Proposition de recherche sur le thème :
La parenté comme lieu de solidarités
La mise en œuvre de l’entraide et des obligations
DOSSIER ADMINISTRATIF ET FINANCIER :
I - Intitulé de la recherche :
LA SOLIDARITE FAMILIALE A L’EPREUVE
DE L’INCARCERATION :
une analyse comparative.
II - Durée en mois : 18 mois
III - Financement demandé (T.T.C.) : 80 000 FF
IV - Organisme demandeur
- Intitulé : Université Paris-IV
V - Unité (laboratoire, équipe, service, etc.) devant effectuer la recherche
- Intitulé : Institut des Sciences Humaines Appliquées (ISHA)
- Adresse : 96, boulevard Raspail, 75 006 Paris.
- Téléphone : 01 44 39 89 53
- Nom, prénom du directeur : CHAZEL François
VI - Responsable scientifique de la recherche :
- Nom, Prénom : CHAZEL François
- Adresse : 96, boulevard Raspail, 75 006 Paris.
- Téléphone : 01 44 39 89 53
VII - Résumé du projet de recherche (10 lignes maximum) :
La recherche devra dégager des variables pertinentes pour expliquer la rupture des liens familiaux : la structure familiale, l’appartenance communautaire, le type de délit ou l’organisation carcérale. On étudiera comment les familles se réorganisent, y compris dans le cas où le délit a été commis au sein de la famille ou « en famille ». La question du lien amoureux sera posée notamment par rapport à l’obstacle de l’incarcération, qui peut être paradoxalement une force. On se demandera enfin dans quelle mesure l’absence de sexualité est un frein à l’épanouissement affectif des détenu(e)s et comment les personnes incarcérées et leurs conjoints surmontent les incertitudes sur l’identité sexuelle entrainées par l’incarcération.
La méthode de cette recherche consistera en des entretiens avec des détenu(e)s, ex-détenu(e)s, membres de familles de détenus en France, suivis d’une comparaison avec le Canada.
VIII - Programme des travaux (calendrier des différentes phases de la recherche) :
fév. - juin 2001 :
* note méthodologique
* enquête France 1 (personnes incarcérées et familles)
sept. 2001 :
* rapport de mi-parcours
* enquête Québec
oct. 2001 - fév. 2002 :
* enquête France 2 (suivi des personnes de l’enquête 1, sortants et anciens détenus, bénéficiaires d’U.V.F.)
juin 2002 :
* remise du rapport final
IX - Composition de l’équipe affectée au projet :
Nom, Prénom : RICORDEAU Gwénola
Qualité : doctorante
Temps consacré à la recherche : temps complet - vacataire (300 heures)
X - Renseignements financiers :
a) Personnel rémunéré sur le budget propre de la recherche :
Nature (1) de la rémunération : vacations
Durée (heures x mois) : 300 heures
Rémunération totale nette : 30 000 FF
Rémunération totale (TTC) : 35 000 FF
b) Frais de fonctionnement (en francs) :
b.1. - Missions (2 séjours)
* Rennes : 2 séjours à 300 F de train + 5 jours à 1000 F = 2600 F
* Aix-en-Provence : 2 séjours à 500 F + 5 jours à 1000 F = 3000 F
* Dijon : 2 séjours à 200 F + 5 jours à 1000 F = 2400 F
* Val-de-Reuil : 2 séjours à 200 F + 5 jours à 1000 F = 2400 F
* Montréal : 2 séjours à 2500 F + 20 jours à 7000 F = 19000 F
Total (HT) : .29 400 FF
b.2. - Petit matériel et fonctionnement : frais postaux, documentation...
