Suite à une lettre de mission du Premier Ministre
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SYNTHESE DU RAPPORT DE J.L. WARSMANN
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Méthode de travail
La mission confiée le 18 novembre dernier par le Premier Ministre à Jean-Luc WARSMANN, Député des Ardennes et Vice-Président de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, porte sur les points suivants : les peines alternatives à la détention, les courtes peines de prison et la préparation des détenus à la sortie de prison.
Ces cinq derniers mois, Jean-Luc WARSMANN a entrepris un très large travail d’écoute de tous les acteurs du monde judiciaire, afin de détailler le fonctionnement de la chaîne pénale. Il a procédé à plus de 70 auditions et a analysé la situation concrète sur le terrain au travers de 25 déplacements, tant dans des juridictions que dans des établissements pénitentiaires.
Il a également rassemblé des éléments sur l’expérience de différents pays étrangers et a approfondi au travers de deux voyages l’organisation pénale du Canada et de la Suisse.
Le rapport présenté par Jean-Luc WARSMANN est le résultat de cette démarche. Outre des analyses sur la situation actuelle des systèmes judiciaire et pénitentiaire français, il contient 87 propositions concrètes, articulées autour d’un constat général et de trois priorités d’action.
UN CONSTAT GENERAL : LE SCANDALE DE L’EXECUTION DES SANCTIONS PENALES EN FRANCE.
Des exemples rencontrés dès le début de la mission :
- Une condamnation à un Travail d’Intérêt Général non-exécutée douze mois plus tard.
- Une peine de quatre mois de prison ferme non-exécutée deux années plus tard (cf. pages 20 et 21 et annexe du rapport).
Dans les tribunaux, l’informatique n’a toujours pas dominé le papier.
Dans les tribunaux, l’audience est toujours considérée comme le moment phare du procès. Or, entre le prononcé de la condamnation et son exécution, il se passe un délai d’attente en moyenne de sept mois dans chaque tribunal :
- afin que les jugements soient frappés.
- afin que des bordereaux soient manuellement constitués pour informer les services qui exécutent la peine (exemple : le Trésor public pour les amendes).
- Des retards qui rendent la justice aveugle.
Un exemple constaté au cours de la mission :
Un délinquant poursuivi pour vol dans une gare parisienne déclare au magistrat qu’il a été déjà été condamné à un mois ferme pour vol. Le magistrat l’ignorait (cf. page 11 du rapport).
Tant que le jugement n’est pas transmis au Casier Judiciaire National, aucun magistrat ne connaîtra les antécédents d’un prévenu durant cette période. Le retard moyen est de 7,4 mois dans les tribunaux correctionnels (cf. pages 12 à 16 du rapport : les moyennes nationales et les statistiques par tribunal).
Ce retard s’est aggravé ces dernières années.
- Des retards qui ôtent l’essentiel de leur sens aux sanctions pénales.
6 à 12 mois après une condamnation, de nombreuses personnes ont déménagé ; d’où la nécessité de lancer des enquêtes de police pour tenter de les retrouver afin d’exécuter les jugements.
6 à 12 mois après le jugement, la situation du condamné a pu changer. Exemple : le TIG est inapplicable parce que le condamné a retrouvé du travail…
Pire, ces retards font perdre de l’efficacité à la politique de sécurité de l’Etat : interpeller un prévenu, le juger, puis ne pas pouvoir exécuter le jugement constitue un gâchis et un encouragement à la récidive.
UNE PREMIERE PRIORITE : REDONNER DE LA CREDIBILITE ET DE L’EFFECTIVITE AUX SANCTIONS NON-PRIVATIVES DE LIBERTE.
- Appliquer en temps réel les décisions de justice.
La redéfinition du contenu de l’audience pénale, figée depuis si longtemps, doit permettre dès l’audience de mettre en application les décisions de justice, sous la seule réserve du délai d’appel de dix jours :
- Edition d’un titre permettant de payer l’amende avec comme incitation au paiement spontané en 3 jours une réduction de 30%.
