Une jeune mère condamnée pour incendie volontaire, un trentenaire en proie au doute, un couple d’anciens braqueurs : les parcours de quatre ex-prisonniers relativisent les vertus resocialisantes de la détention.
C’est jour de fête nationale. Sur un lit du centre hospitalier de Béthune, Marie-Christine Boulanger reprend son souffle après soixante-douze heures d’accouchement. Dans quelques mois, en pleine dépression après la mort de son compagnon, elle allumera un incendie dans son foyer maternel, sans faire de victime. Elle sera libérée après huit mois de préventive à la maison d’arrêt de Loos (Nord). Elle aura alors 30 ans, plus de logement et son seul CAP Petite enfance en poche.
Après dix années de détention et de transferts disciplinaires, C’est un ancien prisonnier M. qui a créé l’association Ban public pour informer sur les conditions d’incarcération en France, avant de trouver un boulot d’assistant comptable. Un quotidien bien éloigné de son rêve : devenir agriculteur. « Je ne me suis pas réinséré, regrette-il. J’aime la terre, les plantes, je voudrais faire de l’huile d’olive. » Quand il avait 13 ans, les policiers disaient de lui qu’il était « irrécupérable ».
Anciens braqueurs, Abd-el-Hafed Benotman - dit Hafed-, et Francine Oyane sévissent comme journalistes sur Fréquence Paris Pluriel, militent avec Ban public, écrivent pour leurs copains restés derrière les barreaux dans le magazine l’Envolée et Hafed se livre dans des romans noirs . Ils ont beau se réaliser professionnellement, ils ont perdu leurs papiers dans les méandres de leurs parcours judiciaires et, avec eux, tout espoir de se réinsérer : ils ne peuvent plus signer un contrat de travail ni un bail, et le fils de Francine a été placé en adoption plénière.
Dans un recoin de 2m² avec un enfant d’un an.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, conformément aux principes formulés par la commission de réforme Amor , l’enfermement a pour objectif principal la réintégration des détenus dans le giron de la société. Le premier de ces principes affirme : « la peine privative de liberté a pour but essentiel l’amendement et le reclassement social du condamné. » La loi du 22 juin 1987 enfonce le clou dans son article premier, qui rappelle que le service public pénitentiaire doit « favorise[r] la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire. »
Une batterie de principes qui ne convainc pas Pascal Mischieri, délégué régional à Bordeaux de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (Ufap, syndicat majoritaire chez les surveillants) et premier surveillant au centre de détention de Neuvic (Dordogne). « Le système carcéral est devenu beaucoup plus sécuritaire, à l’image de ce qui se fait dans le pays, constate-t-il. Cela ne répond pas aux besoins de réinsertion. » Une nouvelle catégorie d’agents pénitentiaires est pourtant apparue en 1993 : les conseillers d’insertion et de probation. Des travailleurs sociaux censés prévenir les viols ou les tabassages et lutter contre les effets désocialisants de l’incarcération. « Il faut être clair, je suis presque un contre-pouvoir à l’intérieur de la prison, reconnaît Cédric Fourcade, affilié CGT et conseiller d’insertion depuis près de deux ans à la maison d’arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis). Quand des détenus sont seuls, on essaie de prévenir les suicides en rompant leur isolement. On va fumer une clope avec eux, discuter. » Des moyens dérisoires : au 1er janvier 2000, il y avait 2010 travailleurs sociaux (soit 7,7 % du personnel pénitentiaire), contre 20 256 surveillants (78,3 %) . Cédric Fourcade, pour sa part, s’occupe de quatre-vingt dix majeurs et de quinze mineurs.
Après son incarcération pour incendie volontaire, Marie-Christine Boulanger a dû attendre trois mois avant de pouvoir revoir son fils, placé dans une famille d’accueil en région parisienne. « L’assistante sociale n’avait pas les moyens de venir plus souvent. Elle disait que c’était trop loin. » Il faudra une intervention du juge des enfants pour que Marie-Christine retrouve son fils une fois par semaine au parloir. Trois-quarts d’heure dans un recoin de 2m² pour renouer les liens avec un enfant à peine âgé d’un an.
