Précisions ultérieures de Roger PAYEN
« Je peux aujourd’hui apporter quelques précisions complémentaires, elles ne pouvaient figurer dans ce courrier d’après les événements - sécurité, sécurité ! Un courrier même acheminé par des voies et des personnes sûres pouvait toujours tomber entre les mains de la police - en ces temps-là - Pour cette raison je n’avais pas indiqué comment les portes des politiques étaient restées intactes, ni parlé de celui qui rendit la chose possible à qui je veux ici rendre hommage.
Voici comment la chose se fit. Il y avait eu de nouvelles réductions dans les services publics RATP Bus Métro entraînant de nouvelles suppressions d’emplois. Il fallut recaser ce personnel. Les prisons, elles, travaillaient à plein rendement, la population carcérale ne cessait d’augmenter, 5, 6, 7 détenus par cellule. On casa donc quelques employés RATP Métro dans les prisons pour renforcer le personnel gardien débordé.
L’arrivée à la Santé de ces gens qui n’avaient ni la formation ni l’esprit maton (mater regarder par l’œilleton des cellules, maton celui qui regarde) changea tout dans le climat de la maison, pour les politiques.
Par eux des informations nous arrivèrent de l’extérieur journellement. Jusque là l’extérieur n’entrait à la Santé que par les avocats. Quelques uns de ces nouveaux gardiens rendirent même possibles des contacts avec l’extérieur.
C’est grâce à l’un d’eux que nous pûmes disposer de clés qui nous permettaient - après la dernière ronde - des contacts entre détenus.
Ces clés nous permirent, cette nuit du 14 juillet, l’ouverture de toutes les cellules des politiques qui sortirent sur les passerelles pour empêcher tout saccage. Le matin du 15 les portes furent refermées et les clés disparurent.
C’est grâce au courage de ces gardiens que la provocation montée sûrement par le Franciste Bucard, collaborateur notoire, avorta.
« Non, Messieurs, les politiques ne prirent aucune part à cette mutinerie, aucune destruction, aucun saccage dans leurs divisions », crièrent-ils fermement à ces messieurs de la Cour Martiale. « Ils ne peuvent être les responsables et encore moins les organisateurs de cette révolte, ils avaient même prévenu la direction de la prison de ce qui se tramait et qui laissa faire. »
En effet nous nous préparions une toute autre sortie et nous étions plein d’espoir. Ce jour-là le 14 juillet, nous avions dignement brillamment commémoré ce symbole de notre histoire (avec les moyens du bord), décor exceptionnel, discours et chants. Et la Marseillaise. Aux armes Citoyens !!
Nous étions, en l’ignorant bien sûr, à 35 jours de notre libération, à 35 jours du mouvement insurrectionnel des cheminots, à 41 jours de « PARIS LIBÉRÉ ».
Nota. À lire le récit de cette nuit folle d’abord, puis tragique, dans l’ouvrage de Jean Jérôme « Les Clandestins » pages 208 à 215. Il avait tout pour lui, il était juif, résistant et communiste. Il fut de ceux qui nous informèrent de ce qui se préparait car il était incarcéré avec les droits communs. Il passa en effet cette nuit là avec nous, il nous quitta à l’aube. »
Roger PAYEN