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Repérage du suicide en prison et éléments contextuels

Mise en ligne : 31 juillet 2002

Dernière modification : 26 janvier 2006

Source : http://psydoc-fr.broca.inserm.fr/co...

Texte de l'article :

Repérage du suicide en prison et éléments contextuels
Dr Sophie Baron-Laforet
Praticien hospitalier, C.H. L-J GREGORY, THUIR

Le suicide en prison est un sujet qui émeut depuis plus de vingt ans. Chaque article sur la psychiatrie en prison aborde ce sujet, évoquant une vague médiatique récente, c’était le cas dans un article de P. HIVERT en 1974. C’est aussi souligner le peu d’effet des mesures prises jusqu’ici.
Notons d’emblée que la population carcérale est jeune, 29 ans en moyenne et essentiellement masculine : 95% d’hommes, 5% de femmes. La mort en prison n’est pas admise. Inacceptable pour les détenus, pour cette population jeune mourir est l’exception, et mourir en prison leur donne le sentiment que la justice les a eu jusqu’au bout, jusqu’à garder leur corps. Les détenus atteints de pathologies à des stades incurables feront tout leur possible pour mourir en dehors de murs, soutenus par leur entourage (familles quand elle est présente, avocat, visiteur...). La mort en prison est inacceptable pour les familles, qui parfois n’ont pas vu venir les évènements, pour les co-détenus le malaise est grand, le sentiment d’un danger qui s’approche d’une insécurité mais aussi d’une culpabilité latente, renforcée par l’enquête systématique qui les entendra comme témoins voire comme suspects. Pour les surveillants pénitentiaires la découverte d’un mort par suicide est un événement traumatisant, mais aussi le renvoie à un sentiment de responsabilité de surveillance, un sentiment de culpabilité, ce d’autant qu’il a pu ressentir vis à vis du détenu des sentiments de rejet ou de haine des actes commis...

Enfin pour la société : la prison a un rôle de punition et de surveillance mais sûrement pas de mort. La société veut bien punir mais ne veut pas tuer.

Le taux de suicide en milieu carcéral est particulièrement élevé et est en augmentation : 240 morts par suicide pour 100 000 détenus. La population carcérale étant de 55 000, le nombre annuel est de 125 morts par suicides par an.(1998)

Ces morts sont en augmentation depuis les années 1972-73 : les taux étaient respectivement de 129/100 000 en 1991, 188,7/100 000 en 1992, et 194,4/100 000 en 1995. Les courbes de taux de suicide et de la population pénale ne sont pas identiques. La surpopulation pénale ne peut être corrélée à ce type de conduite.

La "sursuicidité" en milieu carcéral est de 6,4. Notons cependant que chaque mort en prison fait l’objet d’une déclaration et d’une enquête. Le relevé est donc beaucoup plus fiable qu’en milieu libre. D’autre part la sursuicidité en milieu carcéral n’est pas corrélée à la courbe des taux en milieu libre.

Nous envisagerons les spécificités des modalités suicidaires dégagées dans le travail de N. BOURGOUIN mettant en évidence des populations et des moments à risque. Nous décrirons ensuite les modalités d’intervention et le mode de vie en prison, c’est à dire le contexte particulier. La crainte du suicide pèse sur nombre de décisions des professionnels de la prison quels qu’ils soient.

1. Modalités suicidaires :
Les chiffres cités ci-dessous proviennent de l’ouvrage de Nicolas BOURGOIN. Ils ont été retenus pour leur signification en terme de repérage et pour leur cohérence avec l’exercice quotidien. N. BOURGOIN a considéré le suicidaire comme un homme totalement rationnel effectuant un choix entre différentes alternatives, recherchant celle qui lui apportera l’utilité maximale(celle-ci n’étant pas forcément équivalente au profit matériel maximal). Dans rationalité ce n’est pas le but poursuivi par l’individu qui est visé mais les moyens qu’il déploie pour y parvenir.

