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Pour l’abolition des quartiers d’isolement

Mise en ligne : 24 novembre 2006

Dernière modification : 9 mai 2012

Le placement et le maintien à l’isolement, souvent appelé "torture blanche", a fait l’objet d’une réforme en mars 2006 (décret du 21 mars 2006). Pour autant ce mode de gestion de la détention pose de nombreux problèmes ; d’autres solutions doivent être mises en oeuvre pour assurer l’ordre et la sécurité à l’intérieur des établissements pénitentiaires.

Texte de l'article :

La prison est un lieu d’enfermement et de privation de libertés. Cette sanction, souvent perçue comme la sanction de référence, devrait le plus souvent être une sanction de dernier recours. En effet, alors même que l’une des missions de l’administration pénitentiaire est de "réinsérer", la peine privative de liberté commence par exclure la personne de la société. Et comme si ce traitement ne suffisait pas, les personnes peuvent, de surcroît, être placées à l’isolement, plusieurs années parfois, sans même que cela soit considéré comme une sanction.

Comment ce régime de détention, anti-social par définition, peut-il permettre d’envisager une réintégration ultérieure dans la communauté ?

Ban public dénonce une telle pratique et demande l’abolition des quartiers d’isolement.

Le placement à l’isolement et le placement au quartier disciplinaire doivent être abolis conjointement, au risque de voir utiliser l’un, en lieu et place de l’autre. Ce document est donc le 1er des 2 documents proposés sur cette question.

1 Les textes et organes garantissant le respect des droits de l’Homme
1 1 Au niveau international
1 2 Au niveau national
2 Evolution de la législation en France
3 La réalité de l’isolement et ses conséquences
4 Vers l’abolition de l’isolement 

1 Les textes et organes garantissant le respect des droits de l’Homme

1 1 Au niveau international

 Les principaux textes internationaux qui énoncent les principes fondamentaux, en matière de respect des droits de l’Homme, sont la Déclaration universelle des droits de l’Homme, proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies, le 10 décembre 1948, et la Convention européenne des droits de l’Homme. On retrouve dans la déclaration de 1948 les principes fondamentaux de la déclaration de 1789. L’article 5 de la déclaration de 1948 pose un principe inviolable : " Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants". La Convention européenne des droits de l’Homme a été ouverte à la signature le 4 novembre 1950, date à laquelle la France l’a signée ; elle l’a ratifiée le 03 mai 1974, alors qu’elle était entrée en vigueur le 03 septembre 1953. A ce jour, il est à noter que, ni le protocole n°12 (entré en vigueur le 1er avril 2005, interdisant de manière générale toute forme de discrimination), ni le protocole n°13 (entré en vigueur le 1er juillet 2003, qui abolit la peine de mort en toutes circonstances, même pour les actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre), n’ont encore été ratifiés par la France. L’article 3 de la convention pose l’interdiction de la torture : "Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants". L’article 13 affirme le droit à un recours effectif : " Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles".

Au niveau européen, en matière de respect des droits de l’Homme par les gouvernements, deux organes du conseil de l’Europe ont vocation à jouer un rôle : la CEDH (Cour européenne des droits de l’Homme) et le CPT (Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants).

a) La CEDH agit après avoir été saisie et formule des arrêts à l’encontre des états mis en cause. S’agissant de l’isolement, la CEDH peut conclure à une violation des articles 3 ou 13 de la convention européenne des droits de l’Homme.

Pour la CEDH, un comportement ne peut être considéré comme un mauvais traitement au sens de l’article 3 que s’il atteint un minimum de gravité. Ce degré minimum n’est pas dépassé par la simple exclusion d’une personne de la collectivité carcérale. Cela ne signifie pas, pour autant, que le placement à l’isolement d’un détenu n’est pas susceptible de porter atteinte aux dispositions de cet article. Il ne doit pas "conduire à un isolement social et sensoriel absolu susceptible d’entraîner une destructuration de la personnalité et constituer une forme de traitement qui ne saurait se justifier par les exigences de la sécurité, l’interdiction de torture ou de traitement inhumain inscrit à l’article 3 ayant un caractère absolu" (CEDH 18 janvier 1978, Irlande contre Royaume-Uni).

Récemment (CEDH 8 juillet 2004, Ilascu et autres contre Moldova et Russie), la cour a estimé qu’un régime d’isolement, qualifié de sévère, revenait à violer l’article 3.
Outre le critère "d’isolement sensoriel complet et d’isolement social absolu" pour conclure à la violation de l’article 3, la durée de placement à l’isolement est un autre critère. Sur ce point, l’arrêt de la CEDH du 25 mai 2000, Legret contre France, a conduit à une irrecevabilité, alors que l’isolement avait duré 4 ans. Dans un arrêt plus récent (CEDH 27 janvier 2005, Ramirez Sanchez contre France) la conclusion est la même (l’isolement total avait duré 8 ans et 2 mois) ; 3 juges sur 7 ont cependant estimé que l’article 3 de la convention avait été violé. L’opinion dissidente commune à ces 3 juges indique : "il n’est pas contesté par les parties que celui-ci [le régime d’isolement] impliquait la détention du requérant dans une cellule de 6,84 mètres carrés, vétuste, mal isolée et comprenant des toilettes non cloisonnées" et "une telle durée n’est pas simplement « regrettable » comme le constate la majorité, mais est susceptible d’entraîner des effets dommageables". Pour ces 3 juges, une telle mise à l’isolement "excède de manière substantielle le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention".

