Antoine LUBRINA
Fleury-Mérogis le 23 janvier 2002
A Monsieur le Président
de la Cour Administrative d’Appel de Paris
10 rue de Desaix
75015 PARIS
Objet : Instance n°01PA00494
M.Antoine LUBRINA c/Le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
Appel du jugement du 20/12/2000
Tribunal Administratif de Versailles
Enseignement par des religieuses
Fleury-Mérogis
Communication d’un mémoire
Lettre recommandée avec avis de réception
Monsieur le Président
En réponse au courrier du 26/11/2001 où vous me communiquez le mémoire en duplique présenté par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, je vous communique les observations contenues dans le mémoire ci-joint.
MEMOIRE
C’est un fait que les religions représentent une partie non négligeable du patrimoine culturel de l’humanité. Cependant elles ont souvent entre elles une interprétation très différente du divin et ont montré dans l’histoire, et même actuellement, que certains de leurs membres et parfois leur hiérarchie [1] ont souvent recours à la violence pour faire triompher leurs idées. Ce qui découle peut-être des textes fondateurs qui sont basés, non sur la raison, mais sur des croyances irrationnelles, la foi.
L’enseignement public dans une société multiconfessionnelle ne fait a priori l’impasse d’aucun secteur du patrimoine universel que représente la culture. A travers toutes les matières de culture générale : l’histoire, la littérature, l’éducation civique, la philosophie, tous les domaines du patrimoine culturel de l’humanité sont abordés dans un esprit non partisan et sans en privilégier aucun.
Mais l’enseignement qui affiche durant ses cours ou activités face aux élèves un uniforme religieux, catholique ou autre, affirme nécessairement une identité. Il privilégie, lui, par son choix un secteur respectable, mais aussi une vision extrême limitée du patrimoine culturel, offensant d’autre part, par l’absence de retenue de son costume et des insignes de la religion qu’il arbore ostensiblement, les personnes qui considèrent à juste titre, qu’il limite arbitrairement le patrimoine de la culture à un domaine restreint. Ce prosélytisme semble déplacé. Surtout si cet enseignement ou activité culturelle s’exerce dans un lieu non confessionnel, dans le cadre du Service Public, en l’occurrence dans les murs de la prison où toutes sortes d’entités et de confessions non catholiques se côtoient notamment les musulmans, les juifs, les bouddhistes et les non croyants.
La légalité d’une convention passée avec des religieux, me semble donc aller à l’encontre des textes constitutionnels et législatifs qui fondent une République laïque.
Il existe en effet, et c’est légitime, dans le secteur de la vie privée de multiples associations dont les statuts sont fondés sur des textes religieux ou sur la bible. Ces associations sont respectables en soi. Mais par le côté irrationnel et limité des textes sur lesquels elles s’appuient, elles peuvent dériver, et cela arrive souvent, vers un endoctrinement peu éclairé.
Quand ces associations religieuses sont habilitées en tant que telles, avec leur statut religieux, à passer un contrat pour enseigner ou gérer des activités éducatives, sociales ou médicales ou des fonctions de garde et surveillance des détenues et en plus en affichant leur uniforme religieux et les insignes de leur congrégation, c’est pour une République laïque, (respectueuse de tous les courants de pensée, et basée sur des principes non de foi, mais rationnels) la porte ouverte à toutes sortes de dérives.
D’autre part on a vu les religieuses de l’ordre de Marie Joseph manifester dans les rues de Paris dans les groupes intégristes anti-I.V.G. [2] Les personnels de Fleury-Mérogis, spécialement les corps socio-éducatifs et enseignants, médicaux et services de psychiatrie, connaissent les pressions morales et manifestes qu’elles ont exercées et exercent sans doute plus discrètement maintenant sur les détenues, pour les dissuader d’avoir recours à l’I.V.G. [3].
Ils sont de plus en plus nombreux, les membres du clergé et les religieux qui travaillent dans les entreprises privées, les prisons et également dans toute la fonction publique. Ce sont des salariés, embauchés individuellement, sur la base de leurs seules qualifications professionnelles. Car on ne voit pas en quoi un Etat Républicain, respectueux de la vie privée et des convictions intimes de chacun, aurait à faire une discrimination sur des bases autres que professionnelles.
Comme tous les autres salariés, ces prêtres, religieux ou religieuses, se plient à la loi commune et n’affichent ni dans leur costume, ni dans leur discours aucune idéologie, seulement la déontologie du corps dans lequel ils sont employés : enseignement, médecine, service éducatif ou autres.
Le contrat qui lie la congrégation des sœurs de Marie Joseph avec l’administration pénitentiaire ne tient pas compte des personnes. « Les sœurs relèvent de l’autorité de leur supérieure. Il n’existe aucun lien contractuel entre chacune d’elles et l’Administration » (art 3, de la convention. Il s’agit bien là d’un contrat entre l’Etat et une association dont les statuts et le but essentiel sont de promouvoir la plus grande gloire de Dieu ». Ce qu’elles manifestent, sans aucune retenue, et sans hypocrisie, par leur uniforme et leurs insignes.
On peut donc légitimement se demander si on n’a pas affaire avec cette congrégation, à un groupe qui se rapproche des fondamentalistes, et si l’Etat n’a pas signé là une convention qui relève du droit périmé de l’Ancien Régime où l’Eglise Catholique constituait avec la Noblesse les fondements légaux de l’Etat.
D’ailleurs si cette convention est légale on ne voit pas en quoi l’Etat pourrait refuser de signer des conventions semblables avec d’autres groupes religieux, islamiques, israélites, bouddhistes ou toutes autres associations religieuses, fondamentalistes ou pas ?