Total (HT) : 2500 FF
b.3. - Frais de reprographie (Notamment rapport final sur la base de 100 exemplaires)
Total (HT) : .3 500 FF
XI - Fiche financière récapitulative :
Postes de dépenses (montants T.T.C.)
a) rémunérations et charges : 35000 F
b) frais de fonctionnement et missions : 35000 F
c) frais de gestion : 4000 F
SIGNATURE DE L’ORGANISME BENEFICIAIRE
Proposition de recherche sur le thème :
La parenté comme lieu de solidarités
La mise en œuvre de l’entraide et des obligations
PROJET DE RECHERCHE :
LA SOLIDARITE FAMILIALE A L’EPREUVE
DE L’INCARCERATION :
une analyse comparative.
« En vue de faciliter le reclassement familial des détenus à leur libération, il doit être particulièrement veillé au maintien et à l’amélioration de leurs relations avec leurs proches, pour autant que celles-ci paraissent souhaitables dans l’intérêt des uns et des autres. »
Code de Procédure Pénale, art. D. 404
Depuis les années 70, des réformes successives ont permis une normalisation de la vie en détention et le respect des droits individuels fondamentaux. Parmi ceux-ci figure le maintien des liens familiaux. Plus généralement, on a évoqué une « détotalisation », synonyme d’une ouverture de la prison sur le monde extérieur et d’un souci croissant pour que l’incarcération n’aboutisse pas à une marginalisation sociale. En fait, parallèlement au déclin de la doctrine du traitement et de la réhabilitation, triomphe l’idée d’une « détention positive » (« positive custody ») ou « détention humaine » (« humane containment »).
Etre incarcéré ne signifie pas obligatoirement, par exemple, être déchu de son autorité parentale. Les détenus ont le droit de se marier ou de divorcer. Des permissions peuvent leur être accordées pour leur permettre d’assister aux événements importants de leur famille, comme les mariages ou les enterrements. Pourtant, dans la réalité, l’incarcération est un véritable obstacle à la vie de famille, qu’il s’agisse des relations conjugales ou entre parents et enfants. Après le « choc », les acteurs doivent s’adapter à un nouveau contexte (l’absence, les visites au parloir, le courrier), qui conduit à une réorganisation des rôles de chacun.
Si l’on considère la nature et l’étendue des effets de l’emprisonnement sur les proches des détenus, on peut considérer que le principe de personnalité de la peine est violé. Pour les 80 00 à 150 000 enfants dont l’un des parents est incarcéré, les souffrances engendrées par l’absence, la stigmatisation, voire la culpabilité, sont encore largement éludées par les politiques familiales.
Face à ces difficultés, on observe en France la multiplication des initiatives associatives et privées pour aider au maintien des liens familiaux, notamment :
- structures de logement pour les familles à proximité de certaines prisons et accueil des familles à l’extérieur des prisons, avant et après les parloirs (Fédération des Associations des Maisons d’Accueil des Familles et Amis des Détenus, FRAMAFAD) ,
- prise en charge d’enfants pour les mener au parloir lorsque le parent non-incarcéré s’y refuse (Relais Enfants - Parents).
Après avoir été confrontées à la méfiance de l’Administration pénitentiaire, ces initiatives font maintenant partie du « décor pénitentiaire », et vont finalement dans la même direction que le projet de « parloirs intimes ». Dans les années 80, des expériences pilotes de « parloirs intimes » avaient été lancées dans les Centres de Détention de Casabianda et Mauzac. Mais ce processus fut interrompu en 1986. Il est de nouveau d’actualité, et d’ici fin 2001, des Unités de Vie Familiale (U.V.F.) seront expérimentées au Centre Pénitentiaire de Rennes (Iles et Vilaine) et dans les Maisons Centrales de Saint-Martin de Ré (Charente-Maritime) et de Poissy (Yvelines) pour des condanmés ne bénéficiant pas de permissions de sortie ou d’autres aménagements de peine.
