Attendre la phase terminale pour bénéficier d’une sortie « humanitaire » est équivalent à mourir en prison. Sortir les mourants pour dire qu’en France on ne meurt plus du SIDA en prison n’est qu’une façon hypocrite de faire baisser statistiquement le taux de décès derrière les barreaux. Durant l’année 1986, j’ai connu quelques problèmes de santé. Je suis tombé plusieurs fois malade. Je n’allais pas très fort. J’avais beaucoup maigri et je me sentais très fatigué. L’apparition de ganglions m’avait décidé à faire des analyses. Suite à cela, je fus appelé à l’infirmerie. J’y fus accueilli par le médecin pour les résultats. Il m’invita à m’asseoir. Il n’était pas très à l’aise et c’est d’une voix sourde qu’il me demanda si j’avais entendu parlé du SIDA. Je lui répondis que j’en avais entendu parler à la télévision, comme tout le monde. Je commençais à m’inquiéter des propos qu’il me tenait. « Mais pourquoi m’en parlez vous ? Suis-je malade ? » « Non, pas exactement... » me répondit-il. C’est à ce moment là qu’il se décida à me donner les résultats des analyses. J’étais, d’après lui, séropositif. Il m’expliqua ce que cela voulait dire : j’avais été en contact avec le VIH. Il me fit l’inventaire des modes de transmission sexuels et sanguine, piqûres intraveineuse et autres... Je n’étais pas toxicomane et il n’y avait pas trente-six solutions quant à la manière dont j’avais été contaminé. Lisa, elle, avait été usagère de drogues. Elle avait dû être contaminée de cette manière. Et moi, par elle, lors d’une relation sexuelle. Il ne pouvait en être autrement ! J’avais dû être en contact avec le virus du VIH dans le courant de l’année 1984. Le monde s’écroulait ! A l’époque, on ne connaissait pas grand-chose de cette maladie mortelle. L’espérance de vie, d’après les médecins, n’était que de trois à cinq ans... Je luttais difficilement pour ne pas sombrer dans la dépression. Le malheur s’acharnait une nouvelle fois sur moi. J’informais Lisa de mon état de santé. Elle fit, à son tour, un test de dépistage (car elle ne connaissait pas son statut sérologique) qui se révéla positif. J’ai eu beaucoup de mal à remonter la pente, je ne voyais pas comment j’allais m’en sortir. Je décidais de ne pas en parler à ma mère afin de ne pas l’inquiéter. Mon état d’esprit changea, je ne pouvais plus, désormais, être le même. Je n’avais plus d’espoir, même si je faisais comme si de rien n’était. Mon comportement était devenu violent en détention et je me retrouvais souvent au mitard [2]. La prison dans la prison ; le cachot. En fait, je souffrais de cette destinée sans avenir qui m’empêchait d’avoir une quelconque espérance. J’avais vingt ans et j’allais mourir, dur d’accepter ce sort. L’instruction de mon affaire allait se terminer. Je passerai bientôt aux Assises de Paris. Mon juge connaissait mon état de santé. Mon seul espoir résidait en une peine minimale. En attendant, j’ai continué à écrire plusieurs textes et me préparais à ce jugement en Cour d’Assises... Le président annonça la sentence : dix ans de réclusion criminelle... Pour moi, ce fut une peine de mort, d’autant qu’il y a eu d’autres condamnations, pour d’autres affaires, par la suite.
Laurent Jacqua
Témoignage tiré de
« La Guillotine Carcérale, silence on meurt »
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