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Said-André Remli - contestation d’un placement à l’isolement d’office

Observations - contre l’Isolement

Mise en ligne : 5 décembre 2002

Texte de l'article :

A MESSIEURS LE PRESIDENT ET CONSEILLERS COMPOSANT
LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS.

OBSERVATIONS EN REPLIQUE REQUETE N° 01-PA 075.

POUR

MONSIEUR REMLI SAÏD ANDRE
Prison centrale
36 255 SAINT MAUR.

AYANT POUR AVOCAT
MAITRE CHRISTIAN NZALOUSSOU
26, avenue George V
75008 PARIS
Tél. 01 47 20 26 66
Fax 01 47 20 26 63
Toque Palais E. 361

CONTRE :

LE GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE
13, place Vendôme
75042 PARIS CEDX 01

PLAISE A LA COUR,

Par mémoire enregistré à la Cour, le 22 février 2002, Le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice défend contre les moyens d’annulation et de demande de dommages et intérêts formulés par Monsieur REMLI.

Afin de justifier du bien fondé de sa démarche, Monsieur REMLI apporte des précisions complémentaires, y compris en communiquant à la Cour l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire KEENAN.

I - SUR LA RECEVABILITE DE LA REQUETE CONTRE LES DECISIONS DE MISE EN ISOLEMENT ET DE TRANSFEREMENT.

Monsieur REMLI prend acte de ce que le Garde des sceaux, Ministre de la Justice, reconnaît dans ses écritures, que la mesure prise en l’encontre du requérant peut, « dans des conditions de droit commun et sans aucune règle dérogatoire ou spécifique », faire l’objet d’un contrôle devant « les juridictions administratives par la voie du recours pour excès de pouvoir. » [dernières observations adverses, p.2].

Cette position doit être saluée, dans la mesure où elle s’inscrit dans une évolution jurisprudentielle et législative justifiée (voir nos précédentes observations). C’est au demeurant le pas franchi par la CEDH, qui considère qu’une mesure de placement à l’isolement prise par un directeur de prison doit faire l’objet d’un contrôle juridictionnel [CEDH, 3 avril 2001, KEENAN].

Il convient donc de constater que la partie défenderesse s’est rangée sur la position du concluant, en reconnaissant que la mesure querellée ne constitue pas une mesure d’ordre intérieur insusceptible d’un recours en excès de pouvoir.

La Cour sera donc conduite à déclarer recevable la requête de Monsieur REMLI.

II – SUR L’ILLEGALITE DES DECISIONS ATTAQUEES.

1°) Sur la violation des articles 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’Administration défenderesse soutient que la violation de l’article 3 de la CEDH ne serait pas établie, et que le rapprochement fait entre la présente affaire et l’arrêt KEENAN de la Cour européenne serait sans intérêt.

S’il est en effet vrai qu’on ne peut assimiler l’affaire KEENAN à celle soumise à la Cour par Monsieur REMLI, il convient néanmoins de relever certains éléments juridiques et factuels communs aux deux affaires. Monsieur REMLI, comme d’ailleurs le détenu dans l’affaire KEENAN, avait sollicité le bénéficie d’une thérapie psychanalytique. En vain. Si donc le gouvernement du Royaume-Uni a été condamné par la CEDH pour un suivi médical insuffisant, il convient de relever que dans la présente affaire l’administration pénitentiaire a simplement refusé de faire suite à la demande d’une thérapie psychanalytique de Monsieur REMLI.

De plus, dans l’affaire KEENAN, le juge rappelle que « les autorités sont dans l’obligation de protéger la santé des personnes privées de liberté (arrêt Hurtado c. Suisse du 28 janvier 1994, série A, n°280, rapport de la Commission p. 16 §79). Le manque de soins médicaux appropriés peut constituer un traitement contraire à l’article 3 (Ilhan c. Turquie [CG] n° 22277/93, ECHR 2000-VIII, § 87). » [Keenan, § 110]

La Cour pourra enfin relever que ne sont pas contestés les propos de Monsieur REMLI selon lesquels son transfèrement et son placement à l’isolement ont été suivis de coups et sévices de la part du personnel pénitencier.

De cette association de faits et circonstances, il convient de juger que Monsieur REMLI a bien fait l’objet d’un traitement dégradant ou inhumain.

2°) Sur la motivation des actes attaqués et le non respect de la procédure disciplinaire.

Ces moyens ont déjà été amplement développés par le requérant.

Monsieur REMLI relève toutefois que l’Administration se contredit lorsqu’elle affirme simultanément que les mesures querellées peuvent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel par la voie du recours pour excès de pouvoir (Dernier mémoire adverse, p.2 § 4) et que le placement à l’isolement ne nécessite pas une motivation (Dernier mémoire adverse, p.2 in fine). Bien au contraire, les mesures prises à l’égard de Monsieur REMLI (transfèrement et placement à l’isolement suivis d’agression), dans le contexte de l’affaire, constituent bien des sanctions disciplinaires déguisées et des mesures faisant grief.

De plus, contrairement aux allégations du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, la décision de placement à l’isolement de Monsieur REMLI est illégale, dans la mesure où la procédure exigée n’a pas été suivie. Cette constatation n’est en aucune façon contredite par la pièce communiquée par l’Administration.

En effet, le document produit, qui provient des services du directeur général, n’exprime qu’un accord de principe qui ne peut être confondu à une décision ferme. De plus, cette décision n’est pas justifiée en droit et en fait.

Cette décision ne se fonde pas notamment sur l’éventuelle persistance du trouble à l’ordre public alléguée. Par ailleurs, il y est indiqué que le directeur de la Maison d’arrêt des Yvelines doit obligatoirement saisir « du régime actuel de détention que subit ce détenu la Commission de l’Application des Peines » de cet établissement. Si la Commission n’a jamais été saisie, la décision de mise à l’isolement a cependant été appliquée. Enfin, Monsieur LANDAIS, qui n’avait aucune compétence pour le faire, ne pouvait pas signer la décision de prolongement contestée.

3°) Sur les conclusions indemnitaires.

Du seul fait de l’exécution des décisions illégales à l’égard de Monsieur REMLI, l’Administration doit être condamnée au paiement de dommages et intérêts.

Toutefois, l’acharnement de l’Administration pénitentiaire à l’égard de Monsieur REMLI, le traitement subi du fait de l’exécution des décisions querellées ainsi que les conditions de transfèrement du requérant (sévices physiques), les souffrances endurées, l’isolement irrégulier dans le milieu carcéral, justifient pleinement l’allocation de dommages et intérêts.

PAR CES MOTIFS
ET TOUS AUTRES A PRODUIRE, DEDUIRE OU SUPPLEER, MEME D’OFFICE :

1°) Recevoir Monsieur REMLI dans l’ensemble de ses demandes.

2°) Annuler toutes les décisions de placement à l’isolement et de transfèrement de Monsieur REMLI, y compris la décision de renouvellement en date du 13 septembre 1998.

3°) Condamner l’Etat à verser au requérant la somme de 7622,45 euros (soit 50 000 Francs) au titre des préjudices subis.

SOUS TOUTES RESERVES.

Fait à Paris, le 29 avril 2002.

MAITRE CHRISTIAN NZALOUSSOU

P.J.- Arrêt KEENAN (CEDH, 3 avril 2001).