Les débats politiques sont toujours plus nombreux en période de campagne électorale et les prochaines élections présidentielles n’échappent évidemment pas à la règle. Ces périodes de discussions politiques sont non seulement une occasion pour les candidat(e)s de présenter et de défendre leur programme, mais aussi une opportunité pour les citoyen(ne)s de questionner directement les éventuels futurs responsables politiques. Même si, pour des raisons bien compréhensibles, les conséquences sociales, économiques et financières de la crise semblent au coeur de nombres d’enjeux, cela ne doit pas occulter les autres questions, au risque d’hypothéquer l’avenir. L’avenir de la société se joue aujourd’hui et, de ce point de vue, les questions liées à la politique pénale et à la politique pénitentiaire ne sont pas en reste.
En matière pénale, ces dernières années, de nombreuses lois ont été votées, dont certaines avant même que la précédente ait pu être mise en application et évaluée (la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, la loi du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale). Trop souvent, des faits divers ont été des prétextes pour orienter la politique pénale. Ces fais divers, d’une extrême gravité, sont rarissimes et la politique pénale ne peut être pensée et construite autour de quelques cas. En outre, la souffrance (parfois insondable) des victimes ne peut être instrumentalisée, au bénéfice d’une politique pénale de plus en plus répressive. Ainsi, la possibilité pour l’avocat de la partie civile de présenter ses observations devant les juridictions de l’application des peines lors de l’examen d’une demande de libération conditionnelle, concerne désormais de nombreuses situations. Cela conduit parfois à bloquer une possibilité d’aménagement de peine, alors même que tout semble réuni pour octroyer l’aménagement sollicité. Cela est d’autant plus regrettable qu’une fin de peine aménagée donne de meilleurs résultats du point de vue de la réintégration dans la société qu’une "sortie sèche" (c’est-à-dire une sortie au terme de la peine, sans aucun aménagement). Il serait donc plus pertinent de favoriser les aménagements de peine plutôt que de les restreindre (ce qui n’a rien d’incompatible avec le respect dû aux victimes). En juin 2003 déjà, lors d’une séance plénière, le Comité européen pour les problèmes criminels rappelle que "la libération conditionnelle est une des mesures les plus efficaces et les plus constructives pour prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société". Quel(le) candidat(e) peut aujourd’hui s’engager à mettre en œuvre une politique volontaire dans le domaine des aménagements de peine, avec des objectifs précis et des moyens associés ?
En matière pénitentiaire, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, tant attendue, a largement déçu. Elle a parfois donné l’impression d’être surtout une loi pour répondre aux problèmes d’incarcération massive (liée notamment à la mise en oeuvre des "peines planchers" et au recours effectif à la privation de liberté comme peine de référence). Cette loi n’a rien d’ambitieux ; le chapitre des dispositions relatives aux droits et devoirs des personnes détenues (titre premier, chapitre 3) n’apporte aucune grande avancée.
Par exemple, l’article 36 stipule que "les unités de vie familiale ou les parloirs familiaux implantés au sein des établissements pénitentiaires peuvent accueillir toute personne détenue. Toute personne détenue peut bénéficier à sa demande d’au moins une visite trimestrielle dans une unité de vie familiale ou un parloir familial, dont la durée est fixée en tenant compte de l’éloignement du visiteur. Pour les prévenus, ce droit s’exerce sous réserve de l’accord de l’autorité judiciaire compétente". Mais, le nombre d’établissements dotés d’UVF est dérisoire (10 établissements sur 191, dont seulement 1 établissement parmi ceux accueillant des femmes). Quant aux parloirs familiaux, ils n’existent que dans une dizaine d’établissements et ils sont conçus pour une durée de six heures au plus, au cours de la partie diurne de la journée (article R57-8-14 du code de procédure pénale). La loi aurait dû aller au-delà en imposant la construction d’unités de vie familiale dans tous les établissements, anciens ou nouveaux. (A ce propos, les 3 premiers établissements qui ont accueillis les unités expérimentales de vie familiale étaient d’anciens établissements, ce qui montre la faisabilité de telles implantations). Le maintien des liens familiaux est un facteur important de la préparation à la sortie ; en outre, les proches n’ont pas à subir les conséquences de la privation du lien familial (en particulier le lien parent-enfant).
Concernant l’accès à l’informatique, la loi pénitentiaire n’a pas non plus permis d’avancée particulière. Tant et si bien que le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), dans un avis du 20 juin 2011, écrit que les dispositions résultants de la circulaire du 9 avril 2009 du directeur de l’administration pénitentiaire, "reçoivent des applications très sensiblement différentes d’un lieu de détention à l’autre". Il note également que "ce ne sont pas des considérations liées aux nécessités de l’ordre ou à l’intérêt des personnes qui président aux restrictions, mais l’insuffisance des instruments de contrôle de l’administration". Pourtant, l’accès à l’informatique jour un rôle important, notamment pour l’intégration future dans le monde du travail.
Dans le domaine de l’accès au travail, la loi pénitentiaire, qui, lors des travaux préparatoires, avait un temps laissé espérer l’établissement d’un contrat de travail pour les personnes incarcérées ayant une activité professionnelle, a déçu. Elle n’a conduit qu’à une forme dégradée de contrat : l’acte d’engagement (article 33 de la loi pénitentiaire), ne permettant toujours pas l’application du droit du travail pour les personnes incarcérées.
Ces 3 exemples (le maintien des liens familiaux, l’accès à l’informatique et l’accès au travail) montrent à quel point le chemin à parcourir est long, pour accorder réellement des droits aux personnes incarcérées. Quel(le) candidat(e) est aujourd’hui prêt à affirmer que les droits et devoirs des personnes incarcérées doivent réellement exister afin que la prison soit véritablement synonyme de privation de la liberté d’aller et de venir et de rien d’autre ?
En refusant d’engager des réformes pénales et pénitentiaires ambitieuses, les responsables politiques affichent de fait un mépris pour les personnes condamnées et aussi pour tous les citoyens, parce que les personnes incarcérées sortiront un jour et il est donc de l’intérêt général que la sortie ait été réellement préparée. La relégation, sans garantie véritable de droits, de celles et de ceux qui ont commis une infraction est encore trop souvent considérée comme le meilleur remède. Même si le crime peut parfois sembler trop grave pour être intelligible, la personne elle-même peut être comprise, aussi inconcevable que cela puisse paraître, et elle est susceptible d’évoluer. Sinon on repousse symboliquement une part de sa propre humanité, sa part sombre, sa part maudite. On se projetterait alors dans une société prête à se couper de certains des individus qui la composent, c’est-à-dire une société qui reviendrait à une époque, heureusement révolue, où l’élimination était monnaie courante. Les prochaines élections sont une occasion pour les candidats de se positionner clairement sur ces questions et de prendre des engagements.
La rédaction de Ban Public
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Février 2012