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Santé : Rapport 2005 - les conditions de détention en France

Mise en ligne : 15 mai 2007

Texte de l'article :

Rapport 2005 : les conditions de détention en France - Chapitre Santé
OIP/La découverte, 2005, 288p.

Dix ans après la loi du 18 janvier 1994, l’objectif « d’assurer aux détenus une qualité et une continuité de soins équivalents à ceux offerts à l’ensemble de la population » demeure largement utopique. Les conditions d’hygiène déplorables et les entraves répétées à la mise en œuvre des politiques de santé publique - secret médical bafoué, extractions annulées, contraintes sécuritaires disproportionnées - sont autant d’éléments qui empêchent la prison de constituer une quelconque opportunité de soins pour une population dont les besoins sanitaires sont pourtant identifiés. Les détenus âgés, handicapés ou gravement malades en sont les premières victimes.

 Contexte
« Dix ans après la loi, quelle évolution dans la prise en charge des personnes détenues ? » [1]. La réponse à cette question, posée en décembre 2004 dans le cadre d’un colloque organisé par les ministères de la Santé et de la Justice, est venue de l’un des participants, praticien hospitalier à l’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) du centre pénitentiaire d’Aiton (Savoie). « Si de nombreux progrès dans le parcours de soins ont été réalisés, un certain nombre de médecins ont le sentiment qu’après les progrès initiaux et les premières perspectives d’améliorations progressives, une détérioration se fait sentir depuis deux ans environ », a estimé Bruno De Goer. De fait, transférant la responsabilité de la prise en charge médicale des personnes détenues aux hôpitaux publics, la loi du 18 janvier 1994 a bouleversé profondément la médecine en milieu pénitentiaire, mais elle ne lui a pas permis de s’affranchir des contraintes carcérales. La démarche de soins, qui requiert discrétion, confidentialité et disponibilité s’oppose fréquemment au fonctionnement de la prison qui impose ses contraintes et son rythme. La circulaire interministérielle du 10 janvier 2005, selon laquelle « l’efficience et la qualité de la prise en charge sanitaire des personnes détenues reposent sur une dynamique partenariale qu’il convient d’instaurer et d’entretenir entre les services hospitaliers et pénitentiaires » [2], pointe une difficulté majeure. D’autant que, sous différents aspects, la pratique thérapeutique intra-muros est subordonnée au bon vouloir de l’administration. Ainsi, il appartient aux personnels pénitentiaires d’accompagner un détenu à l’UCSA ou, quand il existe, au service médico-psychologique régional (SMPR), d’organiser un transport vers l’hôpital de rattachement, ou d’appeler le SAMU lorsqu’il n’y a pas de permanence médicale la nuit. C’est sur eux également que repose la distribution d’une nourriture conforme au régime prescrit par un médecin ou le respect des règles d’hygiène élémentaires. Aussi, lorsque la surpopulation dégrade les conditions de vie en détention et impose aux personnels une course permanente, lorsque l’administration multiplie les mesures de sécurité, il peut s’en suivre des conséquences dramatiques pour la prise en charge médicale des personnes détenues. Les unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI), vouées à l’amélioration des soins apportés aux détenus nécessitant une hospitalisation, n’échappent pas à cette contradiction. La persistance de blocages, au demeurant parfaitement identifiés par les pouvoirs publics, doit nourrir une réflexion sur la capacité d’un système d’essence sécuritaire à respecter les exigences inhérentes à une logique de santé publique.

 Le 30 janvier 2003, un homme est retrouvé sans vie sur le lit d’une cellule disciplinaire de la maison d’arrêt d’Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône). La veille, à l’issue d’une visite, le responsable de l’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) a signé une « aptitude au quartier disciplinaire », mentionnant que « le détenu dort profondément ». Pourtant, selon plusieurs témoignages, l’homme gisait à terre, le pantalon mouillé. Sans l’ausculter, le médecin l’a installé sur le lit dans la même position où il sera retrouvé le lendemain. Choquée, une infirmière de l’établissement alerte les autorités pénitentiaires et sanitaires sur les conditions dans lesquelles ce décès est survenu et, par la même occasion, sur de nombreux autres dysfonctionnements. Elle évoque l’hostilité du médecin-chef aux extractions médicales, des diagnostics bâclés, des soins par la seule Bétadine de brûlures, y compris les plus graves, tout comme les automutilations même profondes. L’infirmière dénonce l’amputation du pied d’un détenu faute d’un traitement adapté, un diagnostic trop tardif d’un cancer de l’intestin faute d’une extraction vers une consultation spécialisée. Enfin, elle rapporte les propos que lui a tenus le médecin-chef à son arrivée, quelques mois auparavant, dans l’établissement : « ici un détenu est d’abord un détenu. Ne l’oubliez jamais ! On soigne des détenus malades et non des patients détenus. »

Etant donné l’état de délabrement avancé dans lequel se trouve une partie des établissements pénitentiaires, le respect des règles d’hygiène n’a pas fait l’objet d’améliorations substantielles au cours de la période observée. Cette carence récurrente n’est pas sans conséquences pour l’ensemble des personnes qui travaillent, interviennent et, bien sûr, séjournent en détention. En mars 2004, au terme de son Etude sur les droits de l’homme dans la prison, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a souligné qu’« en matière d’hygiène corporelle, la France est en retard par rapport à nombre d’Etats européens » et que « la situation de promiscuité imposée à la majorité des personnes incarcérées en maison d’arrêt représente l’un des aspects les plus dégradants des conditions de détention en France » [3]. Au cœur de l’été 2004, la principale organisation syndicale de personnels de l’administration pénitentiaire a fait part des résultats d’une enquête réalisée « pour se faire une idée exacte de la pénibilité des tâches » dévolues aux surveillants. Selon l’UFAP, les nuisances quotidiennes dont se plaignent les gardiens dans les établissements sont diverses : 76 % évoquent le manque d’aération, 72 % la fumée et les odeurs, 60 % le bruit, 60 % la température, 59 % la poussière, 31 % la lumière et 18 % le contact avec les animaux [4]. Une série de constats qui corrobore les observations du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) à l’issue de sa visite des maisons d’arrêt de Loos (Nord) et de Toulon (Var) en juin 2003. Selon les experts du Conseil de l’Europe, « les détenus étaient soumis à un ensemble de facteurs néfastes - surpeuplement, conditions matérielles déplorables, conditions d’hygiène - créant un risque sanitaire indéniable » [5]. Dans les deux établissements visités, « l’espace de vie moyen alloué aux détenus était réduit à une peau de chagrin », contraignant certaines personnes à dormir sur des matelas posés à même le sol. Le CPT a également dénoncé l’insalubrité des cellules, où l’absence de cloisonnement des sanitaires « ne garantissait ni l’intimité ni la dignité des détenus », mais aussi la vétusté des salles communes, tels les cabinets de consultation médicale ou les douches. Fort logiquement, les autorités françaises ont été invitées à « prendre sans délai les mesures nécessaires pour remédier à l’ensemble de ces déficiences d’ordre matériel ». S’agissant de la maison d’arrêt de Loos, le gouvernement s’est contenté de répondre [6] que « les détenus disposeront d’installations sanitaires parfaitement aux normes, dans le nouvel établissement pénitentiaire de Lille-Séquedin ». Cette nouvelle prison a effectivement « ouvert ses portes » en avril 2005, soit près de deux ans après le passage de la délégation du CPT. Mais quid de la population détenue, un peu partout en France, au sein d’établissements tout aussi vétustes que celui de Loos, qui n’a d’ailleurs pas été fermé par l’administration ? A la maison d’arrêt de La Santé (Paris), les toilettes de nombreuses cellules sont visibles par l’œilleton de la porte. Une disposition dont le caractère humiliant avait pourtant été dénoncé dès 2000 par le même CPT. Certains détenus y sont contraints de fabriquer des couvercles en carton pour éviter que les odeurs remontent des canalisations. Quant aux douches, elles sont pour la plupart insalubres, sans aération et couvertes de moisissures. Le Code de procédure pénale prescrit que tout détenu doit pouvoir bénéficier de trois douches hebdomadaire, mais, ainsi que l’a rappelé la CNCDH, dans la pratique, « cette prescription n’est cependant effective que "dans toute la mesure du possible" ». Or, pour la Commission, « cette règle, a fortiori assortie de ce tempérament, n’est plus admissible au vingt-et-unième siècle. Les détenus doivent pouvoir se doucher quotidiennement ». En fait, sur les questions d’hygiène comme sur la plupart des observations du Comité pour la prévention de la torture, la réponse du gouvernement, en mars 2004, se résume à l’évocation de son programme immobilier, comprenant « la création dans la cellule même d’un espace sanitaire [qui] permet ou permettra de mieux répondre aux besoins des personnes détenues ». D’ici là, les détenus doivent se contenter de douches collectives, avec les risques afférents. En octobre 2004, 16 cas de gale ont été détectés à la maison d’arrêt d’Amiens (Somme). Malgré le confinement des malades en cellule, un surveillant a fait part de ses inquiétudes au regard de l’indigence des mesures de précaution mises en œuvre : « ils vont dans les douches collectives et sont donc, d’une manière ou d’une autre, en contact avec d’autres détenus, sachant qu’il n’y a aucune décontamination » [7]. Le respect des normes élémentaires d’hygiène fait également défaut en ce qui concerne l’alimentation, qu’il s’agisse de la fabrication des repas ou de leur distribution. Ainsi, les cuisines de la maison d’arrêt de Grenoble-Varces (Isère) ont fait l’objet d’un audit en 2002 - comme toutes celles des établissements de la région pénitentiaire de Lyon - dont les « conclusions étaient particulièrement inquiétantes ». Le rapport d’activité 2003 de l’établissement évoque des « mesures correctives temporaires » tout en précisant que « seule une reconstruction complète des locaux permettra d’atteindre les objectifs fixés en matière d’hygiène ». Au centre de détention d’Eysses (Lot-et-Garonne), le rapport d’activité 2003 renseigne sur le fait que « les WC sont extérieurs, à la turque et communs à tous ceux qui sont en cuisine et au magasin à vivres », que ces toilettes n’ont « pas de lumière pas de lave-mains » et enfin, qu’il faut déplorer « dans la cour et à l’entrée : [un] croisement des poubelles et de l’approvisionnement ». A la suite de la visite des services d’inspection sanitaires, les rapports d’activité 2003 du centre pénitentiaire de Draguignan (Var), du centre de détention de Montmédy (Meuse) et des maisons d’arrêt de Foix (Ariège) et de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), se sont inquiétés des risques de contaminations de la nourriture. Dans aucun de ces établissements n’a été dispensée de formation à l’hygiène alimentaire pour les détenus cuisiniers. En 2004, constatant l’insalubrité des cuisines du centre de détention de Châteaudun (Eure-et-Loir), l’inspecteur des services de sécurité sanitaire des aliments a mis en garde la direction de l’établissement contre « le risque non négligeable de contamination des produits pouvant être à l’origine d’accidents toxi-infectieux ». A la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne), une inspection sanitaire de l’ensemble du service de restauration réalisée par la direction départementale des services vétérinaires (DDSV) et par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) a conclu : « concernant la qualité des repas, il est apparu aux inspecteurs que la part faite aux produits laitiers et aux crudités [était] insuffisante. Mais plus encore que les aspects diététiques, la qualité globale des repas (qualité culinaire) notamment a semblé très moyenne voire médiocre ». Au centre de détention de Mauzac (Haute-Garonne), ce n’est que depuis la visite de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en mars 2005, que le transport du potage vers les pavillons d’hébergement s’effectue dans des bidons isothermes et hermétiques. La soupe était auparavant transportée dans des jerrycans non couverts, et ce, quel que soit le temps. Théoriquement supervisée par des nutritionnistes, la composition des menus doit tenir compte de l’âge, l’état de santé et, le cas échéant, de la nature du travail des personnes détenues. De fait, ces dispositions sont très rarement respectées. A la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, faute de collaboration avec un diététicien, il n’existe pas de régime spécifique pour les détenus édentés. Les repas sont simplement passés au mixeur. A la maison d’arrêt de La Santé (Paris), les menus ne tiennent pas compte des diabétiques. Mis à part la salade, les fruits et les produits laitiers, tous les produits utilisés sont congelés ou issus de conserves. Les viandes et légumes sont cuits à l’eau. En outre, la plupart des repas arrivent froids en cellule. A la maison d’arrêt de Loos (Nord), le CPT a relevé en juin 2003 que « des containers débordant d’immondices malodorantes étaient laissés plusieurs heures durant à l’entrée des sections, par là même où étaient acheminés les chariots de repas ». Enfin, comme l’indique le rapport de la commission de surveillance de la maison d’arrêt de Beauvais (Oise), les ressources financières dont dispose un établissement ne sont pas indexées au taux d’occupation : « le budget alloué est le même pour 90 comme pour 152 détenus. Il n’y a pas de réévaluation. Les menus sont établis par une diététicienne au niveau régional et les approvisionnements s’effectuent à partir de centrales d’achats. L’équilibre se fait avec les détenus qui peuvent utiliser des cantines alimentaires ».

