Le document dévoilé par le Comité d’orientation restreint (COR) appelle à une double réaction, la première relativement à la démarche générale du comité, la seconde concernant le contenu des recommandations.
Commentaires généraux
Le COR énonce une série de propositions qui constitue un catalogue disparate, imprécis et incomplet de recommandations. Il n’a pas inscrit ses travaux de réflexion dans le cadre de l’exigence affirmée avec force en 2000 par le Premier président de la Cour de cassation, Guy Canivet, qui était de faire sortir la prison de l’exception juridique par une loi garantissant l’ensemble des droits fondamentaux de la personne détenue et encadrant strictement les restrictions pouvant y être apportées par l’administration pénitentiaire. Faute de cela, les préconisations du COR sont loin de la finalité de la réforme de la condition pénitentiaire, qui aurait dû être de mettre en conformité le droit de la prison et le statut juridique du détenu avec les exigences de l’Etat de droit. C’est-à-dire que la loi devrait établir d’une part que le milieu carcéral est régi selon le droit commun, et d’autre part que le détenu est titulaire de tous les droits puisés dans sa qualité de citoyen.
Force est de constater, à l’inverse, que le COR semble avoir admis comme point de départ les présupposés très contestables définis par l’administration pénitentiaire elle-même, dans un document qu’elle lui a remis dès son installation (Direction de l’administration pénitentiaire, Enjeux, juillet 2007) : « Les règles pénitentiaires européennes sont pour l’essentiel déjà transcrites dans notre réglementation » (p. 5). « Les prisons françaises ne sont pas une honte » (p. 5), « la France gère bien ses prisons » (p. 6), « la LOPJ, la loi du 9 mars 2004 et les textes règlementaires qui les ont suivis ont intégré dans notre cadre normatif l’essentiel des dispositions qui figuraient dans le projet de loi pénitentiaire de 2002 » (p. 9). De ce fait, en lieu et place d’une remise à plat du droit pénitentiaire, le COR s’est contenté de propositions ponctuelles. Cette exigence avait pourtant été unanimement approuvée par les formations politiques siégeant au Parlement et été appuyée par le Conseil d’Etat et le Comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe.
A défaut d’avoir privilégié une approche fondée sur le respect des droits de l’homme en prison - l’expression n’apparaît d’ailleurs à aucun moment dans le rapport d’étape - le COR a entendu définir dans le plus grand désordre juridique (voir ci-dessous) les « devoirs » des détenus. Ce faisant, il intègre dans ce chapitre deux mesures en face desquelles toute l’attention du législateur devrait être requise pour protéger la dignité des personnes : la fouille et le placement au quartier disciplinaire.
Par ailleurs, le COR est silencieux sur les projets d’ores et déjà très contestés annoncés par Mme Dati comme devant figurer dans la loi pénitentiaire : réforme de l’attribution des réductions de peine et instauration de lieux d’enfermement post-peine, remise en cause du secret médical.
L’OIP a, lors de son audition par le COR le 15 octobre 2007, fait une double suggestion à l’ensemble de ses membres : renoncer à produire un nouvel ensemble de préconisations en lieu et place des recommandations élaborées par les instances de protection des droits de l’homme françaises et européennes ; mais exiger d’obtenir le texte de la future loi pénitentiaire et d’être la sentinelle intransigeante de sa conformité avec ces recommandations.
L’OIP a si peu été entendu qu’il a disparu de la liste des auditions du COR.
Les préconisations du COR
Ces recommandations sont de trois types
A. Soit elles sont dénuées de sérieux. Par exemple, au chapitre des devoirs des détenus, comme pour des locataires ordinaires, le COR entend instaurer « un état des lieux d’entrée et de sortie » à l’appui d’une « obligation de respect et d’entretien des lieux de vie du détenu ». On attend avec impatience l’état des lieux entrants de détenus en maison d’arrêt : « entrée dans une cellule vétuste, nombreuses fuites, toilettes ignobles, deux autres locataires pour neuf mètres carrés. Je m’engage à rendre ce bien dans l’état dans lequel je l’ai trouvé ». Une telle recommandation est du reste tout à fait déplacée au regard de la gravité des manquements de l’administration au regard des normes minimales d’hygiène et de salubrité. De même, la volonté de donner une suite pénale à toutes les agressions survenues en détention n’est aucunement de nature à assurer la protection effective de l’intégrité des personnes.