Tout ce qui va dans le sens de l’enfermement, du repli sur soi, du contrôle des corps et des consciences est dans un sens une sécurité pour les responsables locaux de l’administration pénitentiaire qui ont pour mission la sécurité. Mais devant les grandes révoltes des détenus en 1974, l’administration pénitentiaire a eu la sagesse de diversifier ses missions, en quelque sorte de se couper en deux.
A coté des personnels en uniforme qui assurent la sécurité, mission prioritaire de la pénitentiaire, l’administration a aussi recruté, parmi ses membres ou à l’extérieur, du personnel qui a exclusivement une tâche éducative, ce sont les fonctionnaires pénitentiaires moniteur de sport, les moniteurs techniques chargé de la formation professionnelle, tout le corps des éducateurs. Ces personnels n’effectuent pas les fouilles à corps ou de cellules. Ils ne sont pas armés dans les miradors pour effectuer les tours de garde.
On comprend donc bien que l’encadrement local chargé de la sécurité à la maison d’arrêt des Femmes de Fleury-Mérogis, ressente une sécurité apparente, en ayant comme adjointes privilégiées des religieuses qui sont « plus pénitentiaires que les pénitentiaires » vivant une discipline spartiate, vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Avec des règles religieuses qui sont beaucoup plus contraignantes que les règlements pénitentiaires. Il ne semble donc pas que l’on aille dans le sens de la réinsertion réelle des détenues qui doit essentiellement se fonder sur un libre accès à la connaissance, dans une large ouverture d’esprit et sans mettre en cause la sécurité, en les confiant à des groupes qui affichent l’idéologie d’une époque féodale révolue.
Et d’autres part il existe d’autres idéologies religieuses à côté des catholiques : Israélite, luthérienne, Bouddhiste et aussi l’Islam, dont les adeptes en prison sont devenus nombreux. Ces personnes ont du mal à comprendre, dans ce pays où en principe toutes les religions ont le même statut, qu’on leur impose à l’infirmerie, dans le centre scolaire ou à la formation professionnelle du personnel qui affiche des convictions dans lesquelles elles ne se retrouvent pas, sans parler des non croyants et de ceux pour qui les religions sont une insulte à la pensée rationnelle car basées uniquement sur la foi, la croyance en des révélations.
Ce désir des religieuses de Marie Joseph de vivre comme les détenus en détention, alors que ce n’est pas à nous de vivre comme les détenus mais plutôt aux détenus d’essayer de vivre comme ceux qui sont en liberté, non privés de leurs droits civiques, est-il bien légitime ?
Il faut rappeler à ce propos le drame vécu dans leur communauté quand sur la décision du Garde des Sceaux de l’époque, elles ont dû quitter la nursery, le quartier le plus confortable de la détention, en 1981 pour occuper un bâtiment de cinq millions de francs, construit spécialement pour elles, avec une chapelle sur le domaine pénitentiaire en face de la maison d’arrêt des femmes.
Revendiquant le statut de surveillantes pour conserver les clés des cellules [4], ont-elles aussi les mêmes contraintes que le personnel de surveillance qui doit aussi assurer les tours de garde jour et nuit avec des fusils dans les miradors ? Au dépôt de Paris, sous le palais de justice, elles sont seules responsables des cellules des détenus, avec les clés et sont d’ailleurs régulièrement remplacées les week-ends par les religieuses de Fleury qui peuvent y être mutées pour sanction ou convenance personnelle, par la supérieure qui dirige la communauté de Fleury-Mérogis. Cf. la photo du film de FR3 [5].
La mère Supérieure des religieuses assiste chaque semaine au grand rapport avec la directrice et les gradés de la maison d’arrêt des Femmes. Les responsables des enseignants et du corps médical seulement une fois par mois. Et comme le disait Madame Lautissier, l’ancienne directrice de la MAF, ce sont les religieuses qui font tourner la prison, y compris en évitant de faire appel aux gendarmettes quand les surveillantes sont en grève comme en juin 1992. Puisque ce sont elles, les religieuses, elles ne font jamais grève, qui connaissant parfaitement la prison, ont remplacé les surveillantes en détention assurant les promenades et les distributions des plateaux repas, rôle joué par les gardes mobiles au grand quartier.
Chacun est libre dans sa vie privée d’adhérer à la religion ou à l’idéologie de son choix, mais doit-on imposer des systèmes de pensée partisans et limités dans des institutions relevant du Service Public y compris à des personnes qui ne partagent pas ces idéologies. Le respect qu’imposent les règles de la laïcité sont normalement des gardes fous propres à éviter ce genre de dérives.
Je demande donc à ce qu’il plaise au Tribunal que les règles de la laïcité soient respectées dans notre pays et que les personnes qui enseignent, ont des activités éducatives ou médicales dans le domaine du Service Public et en l’occurrence en prison, gardent la retenue nécessaire à tout éducateur, enseignant ou soignant, en n’affichant aucune idéologie, religieuse ou autre dans son costume ou insignes et se contente de respecter les règles de déontologie des services dans lesquels ils travaillent.
A.Lubrina
Pièces jointes
1-Pétitions du personnel travaillant à la prison
2-Photo du dépôt
3-Photo manifestation anti-I.V.G.
4-Dedans Dehors sur les préservatifs mai 1998
5-Le Canard Enchaîné 02/01/2002
6-Le Républicain de l’Essonne 04/01/2001
7-Revue Golias mars/avril 2001