 Le 17 septembre 2004, la maison d’arrêt de Dijon (Côte-d’Or) a reçu la visite de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et de celle des services vétérinaires (DDSV) pour une série de contrôles en matière d’hygiène alimentaire. Cette inspection a constaté « un risque réel pour la survenue de toxi-infections alimentaires collectives » dans l’établissement. Elle confirme ainsi les inquiétudes suscitées par la mésaventure arrivée entre le 6 et le 8 juillet 2004 à 4 femmes détenues soudainement frappées de diarrhées et de troubles digestifs. « La mauvaise conservation des produits frais achetés à la cantine par les détenus qui, faute de réfrigérateurs dans les cellules, sont stockés à température ambiante » serait à l’origine de ces troubles, ont estimé les inspecteurs. Vétuste, la maison d’arrêt ne dispose pas d’installations électriques qui permettent l’usage de réfrigérateurs en cellule. Par ailleurs, les aliments frais ne font l’objet que d’une livraison hebdomadaire aux détenus. Du coup, « ces produits sont généralement stockés sur les rebords des fenêtres, d’où le risque de prolifération de germes, et ce plus particulièrement en période estivale », ont déploré les services sanitaires. La direction de l’établissement s’étant « engagée à apporter aux détenus la possibilité de disposer d’un réfrigérateur d’ici fin 2004 », la DDASS a demandé qu’« une information sur les conditions de conservation de ces produits » soit assurée « dans les plus brefs délais ». Lors de cette même visite, les inspecteurs ont également relevé qu’aucun des travaux de restructuration des cuisines n’avait été entrepris, « contrairement à ce qui avait été annoncé lors de la dernière visite du 4 mars 2004 ». Insistant particulièrement sur le fait que l’état de la cuisine « ne permet pas d’éviter suffisamment les contaminations croisées entre secteurs propres et secteurs contaminés », ils ont exigé des autorités pénitentiaires que les denrées alimentaires soient maintenues « dès maintenant à des températures inférieures ou égales à celles figurant sur leurs étiquetages d’origine », de telle sorte à éviter leur détérioration. La DDASS et la DDSV ont également demandé qu’un système de traçabilité des denrées alimentaires soit mis en place « sans délai ».

La réforme de 1994, confiant la responsabilité des soins en milieu pénitentiaire au seul ministère de la Santé, a considérablement amélioré la prise en charge médicale des détenus. Pour autant, les démarches du service public hospitalier se heurtent quotidiennement aux contraintes propres à la prison et à la dégradation générale des conditions de détention. Se félicitant de la création d’une unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) dans chaque prison, l’Académie de médecine souligne néanmoins qu’« il y a à l’évidence une grande disparité des moyens de cette prise en charge selon les établissements concernant les budgets, les locaux et les équipements. Les personnels médicaux et paramédicaux (...) sont particulièrement insuffisants pour répondre aux besoins, et pour certains d’entre eux insuffisamment formés à leur fonction très particulière » [8]. De fait, les ministères de la Justice et de la Santé éprouvent quelques difficultés à coordonner tant les politiques mises en œuvre que leur financement. Calculés en fonction de la capacité d’accueil des établissements où ils sont implantés, les budgets des UCSA sont insuffisants pour faire face à la demande de soins émanant d’un nombre de détenus très fréquemment bien supérieur. En outre, lors de la mise en service d’un établissement plus important que celui existant, le budget de l’UCSA ne fait pas pour autant l’objet d’une réévaluation. « On constate une augmentation importante du nombre de détenus dans les prisons françaises », relève Alain Paris-Zucconi, directeur de l’établissement public de santé national (EPSN) de Fresnes (Val-de-Marne), mais « les équipes médicales restent les mêmes, deux médecins pour 800 à 900 détenus ». Dans ces conditions, poursuit-il, « les consultations deviennent de l’abatage et certains diagnostics passent aux travers » [9]. Or, majoritairement issue de milieux sociaux précarisés tant sur le plan social que sanitaire, la population carcérale se caractérise par une forte nécessité de soins. D’autant plus que le milieu clos de la prison provoque « l’aggravation ou la réactivation de certaines affections » et qu’il « en découle des troubles pathologiques et sanitaires assez importants » [10], ainsi que l’explique la psychosociologue Dominique Lhuiller. Au-delà des conséquences induites par la surpopulation sur l’exercice des soins, les UCSA sont confrontées aux évolutions sociologiques de la population carcérale et de la prépotence du climat sécuritaire. « De plus en plus de personnes très marginalisées, souvent non francophones et/ou atteintes de pathologies mentales parfois sévères, sont incarcérées. La surpopulation carcérale pose des difficultés concrètes de pathologies spécifiques, d’accès aux soins et d’accompagnement. Des nouvelles mesures concernant la sécurisation lors des extractions entraînent des refus de soins, voire l’apparition (ou la réapparition) de pathologies », constate le médecin Bruno De Goer, qui s’interroge sur le plan éthique. « Les UCSA ne participent-elles pas indirectement à faire accepter l’inacceptable ? Les locaux sont devenus exigus en regard de la surpopulation carcérale, des normes de sécurité et des normes d’hygiène hospitalière. Et si les UCSA ne gèrent pas uniquement l’urgence, certains d’entre nous ont le sentiment de ne plus travailler que dans l’urgence. »
Dans la nuit du 8 au 9 juillet 2003, un détenu de la maison d’arrêt d’Osny (Val d’Oise) s’est déboîté une épaule lors d’une crise d’épilepsie. Malgré les appels de son codétenu, il est resté sans soins jusqu’à l’ouverture des portes le lendemain matin. Dans la nuit du 16 au 17 mai 2003, à la maison d’arrêt de Grenoble-Varces (Isère), un homme découvre vers minuit son codétenu pendu au radiateur. Il frappe pendant plus d’une heure à la porte de sa cellule avant d’être entendu par les surveillants. 