Les expériences étrangères de « parloirs conjugaux » sont nombreuses : depuis 1925 au Mexique, ou plus récemment, depuis 1982 au Danemark. En Espagne, des visites non surveillées, d’une durée limitée à deux ou trois heures, se déroulent dans une pièce composée d’un lit et de sanitaires. En Moldavie, il est permis des séjours de plusieurs jours au détenu et sa famille dans un secteur de l’établissement pénitentiaire. Le Canada utilise les « visites familiales privées » qui permettent (jusqu’à une fois tous les deux mois) la rencontre (pendant 2 à 72 heures) sans surveillance, dans un pavillon ou mobil-home situé en dehors de la détention, mais sur le site pénitentiaire, des détenu(e)s avec des membres de leur famille ou avec des proches.
La prison a pour objet d’isoler le délinquant du reste de la société, mais elle peut également isoler de façon brutale et extrême. Les Quartiers de Haute Sécurité (Q.H.S.) - nom couramment employé pour les Quartiers de Sécurité Renforcée (Q.S.R.), créés par le décret du 23 mai 1975 - ont été largement dénoncés en leur temps . Depuis leur suppression en 1982, les Quartier d’Isolement (Q.I.) perpétuent ce rôle de réceptacle d’une population carcérale que l’administration pénitentiaire ne veut (et ne peut ?) pas maintenir dans le régime général. La dureté des conditions de détention est telle que, sauf prolongation décidée par le directeur régional, le maintien au Q.I. ne doit pas dépasser trois mois. L’expression de « torture blanche » semble n’être pas exagérée .
Il semble important, dans l’étude des relations familiales confrontées à l’incarcération, de prendre en considération autant des modes libéraux de détention que ces formes paroxystiques.
La problématique des liens familiaux des détenu(e)s pose de façon cruciale la question de l’essence de l’incarcération : en effet, elle oblige à distinguer l’isolement (la fonction de défense sociale) de la sanction et de la prévention de la récidive.
Le sujet de la recherche est organisé autour de quatre grands thèmes :
1- LES PROCESSUS DE (DE)SOCIALISATION CARCERALE ET SOLIDARITE FAMILIALES (PENDANT ET APRES L’INCARCERATION) :
Si des travaux ont été réalisés sur la socialisation carcérale dans les années 60 aux Etats-Unis , les sociologues se sont beaucoup moins intéressés à la période qui suit l’incarcération. Toutefois, à la suite aux recherches menées par la psychiatrie militaire sur les survivants des camps de concentration et la mise en évidence de syndromes « post-KZ » , des travaux ont été réalisés sur les effets psychopathologiques à long teme de l’emprisonnement . Ainsi, P.A. Albrecht a distingué trois groupes de « symptômes » post-détention : la stigmatisation, la modification de la personnalité et une impossibilité à répondre de façon adéquate aux différentes exigences de la vie en liberté (« Eingewohnungs schwierigkeiten »).
Mais l’approche sociologique est encore en retrait par rapport à ces travaux de psychologie. La libération est pourtant un moment propice à des analyses sociologiques. En effet, au-delà du fait qu’elle implique de réapprendre son autonomie quand pendant des années on a été assisté, déresponsabilisé dans tous les domaines, réapprendre les façons du dehors, quand pendant longtemps on a vécu les lois particulières de l’univers carcéral - réapprendre jusqu’à ouvrir les portes - , la libération signifie retrouver une place et un rôle parmi ses proches (famille et amis). Or ce rôle est d’autant plus difficle à (re)trouver que, pour beaucoup de détenus, « quelqu’un de dehors ne peut pas comprendre ce que veut dire être en prison pendant des années ».
Cette première perspective serait donc de se demander dans quelle mesure on peut parler, à propos de la famille et de la prison, de deux univers « inconciliables ». Au-delà des traumatismes individuels (le viol de l’intimité, la perte de l’estime de soi... ou le fait pour les femmes d’être appelées par leur nom de jeune fille et donc niées comme « épouses »), il y aurait plus fondamentalement une impossibilité à concilier deux identités et deux appartenances. Le proverbe : « paroles de prison, paroles bidon » dit bien plus que la difficulté à maintenir, une fois libéré, la relation avec les « amis de l’intérieur », alors que l’amitié a pû être vécue authentiquement.