Les conseillers d’insertion doivent également aider les détenus à trouver une formation, scolaire ou professionnelle. Actuellement, huit détenus sur dix n’ont pas poursuivi leurs études au-delà du CAP, deux sur dix sont illettrés. Une situation impensable en prison où toute communication passe par l’écrit : règlement intérieur, informations sur les droits des détenus et les démarches à suivre à la sortie (pour trouver un logement social ou déposer un dossier de RMI), courrier - dans beaucoup d’établissements l’accès au téléphone est restreint ou contrôlé par des enregistrements -, demandes de consultation médicale, d’entretien avec un travailleur social ou avec le juge d’application des peines.
Un détenu sur cinq sort avec moins de 7,5 €
Le problème, c’est que ceux qui choisissent de suivre des cours en prison doivent, par manque de temps, faire une croix sur un emploi rémunéré, seul moyen pour beaucoup d’entre eux de louer un téléviseur, acheter des journaux ou cantiner des produits d’hygiène. Les détenus doivent également apprendre à jongler avec les desiderata de l’administration pénitentiaire. Alors qu’il avait abandonné sa scolarité après le certificat d’étude, M. a décidé de tout reprendre en détention, de la sixième jusqu’au Bac. « J’ai eu 16 en philo, 16 à l’oral de français. » Et à l’écrit ? « Sept parce que j’écris très mal. Le correcteur a dû avoir du mal à me relire. » Transféré avant la fin des épreuves, M. n’aura pas son diplôme du Baccalauréat.
En 1985, l’une des rares études consacrées à l’origine socioprofessionnelle des détenus révélait qu’une condamnation sur deux prononcée à l’encontre de chômeurs est une peine de prison ferme, contre seulement 4,6% pour les cadres du secteur privé. Concernant les placements en détention préventive, Philippe Combessie écrit dans Sociologie de la prison : « Un sans domicile fixe risque de “s’évanouir dans la nature”, dira-t-on, si on ne le garde pas “sous main de justice” jusqu’au procès. On peut comprendre aussi les raisons qui plaident pour le sursis du jeune cadre : il ne s’agit pas de casser une carrière professionnelle pour quelques coups échangés, et par son travail et son logement, il offre de bonnes “garanties de représentation.” » Un constat que Pascal Mischieri (Ufap) résume avec cynisme : « Le mot réinsertion n’existe pas. Il faudrait parler d’insertion, parce que les détenus sont des gens qui n’étaient déjà pas insérés dans la société avant leur entrée en prison. »
Une enquête menée par l’administration pénitentiaire en 1997 indique qu’un détenu sur quatre sort de prison avec moins de 15 € en poche, un sur cinq disposant de moins de 7,5 €. Les aider à trouver un travail dès leur sortie devrait donc être une priorité, ne serait-ce que pour limiter les risques de récidive. Malheureusement, en refusant d’indemniser les formations professionnelles ou scolaires - proposition suggérée par la commission Mermaz -, l’administration oblige les détenus les moins aisés à se contenter d’un emploi rémunéré mais très peu formateur. Aux ateliers, M. se souvient de tâches répétitives, dénuées de tout débouché concret. Il énumère sans hésiter : « Placer des échantillons de parfum dans un carton, tamponner un logo sur des éponges, mettre des boulons sur des vis pour le compte d’un grand magasin de bricolage... Ça ne sert à rien dehors, sauf peut-être au Bangladesh ou au Kazakhstan. » Tout cela rémunéré à la cadence.
