« Dans la plupart des prisons, les équipes soignantes sont débordées et travaillent dans l’urgence. L’urgence des cas - nous avons de nombreux patients séropositifs au VIH, au VHC, ou souffrant de diabète, d’hypertension et autres maladies chroniques - comme l’urgence du nombre. Quant aux conditions de détention, elles aggravent encore les besoins tant sur le plan physique que psychique. Dans ce cadre, il reste peu de place pour la prévention, l’éducation à la santé, la formation », déplore le Dr Philippe Griguère, médecin-chef de l’unité de consultation et de soins ambulatoires (Ucsa) au centre pénitentiaire de Château-Thierry et président du Collège des soignants intervenant en prison (CSIP) [1]. Pourtant, derrière les barreaux, les comportements à risques (injection, tatouage, piercing, partage de matériels, sexualité non protégée...) sont fréquents [2]. Des risques renforcés par la clandestinité de la plupart de ces pratiques et l’absence de dispositifs de réduction des risques (RdR) adaptés. Notamment, les programmes d’échange de seringues ne sont pas autorisés. Dès lors, estime le Dr Guiguère, « la seule alternative dont on dispose est l’éducation à la santé. » À ce titre, les associations ont un rôle essentiel à jouer. Une dynamique que souhaite d’ailleurs encourager Sidaction et qui était au cœur de la journée thématique « La réduction des risques en milieu carcéral » [3] organisée le 31 mai dernier à Paris.
Un outil précieux. Pour mener des actions en direction des détenus, les associations peuvent s’appuyer sur le Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues, annexe de la circulaire du 10 janvier 2005 émanant de la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) [4]. Ce document à l’intention des professionnels « a été élaboré conjointement par la DAP, la DGS et la DHOS. Il n’est pas figé. Il est d’ailleurs en cours de réactualisation afin de tenir compte des évolutions réglementaires comme des pratiques », résume Mireille Fontaine, médecin de santé publique à la DAP. Pour Éric Martin, juge d’application des peines (JAP) au centre de détention d’Argentan et secrétaire général de l’Association nationale des JAP (ANJAP), « ce référentiel est un document capital sur lequel les associations peuvent fonder leurs actions et même la légitimer. » Ce que confirme François Bès, chargé de mission à l’Observatoire international des prisons : « Beaucoup de points du Guide concernent les acteurs associatifs. Il existe une palette de domaines sur lesquels ils peuvent intervenir pour renforcer des actions ou en inventer. » Parmi eux : la prévention, la RdR, l’éducation à la santé, la prise en charge des addictions, la santé mentale, la préparation à la sortie... Revient par ailleurs constamment dans le Guide la possibilité, voire la nécessité, pour les soignants de recourir à des partenaires extérieurs pour remplir leurs missions.
Des entraves pesantes. Intervenir en milieu carcéral n’est néanmoins pas une sinécure et il y a loin des textes à la réalité. Notamment, observe le Dr Griguère, « chaque action est analysée par la direction de l’établissement sous le prisme de la sécurité et des moyens : y a-t-il une surveillance possible ? des locaux disponibles ? un danger à réunir des groupes ? à faire entrer tel matériel, etc. Outre l’accréditation des intervenants, il faut franchir le cap de l’autorisation locale. » Les associations devront donc s’armer de patience pour mener à bien leur projet. « Souvent, les détenus font partie des publics prioritaires dans les appels à projet VIH, hépatites, etc. mais peu d’associations montent des actions car c’est vraiment très lourd », confirme Mylène Baudry, coresponsable d’Axis à Toulon (lire p.xx). La défaillance de la communication intra-muros et de l’articulation entre soignants et services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) est l’un des écueils à surmonter. « Les associations souffrent des oppositions internes, de la difficulté des services à collaborer », témoigne Nathalie Chantriot, référente régionale prisons à Aides Ile-de-France, qui a mis deux ans pour organiser une action d’information au sein de la prison parisienne de La Santé. « En outre, la mise en place d’une action dépend souvent d’une seule personne, ce qui la fragilise », déplore-t-elle. Parfois, les services se renvoient la balle ; fréquemment, ils n’échangent guère. « Nous nous devons de respecter le secret médical, ce qui rend délicate la communication avec les travailleurs sociaux pénitentiaires ; à l’inverse, ceux-ci ont des projets de sortie ou d’insertion et ne nous en informent pas. On travaille souvent en doublon », reconnaît Philippe Griguère. Les associations ne sont pas en outre toujours les bienvenues. « On a beaucoup de difficultés avec les Ucsa, qui estiment que les malades du sida étant bien pris en charge, puisqu’ils ont accès aux traitements, il n’y a pas lieu d’intervenir », souligne Nathalie Chantriot. « Les associations sont plus souvent tolérées qu’acceptées », observe, de son côté, Lyliane Besnard, référente du Secours catholique à Fresnes.
Du lien entre le dedans et le dehors. Maints acteurs estiment toutefois indispensable la présence associative. « À l’hôpital comme en prison, on aura beaucoup de mal à faire de l’éducation à la santé sans les associations », estime le Dr Griguère. « Le service public hospitalier ne parvient pas à assurer le minimum vital pour tout ce qui est prévention et continuité des soins à l’extérieur, il est évident que les seuls moyens à notre disposition se trouvent dans le partenariat avec le réseau associatif », affirme le Dr Serre, responsable de l’Ucsa de la maison d’arrêt du Mans. Mais cela ne se fera pas sans mal. « Travailler en partenariat appelle une modification de culture, cela prendra du temps. Néanmoins, il est indispensable de faire intervenir des représentants associatifs en milieu fermé et de construire ainsi des relais pour préparer les sorties en créant du lien entre le dedans et le dehors », poursuit-il.
De leur côté, les associations doivent aussi apprendre à s’adapter à cet univers. Ainsi, explique Valère Rogissart, responsable de Sida Paroles et président de l’Association française de réduction des risques (AFR) : « Il faut de la souplesse pour pouvoir agir en prison. Il faut également bien connaître le fonctionnement du milieu carcéral et savoir qu’il n’est pas toujours évident de transposer les savoir-faire. » Il y a notamment lieu de connaître les pratiques qui diffèrent de celles du milieu libre, les outils utilisables ou non, les alliances à développer... Impliquer tous les acteurs en présence est tout à fait essentiel. « Dès le montage, il faut associer tout le monde. Les actions ne peuvent réussir qu’avec une concertation locale large. Et il ne faut pas oublier de mouiller fortement les JAP, car ça peut permettre de mettre en œuvre des projets qui, via des aménagements de peine, font du “dedans-dehors“ » (lire p.26), insiste Éric Martin, pour qui l’une des vertus de la RdR est de créer du lien. Car en effet, estime-t-il, « impliquant des gens de fonctions différentes et qui se parlent peu, ces actions peuvent être fédératives au sein d’un établissement pénitentiaire. » Une vertu à ne pas négliger.
Florence Raynal