Au regard des normes européennes, « le secret médical devrait être garanti et observé avec la même rigueur que dans la population générale » [11]. Toutefois, comme le relevait un membre de la commission de surveillance 2004 du centre pénitentiaire de Longuenesse (Pas-de-Calais) : « il y a des problèmes de définition du "secret médical". Les pratiques de l’UCSA sont différentes de celles à l’extérieur ». Une observation qu’illustre parfaitement le rapport d’activité 2003 du centre pénitentiaire de Ploemeur (Morbihan). Dans cet établissement, la distribution des médicaments en cellule par les infirmières est organisée de façon à permettre « un échange, une communication entre les détenus et l’équipe infirmière, d’une part, et entre l’équipe infirmière et le personnel de surveillance d’autre part ». A la maison d’arrêt de Draguignan (Var), faute de locaux suffisants, certaines consultations de médecins se déroulent dans les bureaux des surveillants, « ce qui gêne considérablement les relations et la confidentialité des échanges », concède le rapport d’activité 2003. Une confidentialité que peut également mettre à mal la lourdeur procédurale inhérente aux établissements pénitentiaires. Ainsi, selon Michel Vella, médecin vacataire du Centre de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) et médecin responsable de l’UCSA de Draguignan, « la mission des CDAG en prison a conduit dès le départ à un certain blocage lié au concept d’anonymat. [...] Contrairement au milieu libre, où le déplacement vers les locaux du CDAG peut se faire en toute discrétion, tout mouvement en prison nécessite une autorisation motivante qui conduit à une identification et une discrimination : demandes écrites ou signalements des acteurs des administrations. Donc l’anonymat qui reflète l’autonomie complète de la décision de dépistage du milieu libre est illusoire en prison dès que le détenu établit une demande écrite pour l’accès au CDAG. » [12] D’autre part, les réactions de crainte face à la maladie et surtout le manque d’information sur les modes de transmission - persistant en milieu carcéral - peuvent engendrer des velléités de remise en cause du secret médical. Ainsi, le rapport de la commission de surveillance de Ducos (Martinique) d’octobre 2004 évoque un intervenant estimant « important de connaître le nom des détenus détectés, ne serait-ce que pour le personnel qui aurait été en contact avec eux ». De fait, les impératifs de sécurité propres à l’univers carcéral sont un obstacle de taille au respect de ce principe. Dans un contexte où toute demande de soins se doit de transiter par un surveillant, les détenus jugés perturbateurs seront fréquemment contraints de la justifier. Par ailleurs, les psychiatres et les médecins continuent à être sollicités par l’administration pour délivrer des certificats médicaux attestant de « l’aptitude » des détenus à subir un placement ou un maintien au quartier disciplinaire ou d’isolement. Une pratique déplorée par le Conseil national de l’ordre des médecins qui estime qu’un praticien exerçant en milieu pénitentiaire « n’a pas à renseigner les autorités pénitentiaires ou judiciaires sur des points relevant de l’expertise médicale » [13]. Une règle éthique dont le rappel s’avère indispensable mais insuffisant. En effet, en 2004, le rapport de la commission de surveillance du centre pénitentiaire de Longuenesse (Pas-de-Calais) a signalé que certains aménagements de peines sont refusés par manque d’information médicale. Présent lors de la réunion de la commission, le procureur a même déclaré vouloir engager la responsabilité pénale d’un praticien « qui, refusant de communiquer des informations relevant du secret médical, a conduit la justice à prendre une décision entraînant des conséquences dommageables pour la société civile ». Enfin, même si la réglementation prévoit la transmission du dossier pénal d’un détenu uniquement dans le cas d’une condamnation pour des délits à caractère sexuel, il est fréquent que le greffier de l’établissement le communique aux services médicaux pour chaque entrant. La circulaire du garde des Sceaux du 18 novembre 2004, relative à l’organisation des escortes pénitentiaires des détenus faisant l’objet d’une consultation médicale, a avalisé cette dérive. Ce texte enjoint aux chefs d’escorte de présenter la fiche faisant état du parcours pénal du détenu à tout médecin qui contesterait les mesures de sécurité déployées. Dans le rapport d’activité 2004 de la maison d’arrêt de La Roche-sur-Yon (Vendée), figure ce propos teinté d’amertume d’un médecin intervenant dans l’établissement : « nous sommes souvent pris pour des auxiliaires de justice ».

 Régulièrement suivi pour des problèmes cardiaques, un homme âgé de 70 ans est victime d’un malaise dans la nuit du 25 au 26 décembre 2004 à la maison d’arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine). Son compagnon de cellule utilise alors l’interphone de la cellule pour alerter les surveillants de permanence, mais ses appels demeurent sans réponse. Aucune note n’a été diffusée par l’établissement pour informer de la panne du système d’appel des cellules de l’étage. Le vieil homme décède. Il tambourine à la porte de la cellule, sans plus de succès. Les heures passent, et finalement, la nuit entière. Il va rester enfermé avec le défunt jusqu’à l’arrivée des surveillants, au petit matin. 

Dans la plupart des établissements, la fin de la « journée pénitentiaire » a lieu à 17 heures. Très rares sont les sites où est assurée une permanence des soins la nuit et le week-end. En conséquence, déplore l’Académie de médecine, « le suivi d’un traitement prescrit pour être réparti sur 24 heures a les plus grandes chances d’être interrompu. La spécificité d’une surveillance continue telle que celle d’un diabète de type I ne peut être assurée. La survenue d’un événement médical aigu nocturne relève du dispositif civil de type S.O.S. médecin, pour autant qu’ait été identifié (par qui ? le codétenu ?) et signalé l’état anormal du détenu » [14]. Formulé en décembre 2003, ce constat illustre les limites auxquelles se heurte l’objectif de la loi du 18 janvier 1994 « d’assurer aux détenus une qualité et une continuité de soins équivalents à ceux offerts à l’ensemble de la population ». En cas d’urgence, les procédures d’alerte et d’accès aux cellules rallongent considérablement les délais d’intervention. Outre qu’il doit entendre les appels du détenu en détresse ou ceux de ses codétenus, le surveillant de garde doit évaluer seul la gravité de la situation, demander le cas échéant à un gradé - seul habilité à ouvrir la cellule - de venir à l’établissement, et enfin, contacter le médecin régulateur du Centre 15 qui dépêchera un médecin sur place. Indiquant que « la nuit et les week-ends les urgences ne sont pas assurées », le rapport de la commission de surveillance de la maison d’arrêt de Troyes (Aube) signale qu’à « quatre reprises en 2003, le Centre 15 a refusé de se déplacer à l’intérieur de l’établissement et préconisé des extractions, estimant à l’énoncé des symptômes qu’il ne s’agissait pas de réelles urgences ». Prenant conscience des déficiences inhérentes à ce processus qui place le surveillant dans un rôle d’intermédiaire entre le détenu et le médecin régulateur, les ministères de la Santé et de la Justice ont modifié la procédure, depuis avril 2004. Le Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues [15] invite désormais chaque établissement pénitentiaire « à mettre en place un dispositif permettant à la personne détenue concernée de communiquer directement par téléphone avec le médecin régulateur du Centre 15 ou de l’établissement de santé ». Cette disposition doit permettre « de mieux cerner les cas d’urgence vitale et d’éviter ainsi de prendre du retard dans la dispensation des soins pouvant entraîner des conséquences graves pour les personnes détenues ». Une réforme réclamée depuis longtemps par le CPT qui, à l’issue de sa visite effectuée en 2000 en France, avait réitéré « sa recommandation d’équiper les cellules d’un système d’appel (...), de revoir les effectifs des équipes de nuit et remédier à toute insuffisance constatée ». De même, en 2001, « l’absence de médecin de garde, les conditions d’alerte des surveillants, les délais d’accès aux cellules » avaient été déplorés par l’inspection générale des services judiciaires (IGSJ) et l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), comme « autant d’éléments qui peuvent aboutir à une gestion de l’urgence insatisfaisante » [16]. Alors même que certains établissements pénitentiaires ont été équipés de systèmes d’interphones en cellule, leurs dysfonctionnements semblent récurrents. Ainsi, à la maison d’arrêt de Brest (Finistère), le dispositif était en panne depuis plus d’un an lorsqu’en octobre 2004, un détenu a été agressé par son codétenu armé d’un couteau. Les appels et les cris émanant des cellules voisines en direction des miradors sont restés sans effet. Les surveillants ne sont intervenus qu’après avoir repéré un papier enflammé par un détenu à sa fenêtre, soit une heure après l’incident.

En mai 2003, un détenu de 21 ans, incarcéré depuis le 7 mars 2003 à la maison d’arrêt de Compiègne (Oise), se plaint d’un mal de dos. Malgré les calmants prescrits par le médecin de l’UCSA, les douleurs semblent persister et des examens complémentaires réalisés à l’hôpital de la ville ne donnent aucun résultat. Souffrant toujours de vives douleurs au dos, le jeune homme continue à réclamer des soins. Il est alors orienté vers un psychiatre qui ne décèlera rien de particulier. Petit à petit, le détenu sent ses jambes se paralyser. Ses déplacements se font désormais sur un brancard. Au début du mois de décembre, il n’arrive plus à uriner, il ne mange plus. Quelques jours plus tard, il est transféré à l’hôpital d’Amiens où l’IRM [une imagerie par résonance magnétique permet d’observer avec précision l’état de nombreux organes] révèle une tumeur cancéreuse au niveau de la colonne vertébrale. Le jeune homme est opéré en urgence dans la nuit du 9 au 10 décembre. Le certificat médical établi le 29 décembre par le chirurgien mentionne que la paraplégie complète remarquée à son admission à l’hôpital « évoluait depuis au moins 72 heures avant son hospitalisation » et précise que « le pronostic neurologique est extrêmement défavorable ». Le détenu est maintenant paraplégique. Ses parents n’ont pas été prévenus de l’hospitalisation en urgence de leur fils à Amiens. Ils ont appris la nouvelle quelques jours plus tard, lors d’une prise de rendez-vous pour réserver un parloir. 
 
Les difficultés pour obtenir des consultations de spécialistes sont communes à la plupart des établissements. Le rapport de la commission de surveillance de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines), réunie en décembre 2004, déplore des « difficultés majeures ». « Il n’y a plus de spécialistes, pas de dermatologues, pas d’ophtalmologistes, pas de chirurgiens dentistes » et, dans ces conditions, « les délais d’attente » sont « de trois mois ». Une situation quasi générale qui est due au fait que « le recrutement de spécialistes est devenu impossible, les statuts et le montant des vacations n’étant pas attractifs ». Au centre de détention de Riom (Puy-de-Dôme), le rapport d’activité 2003 signale que « les médecins du centre hospitalier ne viennent plus sur place », qu’« aucun orthopédiste n’accepte de se déplacer » et que « l’anesthésiste ne se déplace que très rarement ». Au centre pénitentiaire de Châteauroux (Indre), le dernier dermatologue est parti en retraite en 2002. Il n’existe donc plus de consultation à l’UCSA, ce qui n’est pas sans poser problème puisque « la spécialité ne se fait pas au centre hospitalier ». S’agissant du suivi gynécologique des femmes détenues, les UCSA des maisons d’arrêt d’Epinal (Vosges), de Bonneville (Haute-Savoie) et de Beauvais (Oise) ne disposent pas de locaux suffisamment spacieux pour que soit installé un fauteuil ou une table d’examen. A Beauvais, la prise en charge gynécologique ne se fait qu’à l’initiative du médecin généraliste. En outre, l’UCSA de Beauvais et celle de la maison d’arrêt de Poitiers (Vienne) n’organisent aucun dépistage du cancer du sein. Concernant les soins dentaires, malgré la mise en évidence par l’IGAS et l’IGSJ du manque de spécialistes en 2001, l’absence de chirurgien dentiste ou la longueur des délais d’attente sont déplorées presque partout. A la maison d’arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine), le rapport 2003 signale qu’en permanence 100 personnes environ attendent des soins dentaires. Les délais d’attente s’élèvent à deux mois minimum à la maison d’arrêt de Valenciennes (Nord) et atteignent généralement trois mois dans celle de Caen (Calvados). Cette situation est d’autant plus grave que l’enquête menée par le ministère de la Santé auprès des personnes entrées en détention en 2003 [17] indique que l’état bucco-dentaire de 50 % des entrants nécessite des soins réguliers et 2,7 % une intervention d’urgence. De façon globale, l’absence de médecins spécialistes en prison n’a pas pour seul effet des retards dommageables dans la prise en charge. Lorsque les médecins tardent à organiser l’extraction vers un centre hospitalier, les conséquences pour la santé du patient détenu peuvent parfois s’avérer dramatiques.