- Convocation remise immédiatement auprès du service chargé de mettre en place le Travail d’Intérêt Général ou le sursis avec mise à l’épreuve …
Un plan d’urgence sur 18 mois renforçant les greffes des tribunaux, y compris par des moyens exceptionnels, entraînerait la généralisation de ce nouveau fonctionnement d’ici le 1er janvier 2005.
- Sanctionner les manquements à l’exécution des mesures non-privatives de liberté.
Aujourd’hui, si les conditions d’un sursis avec mise à l’épreuve ne sont pas respectées, cela signifie : un rapport du conseiller de probation, puis une ordonnance du juge de l’application des peines, puis 3 à 6 mois plus tard, une audience devant le tribunal correctionnel.
Pour crédibiliser toutes ces mesures, la sanction de leur irrespect serait simplifiée en la confiant au juge de l’application des peines.
- Les mesures non-privatives ayant retrouvé rapidité d’exécution et crédibilité pourraient se développer.
Aujourd’hui la tendance est inverse. Il est incontestable que des magistrats se détournent de ces mesures, n’ayant plus confiance dans leur application.
Exemple : le Travail d’Intérêt Général : en 2001, 18 000 TIG ont été prononcés, soit 25% de baisse sur cinq ans.
Ces mesures alternatives pourraient être complétées avec le suivi par le condamné de programmes adaptés de lutte contre la récidive.
Exemple : les stages qui existent déjà aujourd’hui en cas d’infraction routière.
DEUXIEME PRIORITE : EXECUTER LES COURTES PEINES DE PRISON DE MANIERE JUSTE ET ADAPTEE.
Les courtes peines de prison peuvent être nécessaires dans plusieurs situations : lorsqu’aucune autre sanction ne suffit à protéger la victime ou à éviter la réitération immédiate des faits, lorsqu’il s’agit d’infractions graves ou lorsque les mesures alternatives ont échoué.
La vraie question est d’en définir la modalité d’exécution la plus adaptée permettant le meilleur accompagnement du condamné à sa sortie de prison de façon à diminuer la récidive.
- L’exécution actuelle des courtes peines est aléatoire et souvent inefficace :
Elle est aléatoire pour au moins trois raisons :
- Suivant le retard du tribunal dans l’exécution de ses décisions, elle pourra être retardée de quelques mois à quelques années.
- A chaque 14 juillet, le condamné non-incarcéré voit sa peine diminuée de deux mois, les condamnés à quatre mois fermes n’exécutant pas leur peine dans un tribunal encombré.
- La durée de la peine effectuée, pour une même peine prononcée, varie suivant la date d’incarcération dans l’année.
Quel est l’effet dissuasif d’une peine exécutée tardivement ?
Quel est l’impact d’une peine appliquée alors que la situation de l’individu a changé ?
Notre fonctionnement actuel entraîne impunité et injustice.
- Aujourd’hui, la quasi-totalité des courtes peines sont exécutées en maison d’arrêt.
C’est une situation absurde
Ramenée au traitement des malades, cela signifierait que tout malade consultant son médecin serait hospitalisé. En quelques mois, le système hospitalier aurait explosé.
Il est possible de soigner à domicile, voire d’hospitaliser à domicile.
La maison d’arrêt est la bonne réponse pour les individus dangereux, car elle remplit sa fonction de mise à l’écart.
Mais pour tous les autres, elle n’est pas la solution adaptée : elle méconnaît la valeur du travail et fait perdre son emploi à celui qui en avait un ; elle n’offre que peu d’activités et signifie souvent l’oisiveté pour les détenus dans des conditions peu idéales.
De plus, elle ne garantit pas les intérêts de la société en ne permettant pas de lutter contre la récidive par une préparation de la sortie.