L’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme fait l’objet, de plus en plus fréquemment, d’une interprétation autonome par la Cour européenne. Certaines situations amènent ainsi un constat de violation de cet article indépendamment de la violation de tout autre article. Jusqu’alors, la violation de l’article 13 pouvait même semblé superfétatoire, dès lors qu’il était conclu à la violation d’un autre article.

b) Le CPT agit sur la base de la convention européenne pour la prévention de la torture et de peines ou traitements inhumains ou dégradants. Cette convention, ouverte à la signature des états membres du Conseil de l’Europe le 26 novembre 1987, est entrée en vigueur le 1er février 1989. La France l’a ratifiée le 09 janvier 1989. La Convention prévoit l’établissement d’un comité international qui est habilité à visiter tous les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté par une autorité publique. Le Comité, composé de personnalités indépendantes, peut formuler des recommandations et suggérer des améliorations en vue de renforcer, le cas échéant, la protection des personnes visitées contre la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. C’est un mécanisme de caractère préventif et non judiciaire. Le CPT édite des normes, dont la dernière révision date de 2006. Il a effectué 9 visites en France depuis 1991 (dont 8 dans les prisons). Dans ses rapports successifs, le CPT attire l’attention des autorités françaises ; concernant la mise à l’isolement, ses réserves tiennent tant à la durée (parfois pendant des années d’affilée) qu’au régime éminemment restrictif auquel les personnes détenues sont soumises (absence totale d’activités structurées et d’activités en commun). En outre, dès sa visite en 2000, le CPT recommande que "les garanties reconnues aux détenus à l’égard desquels des mesures d’isolement administratifs sont décidées, soient renforcées en vue de leur aménager une voie de recours efficace auprès d’une autorité indépendante, de préférence un juge".

1 2 Au niveau national

A l’échelle nationale, un arrêté du ministre des Affaires étrangères, publié au Journal officiel du 27 mars 1947, donne naissance à la Commission consultative pour la codification du droit international et la définition des droits et devoirs des États et des Droits de l’homme qui rapidement devient la commission consultative des droits de l’Homme puis se voit attribuée le qualificatif de "nationale". Le rôle de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’Homme) est de transmettre des avis au gouvernement, pour contribuer à perfectionner la législation mais la commission ne se substitue ni au Conseil d’État, ni au Parlement.
A ce jour, la CNCDH s’est peu exprimée sur la procédure d’isolement ; toutefois, dans son étude sur l’accès aux soins, adoptée le 19 janvier 2006, la commission observe que "l’appréciation de l’aptitude au quartier disciplinaire ou à la prolongation d’une mesure d’isolement relève d’une mission expertale, contraire à la fonction de médecins traitants dévolue aux praticiens hospitaliers des UCSA".

Il existe donc des textes et des organes de contrôle, garantissant, au moins en théorie, le respect des droits de l’Homme, en particulier dans les lieux de privation de liberté s’agissant du champ d’action du CPT. Toutefois, il est évident que la marge de progression en matière de respect des droits fondamentaux est considérable. Nombre de situations sont potentiellement source d’actes de torture, de peines ou traitements inhumains ou dégradants : la surpopulation en maison d’arrêt, la vétusté de certains locaux, la mise à l’isolement et sa prolongation etc.

