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Pierrot : une vie en prison

Mise en ligne : 29 juillet 2005

Dernière modification : 28 décembre 2010

Texte de l'article :

Pierrot : une vie en prison
 
 Sorti en 2002 de prison après trente-deux ans d’incarcération, Pierrot se raconte tel qu’il est et tel que fut sa vie, dans son livre "La vie sur place". Voyou dans l’âme, l’homme ne se cherche pas d’excuses. Il se sait marginalisé mais une autre vie commence pour lui à soixante ans. Témoignage. 

 
Tout commence dans les années soixante. Quelques vols de voitures et quelques tiroirs de caisses fracturés. Du haut de ses dix-neuf ans, Pierrot était inconscient et ignorait tout de la réalité. Mais la sanction fut lourde : huit ans ferme. "Cet enfant sera aviateur", avait dit une voyante à la mère de Pierrot. Du présage à la réalité, il n’y a qu’un pas. Pierrot a volé, en effet.

Calibre au poing ou pas, les braquages se sont succédé, les cambriolages aussi. Les bijouteries, les supermarchés, les banques ou les casinos n’ont jamais eu de secrets pour lui. Néanmoins, cet amoureux du risque a payé le prix de l’argent vite gagné. Condamné à pas moins de quatre-vingt-dix ans de détention, il est resté au total trente-deux ans derrière les barreaux, par le jeu des confusions et remises de peine. Aujourd’hui, il n’a pas de regrets et voit la prison sous un autre angle. "Ma vie en prison a été plus enrichissante que si j’avais été à la mine ou dans une aciérie. En prison, je pense m’être sorti de ma condition initiale qui était d’être charcutier. Toute ma famille était dans la charcuterie, à commencer par mon père. Cette condition était aussi un enfermement. Je me suis sorti de ce monde-là !", concède-t-il.

Pour autant, Pierrot n’essaye pas de légitimer ses erreurs. Loin de lui, l’apologie du banditisme. Il connaît trop la prison pour la considérer comme salvatrice. Les passages à tabac ou les isolements des mitards sont indélébiles. "Les gens faibles n’ont pas leur place en prison. C’est très dur pour quelqu’un qui ne sait pas se défendre. Soit tu suis le chemin des caïds, soit tu te fais casser. La prison, c’est l’école du crime en quelque sorte", ironise-t-il.

Retour à la réalité

Les années se sont écoulées et Pierrot a appris à vieillir entre quatre murs. Mais il ne considère pas sa longue incarcération comme un facteur de vieillissement précoce. Ses trente-deux ans passés dans une cellule lui ont même permis de devenir un lecteur acharné. Il a dévoré des livres par milliers, de Stendhal à Hugo, en passant par Camus, Zola ou San Antonio. Pierrot, l’immobile, assimile volontiers les livres à des compagnons d’évasion : "Au début, les livres étaient un moyen de me cultiver. Lorsque je suis rentré en prison, je n’avais fait qu’une quatrième et j’étais donc assez inculte. En me plongeant dans les bouquins, je me suis ouvert l’esprit. J’ai fini par lire tout ce qui me tombait sous la main. C’était devenu un moyen de m’évader. Lorsque je m’immergeais dans un livre, je n’étais plus en prison le temps de la lecture."

Pierrot s’est longtemps rattaché à l’imaginaire de la littérature. Aujourd’hui, il doit affronter la réalité de la vie. La voie de la rédemption reste sinueuse. Il s’avoue peu en phase avec l’évolution des mentalités : "Je me sens complètement marginalisé. Quand je ne suis pas avec des voyous, je m’ennuie. J’ai un mode de pensée atypique par rapport aux gens". Après avoir retrouvé femme et amis, le sexagénaire veut se ranger. De toute façon, il reconnaît ne plus avoir l’âge pour faire les quatre cents coups. L’heure de la retraite a sonné.
 
Julien Launay
[14 mai 2004] 
Source : Seniorplanet