2- EXPLIQUER LA RUPTURE / LE MAINTIEN DES LIENS FAMILIAUX :
Loin des déclarations politiques en faveur du maintien des liens familiaux des personnes incarcérées, pour beaucoup de proches de détenus, « le parloir, c’est l’épreuve ». Même si le decret du 26 janvier 1983 a généralisé à tous les établissements les parloirs « sans dispositifs de séparation » qui existaient depuis 1975 en centre de détention, dans beaucoup de prisons, les gestes trop évocateurs sont interdits et, dans tous les cas, surveillés. En fait, l’emprise de la prison sur l’intimité du détenu est partout. Les détenus sont autorisés à conserver des photographies de famille , mais leur cellule est régulièrement fouillée. Si le caractère systématique de la censure s’est officiellement transformé en une simple possibilité de contrôle , ils ne peuvent savoir de façon certaine si un courrier a été lu ou non.
A l’initiative de la FARAPEJ, une enquête sur les conséquences de l’incarcération sur la vie quotidienne des familles a été menée par le CREDOC . Les détenus recevraient en moyenne 1200F par mois. Pour la moitié des familles interrogées, une visite revient à environ 50F mais pour 20% d’entre elles, le coût d’une visite se situe entre 200 et 1000F.
Ce coût s’explique notamment par la situation géographique des lieux d’incarcération : politique de dispersion dans certaines affaires (notamment terrorisme corse et basque), orientation pénitentiaire des détenus (avec le passage obligatoire à Fresnes pour les plus lourdes peines), hospitalisation à l’établissement hospitalier de Fresnes... et plus généralement, la distance des prisons des centres villes. Actuellement, pour se rendre dans certaines prisons , il faut prendre un taxi. Mais cette situation risque de se généraliser, car les terrains choisis pour construire (ou reconstruire) de nouvelles prisons se situent souvent à l’extérieur des villes, sans accès par les transports en commun .
Deux mesures récentes vont dans le sens d’une prise en compte de la question du maintien des liens familiaux :
- les femmes détenues, enceintes ou avec leur enfant, se voient reconnaître un droit à l’allocation de parent isolé (API) ;
- la loi du 15 juin 2000 , renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, prévoit qu’une libération conditionnelle peut être accordée à tout condamné - hors personnes responsables d’un crime ou d’un délit commis sur un mineur - à une peine privative de liberté inférieure ou égale à quatre ans, ou pour laquelle la durée de la peine restant à subir est inférieure ou égale à quatre ans, « lorsque ce condamné exerce l’autorité parentale sur un enfant de moins de dix ans ayant chez ce parent sa résidence habituelle ». Toutefois, la politique pénitentiaire est plutôt timide en faveur du maintien des relations familiales des personnes incarcérées, comme le montre l’arlésienne des parloirs sexuels. Le milieu associatif est plus actif. Des expériences nées dans les années 80 sont devenues des « institutions » . Plus récemement, et fortement liées à une mobilisation autour de l’immigration et de l’intégration, certains structures militantes ont investi cette question.
Plusieurs travaux nord-américains ont montré la corrélation entre liens familiaux et moindre récidive. Ainsi, suite au programme mené par le Department of Correctional Services de l’Etat de New York, intitulé « Family Reunion Program » (FRP), qui permettait des visites familiales et/ou sexuelles de 48 heures, les auteurs ont noté une incitation au bon comportement et une moindre récidive . D’une façon générale, on constate une différence significative dans le taux de récidive des détenus qui ont des visites régulières des membres de leur famille , différence qui peut être expliquée par le « rôle inhibateur de la récidive des relations familiales fortes » .
