Mon fils est entré en détention provisoire à Bois d’Arcy le 12 décembre 2004. Il en est sorti après de nombreuses demandes de mise en liberté le 17 juin 2005.
Il sera jugé en juin 2006, il y retournera peut-être. Je voudrais parler de mon vécu et de ma souffrance de mère pendant ces mois d’emprisonnement.
- Information des familles :
J’ai eu un message d’une voix inconnue sur mon téléphone mobile suite à l’incarcération : "Veuillez rappeler le ...Il s’agit de M. XXX". Il s’agissait de mon fils, 19 ans, qui ne vivait plus à la maison depuis pas mal de temps. J’ai rappelé dès que possible, le n° ne répondait pas. Le lendemain, j’ai obtenu une dame au téléphone :
- Bonjour, j’ai eu un message me disant de rappeler ce numéro à propos de mon fils, pouvez-vous me dire de quoi il s’agit ?
- La personne qui s’en occupe n’est pas là mais si on vous a appelée de ce numéro, c’est qu’il est ici.
- Où ici ?
- A la maison d’arrêt de Bois d’Arcy.
- Ce n’est pas possible, c’est forcément une erreur.
- Je vous dis que si on vous a appelée de ce numéro....
- Qu’est-ce qui s’est passé, qu’est-ce qu’il a fait ?
- Je ne peux pas vous le dire, il faudra rappeler pour parler avec M. XXX.
- Mais quand ? Et quand est-ce que je pourrai le voir, lui parler ?
- Je ne peux pas vous dire, réessayez cet après midi.
L’après midi, j’ai réussi à avoir ce monsieur au téléphone, le "travailleur social" (je crois) du service d’insertion et de probation. C’est la seule personne en dehors de l’avocat avec qui ont peut dialoguer, avoir des nouvelles, demander de l’aide. Cette personne est vraiment essentielle mais elle s’occupe d’une centaine de détenus, elle est donc difficile à joindre et a très peu de temps disponible. Elle peut même aller voir les détenus au quartier disciplinaire. Elle a une connaissance faillible des règlements intérieurs qui changent souvent.
Les échanges avec le juge sont quasiment inexistants, une réponse laconique par lettre pour refuser un permis de visite à ma fille, sans raison. Le directeur de la prison a répondu à mes lettres, très respectueusement, et j’ai l’impression que mes interventions ont été plutôt positives pour mon fils.
Proposition : Je pense qu’il serait au minimum normal de permettre au détenu de téléphoner tout de suite aux personnes de son choix pour les informer.
- Permis de visite :
Le travailleur social m’a dit au téléphone comment obtenir un permis de visite pour voir mon fils, il ne pouvait rien me dire de plus mais je pouvais lui écrire. Il a oublié de mentionner un papier indispensable à l’obtention du permis, si bien que j’ai attendu un mois pour l’obtenir du juge d’instruction, avec plusieurs aller retours de courriers.
Proposition : Le détenu devrait pouvoir envoyer dès son incarcération et à tous les gens qu’il souhaite voir en prison une liste exhaustive et toute prête des conditions d’obtention de permis et de tous les échanges possibles.
- Dépôt du linge avant permis :
En attendant le permis de visite, je pouvais déposer du linge le jeudi. Il fallait attendre dehors, dans le froid, que l’accueil des familles ouvre à 8h30 (il n’ouvre pas toujours à l’heure et si vous n’arrivez pas avant l’ouverture, il faut attendre longtemps votre tour). J’étais étonnée par la gentillesse des familles, par le fait que personne n’essayait jamais de passer avant et aussi par la docilité de tous devant les surveillants. Les familles présentes affectaient le calme mais tout le monde était inquiet. Nous étions tous en prison !
Le linge est inspecté par des gens en uniforme, derrière le guichet, on se sent suspecté de tout. Un vêtement est refusé parce qu’il est bleu marine, un autre parce qu’il n’est pas dans la liste autorisée... Si vous arrivez une minute après la fermeture du guichet, c’est terminé, il faudra revenir la semaine suivante.