Son étude est basée sur l’ensemble des morts par suicide intervenues dans les prisons françaises entre le 01.01. 1982 et le 31.12.1991. soit 621 cas. Il a ensuite tenté d’appliquer ses conclusions au milieu libre à partir de l’étude de 90 procès-verbaux de police tirés au sort. En prison, l’étude est basée sur l’analyse des dossiers de suicide comprenant : la fiche pénale (données socio-démographiques, motif de l’incarcération, parcours pénal...), le compte-rendu d’incident, les lettres de suicide, l’expertise psychiatrique. Les lettres, 200 sur 621 suicides, ont été une grande base de données. Ce qui ressort nettement des analyses des lettres est que l’interaction est un élément important dans la prise de décision du détenu : interaction avec le milieu carcéral, avec sa compagne, sa famille voire sa victime. Sa position de déprivation le met en position faible, sensible aux évènements qui l’entourent. Il se sent dépendant des autres et le supporte mal. Le suicide peut être une façon de reprendre le dessus, une façon d’affirmer son autonomie, même au détriment de sa vie. Cette conception énoncée par l’auteur rejoint les hypothèses sur les "preneurs de risque" que sont la plupart des psychopathes.

1.1.Modalités des passages à l’acte :
La pendaison est sur représentée : 92,7% des morts par suicide en prison, un instrument tranchant dans 3,2%, des gaz ou vapeurs dans 1,4% et une substance liquide ou solide dans 1,3%. La pendaison dont on connaît le danger vital est vraisemblablement très présente non par choix mais du fait du contexte carcéral. Les moyens suicidaires sont restreints, du fait du milieu et par volonté de limiter les risques : filets dans les coursives pour éviter les précipitations d’un étage élevé, les objets tranchants sont interdits du fait des risques d’agressions et d’évasion... La pendaison, l’étouffement sont des moyens qui restent toujours possibles quels que soient les moyens de fouilles. Il y a d’ailleurs un paradoxe : à vouloir lutter contre les moyens suicidaires et la violence, on encourage involontairement un moyen dangereux.

1.2.Profil sociologique :
Le fait d’avoir des biens au moment de l’incarcération est un facteur aggravant. Les délinquants en "col blanc" se suicident plus que les "cols bleus", et eux-mêmes plus que les sans profession. Les personnes d’instruction secondaire sont également plus à risque. Le fait d’avoir une famille, un conjoint ou des enfants (notamment les pères de 3 enfants ou plus) est un facteur de risque au moment de l’écrou. Contrairement au milieu libre, la famille ne protège pas du suicide. Il semble que l’incarcération entraîne moins un sentiment de déprivation si la personne a peu d’attaches à l’extérieur.

En prison comme en milieu libre les français se suicident plus que les étrangers. Mais le taux de suicide des étrangers tend à se rapprocher de celui des français : ceci est encore plus vrai si une mesure d’interdiction du territoire français est prononcée.

La religion protège du suicide, notamment la religion catholique. L’effet protecteur de la religion musulmane serait plus lié au fait d’être étranger plus que musulman. Il est à noter que les demandes de rencontre de personnes du culte sont nombreuses durant l’incarcération. Dans l’expérience quotidienne, les aumôniers des prisons ont souvent une activité multiconfessionnelle.

1.3.Variations dans le temps :
Les variations saisonnières du taux de suicide en prison sont très irrégulières. Le mois de décembre, et particulièrement les soirs du 24 et 31 décembre, est un moment à risque.

Dans la semaine, on note un pic le samedi et un creux le dimanche. Notons que le samedi est un jour classique de parloir (visite de l’extérieur). Deux hypothèses sont possibles : la déception d’une visite qui n’est pas venue ou qui ne vient toujours pas, ou l’opportunité d’un moment de solitude, le co-détenu n’étant pas là et les surveillants occupés aux mouvements.

Dans la journée, les suicides ont surtout lieu entre 15h et 18h puis entre 21h et 24h. Le pic de l’après-midi correspond aux horaires de parloirs, de promenade, d’activité permettant à certains détenus d’être seuls en cellules, ou les confrontant à leur exclusion de ces divers modes de socialisation. Le pic de la soirée est un moment plus anxiogène où le détenu est seul face à lui-même. Les suicides de l’après-midi apparaissent souvent comme des actes plus planifiés.

1.4.Selon le statut pénal :
60% des suicidés sont des prévenus, en attente de jugement

14,5% commettent leur geste suicidaire au cours de la première semaine d’incarcération,

plus du tiers des suicides ont lieu au cours du premier mois d’incarcération,

les 3/4 des morts par suicide ont lieu la première année.