2 Evolution de la législation en France

Non seulement sous la pression de la communauté internationale, mais aussi suite à des actions individuelles, chaque gouvernement fait évoluer sa législation. En France, sur la procédure d’isolement, avec l’arrêt Remli du Conseil d’Etat du 30 juillet 2003, il est dorénavant considéré que l’isolement est une mesure faisant grief, dans la mesure où il aggrave les conditions de détention ; la mesure est susceptible de recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif. Malgré cela, cette possibilité est limitée dans la mesure où un arrêt du Conseil d’Etat, du 29 décembre 2004, annule une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier du 27 mai 2004 (selon laquelle les personnes placées à l’isolement depuis plus d’1 an n’avait plus à faire la preuve de l’urgence de leur situation pour saisir le juge des référés) et refuse ainsi de tenir compte d’une présomption d’urgence au profit des isolés de longue durée. La procédure de référé devient dès lors difficile à initiée.
Dans le même temps, l’article 24 de la loi du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration, appelle une réforme de la procédure d’isolement. Le temps que la réforme se mette en place, deux textes encadrent la procédure : la circulaire du 9 mai 2003 relative à l’application de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 et une note du directeur de l’administration pénitentiaire, datée du 21 juin 2004, indiquant aux établissements la procédure à suivre lorsqu’une mesure de placement ou de prolongation d’isolement, pour raison de protection ou de sécurité, est envisagée.
Le décret du 21 mars 2006, paru au journal officiel du 23 mars 2006, précise le cadre de la mesure d’isolement. Celle-ci est prise pour des raisons de sécurité ou de protection, d’office ou à la demande de la personne. La décision initiale relève du chef d’établissement ; la période initiale est de 3 mois au plus, renouvelable. Le directeur régional est informé de cette mesure. Toute décision de placement ou de prolongation d’isolement est communiquée au juge de l’application des peines, pour les personnes condamnées, et au juge chargé de l’instruction, pour les personnes en détention provisoire. Ces magistrats doivent être consultés avant toute décision de prolongation d’isolement au-delà d’1 an. Le placement à l’isolement reste possible au-delà de 2 ans, s’il constitue l’unique moyen d’assurer la sécurité des personnes ou de l’établissement. La procédure imposée à l’administration s’alourdit au fur et à mesure des prolongations. Les observations de la personne concernée et, le cas échéant de son avocat, sont jointes au dossier de la procédure. "Lorsque le détenu est à l’isolement depuis un an à compter de la décision initiale, le ministre de la justice peut, par dérogation à l’article D. 283-1, décider de prolonger l’isolement pour une durée de quatre mois renouvelable. La décision est prise sur rapport motivé du directeur régional qui recueille préalablement les observations du chef d’établissement et l’avis écrit du médecin intervenant à l’établissement". Cette disposition est contraire à l’avis de la CNCDH qui préconisait "une mission expertale, contraire à la fonction de médecins traitants dévolue aux praticiens hospitaliers des UCSA".
Par ailleurs, les personnes placées à l’isolement conservent leur droit à l’information, aux visites, à la correspondance et à l’exercice du culte. Il est prévu qu’elles participent aux promenades et activités collectives auxquelles peuvent prétendre les personnes soumises au régime de détention ordinaire. 

3 La réalité de l’isolement et ses conséquences

Pour la promenade, des dispositions sont prises pour qu’elle ait lieu ; néanmoins, elle se déroule dans des conditions de durée et d’espace limités. Concernant les activités telles que le travail ou la formation, il ne peut être question, pour les personnes à l’isolement, de se rendre dans des lieux où sont présentes des personnes soumises au régime de détention ordinaire ; cela restreint considérablement l’accès aux activités. En effet, peu de chefs d’établissements organisent des activités spécifiques communes aux personnes placées à l’isolement (comme indiqué dans les textes). D’après les chiffres du ministère de la Justice (mars 2006), environ 500 personnes sont à l’isolement à une date donnée, dont 150 à leur demande.
Pour les personnes incarcérées, la mise à l’isolement est souvent vécue comme une sanction, simplement parce qu’elle est imposée. La prison est un milieu fermé impliquant pour la personne qui s’y trouve de nombreuses contraintes comme par exemple : la restriction de l’espace de circulation, la restriction des contacts et des échanges verbaux, la restriction sensorielle, la monotonie du travail mal rémunéré, la limitation d’association avec les autres, l’obligation d’obtenir une autorisation pour nombre d’actes de la vie quotidienne, etc. Les privations sociales, sensorielles, intellectuelles, cognitives, sexuelles engendrent une désocialisation de la personne, en dépit des stratégies d’adaptation mises en œuvre. La mise à l’isolement accentue cet effet. Un tel traitement a des conséquences psychologiques graves, difficiles à apprécier car pouvant survenir au-delà de la période de placement au quartier d’isolement. Parmi ces conséquences, il peut survenir une destructuration de la personne. L’isolement est un enfermement dans la prison. Ce mode de gestion de la détention nie, encore plus que la prison ne le fait déjà, l’identité et la dignité de la personne.

4 Vers l’abolition de l’isolement

Justifier un tel traitement par des impératifs de sécurité, c’est indexer les droits fondamentaux sur une raison plus forte, ce qui revient à en nier le principe même. C’est également faire fi des textes internationaux ratifiés par la France, des rapports du CPT suite à ses visites régulières des lieux de privation de liberté, des arrêts de la CEDH, des avis donnés par la CNCDH.
L’isolement d’office doit être aboli car il constitue une atteinte aux droits fondamentaux de la personne, bien au-delà de ce qu’implique la seule privation de liberté. L’administration doit gérer différemment la question de la sécurité posée par la présence de certaines personnes. Les droits de l’Homme ne doivent pas céder du terrain devant des menaces à la sécurité ou au bon ordre, aussi réelles soient-elles.
L’isolement sur demande doit faire l’objet d’une profonde réforme. Si la personne le demande pour sa propre protection, il est du devoir de l’administration d’assurer cette protection sans remettre en cause des droits fondamentaux et en particulier sans restreindre les contacts sociaux et sensoriels. Si la personne demande à être à l’isolement parce que la vie en détention ordinaire remet en cause son droit à l’intimité, son droit à conserver son intégrité et sa dignité, la question posée est celle de la gestion de la détention ordinaire. Cette question ne peut être éludée au bénéfice du recours à un mode de gestion anti-social par définition.

Ban Public
(Novembre 2006)