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S.T.I : "Lettre ouverte aux présidentiables" (collectif corse)

Mise en ligne : 15 février 2002

Dernière modification : 28 décembre 2010

Texte de l'article :
S.T.I : " Lettre ouverte aux présidentiables. "
 
 

Février 2002

" Il existe aujourd’hui un lieu invisible pour la société,
où les pratiques du pouvoir établissent hors des lois,
un camp pour les criminels de la pensée ! "

Giorgio Agamben
 

Nous entendons aujourd’hui rendre publique la transformation insidieuse d’un centre de détention en laboratoire d’expérimentation du pouvoir souverain sans aucune limite. Ce qui paraît inimaginable dans une république, qui a inscrit dans sa constitution la déclaration des droits de l’homme a lieu, en ce moment même, au centre de détention de Fresnes.
Le transfert dans cette prison d’hommes de forte personnalité, capables d’allier l’argumentation démocratique à la contestation concrète et pratique, n’est ni un accident ni une fatalité du système pénitentiaire mais le résultat d’une volonté politique de négation. Nous découvrons cette même négation à l’œuvre dans le ministère de l’éducation national qui vient de priver de salaire François Turchi avant qu’il ne soit jugé ; ce qui est sans précédent dans une administration. Nous ne pouvons prendre la parole que pour les enseignants du S.T.I du fait de nos statuts, mais ce message s’étend à tous ceux qui sont détenus pour leurs idées. Nous interpellons par cette conférence ceux qui ont prétention à gérer l’avenir de leur pays et qui se réclament de la démocratie.
Comment le pouvoir politique a-t-il pu engendrer cette zone de non-droit et se réserver par-là même un droit souverain sur la vie des hommes, que l’idée républicaine était censée abolir : C’est une des questions que nous adressons aux futurs élus. La volonté de briser des personnalités qui travaillaient à ce que la Corse accède à sa souveraineté, existe belle et bien et ce, au marge du droit et de la loi.
En faisant en sorte que la Corse devienne une région pilote européenne pour un système éducatif rénové nos adhérents et, tous ceux qui mettent en place une nouvelle souveraineté se trouvent exclus de fait, du droit commun et du régime carcéral qui préside à celui-ci.

I/ Une volonté délibérée de briser des hommes en les privant de leurs droits.

Si la prison fut conçue pour isoler des hommes de la société civile et exercer lors de leur retour dans celle-ci un contrôle de leur activité, ce n’est plus le cas du centre de détention de Fresnes qui réserve aux prisonniers politiques un traitement d’exception.
Les droits fondamentaux qui portent sur la préservation de la dignité sont bafoués tandis qu’un dispositif de concentration s’est mis en place privant les détenus de toute activité.
Face à des hommes qui seront un jour libérés le centre de détention s’est transformé en machine à briser des volontés. Il ne s’agit pas de " redresser afin d’insérer ", comme l’entend l’institution pénitentiaire, mais d’abolir ce qui fait l’humanité de ces hommes en leur consacrant un régime d’exception. Remis en liberté, ces hommes ne doivent plus contester d’aucune façon les exactions du pouvoir sur notre peuple, notre culture et notre identité et, c’est bien ce qui est ici recherché. C’est ce que nous révèlent les méthodes employées.

II/ Les faits révèlent des moyens hors du commun.

Quatre militants de notre organisation syndicale, Jean Castela, Vincent Andreuzzi, François Turchi et Jean-Philippe Antolini, aujourd’hui transférés à la prison de Fresnes nous permettent par leur témoignage et leur conduite exemplaire de révéler la constitution d’"un camp réservé aux criminelles de la pensée"

Ce terrorisme d’Etat nous est révélé par une stratégie, un dispositif, une tactique, une méthode et une occultation :

- Une stratégie : l’isolement disciplinaire.
Le courrier de ces détenus hors du commun est sous contrôle permanent. Même lorsque l’instruction est terminée, le blocage systématique et concerté de celui-ci permet d’isoler d’avantage les prisonniers et de semer la zizanie au sein de leur famille respective et de leurs amis. Les droits de parloir sont donnés au compte goutte et souvent de façon insensée. Couper le prisonnier de sa famille, de ses amis et de sa culture sont des moyens de pressions inadmissibles.
Nos adhérents incarcérés à Fresnes, comme les détenus corses dans ce même établissement, sont interdits de communiquer entre eux alors qu’ils sont entendus dans des affaires complètement différentes. Ce fait consacre la commune appartenance à une culture comme une cause de culpabilité.

