http://libelyon.blogs.liberation.fr... Le procureur Eric de Montgolfier jugé mardi à Lyon
JUSTICE - C’est une affaire curieuse qui amène aujourd’hui le procureur de Nice devant le tribunal correctionnel de Lyon. Eric de Montgolfier est accusé d’avoir porté atteinte à la liberté d’un détenu, en demandant son maintient en prison contre une décision de justice. Le magistrat affirme n’avoir joué aucun rôle dans ce dossier, qui pose quelques questions. Certaines seront soulevées à la barre du tribunal de Lyon, où l’affaire est dépaysée. Mais la principale interrogation restera sans réponse : est-ce qu’une autre personnalité que ce procureur très indépendant se serait trouvée à la barre d’un tribunal, pour la même histoire ?...
Elle commence en avril 2003. Un voleur de bijoux d’envergure internationale, baptisé le Sultan, se trouve en prison à Nice depuis près de quatre mois. Lors de sa mise en examen, le 20 septembre 2002, pour vol en réunion en état de récidive, la Justice a ordonné un placement sous mandat de dépôt pour quatre mois. Alors, en décembre, le juge d’instruction qui suit le dossier demande une prolongation de la détention provisoire, qui arrivera bientôt à son terme. Et un juge des libertés et de la détention (JLD) rend, le 13 janvier 2003, une ordonnance très confuse. Sur des motivations erronées, il estime que le mandat de dépôt ne peut être prolongé. Une décision qui sera infirmée par la cour d’appel, confirmée par la cour de cassation. Surtout, le JLD utilise une qualification impropre : au lieu de délivrer une ordonnance de "refus de prolongation" du mandat de dépôt, il ordonne une "remise en liberté". Ce qui constitue une différence de taille car au lieu de sortir le 20 janvier, à la fin du mandat de dépôt, le détenu devrait être délivré sur le champ ;, si le parquet ne s’oppose pas dans les quatre heures.
Mais la décision est si confuse que tout le monde se trompe dans l’interprétation. A commencer par le JLD lui-même, qui dira au cours de l’instruction qu’il pensait que sa décision était applicable à l’issue du mandat de dépôt. Le chef du greffe de la maison d’arrêt de Nice, comme son directeur, pensent la même chose. Mais pour être sûrs, ils demandent l’avis d’un magistrat, qui analyse la décision comme eux. Selon les deux représentants de l’administration pénitentiaire, c’est Eric de Montgolfier que le directeur a eu au téléphone. Le procureur conteste. Il n’a de toute façon aucun pouvoir en la matière. Même avec un document écrit, qui n’a jamais été délivré, il n’aurait pu obliger ou interdire cette remise en liberté. Le procureur affirme que personne, au moment des faits, ne lui parle de ce dossier, suivi par l’un de ses substitut.
Trois jours après l’ordonnance, pour éviter que le prévenu ne sorte le 20 janvier, une nouvelle information judiciaire est ouverte, pour une autre affaire le concernant. Le vol de deux bagues à Hong-Kong, en septembre 2001. Un dossier qui était au parquet de Paris, mais ce dernier s’est dessaisit. Cela qui permet de renvoyer le Sultan devant le même JLD, qui accorde cette fois un nouveau mandat de dépôt. Les magistrats se sont ainsi débrouillés pour "rattraper" la première ordonnance. Un petit arrangement avec la Justice. En apprenant la décision, le Sultan avale 50 cachets de Lexomil, le 16 janvier. Il s’en tire avec quelques jours d’hospitalisation.
L’homme finira par mettre fin à ses jours, le 27 mars 2007, après sa condamnation définitive à huit ans de prison. Mais sa fille Yamina reprend l’action judiciaire qu’il a lancé, pour "atteinte à la liberté individuelle". Eric de Montgolfier a lui même requis l’ouverture d’une information judiciaire après le dépôt d’une plainte, et le dossier a été dépaysé à Lyon, dans l’intérêt d’une bonne administration de la Justice.