90,7% des suicides ont lieu en Maison d’arrêt (établissements accueillant les prévenus et , en théorie, les condamnés à moins de deux ans. Les condamnés à de plus longues peines y attendent au moins un an , après leur condamnation, leur transfert dans un établissement pour condamnés).

Les périodes précédant le jugement sont plus à risque que l’après jugement. Le procès est attendu et redouté, tant dans le verdict, que dans l’énonciation du parcours de vie et des faits devant des tiers ou des proches. "L’accusé attend tout de son procès : la justice, mais plus encore l’acceptation de sa vérité" ( HIVERT. P.) La condamnation une fois énoncée ne semble pas plus prédisposer au suicide. L’énonciation d’une peine à temps semble apaiser un temps la culpabilité et éloigner le risque suicidaire.

Près de la moitié des suicides des condamnés a lieu 6 mois après la condamnation.

Parmi les condamnés, ce sont les plus longues peines qui sont le plus représentées. Le risque de suicide augmente avec la durée de la peine. Pour les condamnés le fait d’avoir été incarcéré par le passé est un facteur de risque.

La sortie de prison est également un moment à risque, moindre en nombre, mais peu ou pas verbalisé et anticipé par les intervenants extérieurs ou les professionnels. La sortie n’est pas toujours, loin de là, la libération promise, mais parfois le retour à une vie sociale dégradée, ou la confrontation à des situations dont la prison les protégeait ! Il avait été noté sur le suivi des toxicomanes incarcérés, un nombre important de morts dans les 48 heures suivant la sortie de prison.

Le quartier disciplinaire est un facteur de suicide : la sur-suicidité y est d’environ de 7 par rapport au régime de détention normal. Le délai entre la mise en isolement et le suicide est en général très court : dans ces conditions plus de la moitié des suicides intervient dans la première journée, et parmi ceux-ci plus d’1/4 dans la première heure. Sans que l’on puisse y repérer un profil de détenus particulièrement à risque(profession, condamnés ou non, ..)De plus, plus de la moitié des détenus qui se suicident au quartier disciplinaire sont en prévention disciplinaire, avant le passage au prétoire. Pour le régime d’isolement non disciplinaire, les chiffres sont un peu moins élevés dans l’ensemble.

1.5.Le type d’infraction :
L’infraction contre un proche est un facteur de précocité du suicide. Un certain nombre de ces prévenus ont commis un geste suicidaire avant l’arrestation, parfois juste après le geste criminel. Ce comportement serait un facteur aggravant : 11,2% des suicidés, incarcérés pour un acte contre un proche, avaient fait une tentative de suicide juste après l’acte reproché, pour 0,7% des autres suicidés ayant commis une tentative de suicide après l’acte conduisant à l’incarcération.

Les détenus ayant commis des infractions graves sans lien avec un proche se suicident plus tardivement dans le temps de l’incarcération.

1.6.Les antécédents :
D’une manière générale, les détenus qui se sont suicidés avaient commis plus d’incidents en détention que les autres détenus et notamment plus de tentatives de suicides. Dans les antécédents des suicidés on retrouve 24,2 fois plus de tentatives de suicides, 14,6 fois plus de fugues (non réintégration à la suite d’une permission) 13,7 fois plus d’évasions et 5,2 fois plus de tentatives d’évasion, 6 fois plus d’automutilations et 2,8 fois plus de grèves de la faim.

Il faut sans cesse lutter contre la banalisation de ces conduites répétitives au quotidien.

2. Repérage psychopathologique
Comme le souligne Jean-Louis SENON dans son ouvrage sur la psychiatrie de liaison en milieu pénitentiaire, la nosologie psychiatrique est le premier obstacle rencontré par les psychiatres travaillant en milieu carcéral. Les cliniciens font état de 15% de psychotiques, 15% de pervers, 60% d’états limites et ne retrouvent que 10% de structures névrotiques ou génitales adultes. Ces dernières sont rarement délinquantes dans la mesure où leur Surmoi leur a permis d’incorporer une représentation satisfaisante de la loi et surtout du fait de leur capacité à mentaliser, évitant ainsi le passage à l’acte. La clinique de l’adolescent et celle des troubles limites de la personnalité de l’adulte constituent un modèle plus opérant dans une perspective structurelle et psychodynamique.