 Le centre hospitalier de Nice (Alpes-Maritimes) dispose d’une unité d’hospitalisation réservée aux personnes détenues. Pour autant, faute de fonctionnaires de police disponibles pour assurer les escortes des détenus hospitalisés entre le pavillon « E2 » qui les héberge et les différents services de l’hôpital, nombre de consultations, d’actes de soins et d’interventions chirurgicales sont régulièrement annulés ou reportés. En décembre 2003, un homme a attendu pendant plusieurs jours une séance de chimiothérapie sans cesse remise à une date ultérieure. Hospitalisée pour un cancer depuis le 8 août 2003, une détenue a été contrainte de supporter 64 reports successifs. Elle « n’a pu bénéficier de l’intervention chirurgicale nécessaire à l’amélioration de son état de santé, du fait d’absence d’escorte policière », atteste un certificat médical du 12 décembre 2003. Néanmoins, le 22 janvier 2004, la demande de libération conditionnelle de cette détenue a été rejetée en appel au motif, selon la cour, qu’« elle pouvait être soignée dans des conditions satisfaisantes sans qu’il y ait lieu de recourir à une mesure de libération conditionnelle ». Saisie sur ce cas individuel, la Commission nationale de déontologie de la sécurité a reçu une confirmation de la réalité de cette situation du responsable du service de médecine légale de l’hôpital, qui est également en charge de l’unité hospitalière du bâtiment E2. « Le problème majeur dans toutes les unités hospitalières de médecine légale est celui des escortes annulées », estime le praticien hospitalier qui évalue « le taux d’annulation des soins entre 20 et 40 % selon les périodes du fait de l’absence ou du retard des fonctionnaires de police ». En cas « d’annulations répétées des escortes, il arrive qu’un examen qui n’était pas urgent du fait des annulations devienne une urgence et que la santé des détenus subisse un préjudice certain », concède pour sa part le ministère de la Santé.

A défaut d’être accessibles en détention, les consultations de spécialistes, tout comme les hospitalisations de courte durée, peuvent être organisées à l’hôpital de proximité. Encore faut-il que le patient puisse y être conduit, dans un contexte où les déplacements des détenus sont subordonnés aux impératifs de sécurité. Afin d’expliquer les fréquentes annulations d’extractions médicales, les pouvoirs publics arguent généralement du manque de disponibilité tant des forces de police que des services pénitentiaires pour assurer les escortes. « Près de 50 % des extractions ont été annulées » en 2003, consigne le rapport d’activité du centre pénitentiaire de Clairvaux (Aube) où « ce type d’incident est l’élément majeur du dysfonctionnement de la prise en charge médicale de la population carcérale ». Le rapport d’activité 2004 de la maison d’arrêt de Vannes (Morbihan) relate la situation rencontrée au mois d’octobre : « alors même que les différents rendez-vous de consultations hospitalières étaient pris en concertation avec la pénitentiaire et en fonction de leurs disponibilités, sur 30 consultations prévues, 19 ont été annulées parfois le jour même. Du 8 au 20 novembre, ce sont 20 consultations sur 20 qui ont été annulées ». A la maison d’arrêt de Loos (Nord), en 2004, le taux d’annulation s’élevait à 72 %. Durant l’année 2003, au centre de détention de Riom (Puy-de-Dôme), ce sont « les séances de dialyse d’un détenu trois fois par semaine » qui « empêchaient les extractions médicales pour d’autres détenus dans les mêmes créneaux horaires et réduisaient fortement l’accès aux soins ». La même année, le rapport d’activité de la maison d’arrêt de Nîmes (Gard) indique que les extractions sont parfois « reportées jusqu’à huit fois » et que « les attentes peuvent durer un an », ajoutant : « cela peut entraîner des conséquences graves notamment en ce qui concerne les personnes suspectées d’être atteintes de l’hépatite C puisque le test n’est réalisable qu’à l’hôpital ». Dans ces conditions, « les patients sont traités par l’UCSA », en totale contradiction « avec le protocole de prise en charge ». La persistance de ces difficultés est d’autant plus injustifiable qu’en juin 2001, l’IGAS et l’IGSJ avaient souligné que « l’organisation des extractions médicales demeure un point de blocage majeur ». Affectant de rechercher une issue à cette situation particulièrement dommageable, les ministères de l’Intérieur et de la Justice ont annoncé le lancement, à compter du 1er janvier 2005, d’un dispositif expérimental où la responsabilité des escortes médicales repose intégralement sur les surveillants. Prévue pour se dérouler au sein de la région pénitentiaire de Strasbourg, l’expérience a été ajournée, suite au refus du ministère de l’Intérieur « de transférer à l’administration pénitentiaire des moyens budgétaires en personnel et en matériel pour assurer ces missions ». Un report sine die qui a provoqué l’ire de la CGT-Pénitentiaire, d’autant que l’initiative s’inscrivait dans la région où la première unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) a ouvert ses portes, à Nancy, en février 2004.

 Transférée le 1er janvier 2004 de la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis (Essonne) à l’hôpital d’Evry afin d’y accoucher, une femme est restée menottée pendant toute la durée de son accouchement. Selon la direction de l’hôpital, cet événement a été l’occasion d’un « vif échange entre les médecins et l’équipe chargée de la surveillance », qui s’est référée à des « directives nationales » pour, outre l’utilisation des menottes, justifier sa présence dans la salle de soins. En avril 2005, une équipe médicale de l’hôpital de la Conception à Marseille (Bouches du Rhône) a refusé qu’une détenue âgée de 17 ans et enceinte de six mois demeure entravée par les menottes sur son lit après son admission en urgence dans un service d’obstétrique. Le chef du service gynécologie-obstétrique a indiqué qu’il arrivait « assez souvent » que les escortes demandent que les malades détenues soient entravées mais que « toute l’équipe médicale refuse systématiquement que les femmes enceintes soient menottées ». 

Réagissant à l’évasion d’un patient survenue lors d’une extraction médicale, l’administration pénitentiaire (AP) a considéré que l’incident aurait pu être évité si l’intéressé avait été menotté non pas les bras devant, mais dans le dos. Joignant les actes à la parole, la direction de l’AP a produit, le 14 octobre 2004, une note qui étend l’usage des menottes et entraves bien au-delà de ce que prescrit le Code de procédure pénale (CPP). Alors que le CPP impose le port de menottes aux détenus extraits de leur prison « lorsque les circonstances ne permettent pas d’assurer efficacement leur garde d’une autre manière », la note énonce désormais que « tous les détenus, quelle que soit leur dangerosité, leur catégorie ou leur situation pénale, devront être menottés en permanence (pendant leur trajet et à l’hôpital) sauf impossibilité liée à des motifs d’ordre physique ou médical ». Suite aux vives critiques suscitées par cette décision, l’autorité pénitentiaire a admis une certaine « maladresse de formulation », s’empressant de publier une nouvelle circulaire en date du 18 novembre qui prévoit une différenciation des niveaux de surveillance. Toutefois, la circulaire maintient la possibilité, lors du trajet et au sein de l’hôpital, « de menotter le détenu dans le dos lorsque sa personnalité fait apparaître des risques sérieux d’évasion ou de troubles à l’ordre public ». De la responsabilité exclusive du chef d’établissement, l’application de ces dispositions doit prendre en compte toutes les informations contenues dans le dossier individuel de l’intéressé : longueur et nature de la peine, régime de détention, importance du reliquat de peine, existence d’incidents disciplinaires récents (et degré de gravité), présence d’antécédents révélant une personnalité dangereuse. De plus, le texte institue un « niveau de surveillance III » selon lequel la consultation médicale elle-même peut se dérouler « sous surveillance constante du personnel pénitentiaire » et avec l’usage de « moyens de contrainte ». Seules les femmes qui accouchent échappent à cet arsenal sécuritaire pour le moins antinomique avec les recommandations des diverses instances européennes. En effet, le 27 novembre 2003, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé à l’unanimité que la France, en imposant à un détenu âgé et en mauvaise santé le port de menottes et d’entraves au cours de son hospitalisation, a violé l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prohibe les traitements inhumains et dégradants [18]. « En tout état de cause », affirme la Cour, « l’état de dangerosité allégué ne saurait justifier le fait d’attacher le requérant à son lit d’hôpital la nuit précédant son opération chirurgicale, et ce d’autant plus que deux gardes restaient en faction devant la porte de sa chambre ». Depuis 2000, le CPT demande à la France « que toute consultation médicale de même que tous les examens et soins médicaux effectués dans les établissements hospitaliers civils se déroulent hors de l’écoute et - sauf demande contraire du personnel médical soignant relative à un détenu particulier - hors de la vue des membres des forces de l’ordre » [19]. En 2004, sur un total de 17 évasions, 4 ont concerné des détenus extraits pour raison médicale. Au regard des 55 000 à 60 000 extractions dénombrées en moyenne par an, le risque avoisine donc 0,007 %. Mais la prévention des risques d’évasion est, pour l’administration, la priorité absolue. Ainsi, en septembre 2003, lors d’un transfert du centre pénitentiaire de Caen (Calvados) vers le Palais de Justice de Rennes, un homme handicapé d’une jambe à 100 %, portant un corset amovible et, qui plus est, cardiaque et diabétique, a été menotté par les gendarmes. A mi-chemin, le détenu étant pris d’un malaise, l’escorte s’est contentée de faire demi-tour. Des soins ont finalement été prodigués, une fois le véhicule arrivé devant le centre de détention, sur le trottoir.

