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N°38 - La libération, une sortie sans issue ?

Mise en ligne : 19 septembre 2007

Texte de l'article :

La libération, une sortie sans issue ?

La sortie de prison peut se révéler un parcours semé d’embûches, faute d’anticipation, de relais entre le dedans et le dehors et de solutions d’hébergement. L’absence de ces dernières empêche même des sorties anticipées pour raison médicale. Des points abordés lors de la Journée nationale prison organisée par Sidaction le 22 juin dernier à Paris et consacrée au « Suivi médico-social des personnes atteintes d’une infection à VIH et/ou d’une hépatite virale sortant de prison ».

« Une sortie de prison réussie, c’est une sortie qui a été préparée bien en amont de la libération. Être lâché dans la nature sans savoir où ni à qui s’adresser, n’être attendu nulle part, est le meilleur moyen pour faire de la sortie un échec », affirme Charlotte Paradis, trésorière de l’association Ban public, lors d’une intervention élaborée avec Didier Robert, malade du sida et incarcéré. C’est à l’administration pénitentiaire qu’incombe la mission de réinsertion et que revient, selon le code de procédure pénale, de « permettre au détenu de préparer sa sortie dans les meilleures conditions possibles ». Pour autant, celle-ci « s’apparente en général à un parcours du combattant », estime Julien Nève, de l’Observatoire international des prisons. Les détenus malades, en particulier, rencontrent de nombreux écueils. En effet, alors que la continuité des soins doit être assurée entre le dedans et le dehors par les Unités de consultation et de soins ambulatoires (Ucsa), il arrive souvent que le dossier médical ne suive pas la personne, que celle-ci ne sorte qu’avec son traitement pour la journée et sans ordonnance (lire encadré p. XX). Parmi les explications : l’absence d’information des Ucsa sur la date de sortie des patients et la mauvaise articulation avec les Services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) [1]. Surchargés, les conseillers d’insertion et de probation (CIP) ne peuvent en outre pas toujours préparer la sortie. Aussi, témoigne Julien Nève, « beaucoup sortent sans qu’aucun dossier n’ait été instruit en détention. Tout reste à faire après la sortie. » Maintes formalités sont de surcroît irréalisables en prison. Des détenus se retrouvent donc dehors sans ressources ni couverture maladie.

De la prison... à la rue. Préparer la sortie, c’est aussi soutenir durant l’incarcération les liens qui tendent à se déliter avec l’entourage. Au-delà de l’aspect humain, il s’agit de considérer, affirme Charlotte Paradis, que « les familles et les proches seront souvent la seule solution à la sortie, le seul relais dans l’attente de la mise en place des processus de prise en charge, d’hospitalisation ou autre. Il est donc essentiel que les professionnels les impliquent dans la préparation à la sortie. » Et en effet s’il est une question qui pose problème, c’est bien celle de l’hébergement.
Trouver un lieu d’accueil pour les ex-détenus malades se révèle un vrai défi pour les Spip comme pour les associations qui se mobilisent. Les Centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) manquent de place et ne peuvent recevoir que des personnes relativement autonomes. En outre, tous les CHRS ne se précipitent pas pour accueillir des usagers ou ex-usagers de drogues. Concernant les Appartements de coordination thérapeutique (ACT), plusieurs obstacles se présentent. Ainsi, dénonce Julien Nève, « on compte environ une place pour dix demandes. De plus, cela nécessite l’envoi d’un certificat médical au médecin de la structure, ce que les Ucsa ne font que trop rarement. » La personne doit par ailleurs rencontrer l’équipe, « ce qui est presque impossible à organiser durant la détention. Or l’obtention d’un hébergement médicalisé du type ACT dès la sortie est quasi irréalisable. » Sans compter que les détenus suscitent les fantasmes les plus fous. Et pour les personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme, il manquerait 2 000 places en structures de soins palliatifs. Enfin, témoigne Karine Poncelet, CIP à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes, « nous avons du mal à trouver des prises en charge pour les personnes trop malades pour les structures de soins curatifs et pas assez pour celles de soins palliatifs. » Quant aux étrangers malades sans titre de séjour, leur trouver un accueil relève tout bonnement de la gageure.

Pas d’hébergement, pas de sortie. Devant l’absence de structures, maints détenus sortent sans hébergement ou avec une solution très précaire. Difficile alors de mettre en place des soins et grands sont les risques de réincarcération. Une telle situation empêche même certaines personnes de bénéficier d’un aménagement (placement extérieur, semi-liberté, libération conditionnelle) ou d’une suspension de peine pour raison médicale. En effet, « selon une enquête de l’Association nationale des juges d’application des peines, près d’un refus de suspension sur cinq serait dû à cette difficulté. Ainsi, des détenus gravement malades, voire mourants, mais sans projet d’hébergement restent incarcérés », affirme Julien Neve.
Instaurée par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, la suspension de peine pour raison médicale connaît par ailleurs d’autres restrictions. « Dans la pratique, cette loi révolutionnaire, qui constituait un progrès énorme, n’a pas eu l’impact souhaité », estime le juge Jean-Claude Bouvier, vice-président chargé de l’application des peines au tribunal de grande instance de Créteil. Ladite loi prévoit en effet que cette mesure peut être ordonnée pour les condamnés « atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital » ou dont « l’état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention ». Des critères d’octroi donc strictement médicaux. N’interviennent ni la nécessité d’accomplir des efforts de réinsertion ni de bien se conduire en détention. Ce qui est en jeu, selon le juge, c’est « la dignité » des personnes. Cependant, déplore-t-il, « une part importante de la jurisprudence a consacré la mise en œuvre de critères liés à la dangerosité du condamné ou aux troubles à l’ordre public. » Et le 12 décembre 2005, la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales ajoutait ainsi aux conditions « l’absence de risque grave de renouvellement de l’infraction ».

Une loi exsangue. Par ailleurs, « réticents à l’idée de devoir libérer certains détenus dont la perspective de fin de vie n’était pas immédiate, de nombreux magistrats ont exigé que le pronostic vital soit engagé “à court terme” », explique Jean-Claude Bouvier. Ce qu’a confirmé la Cour de cassation. Quant à l’incompatibilité de l’état de santé avec la prison, certains juges estiment « qu’elle n’est effective que lorsque le maintien en détention constitue une perte de chance sur le strict plan sanitaire », précise Julien Nève. Autrement dit, quand le détenu ne peut recevoir les mêmes soins qu’à l’extérieur. De fait, très peu de suspensions de peine sont aujourd’hui octroyées à des détenus atteints par le VIH. « Dès lors que la personne est sous trithérapie et qu’elle va à peu près bien, elle n’en bénéficie pas, car souvent les experts médicaux considèrent son état de santé compatible avec la détention. On ne tient pas assez compte de ce que signifie vivre une maladie chronique en prison », souligne-t-il. À noter enfin que la mesure ne concerne pas les personnes en détention provisoire. Pourtant, ce sont elles qui endurent les conditions de vie les plus ardues.

Florence Raynal

Notes:

[1] Lire Transversal n° 34 de janvier-février 2007 et n° 32 de septembre-octobre 2006