Les états limites à expression psychopathique représenteraient 10 à 60% de la population pénale selon les établissements, plus de 80% des tentatives de suicide et des automutilations et plus de 60% des incidents graves en prison. Les descriptions faites par H. FLAVIGNY en 1977 dans "les nouvelles formes de la psychopathie" sont toujours d’actualité : les expériences multiples d’abandon et la "discontinuité brisante" des relations affectives précoces de l’enfant, ballotté d’une mère biologique à une mère adoptive, un père absent ou inexistant sur le plan symbolique..une mère oscillant entre fusion et rupture. L’adulte va reproduire ce fonctionnement de façon inlassable pour mieux se protéger du danger de l’abandon. Claude BALIER élabore une clinique du vide qu’il relie à la défaillance narcissique primaire. L’agressivité n’est pas évacuation d’un trop plein mais un court circuit qui a comme fonction de protéger du risque de morcellement psychotique : la passage à l’acte instaure une ébauche d’emprise et assure une fonction de sauvetage du narcissisme défaillant.

La place du corps en prison
L’incarcération est initialement la "prise de corps" , la perte de la capacité d’aller et venir. Le mode de vie en prison et surtout en Maison d’Arrêt va confronter le détenu aux limites de son corps. Tout d’abord la cellule de 9 m2 qu’il va partager avec un autre ou plusieurs qu’il n’a pas choisi. Il va vivre avec eux dans les premiers jours 21h sur 24h s’il sort en promenade, avec les W.C. peu ou pas séparés. Son comportement, ses gestes, sont l’objet de surveillance des surveillants. Rares sont les moments d’intimité. Nombre de détenus dans diverses enquêtes témoignent de leur vécu corporel pour évoquer l’incarcération : la perte des sens, (l’odorat, le goût, le toucher, la vue toujours entravée) la sensation de vertiges dans la premiers jours traduisant la perte des repères. Et la crainte omni présente que la prison les envahisse, prenne leur corps : que son odeur les imprègne par exemple. Beaucoup disent lutter pour garder une autonomie dans cet univers.

Ces conditions d’incarcérations vont rencontrer les difficultés du psychopathe dans ses limites corporelles. Le corps du psychopathe porte les stigmates de son hyper motricité, sous formes de cicatrices, fractures, dents manquantes ou doigts en partie sectionnés. La limite de son corps, la peau, ne lui appartient pas vraiment en propre : elle lui sert souvent d’interface sociale, porteuse de sa biographie, avec des tatouages sur les parties découvertes du corps, les cicatrices d’automutilations souvenirs de telle frustration ou rupture inacceptable. Comme si les limites de son schéma corporel se situaient en deçà, la peau étant un cuir insensible ou hyperesthésique. La mort du psychopathe reste un événement malheureusement très fréquent, mort par accident ou par suicide.

La conduite de risque est une des conduites face à une menace dépressive proche des conduites ordaliques, cherchant à interroger le destin sur la pertinence de sa vie. Ces conduites sont connues en milieu libre. En milieu carcéral, nombre de gestes étiquetés tentatives de suicide, car n’ayant pas abouti à la mort, sont de ce registre. Et malheureusement, certaines morts par suicides de ces personnalités laissent penser qu’ils tentaient encore une fois de chercher une raison de vivre. Ces hypothèses cliniques sont à rapprocher du fort taux de gestes suicidaires et d’automutilations chez les suicidés( 24,2 fois plus de tentatives de suicides).

3. Organisation des soins en prison
L’organisation des soins en prison a beaucoup évolué durant ces dix dernières années, tant dans leur qualité, leur autonomie au sein du milieu pénitentiaire, que dans leur quantité et leur qualité. Les soignants psychiatriques ont été les premiers à installer des soins indépendants du ministère de la justice et le modèle des S.M.P.R., Services Médico Psychologiques Régionaux ont inspiré la loi du 18 janvier 1994 qui délègue tous les soins en milieu pénitentiaire au système de santé soit public soit privé, en interlocuteur indépendant de l’Administration Pénitentiaire. Une loi si récente, appliquée depuis 1996 sur l’ensemble du territoire français, entraîne des variations importantes selon les établissements pénitentiaires, leur fonction et leur histoire, et selon les moyens des hôpitaux de rattachement.

