« En 2010, je réalise mes premières photographies dans les prisons françaises pour le film de Stéphane Mercurio, À l’ombre de la République (production Iskra). Je rencontre alors le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean Marie Delarue, qui me nomme quelques mois plus tard contrôleur. De janvier 2011 à janvier 2014, je pénètre au cœur de l’enfermement en France. Je visite près d’une vingtaine d’établissements pénitenciers. Je reste entre cinq et dix jours dans chaque prison. Je peux tout photographier, l’intérieur des cellules, la cour de promenade, les parloirs, les douches, le mitard (quartier disciplinaire)… Le jour, la nuit. Aucun lieu ne m’est interdit
La prison, espace inaccessible au regard, suscite le fantasme. La réalité que j’y ai éprouvée est peu spectaculaire. L’enfer de l’incarcération tient beaucoup à l’accumulation et la répétition de traitements indignes qui transforment l’ordinaire en cauchemar : les règles avilissantes, la solitude, la promiscuité, l’insalubrité, le désoeuvrement, l’inconfort… À cela s’ajoute la violence qui s’exerce dans les zones d’ombre et les cours de promenade. C’est cette intimité de l’enfermement que je cherche à photographier en couleur, de façon frontale, directe, sans effet. Je ne m’attache pas à une action ou à une anecdote. Je procède par petites touches, je m’imprègne de la géographie des lieux, de la lumière, des sons, des récits des détenus…
Je saisis l’indicible, le temps qui s’arrête, la vie qui rétrécit, qui s’efface. Je ne montre aucun visage. Je ne raconte pas d’histoire. Je m’en tiens au traitement des individus et de leur intégrité. Je m’en tiens à ce que la spatialité, les mouvements, les postures, les marques corporelles révèlent de la condition carcérale aujourd’hui. »
Grégoire Korganow