 Le 18 janvier 2005, un détenu de la maison centrale de Poissy (Yvelines) nécessitant une consultation pour ses problèmes de varices est accompagné menottes aux poignets et entraves aux chevilles vers l’hôpital intercommunal Poissy / Saint-Germain-en-Laye. Demandant que le patient puisse être examiné les chevilles désentravées, le médecin s’est vu opposer un refus catégorique par le chef de l’escorte demeuré présent tout au long de l’examen médical. Le détenu a été contraint de rabattre son pantalon sur ses pieds et le praticien d’ausculter la jambe malade dans ces conditions.

Les hospitalisations des personnes détenues, en urgence ou d’une durée inférieure à 48 heures, sont réalisées dans l’hôpital de rattachement au sein de chambres sécurisées. En l’absence d’aménagements matériels dans nombre d’hôpitaux, cette sécurisation se traduit par la présence des agents de l’escorte dans le local de soins, au mépris des principes d’éthique médicale. Cette approche sécuritaire a des conséquences multiples. Ainsi, en novembre 2004, un détenu du centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet (Vaucluse) souffrant d’un cancer de la thyroïde n’a pas pu bénéficier des séances de radiothérapie nécessaires à la poursuite de son traitement, les policiers chargés de sa garde refusant d’être exposés à la radioactivité. Interpellée, l’administration pénitentiaire a justifié l’absence de soins au motif que l’hospitalisation du patient ne pouvait se dérouler hors d’une surveillance renforcée. La sécurisation du local médical a été réalisée en décembre 2004. La présence policière est, en outre, diversement appréciée par les personnels soignants des hôpitaux. En 2003, le rapport d’activité de la maison d’arrêt de Rouen (Seine-Maritime) signale, par exemple, que « le service de chirurgie vasculaire a refusé de prendre en charge les patients détenus relevant de leur spécialité en dehors des situations d’urgence, en invoquant la gêne occasionnée par la garde policière dans le fonctionnement de leur service ». Les hospitalisations peuvent également être annulées par manque de place ou d’effectifs policiers. Ainsi, en 2004, le rapport d’activité du centre pénitentiaire de Maubeuge (Nord) indique que faute de pouvoir organiser deux gardes statiques, il n’est pas possible d’hospitaliser deux détenus à la fois. En cas d’hospitalisation d’urgence d’un patient, toutes les hospitalisations prévues sont donc reportées. Un constat qui vaut également pour le centre pénitentiaire de Perpignan (Pyrénées-Orientales) dont le rapport d’activité signale : « des situations de défaut de soins se sont multipliées depuis l’été 2003, période où est intervenue une limitation unilatérale du nombre de détenus hospitalisés simultanément », le seul lit restant « est manifestement insuffisant, puisque récemment saisie par les services préfectoraux, la commission interministérielle pilotée par la Direction générale de la police nationale et chargée d’entériner le projet d’implantation de chambres sécurisées dans les hôpitaux de proximité a estimé le besoin local à trois chambres. Dans ces conditions, des retards de soins avec des conséquences irréversibles sont constatés. Des contentieux judiciaires sont de plus en plus fréquemment initiés par les proches des détenus lorsque des situations médicales graves ou des décès sont constatés ». A l’issue de son enquête, début 2004, sur les difficultés d’accès aux soins rencontrées par une femme incarcérée à la maison d’arrêt de Nice (Alpes-Maritimes), la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a considéré que les conditions d’hospitalisation peuvent parfois légitimement laisser croire au patient que « sa sécurité n’est pas suffisamment prise en compte ». Lors de sa visite de l’un des pavillons de l’hôpital Pasteur de Nice, la CNDS a, en effet, « constaté l’exiguïté des locaux, la vétusté, l’inconfort et les difficultés d’accès qui caractérisent ce service, rendant très difficiles les soins, le maintien de l’hygiène et un respect minimum de l’intimité des patients. Les conditions de travail du personnel (une seule infirmière, une aide-soignante à temps partiel) sont mauvaises, sources très certainement de tensions, et de fatigues supplémentaires. L’assujettissement de la plupart des interventions des soignants auprès des détenus aux impératifs de sécurité, dans un tel contexte, est certainement une gageure quotidienne pour tous, les soignants comme pour les deux fonctionnaires de police qui assurent une garde permanente ».

Comme prévu par la loi du 18 janvier 1994, les hospitalisations de plus de 48 heures doivent à terme être réalisées au sein d’unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI). Les patients y seront encadrés par des personnels pénitentiaires et pris en charge médicalement par des personnels hospitaliers. Selon la loi de finance pour 2005, ces UHSI ont vocation à concerner entre 60 et 80 % des hospitalisations. Une ambition tempérée par de nombreux praticiens soulignant que les 8 UHSI dont l’ouverture a été programmée représentent une capacité totale de 182 lits, ce qui ne saurait constituer une réponse adaptée à la demande croissante de soins. A ce jour, 3 UHSI ont ouvert à Nancy, Lille et Lyon, soit l’équivalent de 61 lits. Selon le ministère de la Santé, « l’UHSI est une unité hospitalière dans laquelle on dispense des soins et dans laquelle des cultures différentes se rencontrent : l’une sanitaire, l’autre sécuritaire. Les différents personnels devront travailler en coordination et en cohérence, dans le respect de leurs attributions et leurs propres règles professionnelles » [20]. Pour nombre de patients détenus, notamment au sein des petites maisons d’arrêt qui souffrent du manque de médecins spécialistes, la mise en place des UHSI marquera un progrès. Aussi la CNDS a-t-elle tenu à préconiser « l’accélération du programme d’ouverture de ces unités », tout en prenant soin de souligner que leur « mise en place prévoit, notamment en matière d’escortes à l’intérieur de l’établissement, qu’un protocole pose le principe d’un effectif de police ou de gendarmerie proportionnel aux besoins, et l’implantation des unités destinées aux détenus au sein des services actifs de l’hôpital le plus près possible du plateau technique » [21]. En pratique, certaines difficultés semblent devoir persister malgré l’ouverture de telles structures. Anticipant dès 2001 cette perspective, l’IGAS et l’IGSJ ont alerté les pouvoirs publics en précisant que les UHSI « ne permettront pas, en elles-mêmes, de résoudre le problème » des extractions. De fait, le rapport 2004 de la commission de surveillance du centre de détention de Loos (Nord) signale que « les 21 lits à 48 heures de l’UHSI n’ont pas résolu les problèmes d’extractions et d’escorte. Des gardes statiques se trouvent devant cette antenne en permanence. Les services de police doivent continuer à escorter les personnes pour des consultations de spécialistes ». Un constat similaire à celui dressé par le centre de détention de Bordeaux-Gradignan (Gironde) où « il apparaît que l’ouverture de l’UHSI à l’hôpital de Bordeaux ne résoudra que partiellement le problème [des annulations] dans la mesure où des surveillances policières seront toujours nécessaires et où cet hôpital ne regroupe pas l’ensemble des spécialités ».

Faute d’UHSI en nombre suffisant, l’EPSN de Fresnes continue d’accueillir les personnes détenues en hospitalisation de moyenne et longue durée. Dans un courrier de novembre 2004 adressé au directeur de l’établissement, le praticien cardiologue décrit des conditions d’hospitalisation et de consultation qui sont loin d’être optimales. Faisant référence au fait que depuis plus d’un an, les fenêtres du local où il exerce ne ferment pas correctement, le médecin prévient : « Nous sommes maintenant en période hivernale, et il est hors de question que je consulte dans une salle glacée avec un courant d’air qui me tombe dans le dos. De plus, ainsi que je vous l’avais signalé je ne tiens pas à ce qu’un malade vienne en consultation de cardiologie et reparte avec une pneumopathie ! ». Le praticien évoque également les contraintes induites par le régime carcéral propre à l’EPSN de Fresnes qui rendent « les conditions d’exercice infernales tant pour la sécurité des patients que pour la pratique médicale ». En effet, « la décision unilatérale de l’administration » de réserver l’usage des clés des chambres aux personnels pénitentiaires revient à « empêcher l’accès des soins au personnel soignant et aux médecins », ce qui « contrevient à toutes les règles de bonne pratique médicale hospitalière ». Selon l’IGAS, les problèmes d’accès aux patients ont été résolus. En revanche, l’accès aux différents services par les grilles intermédiaires est resté sous la responsabilité du personnel pénitentiaire. Un type de problème tenant à l’articulation des logiques médicales et sécuritaires qui se pose de manière analogue dans les UHSI.

 Placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de La Santé (Paris) depuis juin 2003, un détenu a développé un cancer de la bouche pendant son incarcération. Les soins prodigués ont conduit à une ablation d’une partie de la mâchoire occasionnant une cicatrice de 25 cm de long. Un examen clinique réalisé le 12 janvier 2005 établit qu’« il ne reste que deux dents en mandibule droite, la langue est fixée en région postérieure gauche par l’intervention chirurgicale et ne peut être tirée. Il est noté une déformation de la mandibule gauche avec paralysie faciale associée et troubles de la mimique (grimace, soufflement, sifflement) comme de la phonation ». L’homme ne peut se nourrir que d’aliments sous forme liquide. La morphine qui lui est prescrite ne soulage plus ses douleurs. Il souffre également de graves problèmes cardiaques qui nécessitent un suivi et un traitement. Bien que son pronostic vital soit qualifié d’« assez sombre et mis en jeu à court terme », la cinquième demande de remise en liberté déposée par son avocat a été rejetée le 1er février 2005. 

