A propos des réductions de peine instituées par la Loi Perben II entrée en vigueur le 1er janvier 2005
Par une note diffusée par les services du Ministère de la justice nous présentant les nouvelles dispositions, on nous indique que grâce à leur application à compter du 1er janvier 2005, « les détenus bénéficieront de réductions de peine plus avantageuses ».
C’est absolument faux. Et nous allons nous attacher à le démontrer.
C’est un fait : l’octroi des réductions prévues aux articles 721 et 721-1 du Code de procédure pénale a été fondamentalement modifié par la loi susvisée.
Auparavant, les réductions de peine portées à ces deux articles (RP et RPS) étaient accordées par le seul JAP, après délibération de la Commission d’application des peine (le critère d’octroi étant alors seulement fondé sur celui du « comportement du condamné en détention » - les condamnés qui n’avaient pas fait l’objet de rapport d’incident, et sous réserve des cas de récidive, se voyaient ainsi tous accordé 3 + 2 mois, soit 5 mois par an, voire même 8 mois par an en cas de réussite à des examens).
A présent, à la différence de ce qui prévalait antérieurement, désormais seules les réductions de peine supplémentaires (dites RPS) prévues par l’article 721-1 in fine continueront de relever de la compétence du Juge de l’application des peines pour leur octroi, à concurrence toutefois, non de 2 mois, mais de 3 mois au plus par année de détention purgée (seulement, la durée de cette remise, outre les variations qu’elle peut à présent connaître d’année en année et d’un cas à l’autre, est conditionnée par le JAP au respect par le condamné de nouvelles obligations qui, sous couvert de la notion « d’efforts sérieux de réadaptation sociale », vise essentiellement à imposer le versement ’’volontaire’’ de sommes d’argent supplémentaires aux parties civiles en même temps qu’on s’applique par d’autres mécanismes à placer ces mêmes détenus en totale indigence au sens où, mensuellement, près de la moitié de leurs maigres avoirs leur sont désormais retirés !
Pour revenir sur les réductions de peine, en fait si hier le JAP octroyait quasi d’office aux condamnés le maximum de la durée des RPS auxquelles ils pouvaient prétendre, soit une durée de 2 mois, aujourd’hui, sur le fondement de la Loi Perben II qui l’autorise pourtant à accorder jusqu’à 3 mois de RPS, ce magistrat s’applique depuis à n’accorder en fait que 10/15 jours au plus par an aux condamnés !...
Concernant maintenant les réductions prévues à l’article 721 dudit Code dans sa rédaction actuelle, la nouvelle mesure ne relevant plus pour son octroi des attributions du JAP, le Législateur qui a radicalement modifié sa dénomination comme son mécanisme en instituant le principe du « crédit de peine » en a confié l’attribution, qui a été de facto ’’déjudiciarisé’’, à la charge de...l’administration pénitentiaire devant l’appliquer de plein droit (à présent, l’attribution dudit « crédit » relève de l’AP, celle des RPS du JAP).
Les condamnés détenus ont eu loisir de réaliser depuis la différence existant entre les anciennes et les nouvelles dispositions - comparativement : tandis que hier ils bénéficiaient de 5 mois de réduction par an, à présent ils ne bénéficient que de 2 mois et 15 jours au plus par an !
Participant de la même politique visant à rallonger l’exécution des peines, et ce bien que celles-ci soient progressivement toujours plus sévères, les continuelles restrictions portées chaque année aux Décrets de ’’grâces collectives du 14 juillet’’ tend à réduire la portée de l’ensemble des réductions de peine traditionnellement octroyées à une véritable peau de chagrin - de plus, le peu de remises de peine à présent accordées ne constitue pas un droit acquis pour le condamné libéré au sens où elles pourraient lui être en partie ou totalement retirées et aussitôt réincarcéré pour en purger le reliquat correspondant.
On le voit : avec ces nouvelles dispositions de la Loi Perben II présentées abusivement comme étant « plus avantageuses », les détenus voient en réalité divisé par deux la quotité des RP et RPS dont ils bénéficiaient antérieurement.