3.1.Le système de soins public : le plus important
3.1.1.Le système de soins général : création des U.C.S.A., Unités de consultations et de soins ambulatoires, unités fonctionnelles, le plus souvent d’un service de l’hôpital de rattachement. Ces unités ont pour tâche l’examen systématique des entrants en détention, les soins et le prévention. Les hospitalisations, si nécessaire, sont effectuées dans l’établissement hospitalier.

L’effet bénéfique de cette indépendance de structure, bien nécessaire, est parfois minoré par le manque de formation et de valorisation du travail difficile de ces équipes que l’hôpital oublie derrière les murs de la prison. Ce sentiment d’isolement professionnel ne facilite pas le soutien d’un intérêt clinique et humain face à des conduites répétitives, notamment suicidaires, ou des demandes "mal" formulées. Des réunions annuelles des professionnels concernés tentent de lutter contre leur isolement sur le territoire national. 3.1.2.Les soins psychiatriques :

Deux types de structures : les S.M.P.R. et D.S.P.

Les S.M.P.R. sont des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire. On en compte aujourd’hui 26 sur 187 établissements pénitentiaires. Ce sont des équipes implantées en prison proposant des soins ambulatoires, des lits d’hospitalisation à l’intérieur de la prison (hospitalisation libre uniquement, pas de placements H.D.T. ou H.O., qui se feront si besoin à l’hôpital). Ils ont également en charge les soins aux toxicomanes ; alcooliques et autres conduites addictives.

Les D.S.P. Dispositifs de soins psychiatriques sont l’équivalent des U.C.S.A. c’est à dire des unités de soins ambulatoires. Celles-ci sont diversement dotées en temps et en personnel selon les établissements.

Les établissements pénitentiaires sont sectorisés et chaque établissement a un S.M.P.R. de rattachement en cas de besoin.

3.2. Le système de soins privé :
Depuis 1990, 4 opérateurs privés ont en charge le fonctionnement quotidien d’un certain nombre de prison, réalisant 13 000 places pour les détenus. Dans ces établissements, le système de soins rassemble les soins généraux et psychiatriques au sein d’une même équipe et d’une même gestion. Les contrats les liant à l’Administration pénitentiaire avaient une durée de 10 ans et doivent être prochainement renégociés.

Ces différents systèmes de soins permettent une rencontre précoce à l’arrivée en prison des personnes incarcérées, moment repéré comme à haut risque suicidaire. L’évaluation immédiate est parfois difficile et certaines équipes préfèrent une rencontre différée de quelques jours permettant de mieux évaluer le "choc de l’incarcération" et les capacités de l’individu à y faire face.

Dans chaque établissement pénitentiaire, le détenu arrivant est reçu par les divers corps professionnels : directeur ou son représentant, surveillant, C.I.P. Conseiller d’Insertion et de Probation, et le système de soins. Les informations sont difficilement mises en commun. Trop souvent l’échange, surtout dans les gros établissements se résume à un signalement à l’autre corps professionnel pour qu’il s’occupe de la personne, sans reprise des informations et constitution d’un projet commun. Se pose d’ailleurs fréquemment le problème des informations partageables et de celles soumises aux divers secrets professionnels en place (secret de l’instruction, secret médical, confidentialité de l’entretien social...Des articulations se sont mises en place dans quelques sites mais restent minoritaires.

Ce dispositif de soin jeune est un effort louable du législateur visant à conforter le détenu dans sa personne et sa citoyenneté. Son évolution est encore très liée aux intérêts que la société lui portera dans son fonctionnement quotidien.

4. Prévention du suicide en prison
La note de l’Administration pénitentiaire du 29 mai 1998, portée en annexe, est issue des réflexions d’un groupe de travail multiprofessionnel réuni à la demande de cette même administration. Cette circulaire souligne l’intérêt que porte cette administration au nombre important de suicides en prison et comment elle souhaite traduire les constats des études citées. Cette note a été diffusée dans tous les établissements pénitentiaires. 4 sites pilotes ont été retenus pour mettre en place tel ou tel aménagement d’accueil, de relais d’information, ou la cellule d’observation permettant surveillance et contact avec un professionnel.