L’accueil en détention des personnes dépendantes, âgées ou handicapées « concerne un nombre croissant de personnes détenues (vieillissement de la population pénale, allongement des peines privatives de liberté, impact des conditions de vie en détention) » [22]. De fait, selon l’étude menée auprès des personnes entrées en détention en 2003, 2,4 % des entrants sont titulaires d’une allocation pour adulte handicapé (AAH), 3,3 % sont invalides, 3,8 % bénéficient d’une exonération du ticket modérateur au titre d’une affection de longue durée (ALD) et 6,2 % sont concernés par au moins un de ces 3 critères. Si, dans leur Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues, les pouvoirs publics énoncent que « ces personnes doivent pouvoir bénéficier, lors de l’exécution de leur peine, de prestations et de conditions de détention adaptées à leur état », seuls les nouveaux établissements pénitentiaires sont censés comporter systématiquement « au moins une cellule aménagée ». Ailleurs, la situation s’apparente généralement à celle qui prévaut au centre pénitentiaire de Perpignan (Pyrénées-Orientales) où, selon le rapport d’activité 2004, « il n’existe pas de cellule destinée à recevoir des personnes handicapées, et celles-ci sont soumises à des conditions d’hébergement et de vie attentatoires à leur dignité ». Une analyse partagée par l’Académie de médecine qui, évoquant la situation des personnes détenues de plus de 60 ans, fait remarquer que la plupart d’entre elles « sont incarcérées dans des établissements inadaptés aux handicaps physiques liés à l’âge : nombreux escaliers, absence d’ascenseurs, absence de plans inclinés rendant inaccessibles de nombreux locaux, y compris les locaux médicaux voire les lieux de promenade, a fortiori pour ceux qui doivent utiliser un fauteuil roulant ». Une situation d’autant plus préoccupante que le nombre de détenus âgés de plus de 60 ans est en constante augmentation. En avril 2005, ils représentaient 3,5 % de la population incarcérée, contre 3,3 % en 2004, 3,1 % en 2003 et 1 % en 1990. Plus largement, le nombre des détenus de « 50 ans et plus » est passé de 4,9 % en 1990 à 12,1 % en 2005. La moyenne d’âge des personnes détenues au centre pénitentiaire de Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime) est ainsi passée de 38 ans en 1990 à 46,7 ans en 2003. Au centre de détention d’Eysses (Lot-et-Garonne), la moyenne d’âge s’est élevée de 37,6 ans en 1995 à 46 ans en 2003. En termes de soins, les détenus âgés sont souvent très pénalisés du fait de leur dépendance. Comme l’explique, en effet, le docteur Stéphane Guivarch qui exerce à la maison d’arrêt et au centre de détention de Caen (Calvados), « dans la plupart des prisons, l’aide aux personnes âgées est apportée par un codétenu. La qualité de soins s’en ressent, et ce système est malsain car il engendre souvent des rémunérations, des cadeaux obligés, des formes de racket déguisé ». Une donnée qui n’a pas laissé insensible Pierre Bédier, qui fut un temps secrétaire d’Etat aux programmes immobiliers de la Justice. Reconnaissant que « le vieillissement de la population est à prendre en compte dans l’évolution des dispositifs d’accompagnement et des structures pénitentiaires », il a proposé, entre autres « innovations essentielles », la mise en place de « dispositifs d’aménagements pour les détenus plus âgés par le biais de cellules spécialement aménagées » en vue de palier leur « perte d’autonomie ». Une orientation immobilière respectable, à la réserve près qu’elle fait le choix de l’aménagement des prisons plutôt que de l’aménagement des peines.

Atteint d’une pathologie grave, un détenu est décédé le 31 mai 2005 au sein de l’unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) de Lille (Nord). Questionné par l’OIP, le juge de l’application des peines a répondu le 24 juin : « je vous indique que l’examen de sa requête en suspension de peine médicale sur le fondement de l’article 720-1-1 du code de procédure pénale n’a pu aboutir avant son décès en raison d’une part de la surcharge de travail des experts médicaux inscrits sur la Cour d’appel de Douai les amenant fréquemment à refuser les missions puis, lorsqu’ils les acceptent, des délais d’expertises, la situation étant identique s’agissant des experts psychiatres (expertise psychiatrique obligatoire supplémentaire au cas d’espèce) et d’autre part de l’absence de proposition par l’UHSI d’hébergement dans une unité hospitalière de soins palliatifs ».

Les dispositions de la loi sur les droits des malades du 4 mars 2002 introduisant la possibilité d’une suspension de peine pour raison médicale, censées permettre la libération de condamnés gravement malades, sont appliquées de manière très restrictive. En effet, selon les chiffres rendus publics le 19 juillet 2005 par le ministère de la Justice, 165 personnes ont bénéficié d’une mesure de suspension de l’exécution de leur peine entre l’entrée en vigueur de la loi en avril 2002 et le 31 décembre 2004. Ce chiffre est à mettre en relief avec celui publié par un collectif d’associations et de praticiens [23] qui mentionne un nombre total de 436 demandes depuis la mise en œuvre de la loi, ce qui signifie un taux de refus de plus de 62 %. Pour ce qui est de la seule année 2004, le ministère de la Justice a dénombré 67 décisions favorables là où le collectif évoque 128 demandes recensées, ce qui élève le taux d’octroi à 52,4 %. Alors même que la loi de mars 2002 indique que seuls « des motifs de santé » doivent être pris en considération pour l’octroi de cette mesure, de nombreux refus sont motivés par des considérations étrangères aux critères d’un « état de santé durablement incompatible avec le maintien en détention » et d’une « pathologie engageant le pronostic vital » du malade. Loin de s’opposer à cette lecture limitative du texte adopté à l’unanimité par le législateur, la Chancellerie a édicté une circulaire, le 7 mai 2003, invitant les procureurs à examiner la question de l’opportunité d’une suspension de peine au regard des nécessités de l’ordre public.

Le manque de structures d’hébergement adaptées est à l’origine de nombreux maintiens en détention. A titre d’exemple, le 13 juin 2005, considérant l’état de santé d’un détenu âgé de 52 ans incarcéré à l’EPSN de Fresnes atteint d’une maladie du cerveau (encéphalopathie carentielle), le tribunal d’application des peines de Créteil envisage une suspension de peine immédiate mais, faute de place pour l’accueillir dans un foyer médicalisé ou une structure de long séjour, renvoie sa décision au 6 juillet. A cette date, aucun dispositif d’accueil n’ayant été identifié, la mesure a de nouveau été reportée à la fin du mois d’août. Autre difficulté observée, la plupart des bénéficiaires potentiels sont des condamnés à de lourdes peines, ne disposant que de ressources financières très limitées et généralement sans aucun soutien familial. De plus, les maisons de retraite médicalisées s’avèrent réticentes à l’idée d’accueillir des personnes ayant commis des délits graves. En outre, la probabilité de trouver un lieu d’accueil est d’autant moins élevée que le patient se trouve dans un établissement pénitentiaire isolé des centres urbains. Dès lors, la prise en charge des personnes bénéficiant d’une telle mesure dépend presque exclusivement d’associations caritatives. Face à cette situation qu’il admet être l’une « des principales difficultés d’application subsistantes » [24], le ministère de la Justice a affirmé en juillet 2005 chercher des « solutions de prise en charge » telles une « hospitalisation, un hébergement en famille ou en foyer ». Pour autant, seuls deux « projets » semblent à l’étude à ce jour. Le premier repose sur la Croix Rouge et « vise à l’accueil dans le cadre d’un placement extérieur, de personnes âgées ayant effectué de longues peines ». Quant au second, il consiste à créer « une unité expérimentale destinée à accueillir à titre transitoire des personnes condamnées à de longues peines sortant de prison, dans le cadre plus large d’un placement à l’extérieur, d’une libération conditionnelle ou d’une suspension de peine », en partenariat avec une association [25]. La lourdeur des procédures prévues par la loi de mars 2002 figure également parmi les obstacles à sa pleine application, notamment en matière d’expertise. L’octroi d’une suspension requiert en effet deux expertises concordantes, auxquelles doivent s’ajouter trois expertises psychiatriques préalables s’il s’agit d’un condamné pour un délit sur mineur de 15 ans. Dans 25 % des cas, le délai moyen d’étude du dossier est supérieur à trois mois. Là encore, le ministère de la Justice se dit préoccupé tant « la recherche d’experts compétents dans le secteur médical concerné est parfois difficile selon les régions », sans pour autant formuler de perspectives de solutions. D’autre part, la jurisprudence manque de repères sur les critères d’octroi. Faut-il que le pronostic vital soit engagé à très court terme ? L’incompatibilité concerne-t-elle l’accès à des soins spécialisés ou les conditions générales de détention d’une personne malade ? Ces incertitudes entraînent souvent une interprétation limitative du texte de la loi. Le 20 avril 2004, une personne détenue à la maison d’arrêt de Villeneuve-les-Maguelonne (Hérault), s’est vu refuser l’octroi d’une suspension de peine pour raison médicale par la juridiction régionale de la libération conditionnelle au motif que « son état de santé [n’était] pas incompatible avec la détention ».