Proposition : C’est peu de choses mais un système de tickets d’attente numéroté, des chaises devant un guichet à hauteur de bureau permettraient de rendre les choses peut-être plus supportables.
- S’organiser pour les rendez-vous :
Bien sûr, je n’avais pas dit à mon travail que mon fils était en prison, il m’a fallu jongler avec les horaires, les congés... J’avais une heure et demi ou deux heures d’embouteillage pour arriver là-bas, plus le temps d’attente, je ne savais jamais à quelle heure j’en sortirais.
Proposition : une loi devrait permettre à toute personne ayant un membre de sa famille incarcéré d’avoir au moins deux demi journées de congé par semaine sans perte de salaire pour aller voir le détenu, en toute confidentialité (cela pourrait passer pour un simple temps partiel), aux horaires correspondant aux possibilités de rendez-vous et avec une protection juridique très forte sur les conséquences possibles dans le cadre du travail.
- Colis de Noël :
Pour le colis de Noël, on m’avait dit que je ne pourrais pas en déposer puisque je n’avais pas encore de permis de visite. Et puis, un jeudi matin, je repose la question à un surveillant jovial (il y en a). Il me répond "Si si, ça vient de changer, maintenant tous les détenus peuvent recevoir un colis, il suffit de revenir tel ou tel jour". Je vais choisir 4,5 kg de mets choisis à mon fils, heureuse de pouvoir lui faire ce petit plaisir.
Je reprends une demi journée de congés. 2 h00 d’embouteillages, j’attends mon tour pour déposer mon colis et là le surveillant présent me dit : "Il n’a jamais été question de déposer un colis de Noël pour un détenu sans permis de visite ». Je fais appeler le chef, je discute, il élève la voix, il devient menaçant malgré mon calme, il y a un attroupement de surveillants autour de moi, on ne me croit pas, c’est horrible et je repars avec mon colis, en larmes.
Proposition : rien ne doit empêcher le dépôt d’un colis de Noël.
- Les visites, les échanges de linge et de livres :
Heureusement, le courrier circule et nous nous écrivons presque tous les jours, je sais ce dont il a besoin et je peux lui dire que je l’aime, que je ne le juge pas, quoi qu’il ait fait, que je serai là.
Enfin le permis de visite arrive. Je découvre les gens du secours catholique, toujours prêts à parler, à offrir un café, les longues attentes devant la porte de la prison après avoir déposé toutes mes affaires dans une consigne, l’appel des noms "Famille XXX, famille XXX...." Le passage aux rayons, l’attente au guichet de dépôt du linge, l’attente dans une salle infâme où la télé hurle, où j’arrive parfois à trouver une femme à qui parler, une femme qui sait ce que c’est, qui comprend la douleur. Et puis les haut-parleurs qui gueulent : "Nom du détenu -cabine XX" et là on se lève, on va attendre à nouveau dans une sorte de couloir où chacun dépose à son tour ses objets métalliques pour passer dans le portillon (souvent les chaussures ne passent pas, les boucles de ceintures,... C’est éprouvant de se sentir ainsi suspecté. Je sais que je n’ai pas le droit mais je cache quelques chocolats dans ma poche, au début, car je n’ai pas encore assez peur. A la fin, je n’oserai plus.
Enfin, je cherche la cabine correspondant au numéro indiqué. Elles sont toutes en arc de cercle. Minuscule espace séparé en deux par une table accrochée au mur, une porte de verre de chaque côté, il ne faut pas être claustrophobe, d’autant qu’on nous enferme. Au bout d’un moment, mon fils arrive. Le temps est si court, 20 minutes, des fois un peu plus, il ne faut rien oublier, tout dire, on se dépêche mais ça fait du bien. Il faut attendre pour récupérer le linge sale, prendre les rendez-vous suivants sur une borne qui souvent n’a plus de ticket de rendez-vous à délivrer, donc noter les rendez-vous, au risque d’une erreur.
