Des détenus ont retenu plusieurs heures quatre agents à la prison de Moulins.
« Ça finit en feu de paille, mais ça va continuer à bouillir »
« Ceux qui d’habitude calment les plus excités avaient prévenu qu’ils ne pouvaient plus rien. » Un surveillant de la prison
C’était programmé, des détenus de la centrale de Moulins-Yzeure devaient passer au prétoire ce mardi matin. Sanctions disciplinaires annoncées pour des condamnés à de longues peines qui, depuis quelques jours, multipliaient les mouvements d’humeur. Les cabines téléphoniques de la cour de promenade détruites, des coups de gueule contre la fermeture des portes des cellules et des sanitaires dans les étages de détention redevenue systématique en avril dernier. Et, il y a huit jours, une dizaine de prisonniers ont refusé de regagner leurs cellules en soirée. Ils avaient obtempéré à l’arrivée des Equipes régionales d’intervention et de sécurité (Eris), ces nouvelles brigades de surveillants casqués et masqués, créées par Perben et chargées d’intervenir en prison en cas d’incidents. Mais la tension n’avait pas disparu pour autant. Hier, à la veille du prétoire, la prise d’otages a succédé aux récurrents mouvements de grogne.
Peu avant 10 h 30, trois surveillants ont ouvert la porte de l’atelier marqueterie. Trente-trois détenus étaient descendus à 7 h 15 au rez-de-chaussée parallèle aux ailes de détention, se répartissant entre la marqueterie, la sous-traitance pour un industriel local et la visserie-couture, où ils mettent des vis en sachets et confectionnent des coussins. Les trois surveillants avaient été appelés pour un détenu malade. Une embuscade en fait. Ils ont été ceinturés la porte à peine franchie, maîtrisés avec les outils de l’atelier, ciseaux à bois, cutters et autres marteaux de marqueteurs utilisés en guise d’armes.
Négociations. Les détenus leur ont pris les trousseaux de clés permettant d’ouvrir les portes des deux autres ateliers. L’ensemble des prisonniers au travail, leurs formateurs et leurs surveillants se sont donc trouvés réunis sur un même site fermé par une porte blindée électrique. Dans la confusion, un gardien accidentellement blessé par une coupure à la gorge a rapidement pu quitter les ateliers, ainsi que l’animatrice de la couture. Avec les détenus, il restait trois surveillants et le formateur de la marqueterie.
Après quatre heures de négociations avec le GIGN, les otages ont été libérés, les détenus sont sortis. Aucun rapport direct entre les sautes d’humeur et la prise d’otages, insistaient les représentants de l’administration, au moment du dénouement : « Les deux meneurs demandaient plus de considération et d’efforts pour leur réinsertion professionnelle. » Ces deux revendications figurent toutefois parmi le flot de celles que déversent depuis des mois les taulards de la centrale, entre vaine demande de parloirs intimes et frilosité supposée dans l’octroi de libérations conditionnelles.
Les surveillants venus aux nouvelles dans la journée restaient perplexes devant la centrale investie par plus d’une centaine de gendarmes de la région, des dizaines d’hommes du GIGN et leur enfilade de camions de matériels, plus deux équipes d’Eris : « Ce n’était peut-être pas programmé, concédait l’un d’eux, il n’empêche que ceux qui d’habitude calment les plus excités nous avaient prévenus qu’ils ne pouvaient plus rien. Les ponts étaient coupés. Avant ce week-end déjà, les détenus ne nous parlaient plus. On est comme dans une cocotte-minute ici. Les mouvements de grogne, c’est la soupape. Parfois, ça explose ! »
« Ça finit en feu de paille, mais là-dedans, ça va continuer à bouillir, s’inquiétait un délégué syndical. Ce qui passe le plus mal, c’est la fermeture des portes des cellules. » La centrale de Moulins, décrite comme la prison la plus sécuritaire d’Europe, a été la première à réappliquer cette instruction du code pénal en avril dernier, sur ordre du ministre de la Justice. Auparavant, à Moulins comme dans les autres centres pour longues peines, les détenus pouvaient aller et venir dans les coursives, discuter entre eux.
« Maton ». Un collectif de détenus avait protesté. Des surveillants avaient souligné la légèreté avec laquelle cette mesure était intervenue. Du jour au lendemain. Sans aucune préparation. Désormais, pour sortir de sa cellule, il faut sonner le surveillant. « Je ne me suis jamais senti autant maton, assure un surveillant. Au moment de la réactivation de la fermeture des portes, les mouvements de protestation n’avaient pas tenu sur la longueur. Sans doute parce que des prisonniers, quitte à perdre un peu de liberté à l’intérieur, préfèrent ce système qui les protège mieux du racket et des agressions. »
Pour un autre surveillant, le problème, c’est que les détenus savent bien que tous les établissements n’appliquent pas encore ce principe. Selon le préfet de l’Allier, Patrick Subrémo, les négociations avec les preneurs d’otages ont porté, entre autres, sur les conditions de détention : « Nous leur avons fait savoir dans l’après-midi que l’administration pénitentiaire est disposée à approfondir et à regarder ce qui peut être amélioré dans les conditions de détention, s’ils mettaient fin à leur action. »