Selon son avocat, le détenu était pourtant « pratiquement aveugle, diabétique, amputé d’un pied » et « dialysé trois fois par semaine dans un hôpital où il est menotté à son lit ». La famille n’a eu d’autre choix que de déposer une plainte le 26 avril pour « non-assistance à personne en péril, soumission à des conditions d’hébergement contraires à la dignité humaine et tortures ou traitements inhumains ou dégradants ». En effet, un rapport médical a relevé dès le mois d’août 1999 que « les conditions d’incarcération du détenu [étaient] incompatibles avec son état de santé » et que « la détention lui [faisait] courir un risque important ». Un avis qui avait justifié qu’il soit laissé en liberté par la chambre de l’instruction. Depuis, il a été condamné par la cour d’assises et demeure placé en détention malgré deux expertises médicales soulignant l’aggravation de son état de santé. Autre cas de figure, celui d’un détenu décédé en détention en mai 2005 des suites d’une tuberculose du foie. Une demande de suspension de peine avait été déposée le 27 juin 2003. Les deux expertises médicales ordonnées concluant que l’état de l’intéressé était compatible avec la détention et n’engageait pas le pronostic vital, l’octroi de la mesure a été refusé le 30 janvier 2004. Par la suite, une demande de libération conditionnelle déposée le 3 août avait été rejetée le 30 novembre. Selon le vice-président du tribunal d’application des peines, « aucun élément lors de l’étude de ce dossier n’avait fait apparaître d’aggravation de son état de santé laissant envisager que son pronostic vital était engagé ». Pour Act Up-Paris, l’une des associations participant au « Pôle suspension de peine », il est nécessaire de mettre en place des formations à la fois « en direction des juges d’application des peines pour qu’ils puissent mieux évaluer l’état de santé décrit, des expertises ayant été jugées discordantes uniquement du fait de la différence des termes employés » et « en direction des médecins-experts pour les ramener à la réalité des conditions de détention pathogènes et des dysfonctionnements gravissimes du système de soins carcéral ». De telles formations pourraient être proposées à toutes les catégories de personnels appelées à effectuer les signalements des détenus susceptibles de bénéficier d’une mesure de suspension de peine, et notamment les conseillers d’insertion et de probation et les avocats. Act Up-Paris demande également que soient organisés « une enquête épidémiologique et un état des lieux sanitaire qui permettent enfin de connaître le nombre de malades détenus dans les prisons françaises, ainsi que la qualité du système de soins qui y est dispensé » [26]. Ce souhait rejoint celui formulé par l’Académie de médecine. En effet, sollicitée par le ministère de la Santé afin de préciser les situations pathologiques qui pourraient relever de la suspension de peine, l’instance nationale n’a pu que déplorer : « en l’absence de toutes données épidémiologiques et de statistiques sur les pathologies observées en milieu carcéral, notre réponse ne peut revêtir la forme d’une liste précise ».

 Incarcéré le 16 juin 2003 au centre de détention d’Argentan (Orne), un détenu pourtant gravement malade n’a fait l’objet d’aucun signalement en vue de l’examen d’une demande de suspension de sa peine. Le 26 mars 2005, son état de santé s’aggravant, il est transféré à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne). Un certificat médical établi le 4 avril provoque le lendemain la saisine d’office d’un juge de l’application des peines puis la désignation de deux médecins experts et de deux psychiatres. Les médecins rendent leurs expertises les 3 et 4 mai, les psychiatres le 11 mai. Le débat contradictoire prévu dans le cadre de la procédure a lieu le 16 juin. La décision est mise en délibéré. L’homme est décédé le 18 juin 2005.

Les personnes qui font l’objet d’un placement en détention provisoire ne peuvent bénéficier de la loi du 4 mars 2002. Pourtant certaines d’entre elles, malades ou très âgées, risquent de mourir en prison avant même d’avoir été jugées. Comme l’a rappelé Patrick Bloche, député de Paris, dans une question écrite adressée au garde des Sceaux [27], « seul le juge d’instruction peut alors ordonner la mise en liberté de la personne détenue. Ainsi, contrairement aux détenus condamnés dont la demande de suspension de peine pour raison médicale dépend du juge d’application des peines, la décision de mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire n’est pas détachée des enjeux liés au travail de l’instruction ». A cette inégalité de traitement, s’ajoutent les caractéristiques propres à une incarcération au sein d’une maison d’arrêt. En effet, outre qu’il ne fait qu’exceptionnellement l’objet d’aménagements destinés aux personnes détenues dont l’état de santé requiert une prise en charge continue, ce type d’établissement pénitentiaire offre des conditions de vie généralement incompatibles avec le respect des règles d’hygiène élémentaires. Enfin, il convient de signaler que les conseillers d’insertion et de probation comme les juges de l’application des peines qui exercent au sein de l’EPSN de Fresnes sont contraints, bien souvent, d’instruire un dossier visant l’octroi d’une mesure de suspension de peine et de statuer, alors que les personnes détenues concernées n’ont fait l’objet d’aucun signalement préalable ou d’un signalement trop tardif au sein de leur établissement d’origine.

 La proportion de personnes touchées par le VIH et l’hépatite C (VHC) en détention est en diminution régulière depuis 1991. D’après l’étude périodique du ministère de la Santé [28], 1,04 % de la population détenue était atteinte du sida en juin 2003. Cette évolution favorable est cependant contemporaine de la persistance de défaillances en matière de dépistage et de prévention. Faute d’effectifs suffisants, de nombreuses UCSA sont contraintes de recentrer leurs démarches sanitaires autour des actes médicaux relatifs aux soins curatifs et à la distribution de médicaments en cellule, au détriment notamment des entretiens infirmiers ou des actions d’éducation à la santé. Aussi, cette dernière se limite souvent à une conférence annuelle ou à la diffusion d’un documentaire à l’occasion du 1er décembre, journée nationale contre le sida. Le rapport 2003 de la maison centrale de Riom (Puy-de-Dôme) évoque le bilan d’un module d’information trimestriel consacré à l’infection au VIH et aux infections sexuellement transmissibles : « il est très insatisfaisant puisque nous avons rencontré deux personnes en tout ». Les deux intervenants se sont plaints de « grosses difficultés d’organisation », notamment liées à l’attitude des surveillants, « que ce soit à l’accueil (il s’agit principalement toujours des mêmes pourtant !) ou à l’intérieur », mais aussi de « l’institutrice qui ne savait pas ce que l’on venait faire et à qui nous prenions la salle pour un résultat très médiocre ». La stigmatisation dont font souvent l’objet les personnes séropositives en détention est l’une des causes de refus de dépistage, l’anonymat étant loin d’être garanti. Les Centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) sont, en effet, trop peu présents en détention. Selon un communiqué de l’Institut national de veille sanitaire en date du 31 avril 2005, il n’existe plus que 98 antennes de CDAG en prison contre 105 en 2001 et 109 en 2002. Ainsi, il n’existe pas de convention liant un CDAG avec les maisons d’arrêt d’Epinal (Vosges), de La Roche-Sur-Yon (Vendée), de Nanterre (Hauts-de-Seine). Au centre pénitentiaire de Ducos (Martinique), le rapport 2003 indique que « faute de médecin, les vacations de la consultation de dépistage anonyme et gratuit du VIH (une fois par semaine) n’ont pas été assurées depuis septembre 2000 ». Réunie en octobre 2004, la Commission de surveillance signale quant à elle « l’absence de dépistage du VIH, faute de pouvoir trouver des médecins du CDAG qui acceptent les prix proposés. En conséquence, ce dépistage est effectué par le médecin de l’UCSA ». Une situation qui se retrouve dans d’autres établissements. Au centre de détention de Châteaudun (Eure-et-Loir), le rapport d’activité 2004 signale qu’il n’existe pas de dépistage systématique proposé aux détenus. En effet, « auparavant, le dépistage des maladies s’effectuait en maison d’arrêt à l’occasion de la première incarcération ; or, avec les désencombrements de plus en plus fréquents et rapides des maisons d’arrêts, ces dépistages ne sont plus ou peu effectués ». Si l’ensemble des traitements anti-viraux sont accessibles aux personnes incarcérées, la prise en charge de la maladie demeure loin d’être équivalente à celle en vigueur à l’extérieur. Dans de nombreux établissements, les détenus ne peuvent pas cantiner ou louer des réfrigérateurs, alors que certains traitements doivent être conservés au frais. Par ailleurs, les transferts et les extractions judiciaires peuvent être la cause d’une interruption de traitement. Les détenus séropositifs ou malades « en échappement thérapeutique » ne peuvent toujours pas bénéficier de traitements nouveaux en phase d’expérimentation ou d’essais thérapeutiques en raison des protocoles très contraignants qui les excluent de fait. Les médicaments de confort permettant d’atténuer les effets secondaires sont parfois difficilement accessibles. A l’exception des prisons où l’association Aides intervient, les détenus séropositifs font rarement l’objet d’un accompagnement psychologique. Enfin, les traitements post-exposition mis en place dans les années quatre-vingt-dix pour les personnels - seulement en 2003 pour les personnes détenues - sont difficilement applicables en prison. Il est en effet difficile pour les détenus d’expliquer la raison pour laquelle ils doivent voir un médecin étant donné le tabou persistant en détention sur les modes de transmission du VIH (rapports sexuels, injection par voie intraveineuse).

L’Académie de médecine a relayé l’inquiétude de « certains professionnels de santé » concernant « la prévalence de l’hépatite C dans le monde carcéral, où le taux moyen serait sept fois supérieur à celui de la population générale ». Selon l’étude menée en 2003 auprès des entrants, 3,1 % des hommes et 2,6 % des femmes déclarent une séropositivité au VHC, et très peu ont déclaré un traitement en cours par médicament antiviral. L’enquête périodique réalisée par le ministère de la Santé a, quant à elle, montré que « les personnes détenues atteintes d’hépatite C connues des équipes médicales hospitalières représentent 4,2 % de l’ensemble de la population pénale des établissements pénitentiaires ayant répondu à l’enquête, soit une baisse de 0,6 % par rapport à la précédente enquête de 2000 (4,8 % de VHC+) ». En maison d’arrêt, « la difficulté d’obtenir une biopsie hépatique et la durée de détention parfois courte handicapent et ralentissent la prise en charge thérapeutique des patients détenus », poursuivent les auteurs de cette étude. Au point que nombre de personnes détenues pour de courtes peines ne bénéficient d’aucun traitement, ce dernier risquant d’être interrompu. Ainsi, à la maison d’arrêt de La Santé (Paris), le rapport d’activité 2004 consigne : « il est important de noter une « explosion » des pathologies VHC et VHB chroniques actives qui connaissent une croissance exponentielle alors que les infections VIH restent stables ». « Malheureusement », poursuit le document, « les pathologies des hépatites virales ont peu bénéficié de thérapeutiques adaptées : 249 patients pris en charge et 15 patients traités. Il est vrai que tous ne relevaient pas de la mise en place d’un traitement mais la courte durée d’incarcération moyenne et les délais de réalisation des ponctions biopsies hépatiques ont obéré cette mise en route ». Pour ce qui concerne la maison d’arrêt d’Epinal (Vosges), le rapport d’activité 2003 est encore plus explicite : les bilans et traitements de l’hépatite C sont envisagés uniquement « si la durée de l’incarcération est supérieure à 6 mois ».