Après la plainte, un rapport a été adressé au procureur général d’Aix en Provence, pour lui détailler l’affaire. A l’un de ses substituts qui avait rédigé le document, Eric de Montgolfier a demandé de ne pas cacher l’épisode de l’information judiciaire ouverte afin de rattraper l’ordonnance maladroite. "Il n’est pas question de dissimuler ce qui s’est passé", écrit-il sur une note manuscrite.
A Lyon, deux vice-présidentes en charge de l’instruction récupèrent le dossier de ce magistrat connu pour son indépendance. Le procureur de l’affaire Valenciennes/OM. Celui qui a voulu démêler les liens tressés entre certaines loges et certains magistrats à Nice. Leurs rapports avec le prévenu ne sont pas très bons. "Je n’ai pas la déférente soumission qu’on attend des justiciables", expliquera-t-il à Libération, en août 2008, juste après l’annonce de son renvoi devant le tribunal correctionnel (lire). "On m’a rapporté, poursuivra-t-il, que les juges s’étaient émus de ce que je les aurais pris de haut. Il faudrait cajoler les juges pour obtenir justice ? C’est quelque chose que j’ai du mal à accepter."
Mis en examen pour "avoir donné l’instruction verbale de ne pas délivrer" le Sultan, le procureur de Nice encourt jusqu’à sept ans de prison et 450.000 euros d’amende. Ses avocats notent que l’accusation ne repose que sur le témoignage du directeur de la maison d’arrêt, qui a plusieurs fois varié, et sur celui de son chef de greffe. Le procureur ajoute qu’il constituait peut-être une "cible idéale". Le procès commence ce matin.
Olivier BERTRAND
http://www.linternaute.com/actualit... Lundi 25 aout 2008, 18h57 Le procureur de la République de Nice, Eric de Montgolfier, soupçonné d’avoir maintenu abusivement en détention un voleur de bijoux de grand luxe, internationalement connu, a été renvoyé lundi en correctionnelle, a-t-on appris de source judiciaire.
M. de Montgolfier, qui avait été mis en examen début janvier pour "atteinte à la liberté individuelle" dans ce dossier, a déclaré à l’AFP qu’il "’n’était pas étonné" et "qu’il s’attendait à une telle décision" des juges d’instruction.
L’affaire remonte à janvier 2003. Le voleur de bijoux, Jean Herrina, surnommé "le sultan", se trouvait en détention provisoire à la maison d’arrêt de Nice où il avait bénéficié, le 13 janvier, d’une décision de remise en liberté prise par un juge des libertés.
Jean Herrina n’avait toutefois pas été pas relâché immédiatement. Quelques jours plus tard, il devait faire l’objet d’une nouvelle mise en examen pour le vol de deux bagues en diamants à HongKong, entraînant dès lors son maintien en détention.
L’ancien directeur de la maison d’arrêt de Nice, Christian Chambrin, affirme qu’il a gardé Herrina en prison durant le délai contesté après avoir demandé par téléphone son avis sur la question à M. de Montgolfier.
Ce dernier a indiqué qu’il ne se souvenait absolument pas avoir eu une conversation sur ce sujet avec le directeur de la prison.
"Je ne me vois pas dire oralement +gardez-le+. Cette démarche ne me correspond pas, j’aime bien connaître les tenants et les aboutissants d’un dossier et le cas échéant, je donne un ordre écrit. D’ailleurs, je n’ai jamais vu un directeur de maison d’arrêt mettre quelqu’un dehors, ou le garder, sur un simple coup de téléphone", avait déclaré le procureur en janvier.
Jean Herrina s’est suicidé en mars 2007, à 50 ans, à la prison de Draguignan (Var).
Interrogé sur un éventuel "acharnement" des juges d’instruction contre lui, M. de Montgolfier a répondu qu’"il se garderait bien" de soupçonner une telle chose. "Les juges d’instruction m’auraient peut-être souhaité, comment dire, moins à l’aise", a déclaré le procureur, ajoutant qu’"il espérait que ce n’est pas la seule raison" de son renvoi en correctionnelle.
Le dossier a été dépaysé à Lyon pour que l’affaire ne soit pas instruite dans le ressort où elle a eu lieu. La date du procès n’est pas encore connue.