D’aucuns ne pourraient nier le fait que ces nouvelles dispositions sont objectivement plus sévères.
Au sens où elles concernent le régime et les modalités d’exécution des peines, on doit leur opposer, outre les principes de la sécurité juridique et du droit acquis, les principes de non-rétroactivité des lois nouvelles plus sévères et de rétroactivité des lois plus douces.
Sur ces derniers principes, il suffit de se reporter au Code pénal, notamment à l’article 112-2. 3° qui dispose expressément que si les lois relatives au ’’régime d’exécution et d’application des peines’’ sont d’application immédiate que « toutefois, ces lois, lorsqu’elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées (...) par la décision de condamnation, ne sont applicables qu’aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur ».
Partant de cette constatation irréfragable selon laquelle « les lois relatives au régime d’exécution et d’application des peines, lorsqu’elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation, ne sont applicables qu’aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur », il se déduit obligatoirement en la matière que toute loi postérieure plus sévère n’est pas applicable.
Pour s’en convaincre, on pourra se référer à la circulaire du 14 mai 1993 rappelant que ’’les règles nouvelles (...) ne peuvent préjudicier au condamné’’ et que la loi d’adaptation exclut quant à elle aussi tout aussi catégoriquement l’application immédiate des lois d’exécution et d’application des peines, en dérogation aux articles 112-2. 1° et 112-2. 3° du Code pénal. C’est en fait là un principe d’ordre constitutionnel consacré par ailleurs tant par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1798 que par l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Comme nous l’avons vu plus haut, il est indéniable que les nouvelles dispositions de la Loi Perben II sont à l’évidence plus sévères que les anciennes, et ce au regard même des conséquences qu’elles tendent à produire sur l’aggravation de l’allongement des peines.
Tant l’analyse des textes que le respect des principes généraux du droit, en l’occurrence celui de la non-rétroactivité de la loi nouvelle plus sévère et celui de la rétroactivité in mitius, imposent à ce que les condamnés bénéficient des dispositions plus douces régies par la loi ancienne.
S’il en est besoin, nous rappellerons encore que ce principe est corroboré par la circulaire susvisée du 14 mai 1993. Le chapitre C relatif « au régime d’exécution et d’application des peines », rappelle formellement le principe énoncé à l’article 112-2 3° du Code pénal selon lequel les dispositions nouvelles s’appliqueront, sauf : « lorsqu’elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation ».
Autant la loi pénale est d’interprétation stricte comme l’énonce l’article 111-4 du Code pénal, que les lois relatives à l’exécution des peines, comme on le voit : « ne sont applicables qu’aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur ».
Cette Circulaire énonce encore que : « la généralisation de cette solution à toutes les lois relatives à l’exécution des peines, a été adoptée contre l’avis du gouvernement (...), et que dès lors que celle-ci ne pouvait que conduire les juridictions pénales à considérer que, sauf disposition législative contraire, toute règle nouvelle tendant à restreindre le recours aux mesures d’individualisation de la peine (permission de sortir, semi-liberté, libération conditionnelle, réductions de peine, etc...), « n’est pas applicable aux condamnation prononcées pour des faits commis antérieurement à l’entrée en vigueur du Nouveau Code pénal ». Et, ce même principe vaut nécessairement pour la Loi Perben II.
Nous en venons à présent à l’information diffusée le mercredi 31 août 2005 par le ’’Canard enchaîné’’.
La question posée dans cet article concernant le quantum exact des réductions de peine devant être appliquées de droit aux personnes condamnées en vertu du nouveau principe de « crédit de peine » institué par la Loi Perben II, est aussi bien tout à fait pertinente qu’elle se déduit du texte même.
Le Législateur (Assemblée Nationale et Sénat) a modifié les dispositions de l’article 721 du CPP prévoyant la faculté pour le JAP d’accorder jusqu’à 3 mois de réduction de peine, et a institué en lieu et place un droit pour le condamné de bénéficier d’un « crédit de réduction de peine ».
