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M.C. Poissy

Projet professionnel carcéral de Gilles

Mise en ligne : 8 juin 2003

Dernière modification : 3 novembre 2004

Texte de l'article :

Avertissement
L’exposé qui suit n’est pas une attaque contre l’administration pénitentiaire. Il vise uniquement à relater ma situation de prisonnier cherchant à travailler pour survivre et les obstacles auxquels je me heurte. Le lecteur jugera.

Historique
Etudes et travail
Aujourd’hui âgé de 35 ans, je suis affecté en 1997 à la maison centrale de Poissy pour y suivre un DUT informatique avec l’université Paris XIII. Diplômé fin 1999, je considère les opportunités offertes par la RIEP . Un détenu issu du DUT y officie depuis peu comme programmeur. Rencontrant le directeur, M.Voituron, à ce sujet en janvier 2000, je propose mes services de programmeur pour la RIEP. Cela m’est refusé net pour une raison que la décence m’empêche de citer. Peu après, le poste du détenu programmeur est supprimé. Dehors, les débouchés du secteur sont florissants.

Prospection d’entreprises
Refusant tout travail sans rapport avec le développement logiciel, je prospecte durant une année et demie, principalement par téléphone, auprès d’un demi millier d’entreprises régionales. La direction me refuse d’emprunter les pages jaunes de l’annuaire. Il me faudra faire appel à des amis et attendre plusieurs semaines une liste disponible instantanément par minitel.

Les appels sont limités à 15mn et, durant longtemps, à deux appels par semaine, plus quelques appels exceptionnels. L’usage d’une cabine réservée aux arrivants, peu utilisée, m’est refusé. Souvent, il faudra de multiples appels pour joindre le bon interlocuteur et essuyer un refus. Le tiers de mes ressources est dépensé en cartes de téléphone. En tout, une trentaine d’entreprise se montre intéressée. Mais l’interdiction qui s’est faite d’utiliser des moyens de communications actuels ( téléphone, email, télécopie) les éloigne toutes.

Fin novembre 2000, une SSII avec laquelle je suis en contact depuis quelques semaines nous rencontre, l’autre programmeur et moi-même. D’emblée je constate un changement frappant dans le ton et les salaires évoqués qui deviennent indécents. Ceci suite à une entrevue avec la direction. Nous ne donnerons pas suite. Peu, après, je permettrai à ce détenu brillant de travailler pour une SSII locale pour une rémunération certes inférieure à celle du marché ( 1700 euros ) mais exceptionnelle comparée à celle de la RIEP ( 400 euros environ ) et citée comme telle par M.le sénateur Paul Loridant.

Succès
Vers mars/avril 2001, une SSII semble intéressée. Elle désire cependant échanger quelques télécopies sur des questions très techniques pour juger de la pertinence de me confier un projet. Aussitôt, je m’adresse à ma CIP ( conseillère d’insertion et de probation) et sollicite son aide en ce sens pour faciliter mon embauche. Mais l’envoi de quelques télécopies m’est refusé et ma demande d’une confirmation écrite et ignorée. Son supérieur, saisi de la même demande, en réfère à sa hiérarchie au niveau départemental qui refuse également et me renvoie vers la direction locale.

Malgré tout, la société finit par répondre favorablement à mon attente. Elle accepte de me confier du développement logiciel par correspondance. La direction de la maison centrale fait pression pour signer un contrat de concession et m’affecter à un atelier dédié ( une cellule de 7m2 ) avec un poste téléphonique bridé permettant uniquement de recevoir les appels de la société, et la possibilité d’y installer deux ordinateurs reliés par un câble « réseau » local . Mon employeur et moi refusons pour plusieurs raisons :

1- L’atelier accessible 28 heures hebdomadaires, ferme à 16 heures du lundi au jeudi, et à 11h45 le vendredi. Horaires incompatibles avec ceux de la société ouverte le samedi et fermée le lundi ;

2- L’atelier jouxte un atelier de métallerie avec des machines très bruyantes ;

3- Le téléphone bridé m’interdit de joindre aussi bien la société que ses clients, quand les détenus oisifs ont accès libre aux cabines de la détention depuis septembre 2001, sans restriction de numéro appelé ;

4- Inscrit en 2001 en licence d’informatique étalée sur deux années, je dois fréquenter le centre scolaire situé dans un autre bâtiment ; travailler en atelier m’empêcherait d’y accéder et d’étudier parallèlement ;

5- L’ouverture d’une concession avec salaire mensuel est trop contraignante : la société désire m’employer à la commande et me rémunérer à la livraison, sans autres investissements immédiats ; c’est pourquoi nous demandons et obtiendrons, à grand peine, de me permettre de travailler en cellule avec mon ordinateur personnel sous le régime du bon commande de travail par main d’œuvre pénitentiaire ; la société, située à 70 kms, se déplacera six fois avant qu’on lui remette le document approprié.

6- La volumineuse bibliothèque technique qui m’est nécessaire ne peut être transportée vers l’atelier la journée puis ramenée en cellule le soir. De même pour mon ordinateur.

Démarrage de l’activité
En juin 2001, je commence à travailler en cellule, développant un logiciel de commande de repas pour une importante usine alimentaire. Les travaux sont gravés sur un CD-Rom ( les graveurs, interdits par une circulaire, sont autorisés exceptionnellement à Poissy depuis 1999) expédié par courrier. Quatre fois par semaine, j’appelle la société qui m’indique les problèmes constatés. J’opère les retouches nécessaires et les envoie en gravant un nouveau CD. Chaque envoi est contrôlé par un agent spécialement formé, le Correspondant Local Informatique, ce qui peut ajouter un délai à l’acheminement postal ( 48h ). A raison d’un envoi hebdomadaire, l’application évolue très, très lentement. La rentabilité s’avère impossible.