Certaines communautés, comme les gitans ou les maghrébins, semblent soucieuses de maintenir les liens familiaux en cas d’incarcération. Mais peut-être est-ce surtout la nature du délit des personnes incarcérées qui explique ce maintien des liens familiaux (terrorisme basque ou corse, a contrario, crimes sexuels). Il est donc peut être à démontrer que la durée de la peine et le système carcéral jouent à la marge dans l’explication de la rupture ou du maintien des liens familiaux. Le but de cette première analyse sera donc de dégager la variable la plus pertinente pour expliquer la rupture (ou le maintien) des liens familiaux : la structure familiale (nombre d’enfants), l’appartenance communautaire, le type de délit ou l’organisation carcérale ? On répondra donc incidemment à trois autres questions : pourquoi l’initiative de la rupture revient-elle aussi souvent à la personne incarcérée ? pourquoi les hommes sont-ils plus soutenus que les femmes ? pourquoi les épouses soutiennent plus leur mari que l’inverse ?
3- LA REORGANISATION DES ROLES FAMILIAUX (PENDANT ET APRES L’INCARCERATION) :
Certaines images, comme celle du quartier des nourrices à Fleury, font écran à la connaissance des pratiques pénitentiaires touchant la maternité. En effet, beaucoup de prisons ne sont pas prêtes à accueillir des femmes enceintes, et encore moins des nourrissons. Pourtant, le Code de Procédure Pénale autorise les mères à garder leur enfant jusqu’à ce que celui-ci atteigne 18 mois. Il faudra donc s’interroger sur les conditions carcérales des mères et de leurs enfants, notamment au regard d’expériences étrangères.
Selon le CREDOC , la moitié des personnes interrogées (parents et conjoints de détenus) ont le sentiment d’avoir été mis à l’écart par des proches, et 42% n’ont pas avoué à des personnes de leur entourage que leur enfant ou leur conjoint était incarcéré. D’une façon générale, les familles évoquent la honte, le rejet, l’isolement et la suspicion des autres. Beaucoup de familles déménagent pour échapper au jugement des voisins, en particulier dans les petites villes .
Incontestablement, l’incarcération d’un des membres de la famille bouleverse son organisation antérieure. La désapprobation ou l’absence de soutien peut entrainer des séparations, notamment lorsque la belle-famille rejete la responsabilité sur la femme . D’ailleurs, l’incarcération peut être un moyen pour la famille (en particulier la mère) de récupérer l’enfant.
D’une façon générale, l’incarcération met en lumière ce qui, pour la personne incarcérée, fait sens dans ses relations familiales : « que je sois là, ce n’est pas grave, ce que je ne supporte pas, c’est que ma mère souffre à cause de moi », « je m’attendais à ce qu’ils me lachent... »
La place évidente de la prison dans cette nouvelle organisation familiale s’explique par le phénomène mis en lumière par A.M. Marchetti : l’identité de reclus tend à gommer toutes les autres identités, celles de père, d’époux...
Cette approche permettra d’éclairer comment les détenu(e)s sont associé(e)s aux événements familiaux (naissances, décès, mariages) et comment ils ou elles réussissent à garder leur autorité et leur rôle éducatif sur leur enfant. On notera en particulier ce que disent les parents de la prison et des motifs de l’incarcération aux enfants.
Il s’agit également d’étudier le mode de réorganisation des familles selon le sexe du parent incarcéré et lorsque le délit a été commis au sein de la famille (coups et blessures, omicide, viol, inceste...) ou « en famille ».
4- LE COUPLE, LA FIDELITE ET L’EPREUVE DE LA SEPARATION :
Selon l’enquête de l’INSEE , 43% des détenus déclarent vivre en couple, alors qu’un couple sur dix rompt pendant le premier mois d’incarcération, sans que l’on sache si les ruptures d’union poussent à des comportements délictueux ou si ce sont ces comportements délictueux qui sont à l’origine de la rupture et de l’incarcération.
