983. On pourrait me qualifier de timbrer. C’est ce que le Parquet veut pour m’empêcher de comparaître en Cour d’assises. Techniquement, la seule qualifiée pour me juger. Avec (suis-je naïf ?) la possibilité de dénoncer de vive voix publiquement que rien en 35 ans que je vis en prison n’a fondamentalement changé, que la justice dysfonctionne autant qu’avant.

Se révolter pour exister. A chaque sortie de prison je rate un peu plus ma vie. La prison est inutile. D’année en année mon énergie s’amenuise. Si j’ai encore un peu de force pour essayer de changer mon destin, je dois espérer dans l’imprévisible. Il découle de ce genre de petit article. Sans visite, sans famille, je remercie ceux et celles qui publieront ces lignes et qui m’écriront ? Je cherche des correspondants : un été chaud à la prison de Lantin.

Marc SONTROP
Prison de Lantin
2, rue des Aubépines
4450 LANTIN
Belgique