Très vite, nous demandons à pouvoir communiquer par télécopie, par email, et à me doter d’un matériel minimum supplémentaire en cellule : un second ordinateur+ une liaison « réseau »locale par câble avec le premier. L’ensemble de ces demandes est refusé oralement. Aucun écrit n’est jamais produit. Le directeur adjoint en charge du travail m’autorise cependant l’usage d’un second ordinateur en cellule, ce que le directeur interdit aussitôt.

On me répond à nouveau ( oralement) qu’une « solution globale » est étudiée pour permettre à « l’ensemble des détenus informaticiens » ( nous sommes deux sur deux cents) de travailler et communiquer avec des entreprises, sous contrôle de l’administration pénitentiaire. Ceci ne se concrétisera jamais.

Situation actuelle
A l’heure actuelle, la catastrophe est consommée. Les échéances sont dépassées depuis longtemps. L’usine ( 50 salariés ) attend désespérément livraison du logiciel pour ses commandes. Des contrats de vente à d’autres entreprise sont perdus et aucune rénumération n’a pu m’être versée depuis bientôt deux ans.

Le 7 avril dernier, j’ai saisi une dernière fois la direction de la maison centrale ( courrier AR) pour la prier d’examiner nos doléances. J’y ai joint deux attestations techniques d’un expert qui certifient de l’inocuité des cartes « réseau » locales et de la nécessité du graveur ( officiellement inexistant ) pour effectuer une sauvegarde durable des données. Ceci alors qu’aucun texte ou document n’interdit à ma connaissance l’usage des cartes « réseaux ». la crainte qu’un détenu réussisse miraculeusement à se connecter sur l’internet avec une simple carte réseau est irréaliste : il faut disposer d’un abonnement, d’un téléphone. Des copies du courrier ont été adressées à la direction régionale des services pénitentiaires de Paris et à la direction centrale de l’administration pénitentiaire. En conclusion, j’évoque l’abandon de mes espoirs professionnels et le recours à la charité publique.

Relations avec l’administration pénitentiaire
Courriers
Depuis le début de mes démarches, la direction de la maison centrale n’a jamais répondu qu’oralement aux demandes que je suis, moi, obligé de formuler par écrit. Sinon pour des informations relatives aux prélèvements sur les salaires dans le cadre du bon de commande par main d’œuvre pénitentiaire, ou lorsque le directeur adjoint m’a autorisé l’usage de deux ordinateurs en cellule.

En avril 2002, je demande confirmation écrite à la direction régionale des services pénitentiaires de Paris ( DRSP ) de l’exercice durable de mon activité en cellule. Il m’est répondu que le renouvellement des bons de travail dépend uniquement du chef d’établissement.

En Août 2002, afin que tout soit clairement établi et légalement constitué, je re-contacte la DRSP pour obtenir une confirmation officielle, écrite, des conditions de travail qui me sont accordées. Leur remise en question aurait des répercussions financières très importantes sur la société qui m’emploie et signerait, c’est à craindre, la fin de notre collaboration. Je sollicite l’assurance écrite que je puis continuer à travailler en cellule dans les conditions qui sont les miennes. Cette fois, aucune réponse écrite ne me parviendra.

En Octobre 2002, je rencontre un membre de la DRSP en charge du travail qui me félicité de ma persévérance à vouloir travailler. Il promet de rencontrer rapidement mon employeur pour trancher la question des cartes « réseaux » avec un informaticien de l’administration pénitentiaire. Six mois plus tard, mon employeur a du mal à le joindre et n’a toujours pas réussi à obtenir un rendez-vous.

Vers mars 2003, mon employeur contacte la RIEP de Poissy et demande, sous réserve d’acceptation par l’administration pénitentiaire, à louer une fraction de leurs moyens techniques ( email, télécopie ) pour lui permettre de communiquer avec moi. Des données pourraient ainsi être échangées plus rapidement, sous contrôle total de l’administration pénitentiaire, nous permettant de devenir plus performants. A ce jour, il n’a reçu aucune réponse ;

Problèmes
De nombreux incidents jalonnent mon travail avec la SSII.
Plus d’une fois, son dirigeant a été obligé d’attendre longuement car son badge était introuvable. D’autres fois, des personnels en grève devant la porte l’ont empêché d’entrer. Une fois, la directrice adjointe, absente le jour de sa venue, a oublié de signer son autorisation d’accès. Ayant rempli à l’été 2001 les formalités nécessaires au permis de visite permanent, il en recevra délivrance en octobre 2002. Des courriers contenant des médias ont disparu. Ainsi que des disquettes déposées par lui à l’établissement. Le suivi des mes demandes de réservation d’appels téléphoniques effectuées via les formulaires réglementaires est quelques fois incertain. Une nouvelle note de service interdisant l’échange de CD déposé à mon intention doit faire l’objet d’une demande d’autorisation de réception systématique. Un CD amené par mon employeur en l’absence du CLI a été déposé dans un coffre fort par un gradé qui n’en informera personne ; il faudra dix-sept jours pour le retrouver. La direction a saisi des magazines d’informatique américains utiles à mon travail que ma famille m’adresse par courrier car ils sont localement introuvables. L’absence du CLI ne m’est jamais notifiée et bloque systématiquement l’envoi de mon travail jusqu’à son retour.

Conclusion
Condamné à une logique peine, sans ressources propres, je ne subsiste qu’avec l’aide de ma famille depuis trop longtemps. Sans illusion sur mes perspectives professionnelles en l’état actuel des choses, j’envisage de faire appel à la charité publique.

Gilles
Mai 2003

Courrier au Directeur de Poissy