Enfin, la maison d’arrêt est la forme la plus coûteuse de détention : environ 60 euros par jours. La semi-liberté coûte de 20 à 30 euros par jours. Le placement sous surveillance électronique dans la phase actuelle de lancement coûte 22 euros par jour.
Incarcérer un condamné en maison d’arrêt, c’est dépenser beaucoup d’argent pour l’isoler et pour le plus souvent le condamner à l’inactivité.
- Transformer les courtes peines en sanctions adaptées et rapidement exécutées.
L’enjeu est de faire exécuter les décisions pénales sans délai, ni faiblesse, tout en utilisant le temps de la sanction pour rendre le condamné plus inséré dans le travail et la vie professionnelle.
Le condamné qui n’a jamais abordé de manière responsable sa formation doit être incité à utiliser le temps de sa peine pour se rapprocher du monde du travail.
Dès la condamnation et par une décision du tribunal lui-même, ou très rapidement grâce à une décision du juge de l’application des peines, la modalité d’exécution de chaque courte peine serait établie : maison d’arrêt, centre de semi-liberté (d’où la demande d’un plan de réalisation de 5 000 places de semi-liberté), placement extérieur ou sous surveillance électronique (la possibilité de surveillance électronique sera offerte sur tout le territoire à compter de 2005 avec 3000 places effectives).
TROISIEME PRIORITE : REDUIRE LE NOMBRE DE SORTIES SECHES DE PRISON POUR LUTTER CONTRE LA RECIDIVE.
Un condamne libéré au matin de l’établissement pénitentiaire ou il achevait de purger sa peine, qui se retrouve seul, ou qui n’a pas d’autres attaches que des relations construites au fil de ses anciennes activités délinquantes ….
Tel est le scénario le pire en matière de lutte contre la récidive.
Est-il fréquent ?
- Les sorties sèches de prison n’ont jamais été aussi nombreuses.
Tous les dispositifs d’aménagement de peine pour éviter les sorties sèches sont en chute alors que le nombre de détenus atteint des records.
5056 libérations conditionnelles en 2002, soit une baisse de 14% en un an et un minimum historique atteint.
2550 placements extérieurs en 2002, soit un minimum historique là encore (800 de moins qu’en 2000).
Pour éviter une flambée de délinquance dans les prochaines années, il est indispensable de repenser notre système d’exécution des peines de prison.
- Etablir un calendrier d’exécution de chaque peine clair et juste.
Un détenu, qui entre en détention aujourd’hui, ne connaît pas la date de la fin de sa peine, qui varie au fil des décrets de grâce et des réductions de peine.
Sa date exacte de libération conditionnelle n’est elle-même pas connue.
Une simplification est nécessaire : connaître la fin de peine précisément, c’est pouvoir préparer la sortie.
Des réductions de peine récompensant les efforts de réinsertion doivent être privilégiées aux décrets de grâce touchant uniformément tous les détenus.
- Adopter dans la loi le principe d’exécution progressive de la peine.
Pour éviter au maximum les sorties sèches, les trois derniers mois d’une peine de 6 mois à 2 ans doivent pouvoir s’exécuter en semi-liberté ou par un placement, soit sous surveillance électronique, soit en chantier extérieur.
Le moyen de permettre au détenu de travailler et s’il y a lieu, d’indemniser sa victime.
Une même période de 6 mois serait prévue pour les peines de 2 à 5 ans.
Ces mesures concerneraient les peines correctionnelles et non les peines criminelles.
Cette mesure peut concerner tous les détenus, sauf évidemment ceux s’étant illustrés par leur dangerosité, leur absence de volonté de réinsertion, leur mauvais comportement en détention ou leur comportement à l’égard de la victime. Dans tous les cas, c’est le juge de l’application des peines qui a compétence pour trancher.
EN CONCLUSION :
Le rapport contient 87 propositions concrètes dont beaucoup peuvent être directement transformées en amendements législatifs, soit dans le projet de loi adaptant la justice aux évolutions de la criminalité, soit dans un projet ultérieur.