S’évader en famille dans la prison
Quatre nouvelles unités expérimentales de vie familiale, qui permettent aux détenus de passer du temps avec leur famille, seront ouvertes en France, le 1er septembre.
Des surveillantes de la prison de Rennes, en septembre 2003, à l’intérieur du salon de l’une des trois unités expérimentales de visites familiales (UEVF).
Elle sera là dans une petite heure. Il l’attend, attablé devant un bol de Nescafé qu’il laisse refroidir. Ce jeudi de mai, Ange Ducret, condamné à vingt ans de réclusion criminelle, détenu à la maison centrale de Poissy (Yvelines), reçoit sa mère pour la journée. Dans la prison. Mais dans un vrai appartement : l’unité expérimentale de vie familiale (UEVF), qui compte trois logements dans lesquels les familles peuvent rendre visite à un proche incarcéré, sans surveillance.
Tandis qu’Ange patiente, une fillette en franchit la porte de l’appartement mitoyen. Accompagnée de ses grands-parents, elle vient passer quelques heures avec son père, condamné à perpétuité.
Le ministère de la Justice a annoncé le 30 juin l’ouverture de quatre UEVF. Sept unités avaient été programmées en 1995, mais seules trois d’entre elles avaient commencé à être mises en service, à Rennes, fin 2003 puis à Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime) et à Poissy, fin 2005. Le 1er septembre, ouvriront les UEVF des prisons de Meaux-Chauconin (Seine-et-Marne), Liancourt (Oise), Avignon-Le Pontet et Toulon-La Farlède.
Ces unités sont destinées à maintenir les liens sociaux des condamnés à de longues peines. Elles offrent une plage d’intimité totale, pendant soixante-douze heures maximum. À Poissy, l’expérience a débuté pour des durées de six heures.
De 11 h 00 à 17 h 00, Ange sera seul avec Marie-Thérèse, sa mère de 76 ans. « C’est mon fils adoré. Il n’a plus que moi », dit-elle. Elle vient de Brest, heureuse, malgré la fatigue du voyage et ses jambes toutes gonflées. Mais elle sourit : le temps passé à l’UEVF, « c’est trop court, parce que c’est bien. C’est mieux que leur parloir... Là, on est tranquille. On a regardé un film. On a mangé. Et on a parlé. On n’arrête pas de parler ! »
Ange Ducret est détenu à Poissy depuis neuf ans et séjourne à l’UEVF pour la deuxième fois. Il n’est pas dupe de cette chance : « Je suis un détenu modèle. » Mais le prisonnier prend ce moment comme un bien. « Ce ne sont pas six heures de bonheur... mais six heures de quelque chose de normal. Plus qu’une évasion, une manière de pouvoir se croire encore dans la société, explique-t-il. J’ai l’impression de vivre. C’est très fort. »
La centrale de Poissy compte 230 détenus, dont 54 condamnés à perpétuité. L’unité est réservée à ceux qui n’ont pas de permission de sortir. Un quart des prisonniers y sont passés. Et plus de 70 visiteurs : 20 épouses, 6 concubines, 4 compagnes, 20 enfants, 10 amis, 5 pères, 8 mères, 3 frères et soeurs. « L’UEVF ne se résume pas à la sexualité », insiste la direction.
« Un bilan positif »
Les conditions d’accès sont drastiques. Ange a dû, les deux fois, écrire une lettre de motivation. Sa mère aussi. Les proches font l’objet d’une enquête sociale. Ils doivent en outre être parfaitement informés du crime commis. Les précautions redoublent vis-à-vis des enfants. Au détenu, aussi, d’acheter de quoi faire les repas dans l’unité. Tous n’en ont pas les moyens et les colis sont interdits.
« Le bilan est positif », souligne Mme Piquet, la directrice de la centrale. Pourtant, ce type de structures, admises depuis longtemps dans d’autres pays, restent « difficiles à faire passer », ajoute-t-elle. « J’entends souvent dire : ‘On donne beaucoup aux détenus’ », ou bien : « Moi, à l’extérieur, je n’ai pas ça ». Pour la directrice, « l’UEVF demeure la prison. La peine est là, l’absence de liberté aussi, rappelle-t-elle. Mais il faut dire et répéter que ces personnes, un jour, vont sortir. Il faut faire en sorte qu’elles ne soient pas désocialisées. »
Pour Ange Ducret, voir sa mère dans un tel lieu, « c’est une préparation à la sortie », qui lui fait « énormément peur ». Depuis six mois, il n’arrive plus à écrire. « Un blocage. » Ange est libérable en 2010. Il n’a pas demandé de conditionnelle. Pour cela, il faudrait trouver un employeur, et il n’y croit guère, « à 47 ans, avec un casier... »
L’homme perd la vue et doit soigner un diabète qui s’est déclaré en prison. Mère et fils projettent de s’installer à Paris. Il balaie du regard le salon de l’UEVF : « Si ce petit îlot peut me permettre de revivre avec ma famille, je suis prêt à survivre. » À midi, les deux surveillants apportent le pain frais. L’occasion de vérifier que tout va bien.
Source : l’express dimanche