Paradoxalement, beaucoup de couples rompent alors que les conditions de détention deviennent plus simples (par exemple, en Centrale, les parloirs peuvent durer deux heures) ou même, après avoir tenu des années, lors de la libération du détenu(e). Dans cette perspective, on analysera les motivations de se marier des couples dont l’un des partenaires est condamné à une longue peine, voire lorsque les deux sont incarcérés.
On se demandera pourquoi l’initiative de la rupture revient souvent à la personne incarcérée et dans quelle mesure la fidélité des femmes à leurs compagnons incarcérés peut s’expliquer par leur choix d’être « femme de bandit » avant d’être « la femme de... ».
On sera attentif aux comportements de « mortifications » et aux récits de la détention du partenaire comme une épreuve qui permet de faire émerger une évidence : « notre relation est plus forte que celle des autres ». Mais est-ce une conséquence de l’épreuve subie ou l’épreuve est-elle un signe de cette force ?
La dimension sexuelle ne doit pas être éludée, car la solidarité du couple a bien comme enjeu la fidélité. Selon l’enquête réalisée par le GENEPI , 26.5% des français pensent que « les détenus condamnés sont autorisés à avoir des relaions sexuelles avec leur femme ». Faut-il rappeler qu’ils se trompent ? Toutefois, aucun texte n’interdit les relations sexuelles en prison. Mais celles-ci peuvent être réprimées sur la base des articles D. 249-2 et D. 408 du C.P.P. qui prévoit que le fait « d’imposer à la vue d’autrui des actes obscènes ou susceptibles d’offenser la pudeur » est passible de 30 jours de mitard.
La sexualité existe dans les parloirs, mais elle n’est pas soumise à un régime uniforme dans toutes les prisons françaises : sévérité à la Maison Centrale de Moulins, relative indifférence au Centre pénitentiaire de Claivaux et à la Maison Centrale de Saint Maur, mais les relations sexuelles sont signalées et stoppées au Centre de Détention de Caen et elles sont sanctionnées au Centre de Détention de Val-de-Reuil.
La sexualité des personnes incarcérées reste un tabou, malgré certains témoignages et la multiplication des travaux qui la prennent en compte . Elle fait pourtant encore peu l’objet de travaux spécifiques, alors que des aménagements de type « parlois intimes » sont mis en place dans plusieurs pays et envisagés en France. D’ailleurs, la seule statistique sur la sexualité en prison reflète bien les préjugés qu’on en a : elle révèle que sur 421 détenus interrogés, 21% reconnaissent avoir eu des relations homosexuelles pendant leur incarcération, et que, parmi les 81% de détenus qui ont des parloirs avec une épouse ou une concubine, 35% d’entre eux disent être passés à l’acte sexuel.
D’une façon générale, l’absence de sexualité (la « castration pénitentiaire ») est un frein à l’épanouissement affectif des détenu(e)s. Si d’une façon générale, la sexualité des détenus n’est pas développée, on peut parle d’une vraie occultation en ce qui concerne la sexualité féminine
D’après J.G. Petit , au début des grandes centrales, « la promiscuité des pauvres [...] paraît nécéssaire pour la rentabilité ». La moralisation ne vient qu’avec la Monarchie de Juillet. Déjà au XIXème siècle, certains auteurs s’interrpgeaient sur le bien fondé de l’interdiction de relations sexuelles aux détenus. Ainsi, Giraud proposait des cabanons à disposition des détenus deux fois par semaine pour des relations hétérosexuelles avec le conjoint libre ou après le mariage, entre détenus. E. Despez proposait à peu près la même solution .