« Une vie d’être humain domestique »
Francine Oyane, elle, devait se battre avec des strings. Elle en déballait des cartons entiers puis, pièce par pièce, enlevait « l’étiquette “Made in Taiwan” pour la remplacer par celle d’une marque de haute-couture. » Un emploi indispensable, selon elle, en raison de la pauvreté des soins apportés au quartier des femmes : « Quand on a besoin de serviettes hygiéniques, la surveillante nous en donne une en nous disant “vous me la rendrez, hein ?” » Un bulletin de paie daté de juin 1999 indique que Francine a gagné en un mois 224 €. De cette somme ont été déduits des frais d’entretien, la RDS, la CSG, des cotisations vieillesse et veuvage. Au final, il restait 165 € à la salariée. Une législation qui révolte Cédric Fourcade, le conseiller d’insertion. Les prisonniers « sont des salariés un peu corvéables à merci, s’emporte-t-il. En cas d’accident du travail, ils sont soignés mais pas indemnisés, idem en cas de maladie. Ils cotisent sur leur feuille de paie mais ça ne leur ouvre aucun droit à la sortie. Quelle image ça leur donne du travail ? » À cela s’ajoute l’absence de contrat de travail , une carence qui permet de faire l’impasse sur les périodes d’essai et de préavis, les procédures de licenciement, les congés payés et, bien sûr, une représentation collective des salariés. Au 1er janvier 2000, un prisonnier employé au service général (tâches de cuisine, de service ou d’entretien qui peuvent durer dix heures par jour) gagnait entre 3,5 et 9 € nets... journaliers. Dehors, un smicard gagne environ 7 € de l’heure.
Abd-el-Hafed Benotman a systématiquement refusé de travailler pour l’administration pénitentiaire. « Si je suis devenu voleur dehors, ce n’était pas pour devenir salarié en prison. » Incarcéré pour la première fois à l’âge de 16 ans, il a ensuite connu la prison à trois longues reprises, notamment pour le braquage, en 1979 à Paris, du grand restaurant de Michel Oliver. En tout, quatorze ans pour visiter 9m². Aujourd’hui, Hafed considère qu’il n’y a rien de plus inséré qu’un détenu. « C’est du domptage, une vie d’être humain domestique, assène-t-il. Trois repas par jour à heures fixes, levé à telle heure, couché à telle autre, l’ordre social total. C’est plutôt des gens comme Balladur qu’il faudrait réinsérer : ils ne connaissent pas le prix d’un ticket de métro, ils sont complètement déconnectés. Ce sont eux, les marginaux. »
De la révolte, une reconversion professionnelle réussie, Hafed confirme sans le savoir une tendance observée aux Etats-Unis, selon laquelle plus un prisonnier a tenté de s’évader ou a collectionné les mesures disciplinaires, plus il aura de chances de mener à bien sa réinsertion. Jacques Laplante explique ce phénomène dans Prison et ordre social au Québec : « En prison, plus un détenu s’intègre au milieu étrange qu’ils forment, lui et ses codétenus, moins il est disponible pour une réinsertion sociale dans la société commune. »
Pas le moindre logement social en deux ans
M. aurait pu profiter de cette dynamique si la déchéance de ses droits civiques, familiaux et commerciaux - automatique après une condamnation criminelle jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994 - ne lui avait mis des bâtons dans les roues chaque fois qu’il se lançait dans un projet. « Je voulais restaurer des bergeries abandonnées avec des jeunes en échec professionnel, mais l’administration ne nous a jamais fait confiance. Je rêvais d’ouvrir une échoppe de bouquiniste sur les quais de Seine mais même pour ça il faut un casier judiciaire vierge. Il m’a également fallu six mois pour retrouver mon numéro de Sécu, personne ne me disait quoi faire. C’est d’abord ça, la réinsertion. »
Bien qu’elles pallient de plus en plus les carences de l’administration, les associations rencontrent beaucoup de difficultés pour parvenir jusqu’aux détenus. Parcours de femmes , à Lille, a dû patienter cinq ans, après sa création en 1995, avant d’obtenir l’autorisation de rencontrer les prisonnières au parloir. « Nous devions faire nos preuves auprès de l’administration pénitentiaire, lui démontrer que nous apportions quelque chose de plus que le service d’insertion et de probation », résume Caroline Sanguinette, secrétaire générale. Ce plus consiste à aider les sortantes à se sentir bien dans leur tête, en participant aux réunions de parents d’élèves notamment, et à parier que le reste ’ l’installation dans un logement, le retour au travail - suivra naturellement. Sauf qu’en ce moment, dénicher une place en HLM relève de la gageure, même quand on ne sort pas de prison. Le président de l’Union sociale pour l’habitat, Michel Delebarre, faisait part récemment de ses « craintes quant au budget que la nation consacre à l’habitat. » Cédric Fourcade, qui se dit « vraiment passionné » par sa mission de conseiller d’insertion, admet ne pas avoir réussi à trouver le moindre logement social depuis qu’il exerce.