Concernant le linge : les détenus peuvent laver à la main mais recevoir du linge entretenu par la famille est un vrai réconfort !
Proposition : tout devait pouvoir se régler au même guichet, à l’appel d’un numéro, de façon humaine, en présence d’un travailleur social ou d’un autre observateur bienveillant.
- Fouille avant visite pour recherche de drogue :
Un jour, l’attente pour la visite a été interminable et dans la salle d’attente, des hommes sont venus, avec des chiens, nous faire renifler. La salle était bondée, les WC fermés. Les chiens nous reniflaient. J’ai demandé pourquoi. On m’a répondu : « C’est une bonne question » et on a renvoyé le chien m’inspecter une seconde fois. Une femme avec un enfant a été emmenée, elle est revenue une demi-heure après, on n’avait rien trouvé.
J’avais l’impression d’être arrêtée par la gestapo !
Je n’ai pas de proposition à faire, sinon de traiter humainement les visiteurs des prisonniers (je suis encore sous le choc).
- Les suppressions de visites :
Et puis, un jour, j’arrive à l’heure à l’accueil et on me dit que je ne peux pas voir mon fils, qu’il est au quartier disciplinaire. Bien sûr, on ne me dit pas pourquoi et je n’ai plus qu’à repartir, désespérée. C’est si dur d’arriver jusque là, de tenir le coup, et tout ça pour rien, pour imaginer le pire. Normalement, on a droit à une visite et une seule programmée pendant la durée de la sanction mais dans la réalité, il y a toujours une raison incompréhensible pour la supprimer.
Les lettres n’arrivent plus, le courrier mettra des semaines à me parvenir, je ne peux plus déposer de linge ou en reprendre, plus rien. J’écris au directeur de la prison, il me permet exceptionnellement de déposer du linge une fois.
Une fois, j’ai déposé un livre sans voir que sur la dernière page, il y avait des annotations, prises des années auparavant, et n’ayant rien à voir avec la situation. Le gardien m’a dit à la sortie du parloir que le livre était gardé pour enquête, ça m’a fait sourire ! Si j’avais su !
Au rendez-vous suivant, on m’a appris que mon permis de visite était suspendu pour 2 semaines suite à cet événement ! Et quand un permis de visite est suspendu, on ne peut plus prendre de rendez-vous, il faut attendre... Mon fils ayant fait une nouvelle demande de mise en liberté, elle lui a été refusée pour plusieurs motifs et il a été noté que sa mère avait tenté de détourner les règlements de la prison. Cela n’avait aucun sens ! Il suffisait de lire les annotations sur le livre pour le comprendre.
Une autre fois, je n’ai pas pu voir mon fils parce qu’il était chez le juge. On apprend toujours ces interdits au dernier moment, au guichet, alors qu’il suffirait d’un coup de fil pour prévenir ! Supprimer une visite à un prisonnier est inhumain mais l’annoncer au visiteur à la porte de la prison est vraiment une torture.
Proposition : ne jamais supprimer les visites, quoi qu’il arrive. Maintenir les échanges de linge et de livres.
- L’inquiétude sur les conditions de détention :
Au début de son incarcération, il m’a rassurée, il était au bâtiment jeune (moins de 21 ans), dans des conditions correctes, il pouvait faire du sport, une formation, voir le psy s’il le souhaitait... Il a même eu droit un moment à des cours d’anglais avec une étudiante bénévole du Génépi. Un vrai bol d’air pur ! Mais très vite, à la première anicroche avec un détenu qui lui avait volé son bonnet, tout est devenu infernal, plus de formation, plus d’activités, plus rien.
Il est étudiant et il n’a pas pu continuer ses études en prison. Sa fac ne faisait pas de cours par correspondance, rien n’était possible, sinon lui faire parvenir quelques livres.
Proposition : Il devrait y avoir à l’accueil des familles un psychologue pour aider les personnes à supporter la souffrance, à l’exprimer.