Revue critique de l’actualité scientifique internationale sur le VIH et les virus des hépatites
n°34 - avril 95
De la Floride aux Bouches-du Rhône
Chantal Vernay-Vaisse
médecin-chef, Centre de dépistage anonyme et gratuit, Direction des interventions sociales et sanitaires (Marseille)
Evidence of intraprison spread of HIV infection
Mutter R.C., Grimes R.M., Labarthe D.
Archives of Internal Medicine, 1994, 154, 793-795
Afin de prouver l’existence d’une transmission de l’infection VIH en prison, les auteurs ont réalisé une étude rétrospective dans une prison de Floride, sur des détenus incarcérés depuis 1977 au moins, ces détenus n’ayant pas été libérés ou en permission depuis cette date. L’année 1977 a été choisie d’après les recommandations de la Food and Drug Administration : la prévalence de l’infection par le VIH étant faible avant 1977, ces détenus auraient peu de probabilité d’être déjà séropositifs à leur entrée en prison. 566 détenus remplissaient cette condition, mais seulement 87 ont eu un test de dépistage.
Les critères de sélection de ces détenus sont faussés ; en effet, soit les tests étaient fait de façon volontaire, sans aucune autre précision, soit ils étaient demandés si les détenus présentaient des symptômes compatibles avec une infection par le VIH.
Sur les 87 personnes testées, 18 étaient séropositives, dont 8 asymptomatiques et 10 symptomatiques. Le taux de 21 % de détenus séropositifs ne peut être retenu, compte tenu de la sélection des personnes dépistées. En revanche, l’évidence d’une transmission possible de l’infection VIH pendant l’incarcération n’est pas étonnante, cette transmission ne dépendant pas du lieu, mais des pratiques. En dehors de l’évocation de l’existence d’une sexualité entre détenus, aucune information sur les pratiques n’est donnée dans cet article. Une étude visant à prouver que la prison est un amplificateur de transmission devrait -comme le soulignent les auteurs- être prospective, en anonymat complet, comprendre des tests à l’entrée, puis après le délai de séroconversion et pendant l’incarcération, avec prise en compte des pratiques sexuelles et d’usage de drogue par voie intraveineuse durant l’incarcération, et enfin établir une comparaison avec une population semblable mais non incarcérée.
¬ Dans notre expérience dans les prisons des Bouches-du-Rhône, l’existence d’une sexualité entre détenus est exceptionnellement rapportée. En revanche, les personnes incarcérées évoquent moins rarement la poursuite d’une injection de drogue par voie intraveineuse, avec du matériel en commun et, très souvent, parlent de leur sexualité au cours des visites (parloirs).
La conclusion sur l’importance de l’éducation sanitaire et sur la nécessité d’une mise à disposition de moyens de prévention en prison est une évidence que les personnes soient incarcérées peu de temps (la majorité) ou longtemps.
Dans les prisons des Bouches-du-Rhône, une consultation de counselling, avec proposition de dépistage, est organisée par le Centre d’information et de dépistage anonyme et gratuit depuis fin 1989 pour tous les entrants et pour tous ceux qui en font la demande. Les préservatifs sont mis à disposition gratuitement au Cidag depuis fin 1989, et dans les infirmeries et à la sortie depuis 1994. L’eau de javel pour désinfecter le matériel peut être achetée à la « cantine » au prix de 1,20 F le quart de litre par toutes les personnes incarcérées.
De telles mesures ne suffisent pas. Il paraît souhaitable non seulement de les renforcer en termes de consultations, de plus grande facilité d’accès aux préservatifs, de mise à disposition gratuite de désinfectant, mais encore de réfléchir sur les problèmes en prison dans leur globalité, en ce qui concerne l’hygiène, ainsi que les conditions dans lesquelles les personnes incarcérées continuent à avoir une activité sexuelle et à utiliser des drogues par voie intraveineuse ou peuvent avoir accès aux programmes de substitution.
Chantal Vernay-Vaisse
Source : Transcriptases