"Minorité en souffrance"
On me dit depuis longtemps que, de l’intérêt je porte trop souvent à des causes que certains jugent perdues.
Certes, c’est sans doute à mes gènes que je dois la chose, à moins que Diogène n’ait changé ma prose.
Ce n’est pas en ces temps que de mes racines je vais changer. Que nenni.
Bien loin de moi les douleurs journalières et plus encore les soucis d’une hypothétique retraite que des sieurs se plaisent à éloigner ou encore de labeur que fournir nous devrons, alors que nos os ne pourront.
Ce sont là infortunes de basse-cour ; moderne et riche ; la plume y est propre, le poil soyeux, la pitance abondante. Pourquoi, en somme, devrions-nous chercher des formes de cannibalisme moderne tout aussi machiavéliques que par le passé ?
Pourtant, j’en suis sûr, ces gens n’ont pas disparu, ils sont là, ils ont toujours été là. Je le sais, j’y étais.
J’étais Tibétain sur les hauts-plateaux autour de Lhassa et je dois parler chinois.
Je suis Touareg au fond du désert, près des plateaux du Hoggar, là où Pierre Benoît situe « l’Atlantide ». J’y trouve mes enfants abreuvés d’alcool. Un moyen pour asservir.
J’étais Tchétchène aussi, sur un morceau de béton, vestige d’une construction dans une rue de Grosny ; Anna Polikowskaïa pleure et crie sa souffrance.
Je suis Irakien à Mossoul, je pleure mes enfants déchiquetés par la folie des hommes, pour un peu de pétrole ; par la puissance d’un seul.
J’étais :
Palestinien à la recherche de mon identité nationale perdue depuis bien des années.
Je suis :
Libanais. J’ai connu la splendeur de mon pays, aujourd’hui encore les murs de nos maisons sont crépis de plomb.
J’ai été tour à tour Serbe, Croate, Israélien à l’époque de la Shoah. J’ai été Arménien ; Indien, Pakistanais au Cachemire. J’ai été Afghan.
Tant de cicatrices de guerres, tant de souffrance au nom de qui ? de quoi ?
J’aurais aimé faire la marche du sel avec Gandhi, assister au discours de Martin L.King. Ce beau jour où il a prononcé : « I have Dream ». J’aurais aimé être auprès de Lumumba dans un Congo en paix ; avec le Dalaï-Lama dans son exil vers l’Inde. J’aurais aimé être cet étudiant sur la place Tien-an-men.
Que c’est beau un homme qui prend la défense des autres hommes au nom d’un sentiment, d’une idéologie, sans rien attendre de plus qu’un sourire.
Suis-je donc un défenseur des causes perdues ? je ne le pense pas, je ne sais pas. J’ai le vague sentiment de n’être qu’un pâle représentant du héros de Cervantès. Je ne serai jamais le Cinquième Élément qui sauve le monde.
Je ne suis que moi ; mais que ce serait beau de vivre en paix, d’aider les minorités en souffrance ! Est-ce une utopie ? Aujourd’hui, je ne peux que reprendre cette phrase d’Henri Calet : « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes ».
Jean-François DUDOUÉ
(incarcéré depuis près de 4 ans)
15 juillet 2003