B. Soit elles sont contestables. Parfois le COR semble ne pas voir que ce qu’il propose est une véritable régression visant non pas à faire progresser le droit mais à mettre le droit en accord avec les faits, entériner juridiquement des pratiques existantes. Il en est ainsi de la proposition d’étendre à 2 ans la période pendant laquelle les condamnés peuvent être maintenus en maison d’arrêt alors qu’en avril 2001, dans le cadre d’une proposition de loi adoptée à l’unanimité, les sénateurs avaient réaffirmé la nécessité d’assurer le respect de la loi en matière d’affectation en établissement pour peine (en supprimant la possibilité de maintien au delà d’un an).
D’autres recommandations se révèlent être l’exacte reproduction - ou presque - des propres attentes de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP), communiquées sous forme d › « hypothèses » au COR au fil de ses travaux. Ainsi en est-il de la durée maximale de punition de cellule disciplinaire que le COR souhaite voir fixée à 28 jours, qui correspond à peu de chose près aux intentions de la chancellerie (30 jours), alors même qu’une telle durée est plus de trois fois supérieure à celle prévue par la loi belge de 2001 (9 jours). Une telle sanction constitue pourtant un traitement d’un autre âge, que la Commission nationale consultative des droits de l’homme avait entendu proscrire en recommandant son remplacement par le confinement en cellule.
De même, le COR se refuse à mettre le régime disciplinaire des détenus en conformité avec les principes du procès équitables garantis à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme en confiant le pouvoir de sanction à une instance indépendante et impartiale. Il se contente de préconiser un raccourcissement du délai imparti au directeur interrégional pour statuer sur le recours du détenu sanctionné - contrôle dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est dépourvu d’effectivité ; ainsi que la possibilité d’exercer une procédure en référé devant la juridiction administrative - ce qui est déjà le cas depuis la loi du 30 juin 2000 sur les référés d’urgence.
Pareillement, s’agissant des relations intimes entre la personne détenue et ses proches, le COR se contente de reprendre le principe de l’extension des unités de visites familiales, sans aborder la question des conditions de visites au parloir ordinaire. Plus largement, aux termes des préconisations du COR, l’intimité du détenu en détention tient dans une armoire fermée à clé...
En outre, en partant des hypothèses de l’administration, et non des recommandations des instances de protection des droits de l’homme, le COR passe totalement sous silence des domaines entiers que la loi se doit de réformer. Ainsi, le régime d’isolement, qui a été vivement critiqué par le Comité anti-torture de l’ONU, est totalement passé sous silence. Même chose s’agissant des transferts, constamment utilisés comme sanction déguisée. L’usage des moyens de contrainte et de la force n’est pas davantage abordé, alors même que la France a été condamnée à deux reprises par la Cour européenne pour l’utilisation abusive d’entraves et que les modalités d’action des Equipes régionales d’intervention et d’intervention (ERIS) ont été critiquées par le Comité de prévention de la torture et la Commission nationale de déontologie de la sécurité.
Par ailleurs, le COR passe sous silence la question de la garantie des droits, notamment en urgence. Le droit européen exige que les détenus puissent soumettre leurs griefs très rapidement à un juge lorsqu’ils allèguent être victime d’un traitement dégradant. Les conditions d’accès des détenus au juge de l’urgence et, plus largement, le droit à un recours effectif ne sont pas envisagés.
C. Soit les recommandations vont dans le bon sens, mais, faute de précisions, sont réduites à des vœux pieux. Par exemple, le COR proclame sa volonté d’aboutir au respect de l’encellulement individuel. Mais, au rythme de l’inflation carcérale actuelle, l’administration pénitentiaire a fait savoir, dans le document rassemblant ses « hypothèses », qu’elle ne sera pas en mesure de respecter ce principe avant 2016, et a suggéré de repousser en 2012 l’échéance aujourd’hui fixée par la loi en juin 2008. Le COR n’a pas, chiffres en main, déterminé de manière possible d’atteindre l’encellulement individuel à bref délais. Et pour cause, il n’émet aucune observation sur les conséquences pénitentiaires de la politique pénale du gouvernement. Il en va de même des préconisations concernant la libération conditionnelle, qui font l’impasse sur toute analyse de fonds des raisons du déclin très rapide de cette mesure au cours des 5 dernières années.
OIP