Plus récemment, on retrouve la proposition de parloirs intimes dans le rapport Bonnemaison de 1989 et le rapport du Ministère de la Justice de 1992 . Le Comité européen pour la prévention de la torture, qui avait visité les établissements français du 27 octobre au 8 novembre 1991 considérait que l’instauration de parloirs intimes était souhaitable notamment en établissement pour peines. En fait, on peut parler d’une ambiguité fondamentale de la politique pénitentiaire : deux prisons sont d’ores et déjà équipées (Mauzac et le Centre agricole de Casabianda) et des préservatifs sont à la disposition des détenus
Lorsqu’on évoque la sexualité en prison, on évoque immédiatement : une évacuation des rapports masculin-féminin au profit de mises en scène fantasmamatiques, l’expression de « maison des hommes », inspirée de Godelier , mais dont on trouve des analyses similaires aux Etats-Unis et le débat alimenté par Welzer Lang sur « l’hypothèse sexologique », c’est à dire l’idée que l’homosexualité serait une sexualité de subsitution. Ces thèmes doivent être le départ de notre reflexion. Mais on sera particulièrement attentif à mettre en evidence l’enjeu de la sexualité sur le lien familial. On se demandera notamment si, d’une façon générale, on ne risque pas d’assister à la transformation de permissions de sortir par des permission d’entrer.
On se demandera donc dans quelle mesure l’absence de sexualité est un frein à l’épanouissement affectif des détenu(e)s et si les aménagements de type « parloirs intimes » règlent plus les problèmes affectifs que sexuels.
METHODOLOGIE :
Le principe de ce travail de recherche serait de mener une enquête approfondie en France en interrogeant des personnes incarcérées, des familles et des anciens détenus, et de procéder à une comparaison avec une situation étrangère pertinente : le Quebec.
On peut prévoir une centaine d’entretiens, avec des détenu(e)s, des membres des familles de détenu(e)s et des anciens détenu(e)s (en libération conditionnelle, encore dans des structures d’accueil de sortants, totalement réinsérés, sous contrôle judiciaire après une détention préventive ou en chantier extérieur). Si l’Administration Pénitentiaire le permet, on interrogera également des détenus qui bénéficieront de l’expérimentation des U.V.F. Il est important de prendre autant en compte les hommes que les femmes, même si celles-ci ne représentent qu’un dixième de la population carcérale. Il sera notamment essentiel d’interroger des femmes qui ont vécu ou vivent la maternité (de la grossesse au premiers mois avec le bébé) en prison.
Les entretiens auront lieu en prison, dans des structures d’accueil de famille (de jour et de nuit), dans des structures d’accueil de sortants de prison ou au domicile des personnes (familles de détenus, anciens détenus).
On interrogera, dans la mesure du possible, des membres d’une même famille : détenu, conjoint, parent. Il serait également intéressant de suivre quelques détenus et leur famille, notamment après leur libération ou leur transfert en Centrale ou Centre de détention. D’où l’organisation de l’enquête en France en deux temps, à un an d’écart.
D’une façon générale, on prendra en compte pour la construction de l’échantillon de la durée de la peine, du moment dans l’incarcération, du motif de l’incarcération et du type d’établissement pénitentiaire (en région parisienne et en province). Ces variables ne sont pas totalement indépendantes : un détenu en Maison d’arrêt aura été condamné à une courte peine, alors qu’en Centrale, on trouve des criminels condamnés à de lourdes peines, et qui ont obligatoirement passé déjà plusieurs années en prison...
L’enquête au Quebec devra privilégier des entretiens avec des personnes bénéficiant des aménagements, comme les parloirs-famille de plusieurs jours, ou les permissions fréquentes. Le but sera en effet de saisir les différences dans le maintien des liens et leur organisation, en France et au Québec.
1. CALENDRIER :
fév. - juin 2001 : note méthodologique
enquête France 1 (personnes incarcérées et familles)
sept. 2001 : rapport de mi-parcours.
enquête Québec
oct. 2001 - fév. 2002 : enquête France 2 (suivi des personnes de l’enquête 1, sortants et anciens détenus, bénéficiaires d’U.V.F.)
juin 2002 remise du rapport final
LA SOLIDARITE FAMILIALE A L’EPREUVE
DE L’INCARCERATION :
une analyse comparative.
