« Le Bruit des trousseaux », par Philippe Claudel, Stock, 96 p., 10,55 € (69,20 F). En librairie le 9 janvier 2002.
Claudel en prison
Par Jérôme Garcin, Nouvel Obs.
Victor Hugo, très tendance cette année, tenait qu’ouvrir une école, c’est fermer une prison. A 40 ans, Philippe Claudel, s’il a moins d’illusions que l’auteur des « Misérables », a autant d’altruisme. Pendant onze années, ce romancier a donné des cours de français dans une maison d’arrêt. Aux grands criminels, aux petits délinquants, à tous ceux qui avaient perdu jusqu’à la faculté nocturne de rêver et au privilège diurne de désirer, il a appris à lire, à écrire, à réciter des poèmes, dans une pièce non chauffée qui sentait la sueur, le graillon et le Ricoré. En échange, ils lui ont enseigné le goût d’une liberté dont, comme nous, il n’avait guère l’occasion de mesurer l’étendue. Ils l’appelaient « prof ! », lui leur donnait du « mes gars ! ».
De cette expérience, qui l’a profondément marqué et dont il a eu raison de ne pas vouloir tirer une théorie compassionnelle sur l’univers carcéral, il a gardé un modeste, un irréfutable carnet de « choses vues ». Portraits à l’encre de Chine des détenus, des gardiens, des avocats pressés et des familles au parloir. Souvenirs de complicité, et même de sécurité : « Je ne me suis jamais senti en danger en prison comme je peux l’être dans le métro. » Visite de la bibliothèque où s’entasse tous les rebuts - voilà pourquoi on ne lit plus Henry Bordeaux ou Paul Bourget que derrière les barreaux. Description d’une usine fantôme qui ne produit rien, « sinon du temps limé, broyé, réduit », et où, les jours de pluie, certains détenus, fenêtre ouverte, aspirent à pleins poumons l’air mouillé qui vient du dehors. Ce dehors d’où Philippe Claudel adresse aujourd’hui à ses « gars » un petit livre dénué de toute démagogie mais gorgé, hé oui ! de nostalgie.
J.G.