Et le nouveau texte est libellé comme suit : « Chaque condamné bénéficie d’un crédit de réduction de peine calculé sur la durée de la condamnation prononcée à hauteur de trois mois pour la première année, de deux mois pour les années suivantes...et de sept jours par mois ».
En vertu du principe selon lequel la loi pénale est d’interprétation stricte (article 111-4 du CP),il ne revient à personne, et certainement pas à l’administration pénitentiaire à qui a été confié la charge d’attribuer aux condamnés détenus, conformément à ce que prévoit le texte, la totalité du quantum de crédit de réduction de peine auquel ils ont droit, sauf à violer délibérément les textes.
Aussi certain que les juges ne peuvent procéder par extension, analogie, induction et encore moins restreindre la portée d’un texte ou lui conférer des limites ou conditions qu’il ne prévoit pas, tout juge saisi verra que les nouvelles dispositions ne reprennent pas à la suite de l’expression « et sept jours par mois », la terminologie : « pour une durée d’incarcération moindre » mentionnée antérieurement à l’article 721 avant sa modification.
Dès lors, depuis le 1er janvier 2005 il incombait obligatoirement à l’administration pénitentiaire de procéder à l’octroi, au cas par cas, du « crédit de réduction de peine » revenant à chaque condamné en calculant en fonction de la durée de la peine et/ou des peines restant à purger de la manière suivante : « 3 mois pour la première année, 2 mois pour les années suivantes... et de sept jours par mois ».
C’est-à-dire qu’après avoir calculé une attribution de 3 mois de réduction pour la première année et 2 mois pour chaque année suivante, on doit en même temps dans cette opération en plus accorder...« et sept jours par mois », et ceci autant de fois qu’il y a de mois restant à purger (ex. : il reste 8 ans à purger, soit 96 mois. C’est donc 96 mois x 7 jours, soit 672 jours - près de 2 années - qui doivent être encore attribués).
Toute directive, note, circulaire ou autre instruction de quelque nature que ce soit du Ministère de la justice n’ayant aucune portée à l’effet de limiter cette nouvelle loi constitutive d’un droit absolu pour le condamné détenu, et d’une obligation pour l’administration pénitentiaire et le Ministère de la justice.
On ne s’y trompera pas, tant l’administration pénitentiaire que le Ministère de la justice rechigneront en l’espèce à appliquer la loi à la lettre aussi longtemps qu’une décision ne les y contraindra pas.
Reste à déterminer la nature de cette décision selon qu’on optera pour la voie administrative ou judiciaire.
Dans les deux cas, il est à parier (compte tenu des continuelles interventions de la Chancellerie) que le justiciable se verra contraint, s’il entend voir son droit appliqué, d’épuiser les voies de recours, c’est-à-dire d’interjeter appel puis de se pourvoir en cassation (voir même de saisir la Cour EDH). C’est en fait d’autant la condition sine qua non pour obtenir gain de cause que l’enjeu en vaut la chandelle...
Alors que paradoxalement il incombe au premier chef au Ministère Public de veiller rigoureusement à « la stricte application de la loi pénale dans toute l’étendue de son ressort » comme lui en impose la mission les articles 34 à 36 du CPP, au sens où la mise en œuvre pleine et entière du droit au « crédit de peine » prévu par l’article 721 du CPP concerne tous les condamnés de France, il est de l’intérêt de chacun d’exercer les recours adéquats sans rien attendre dudit Ministère Public, lequel obéira davantage à son supérieur hiérarchique qu’est le Garde des Sceaux qu’au respect de l’application de la loi.
D’autant, et comme l’indique à juste titre le ’’Canard enchaîné’’ dans son article précité, nombre de détenus devraient être libérés depuis longtemps et d’autres devraient l’être sur le champ si les « 7 jours par mois » portés au texte leur étaient appliqués.
