Position du Groupement Étudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées sur la loi du 24 novembre 2009
Une loi pénitentiaire a été adoptée par le Parlement français l’automne dernier ; elle a été promulguée le 24 novembre 2009. L’organe exécutif du GENEPI a, à cette occasion, diffusé le plus largement possible un communiqué de presse intitulé « Loi pénitentiaire : les illusions perdues ». Dans ce texte, le GENEPI faisait part de la déception certaine que lui inspirait le résultat législatif, et exprimait une vive inquiétude quant à l’obligation d’activité introduite, à l’article 27 de la loi, pour les personnes condamnées à une peine privative de liberté. Pourtant, le bureau national élargi et le conseil d’administration de l’association ont décidé de ne pas adopter d’emblée, sans l’avis d’un grand nombre de Génépistes, de « position du GENEPI sur la loi pénitentiaire ». Pour un positionnement public d’une telle importance, il était nécessaire, leur a-t-il semblé, de permettre à l’instance souveraine du groupement, son assemblée générale, de contribuer autant qu’elle l’entendait à l’élaboration du texte, et de se prononcer sur son adoption par voie de vote.
Pourtant, ce silence prolongé du GENEPI sur la scène publique ne valait pas indifférence. Depuis longtemps déjà, le GENEPI, comme d’autres observateurs de l’univers carcéral, attendait l’avènement de ce texte avec une impatience toujours croissante : l’avortement, en 2001, du projet de loi préparé par la Garde des Sceaux de l’époque, jamais porté à l’ordre du jour des chambres parlementaires, avait sonné le début de cette longue attente. Conscient des lacunes du droit français en matière carcérale, le GENEPI a toujours appelé de ses vœux une intervention du législateur, afin que les personnes incarcérées bénéficient d’un cadre légal enfin satisfaisant pour un État qui se veut un État de droit. L’idée d’une loi pénitentiaire a donc suscité chez les Génépistes l’espoir de réels changements dans les conditions carcérales françaises, ainsi que celui de voir advenir une nouvelle vision de l’institution carcérale. Le groupement a pris acte, en 2007, du fait que le projet de loi pénitentiaire était l’un des engagements de campagne du candidat Nicolas Sarkozy.
Tout au long de son élaboration, de ses premiers balbutiements à sa promulgation, le GENEPI a pris part à la réalisation du texte, et ce par différents biais : participation au Comité d’Orientation Restreint, prises de position sur les projets de loi et les amendements successifs, échanges avec les députés et les sénateurs au cours de la cinquième édition des Journées Parlementaires Prisons, publication de tribunes et de communiqués de presse, auditions par plusieurs commissions parlementaires...
Le GENEPI s’est également prononcé sur la procédure d’urgence déclarée le 26 février 2009 par le gouvernement pour l’examen du projet de loi pénitentiaire. Il a fortement condamné cette décision, regrettant l’utilisation de ce qui a, quelques jours après cette déclaration, été remplacé par une procédure « accélérée », en application de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Le GENEPI n’a pas compris cette procédure de classement en urgence que la conférence des présidents des parlements n’a pas rejetée, d’autant que le gouvernement avait retardé encore et encore les débats sur le texte (8 mois se sont écoulés entre le rapport du Comité d’Orientation Restreint et la présentation du projet de loi, puis 8 mois, de nouveau, entre la présentation en Conseil des ministres et la discussion en assemblée). La confusion totale qui a succédé à cette déclaration d’urgence n’a pas rendu la tâche aisée aux parlementaires français, chargés, sept mois après la déclaration d’urgence (sic), de débattre du « fond » de la loi dans un contexte juridiquement délicat.
En dépit de ce contexte, le GENEPI a mis en œuvre tout ce qu’il pouvait pour contribuer à l’écriture d’une loi « ambitieuse, adoptée au terme d’un débat riche et complet ». Pourtant un constat, d’emblée, s’impose : la « grande loi pénitentiaire » que l’association attendait ne fait, depuis sa parution au Journal Officiel, absolument pas l’unanimité. Le résultat législatif n’est visiblement pas parvenu à rassembler. Alors qu’au début de l’année universitaire 2009-2010, plus de mille signataires, parmi lesquels le GENEPI, tombaient d’accord sur un même texte, « la prison à la recherche d’un consensus », lancé à l’initiative du démographe pénal Pierre Victor Tournier, les dernières étapes du processus législatif ont définitivement fait naître du dépit, y compris chez les partenaires associatifs les plus modérés du GENEPI. « Occasion ratée », « illusions perdues », « grand bond en arrière », « texte au rabais », « loi insignifiante », « détournement d’objet social »... Les formules n’ont pas manqué pour décrire une seule et même chose : la colère, la consternation ou, simplement, la tristesse ressenties par beaucoup face au texte, qui ne semble en rien correspondre aux attentes nourries, depuis presque dix ans, par celles et ceux qui ont voulu œuvrer à l’élaboration d’une « grande » loi « fondatrice ».
Le GENEPI, s’il considère que « quelques points appellent, c’est certain, à satisfaction », est effaré de constater que toutes ces avancées sont marginales et, d’emblée, soumises à restriction immédiate. Seul l’attachement affiché du législateur, à l’article 4 de la loi, au rôle et aux compétences du Contrôleur général des lieux de privation de liberté est de nature à contenter entièrement le GENEPI, qui craint déjà de voir cette autorité administrative indépendante qu’il a longtemps appelée de ses vœux « absorbée », à l’avenir, par le futur Défenseur des droits. Pour le reste, le GENEPI estime que la loi du 24 novembre 2009 renvoie de manière bien trop fréquente à de futurs décrets (toujours pas parus, au mois de juin 2010), ce qui a pour conséquence directe de laisser dans le champ réglementaire de très nombreux pans du droit pénitentiaire qui touchent directement aux libertés les plus fondamentales des personnes incarcérées. L’article 91 de la loi, par exemple, ne fait que reporter à un futur décret en Conseil d’État l’établissement de la liste des fautes et des sanctions, sans déterminer celles-ci. C’était pourtant tout l’objet de la loi pénitentiaire, pour le GENEPI, que de remettre entre les mains du législateur la détermination de ces aspects les plus concrets et les plus quotidiens de la vie en détention. Le Parlement n’a, visiblement, pas voulu aller au bout de ce rehaussement des normes pénitentiaires, et le GENEPI le regrette : le pouvoir règlementaire est encore beaucoup trop maître, à ses yeux, des conditions dans lesquelles sont enfermés, partout en France, les hommes, les femmes et les enfants incarcérés.