« On est montés ! » Au pied des immeubles des Cévennes ou des Prés St Jean, cette ascension dont on se glorifie signifie qu’on a fait un séjour en prison. Un monde à l’envers. Salima Aïssaoui, élue de gauche et éducatrice de rue, veut en finir avec le cinéma de tous ces petits Tony Montana jouant les caïds, et casser les clichés qui font de l’incarcération un passage initiatique. Réalisatrice, elle présente pour la première fois demain à Alès (1), son documentaire intitulé ’Numéro d’écrou’ qui plutôt que de montrer la réalité du quotidien de la détention, raconte la vie des familles de prisonniers. D’eux, on ne voit qu’elles : mères, sœurs ou compagnes. Aux portes des prisons pour hommes (96 %), ce sont les femmes qui font la queue aux parloirs. Afin d’éviter de personnaliser sa démarche, hormis les propos d’une maman des Cévennes (lire ci-dessous) lus en voix off par une actrice alésienne, Julie Krietzschnar, Salima Aïssaoui, a recueilli ces témoignages à Nîmes, Montpellier, Beziers, Marseille, Toulouse. Mieux sans doute que n’importe quelle incursion intra-muros, les vies arrêtées de celles qui attendent et assistent en disent long sur les mécanismes de déconstruction à l’œuvre en prison. De l’autre côté des barreaux, mères et sœurs aussi sont enfermées. De nouveaux crédits à la consommation s’ajoutent aux anciens pour payer les trajets des visites, l’envoi de mandats , et les vêtements de marque. Le bling-bling a également cours en zonzon. « Les filles font presque l’aumône pour amener les commandes des frères. Elles empruntent des affaires aux copines pour être tirées à quatre épingles quand elles vont les voir », constate l’éducatrice. L’essentiel pour les détenus est de renvoyer aux autres l’image positive d’un dur installé. Ils appellent ça ’être dans la place’, « alors qu’il n’en est rien », souligne-t-elle. Les familles endurent et se taisent par pudeur. Elles rompent le silence dans le documentaire. Quand les grands insistent qu’il ne faut pas aller en prison, ce ne sont que des paroles, « pour ces gamins à peine majeurs la souffrance qu’ils font subir à leurs mères c’est tout autre chose », explique Salima Aïssaoui qui souhaite faire de son film un outil pédagogique des réseaux associatifs. « Pour nous, la prison est juste à côté des HLM », souligne cette jeune femme de 35 ans, née dans un quartier populaire à Alès ajoutant que ce n’est pas l’origine ethnique mais la pauvreté qui conduit à la case prison. « Un lieu qui ne sert ni à payer sa dette, ni à punir mais à organiser la délinquance ». René DIEZ Dans le Midi Libre du 15 novembre 2010