Un mot glissé par le Conseil constitutionnel dans l’une de ses décisions révèle l’impuissance des agents pénitentiaire face au devenir des détenus sortants. Le 20 janvier 1994, les Sages précisaient : l’enfermement a été conçu « non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour (...) préparer son éventuelle réinsertion. » Que se passe-t-il pour ceux qui ne font pas partie de cette éventualité ?
Malgré toute leur bonne volonté, Francine et Hafed devront attendre la réforme de la double peine promise par Nicolas Sarkozy avant de retrouver une vie normale et, peut-être, le fils de Francine. M. compte quitter la présidence de Ban public dans trois ans, pour ne pas avoir le sentiment de s’encroûter. Il se réveille encore en sursaut quand une voisine de palier fait tinter son trousseau de clés.
Il y a quatre mois, Marie-Christine s’est installée dans un « vrai appartement » qu’elle finance à coup de RMI et d’allocations. Son fils est entré en maternelle à la rentrée et elle compte retrouver un emploi d’animatrice grâce à son CAP Petite enfance. Les quelques démarches qu’elle a déjà entreprises se sont bien soldées par des échecs, mais le service d’insertion devrait l’aider à faire une demande d’effacement de casier judiciaire. Elle devra aussi apprendre à vivre avec un formidable sentiment de gâchis. A la fin de l’audience, le juge a lâché qu’elle ne méritait pas la prison, tout juste un traitement en maison de repos.
Alban Lécuyer
ENCADRE :
Je comprends les remarques de Lise Pinoit, mais la différence entre peines cumulatives et peines alternatives ouvre un autre angle dans l’encart et je ne me sens pas les compétences pour traiter cette question. Je lui propose soit de faire un second encart sur ce sujet sous son nom, soit de compléter le mien et de le cosigner.
Peines alternatives... peines supplémentaires ?
Le placement sous surveillance électronique (PSE), le travail d’intérêt général ou le contrôle judiciaire permettent en principe à un prévenu ou à un détenu en fin de peine d’échapper à l’enfermement. Mais ces outils sont-ils réellement utilisés dans un souci de réinsertion ? Pierre Victor Tournier, directeur de recherche au CNRS et président de l’Association française de criminologie, s’interroge dans un projet d’ouvrage sur « les exemples prometteurs en matière pénale » : « Tel condamné au travail d’intérêt général (TIG) aurait-il été condamné à une peine d’emprisonnement ferme si le TIG n’avait pas existé dans les textes ? N’aurait-il pas plutôt bénéficié d’un sursis simple, voire d’une amende ? » La question se pose dans les mêmes termes pour les autres mesures alternatives. On peut imaginer, écrit Tournier, « que le juge d’instruction n’aurait pas eu recours à la détention provisoire si le contrôle judiciaire n’avait pas existé en droit. » « S’il en est ainsi, conclut-il, ce contrôle judiciaire ne joue pas son rôle d’alternative à la privation de liberté (alternative virtuelle ?) mais permet d’élargir le filet du contrôle social. » Cette volonté paradoxale de réinsérer les justiciables avant même le début de leur désocialisation concerne pourtant les moins marginaux d’entre eux. En comparant la situation socioprofessionnelle des 175 condamnés dont le PSE s’est achevé entre octobre 2000 et mai 2002 avec celle des entrants en détention , on constate que les premiers vivent plus fréquemment en couple (61% contre 33%), sont plus instruits (les trois quarts ont fait des études secondaires ou supérieures contre moins de la moitié chez les autres détenus), ont plus fréquemment des enfants à charge (la moitié contre un tiers) et disposent majoritairement d’un emploi.