- Un dispositif de destruction : le mitard
Depuis un mois, les altercations concertées par l’administration pénitentiaire permettent d’inculper nos adhérents au près de cette commission où les membres sont juges et parties : la commission de discipline. Pour des raisons aussi futiles qu’inutiles, certains surveillants de prison provoquent par des insultes racistes des incidents avec les professeurs incarcérés en vue de les isoler. Notre adhérent François Turchi vient ainsi de se voir signifier sa seconde mise au mitard alors qu’il a apporté les preuves de cette manipulation.

- Une tactique d’aliénation : le trou de mémoire et la privation de l’instruction.
Jean Castela pour sa part a vu disparaître sa thèse de doctorat qui a requis trois ans de travail, puisque son ordinateur est resté à Fleury-Mérogis lors de son transfert.
Dans ce qui est en train de se transformer en camps pour les criminels de la pensée, l’accès à l’instruction est ainsi refusé, le service scolarité est inexistant pour les études universitaires, il est impossible de s’inscrire dans une formation du même nom, de préparer un concours, d’accéder à la bibliothèque pour y travailler durablement, de disposer de matériel informatique ou de simple document au format A4, sans parler des fournitures scolaires qui parviennent dans des délais rédhibitoires.

- Une méthode : Accentuer le manque d’hygiène mentale et physique
L’espace que pratique les détenus de la pensée n’est pas celui des pédophiles, des violeurs, des dealers ou des V.I.P. L’achat de lampe de chevet permettant la lumière pour la lecture est interdit à Fresnes. Ce centre, en dépit de l’interdiction européenne d’utiliser les grillages à mailles serrés aux fenêtres pour cause d’obscurité garde cette spécificité.
L’hygiène est catastrophique et confine les prisonniers à vivre dans la crasse et parmi les rats qui envahissent les cours de promenade. L’accès aux activités sportives est limité et, concernant nos adhérents interdit sous la mention illicite : " peut communiquer ! ".

Priver d’activité physique, dans un espace disciplinaire où la sortie du cachot alterne avec l’impossibilité de se cultiver et de communiquer, nos adhérents sont mis à nu par un pouvoir qui déroge à toutes les lois en vigueur, dans ce qu’il ait convenu d’appeler un camp pour briser la pensée. La torture blanche, celle qui ne peut se mesurer, ni s’observer devient une pratique courante pour briser des volontés et à travers celles-ci une communauté de culture : le peuple corse.

 

 

- Une occultation de ces techniques : le lynchage médiatique exercé par les grands médias parisiens.
Le silence qui entoure ces pratiques a savamment été aménagé par un lynchage médiatique qui les accompagne. Alors que le secret de l’instruction devrait prévaloir en ce domaine, la population a déjà été préparée, grâce à une presse parisienne instrumentalisée, à la culpabilité des personnes incriminées. Jean Castella a été libéré dans l’affaire Erignac et pourtant il apparaît toujours comme le bouc-émissaire rêvé. François Turchi est à peine incarcéré qu’on en fait un monstre qui menaçait la vie parisienne. Jean Philippe Antolini est libérable depuis trois mois et Vincent Andreuzzi pourrait attendre son jugement en liberté, mais nul ne se fait l’écho de ce traitement infligé. Celui-ci relève d’un chef d’accusation ignoré par les services de l’Etat compromis dans cette manipulation de l’opinion : " la persécution organisée ". Le juge Halphen ne nous contredira pas !

III/ Un état d’exception qui doit cesser.

Fresnes est régulièrement dénoncé par l’I.O.P, mais aussi par les instances européennes pour l’inhumanité de ses traitements. Le rapport des sénateurs sur l’état des prisons va dans ce sens.
Aujourd’hui, devant nos yeux mais derrières des enceintes et par un silence des médias parisiens, se produit " l’innommable " que cette même république a condamné en d’autres temps.

Nous exigeons donc que ces enseignants et, par delà leur personne, que l’ensemble des hommes incarcérés pour avoir défendu leurs idées soient regroupé hors de Fresnes au sein de chaque maison d’arrêt par respect pour leur culture, leur histoire et leur dignité.

La non-prise en compte de notre demande par les futurs présidentiables ne fera que prouver la véracité de nos propos concernant l’existence de pratiques concentrationnaires à la prison de Fresnes et renforcera la détermination de nos adhérents et de leurs compagnons dans la mise au pilori de ce système et de ceux qui l’entretiennent.

Nul ne peut plus invoquer l’ignorance concernant les conditions de détention et le dispositif de destruction qui règne dans cet établissement.

Ce texte sera envoyé officiellement au gouvernement présent, ainsi qu’à tous les présidentiables.

"Lors d’un procès, si un homme est jugé coupable à l’unanimité,
Relachez-le !
Vous avez la preuve de son innocence !"

Emmanuel Levinas.