RESUME :
Depuis les années 70, on a évoqué une « détotalisation », synonyme d’une ouverture de la prison sur le monde extérieur et d’un souci croissant pour que l’incarcération n’aboutisse pas à une marginalisation sociale. Pourtant, les relations familiales et les dimensions affectives et sexuelles qui y sont rattachés sont négligées par les politiques, comme par les travaux sociologiques.
On analysera dans quelle mesure la socialisation carcérale est compatible avec le maintien des liens familiaux et si on peut comparer la (dé)socialisation carcérale et la resocialisation de la libération. Il s’agit de se demander si la solidarité familiale peut résister à une identité incarcérée.
Cette question permettra d’avancer dans l’explication d’un phénomène connu : les hommes sont plus soutenus que les femmes et les mères soutiennent plus leurs enfants détenus que les pères. On devra donc dégager quelle est la variable pertinente pour expliquer la rupture (ou le maintien) des liens familiaux : la structure familiale, l’appartenance communautaire, le type de délit ou l’organisation carcérale. Nous faisons l’hypothèse que cette variable permettra également d’expliquer le mode de réorganisation des familles, y compris dans le cas où le délit a été commis au sein de la famille ou « en famille ».
La question du lien amoureux sera posée notamment par rapport à l’obstacle de l’incarcération, qui peut être paradoxalement une force. Il faudra analyser dans quelle mesure la fidélité des femmes à leurs compagnons incarcérés peut s’expliquer par leur choix d’être « femme de bandit » avant d’être « la femme de... ». On se demandera enfin dans quelle mesure l’absence de sexualité est un frein à l’épanouissement affectif des détenu(e)s et comment les personnes incarcérées et leurs conjoints surmontent les incertitudes sur l’identité sexuelle entrainées par l’incarcération pour les deux partenaires.
La méthode retenue pour cette recherche consistera en des entretiens approfondis avec des détenu(e)s, ex-détenu(e)s, membres de familles de détenus en France, suivis d’une comparaison avec une situation étrangère pertinente : le Canada, où des entretiens avec des personnes bénéficiant des aménagements spécifiques de ce pays seront privilégiés.
Gwénola RICORDEAU 24 ans - célibataire
84, rue de la Folie-Méricourt,
75011 Paris
Tél. : 01 43 55 97 07
Mail : ricordeaugwen@aol.com
FORMATION :
2000 - ... : Doctorat de Sciences Sociales (Université Paris - IV).
Thèse sous la direction de F. CHAZEL : « Les relations affectives à l’epreuve de l’incarcération : une analyse comparative ».
Monitorat de sociologie en première année de Deug de Philosophie.
1999 - 2000 : Diplôme d’Etudes Approfondies de Sciences Sociales (Université Paris - IV), mention Très Bien.
Mémoire sous la direction de F. CHAZEL : « Détenus et visiteurs de prison : analyse d’une relation carcérale à la Maison d’Arrêt de Fresnes ».
Mémoire secondaire sous la direction de R. BOUDON : « Comprendre la délinquance : les "bonnes raisons" du délinquant ».
1998 - 1999 : Maîtrise de Sciences Sociales (Université Paris - IV), mention Bien.
Mémoire sous la direction de F. CHAZEL : « Pourquoi cassent-ils ? Une analyse sociologique des motivations et explications des casseurs ».
1996 - 1997 : D.E.U.G de philosophie (Université Paris - I).
1997 : Diplôme de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (section Recherche et enseignement), mention lauréate.
1994 : Baccalauréat, mention Bien.
BENEVOLAT :
1999 - ... : visiteuse au Centre Pénitentiaire de Fresnes.
1998 - 1999 : bénévole à l’Accueil des Familles de Fresnes.