Cependant, dans ce milieu fermé qu’est la prison, même si de très importants efforts ont ouvert la prison ces dernières années, les changements sont lents. Ils se heurtent à des habitudes très hiérarchisées, des conflits de génération au sein du personnel diversement formé au cours du temps( le temps de formation initial du surveillant a plus que doublé en dix ans, les profiles et les attentes du personnel ont beaucoup changé) et au faible taux d’encadrement des prisons françaises (un des plus bas d’Europe).

Le suicide est une préoccupation quotidienne qui pèse sur nombre de décisions, notamment la mise en cellule seul. Souvent un certificat médical est demandé. Le "doublement" en cellule est sensé prévenir du suicide, le co-cellulaire ayant pour mission de surveiller son co-habitant. Cette attitude systématique est inévitablement préjudiciable : certains ont besoin d’un interlocuteur, pour d’autres pouvoir s’autonomiser dans un espace à distance de leurs propre corps sera un élément essentiel. De plus en cas de suicide, le co-détenu se sentira culpabilisé ce d’autant que, rappelons-le, il sera entendu dans le cadre de l’enquête systématique. Nombre de détenus ayant vécu cette expérience traumatisante sont suivis par les équipes de soins psychiatriques et rapportent des situations hautement traumatiques.

Bien sûr une approche individuelle est à soutenir, avec évaluation médicale et psychiatrique si besoin, et surtout avec une mise en commun d’informations avec les divers professionnels (assistante sociale, surveillants, infirmiers,...). Cette nécessité de relais de l’information est un constat fait dans d’autres pays : c’est un des axes du rapport au gouvernement britannique par Lord WOOLF en 1991 - cité par J_P. JEAN dans "La justice et le mal". C’est une des propositions du groupe de travail français qui a du mal à se mettre en place. Ajoutons qu souvent un détenu à conduite suicidaire ou auteur d’incidents, considéré comme perturbateur sera transféré dans un autre établissement sans transmission d’informations précises sur son comportement. Les plus dérangeants pour l’institution font du "tourisme pénitentiaire". Cette situation n’est pas toujours connue lors de la consultation médicale d’accueil.

Par ailleurs la réflexion sur des supports et des espaces de liberté doit être plus encouragée que la recherche, à perte, de retirer tout moyen suicidaire. La tentation de la relation d’escalade symétrique, dans laquelle le psychopathe excelle, mènerait le projet de réduire le risque par le contrôle à l’échec.

Pour ces personnalités limites psychopathiques, rechercher avec eux comment reprendre un peu d’autonomie et de pouvoir sur ce qui les entoure est souvent un traitement efficace : autonomie sur les vêtements, sur les contacts avec l’avocat ou la famille, sur leur intimité ...

Pour les autres personnalités, ou dans les cas où le délit est grave et retentit sur l’image extérieure du détenu, l’accompagnement des interlocuteurs judiciaires (juges et avocats) pourrait être mieux coordonné avec les interventions pénitentiaires et thérapeutiques. Le risque de cloisonnement, de clivage entre les interlocuteurs est permanent et ne facilite pas la tâche, ni surtout le soutien du détenu à se confronter à une situation vécue comme impossible.

Je n’évoque pas les possibilités chimiothérapeutiques (anxiolytiques, antidépresseurs, sédatifs) qui sont cependant de plus en plus utilisés, par des personnels formés à cela. On rappellera que depuis la loi de janvier 1994, tous les traitements en prison sont distribués par du personnel infirmier ce qui a garanti une bien meilleure observance et a permis de revaloriser la place du médicament en prison. Ces médicaments sont peu en cause dans les morts par suicide en prison.

L’évaluation du risque suicidaire est une question omniprésente en prison. Elle pèse sans doute plus en terme de responsabilité professionnelle individuelle qu’en terme de stimulation à une réflexion partagée. Le poids d’un sentiment d’incapacité, d’envahissement par des conduites répétitives des détenus sont trop souvent traduites par les uns et les autres comme des échecs, les leurs ou ceux des autres. La différenciation des individus derrière ces conduites n’est pas acquise.

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Source : Inserm