En l’état, à la réserve de la saisine prévue aux articles D. 116 et ss du CPP, les décisions du JAP n’étant pas susceptibles d’appel avant le 31/12/2005 (et la nouvelle juridiction que constitue le « Tribunal de l’application des peines » ne pouvant pour l’heure être saisi, si toutefois encore il pouvait être compétent en cette matière), il reste à exercer son recours selon la situation dans laquelle on se trouve :
- soit devant le Tribunal administratif de Paris pour excès de pouvoir et déni (le recours devant être dirigé contre le Ministre de la justice, responsable de l’administration pénitentiaire) ;
- soit devant la juridiction judiciaire du ressort du lieu de détention sur le fondement du contentieux d’exécution prévu aux articles 710 et ss. du CPP (devant le Tribunal correctionnel si l’on est détenu en vertu de peines de nature correctionnelle ; devant la Chambre de l’instruction si l’on est détenu au moins au titre d’une peine de nature criminelle) ;
- soit encore devant le Doyen des juges d’instruction du ressort du lieu de détention (ici, le recours s’effectuera sous forme de plainte avec constitution de partie civile contre le directeur de l’établissement des chefs de déni et de détention arbitraire fondée sur les articles 136, 3ème et 4ème alinéa, D. 148 du CPP - le chef de l’établissement « veille à la légalité de la détention des individus incarcérés ainsi qu’à l’élargissement des libérables » , 432-4 et suivants du CP).
Dans tous les cas, il faudra auparavant saisir par écrit, dans le premier cas : le Ministre de la justice d’un courrier recommandé avec AR, dans les deuxième et troisième cas : le directeur de l’établissement (dans ce dernier cas, on pourra immédiatement saisir le Juge judiciaire d’une requête en contentieux d’exécution, ou si passé un mois aucune réponse n’est apportée à la demande, le juge administratif du refus opposé qu’il soit implicite et/ou explicite, soit d’un seul recours au fond dit « de pleine juridiction », soit accompagné - et c’est le mieux - d’un recours en référé pour voir la question rapidement tranchée).
Même si on s’évertuait à postérieurement ’’corriger’’ la loi, il reste que toutes les personnes détenues et condamnées définitivement à la date du 1er janvier 2005 pourront valablement continuer à demander que leur soit appliqué le bénéfice dû de l’article 721dans sa rédaction actuelle (le pire n’étant jamais certain, il voudrait mieux déposer son recours sans perdre de temps).
Que ce soit devant le juge administratif ou devant le juge judiciaire, dans les deux cas il suffit de faire constater le refus de l’administration pénitentiaire (du directeur de l’établissement) d’appliquer l’intégralité d’un texte législatif institué au bénéfice des personnes condamnées, et les conséquence qui en découlent causant un grave préjudice certain, direct et réel.
On rappellera qu’à la différence des RPS relevant toujours de la compétence du JAP, l’attribution du « crédit de réduction de peine » quant à elle, pour avoir été confiée à l’administration pénitentiaire qui n’a aucun pouvoir d’ordre judiciaire, ne peut être conséquemment assimilée ou interprétée comme une « décision de nature judiciaire ».
Et pourtant, la disposition de l’article 721 du CPP instituant ce « crédit » est elle d’ordre judiciaire ! Il y a pour le cas un véritable problème.
Depuis quand peut-on légalement confier au personnel pénitentiaire, dont les actes sont exclusivement rattachés au fonctionnement administratif du service pénitentiaire, le soin de prendre une mesure modifiant les limites de la peine d’un détenu ? Dès lors qu’on érige ainsi des gardiens de prison en juges, on pourrait aussi bien leur confier le pouvoir de juger et rendre eux-mêmes les sentences pénales !!!
Pour les modèles de recours, se référer aux projets établis :
1- Lettre au Directeur de l’établissement
2- Lettre d’accompagnement pour le recours auprès du tribunal administratif
3- Recours auprès du tribunal administratif
4- Requête en référé-liberté portant annulation d’une décision administrative
5- Plainte avec constitution de partie civile