Le sida n’oublie personne, Sidaction non plus
Depuis sa création, en France et à l’étranger, Sidaction a eu l’audace de travailler sur des axes qui attiraient peu les acteurs de la lutte contre le sida. « Les populations “hard to reach” [1][HTR] en font partie et Sidaction s’est donc emparée du sujet », explique son directeur général Bertrand Audoin. Il y a dix ans, dans cet esprit, elle a ouvert un appel d’offres « Outreach » afin d’inciter les associations à aller au-devant des publics délaissés. « Le contexte politique actuel nous pousse à relancer cela, affirme-t-il. En effet, partout dans le monde, on laisse de plus en plus de côté les gens qui n’apportent pas de “forte plus-value économique”... En termes d’efficacité de la prévention comme de solidarité, nous nous devons donc de renforcer nos efforts tant au plan du soutien financier, technique, que logistique. » Une façon aussi de rester fidèle à certains principes.
Prévention et soins pour tous
Sidaction favorise le travail d’« Outreach » dans le but de toucher les populations difficiles à atteindre. D’ici à la fin 2008, les projets concernant ces populations auront plus que doublé au sein du service international de l’association. Et un élan particulier aura été donné aux actions ciblant les détenus en France.
« S’il est une population difficile à atteindre en matière de lutte contre le VIH, c’est celle des détenus, estime Alix Béranger, directrice du service des programmes associatifs. Le premier obstacle est matériel. Il tient à l’existence des murs derrière lesquels se trouvent ces personnes. » Cependant, une fois ceux-ci franchis, d’autres entraves existent qui sont autant de freins à l’action : clandestinité de certaines pratiques (relations sexuelles, injections...), hétérogénéité des publics, stigmatisation, discriminations. Depuis la création de la mission « Milieu carcéral » fin 2005, un nombre croissant de programmes sont menés en prison, et les frontières reculent lentement (lire p.19). Les détenus ne sont pas le seul public nécessitant une action ciblée. Sidaction a fait du soutien aux associations allant au-devant des personnes un fil conducteur de son action. « À l’époque où les bailleurs se désintéressaient de l’accès aux traitements, nous en avons fait un angle de notre travail, explique Éric Fleutelot, directeur du service des programmes internationaux. Ensuite, dans le même esprit, nous avons voulu améliorer la prise en charge des enfants touchés par le VIH. Aujourd’hui, c’est toujours avec cette logique d’intervenir là où les manques sont les plus criants que nous développons des programmes ciblant des populations difficiles à atteindre. »
Quatre populations ciblées. En France, l’action d’Aremédia [2] financée en 2006-2007 est emblématique. Celle-ci mène à Paris un travail hors les murs de « rabattage », notamment chez les coiffeurs africains, pour inciter de jeunes migrants sans papiers à se faire dépister [3]. Sidaction finance également des postes de chargés de prévention issus des communautés
auxquelles l’action est destinée (transgenres, personnes prostituées, etc.). Au niveau des programmes internationaux, quatre populations principales sont visées : les détenus, les usagers de drogues, les travailleurs du sexe et les minorités sexuelles. L’action passe par une dizaine d’associations d’Europe de l’Est (Russie, Géorgie, Roumanie), d’Asie (Inde, Népal, Chine, Thaïlande) et, de plus en plus, d’Afrique (Cameroun, Burkina Faso). Ces organisations sont soit des associations spécialisées dans la lutte contre le sida désirant développer une action en direction d’une population difficile à atteindre, soit des structures regroupant des publics spécifiques (gays, usagers de drogues, etc.) souhaitant mener, outre leurs activités, un programme lié au VIH. Les programmes internationaux ont toujours financé des projets visant les personnes dites « très vulnérables ». Une terminologie à laquelle est aujourd’hui préférée celle de « hard to reach ». « Il s’agit de populations ayant des spécificités qui font qu’elles ne sont pas touchées par des programmes d’accès aux soins, aux traitements ou de prévention », complète Éric Fleutelot.
Pôle HTR à l’international. Au sein des programmes internationaux, d’ici à la fin 2008, le nombre de projets soutenus en la matière devrait plus que doubler, ce qui amène la création d’un pôle « HTR » et une restructuration de l’équipe. Laquelle intervient d’abord en soutien. « Ce n’est pas Sidaction qui montre la voie, mais bien ses partenaires. Notre rôle est de
les aider et de les accompagner, souligne Éric Fleutelot. Bien entendu, il peut nous arriver de les inciter à s’intéresser à un public particulier, par exemple aux gays dans certains pays d’Afrique. » Les associations ont la plupart du temps les compétences pour agir, il suffit de les renforcer via des formations. Au vu des besoins du terrain, les programmes internationaux se concentreront surtout sur des projets « HTR » en Europe de l’Est et en Asie. En Afrique, l’idée est de les développer parallèlement aux axes déjà soutenus.
Un appel d’offres international spécifique « MSM » [4], ciblant les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (donc pas uniquement les homosexuels « identitaires ») sera prochainement lancé. Cette population intéresse également les programmes associatifs qui ont ouvert un appel à projets « Prévention gay ». « C’est un public très hétérogène : si une partie est facile à atteindre via certaines associations, toute une frange ne l’est pas, car elle englobe des gens ne se définissant pas comme gays, explique Alix Béranger. C’est très net notamment dans les départements français d’Amérique. » Par ailleurs, des tests rapides devraient être proposés en France par plusieurs associations aux homosexuels qui ne fréquentent pas les Centres de dépistage anonyme et gratuit. « Ces projets, comme ceux relatifs aux prisons, devraient être de vraies sources d’innovation », affirme Alix Béranger. Prochaine étape : un travail commun avec les programmes scientifiques de Sidaction sur la possibilité de lancer des recherches-actions, notamment en prison. « Cela permettrait de mieux connaître les populations ciblées. » Et donc de mieux intervenir.
Nina Fontaine
Source : Sidaction