Témoignages

 « J’ai vu arriver la "relève" »
Personne détenue à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne), août 2005.

De l’hôpital de Fresnes j’ai été transféré à celui de Melun (Seine-et-Marne) où, menotté au lit, j’étais surveillé par une équipe de policiers stationnés de part et d’autre de l’entrée de la chambre. De retour du bloc opératoire, plongé dans un état de brouillard m’empêchant tant de bouger que de parler de façon normale, j’ai vu arriver la « relève ». Une fois « l’équipe de jour » partie, les deux jeunes policiers chargés d’assurer la garde de nuit se sont précipités en vociférant dans la chambre à ma plus grande stupéfaction. Après avoir allumé la télé, ces derniers se sont affairés activement à chercher « le film de cul de Canal plus » qui, selon eux, n’allait pas tarder à commencer. Tout en parlant comme dans un hall de gare, ils installèrent leur chaise près de mon lit, face à la télé, en dépit de mon état d’éveil. Je n’ai dû mon salut qu’au simple fait que Canal + n’était pas disponible sur ce poste de télévision, ce qui ne les a toutefois pas empêchés de regarder la télé, le son fortement allumé, pendant une bonne demi-heure. Mon courrier au commissaire n’a fait l’objet d’aucune réponse.

 « Seule notre liberté d’aller et venir nous a été retirée »
Personne détenue au centre de détention de Rennes (Ille-et-Vilaine), février 2004.

Dans ma division, il y a une jeune femme qui fait des crises d’épilepsie au cours desquelles elle perd connaissance et avale sa langue. Heureusement, si je puis dire, la journée, elle n’est pas seule. Il y a toujours une fille avec elle. Le problème, c’est la nuit, après la fermeture des portes à 19h30. A partir de cette heure, elle est seule en cellule. Les surveillantes n’ont pas les clés. Hier soir, vers 20h30, elle a appelé sa voisine et lui a demandé de sonner l’alarme. Du coup, nous avons été quatre ou cinq à déclencher nos alarmes. La jeune femme faisait une première crise. Elle est tombée contre la porte de sa cellule. On entendait ses jambes cogner. Les surveillantes sont arrivées, mais il a fallu qu’elles appellent la gradée qui a mis environ un quart d’heure à venir. Pendant ce temps, cette jeune femme a fait deux autres crises. Le jeudi précédent, puis le samedi, elle en avait fait deux autres. Parfois, il lui arrive de sentir une crise arriver, mais ce n’est pas toujours le cas ; elle ne peut donc pas prévenir une voisine si elle tombe sans rien sentir venir. Pourquoi les surveillantes n’ont-elle pas les clés ? Il le faudrait pour des cas d’extrême urgence comme celui-là. C’est vrai que nous sommes détenues, mais nous avons le droit à des soins dignes de ce nom. Seule notre liberté d’aller et venir nous a été retirée. 

 « On peut y rester... »
Personne détenue à la maison d’arrêt de Metz (Moselle), octobre 2004.

J’ai déjà fait plusieurs infarctus et je suis diabétique. Pour nous les malades, il y avait un quartier au-dessus de l’infirmerie. Mais ils l’ont supprimé pour mettre la cuisine. Quand l’un de nous est malade la nuit, le surveillant met longtemps à venir nous voir. Il vaut mieux ne pas faire de crise cardiaque la nuit, car on peut y rester. 

 « Vive le droit à la santé ! »
Personne détenue au centre national d’orientation de Fresnes (Val-de-Marne), mars 2005
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Je me suis rendu hier chez le coiffeur. Se rendre est un bien grand mot, puisque c’est dans le couloir, assis sur une chaise, que l’on m’a coupé les cheveux. Je viens de centrale et ça fait très longtemps que j’ai acheté ma propre tondeuse, pour des raisons d’hygiène. Se faire couper les cheveux derrière un gars qui a « peur de l’eau », ce n’est pas mon truc. Le gars m’a coupé les cheveux courts, comme je l’ai toujours fait. Avoir la nuque bien rasée fait aussi plus propre. Il a retiré le sabot, comme je le fais avec ma tondeuse, et m’a fait la nuque. Chose bizarre, ça m’a piqué. Remonté en cellule, j’ai constaté que la tondeuse m’avait taillé jusqu’au sang. J’ai écrit au chef du CNO pour lui signaler l’incident. En me rendant ce jour voir ma visiteuse, il m’a été précisé que ça allait être noté sur le cahier. Il est à espérer que la tondeuse sera nettoyée pour le prochain... J’ai écris également au service médical. Je n’ai pas été appelé, ne serait-ce que pour être rassuré. Vive le droit à la santé... Me trouvant à Fresnes et n’ayant pas le droit de posséder une tondeuse en cellule, je vais demander qu’une capote soit enfilée sur la tondeuse ! 

 « Je devais sortir trois jours plus tard... »
Personne détenue au centre de détention de Val-de-Reuil (Eure), avril 2005.

J’ai eu une torsion du pied gauche. Le jour même, j’ai été extrait pour l’hôpital où l’on m’a prescrit, outre des médicaments, une attelle pour la cheville. Rien ne m’a été remis à mon retour au centre de détention. J’ai écris plusieurs fois au service médical, personne ne m’a répondu. Accompagné du chef de détention, je suis allé à l’infirmerie où les deux infirmières m’ont répondu que, non compétentes, elles ne pouvaient rien faire. A ma demande de « strapping » pour maintenir ma cheville, elles m’ont répondu que ce n’était pas utile. En colère je suis parti en leur disant que je porterais plainte pour refus de soin. Deux jours après, j’apprends que l’on m’a mis un rapport pour avoir jeté des béquilles par la fenêtre, je n’ai jamais eu de béquilles ! Je devais sortir trois jours plus tard. 

 « Ici, en cas d’erreur, le médecin couvre sa femme, l’infirmière... »
Personne détenue au centre pénitentiaire de Nouméa (Nouvelle-Calédonie), juin 2005.

Ici le système fonctionne à l’économie et celui qui ose le critiquer sera sanctionné avant d’être transféré vers la métropole par crainte d’une contagion. L’infirmerie fonctionne a minima avec une infirmière qui gouverne en maîtresse, son mari, médecin, passe comme un courant d’air. Gérant les consultations, celle-ci prescrit la plupart du temps en ne délivrant les médicaments qu’au compte-goutte. En cas d’erreur, le médecin couvre sa femme. Le plus souvent les médicaments nous sont apportés par les surveillants sans explication d’utilisation. Lors d’un accident du travail, je me suis blessé le doigt. La phalange était vrillée, désaxée. Sans prendre le soin de réaliser une radio, l’infirmière m’a simplement donné une pommade à passer sur l’endroit douloureux. Ma demande de consultation par le médecin a fait l’objet d’un refus. Ma demande d’attelle, voire d’un abaisse-langue me permettant d’immobiliser le doigt, également. Afin de marquer mon mécontentement, j’ai écrit tous les jours au service médical afin d’obtenir une consultation. Au bout d’une semaine, après examen superficiel, de nouveau l’infirmière m’a prescrit de la pommade. Devant mon refus, le médecin qui se trouvait dans la même pièce a consenti à me commander une attelle. Un mois plus tard je ne l’avais toujours pas en dépit de mes lettres de relance. J’ai attendu deux mois avant de pouvoir passer une radio à l’hôpital où a été décelée une triple fracture de la phalange avec éclatement des os. Vingt séances de rééducation étaient prévues. Seules deux auront lieu. Privé, le kiné n’a jamais eu l’ordonnance. L’accident du travail n’a jamais été déclaré.

  « C’était déjà trop tard »
Témoignage du père d’une personne détenue décédée, juin 2005.

Sorti le 29 avril 2004 de la maison centrale de Poissy (Yvelines), après huit années d’incarcération, mon fils est décédé le 13 février 2005 à l’hôpital. Alors que tout le monde savait qu’il souffrait de violents maux de tête, aucun examen poussé n’a été réalisé, le service médical de la prison se contentant de lui administrer des anti-douleurs. Sa demande d’IRM est restée vaine compte tenu des délais d’attente s’élevant à plusieurs mois. A sa sortie, mon fils a appris qu’il avait deux oedèmes au cerveau et un point au poumon droit avant d’être hospitalisé d’urgence. C’était déjà trop tard. D’après les mots du médecin de l’UCSA qui le suivait, mon fils « était un sympathique patient qui avait la ferme intention de se réinsérer (...), malheureusement la malchance l’a poursuivi à la sortie de prison. » 

Notes:

[1] Ministère des Solidarités, de la Santé et de la Famille / ministère de la Justice, colloque « Santé en prison : dix ans après la loi : quelle évolution dans la prise en charge des personnes détenues ? », 7 décembre 2004

[2] Circulaire interministérielle DHOS/DGS/DSS/DGAS/DAP n°2005-27 du 10 janvier 2005 sur l’actualisation du Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues et à leur protection sociale.

[3] CNCDH, Etude sur les droits de l’homme dans la prison, mars 2004.

[4] UFAP, L’univers pénitentiaire, juin-juillet-août 2004.

[5] CPT, Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements dégradants du 11 au 17 juin 2003, 31 mars 2004.

[6] Réponse du gouvernement de la République française au rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) relatif à sa visite effectuée en France du 11 au 17 juin 2003, 31 mars 2004.

[7] Le Courrier Picard, 10 octobre 2004.

[8] Académie nationale de médecine, Situations pathologiques pouvant relever d’une suspension de peine, pour raison médicale, des personnes condamnées, suite à l’article 720-1-1 du code civil de procédure pénal, Rapport au ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées, décembre 2003.

[9] Transversal, n°21, octobre-novembre 2004.

[10] Ministère des Solidarités, de la Santé et de la Famille / ministère de la Justice, colloque « Santé en prison : dix ans après la loi : quelle évolution dans la prise en charge des personnes détenues ? », 7 décembre 2004.

[11] Conseil de l’Europe, Recommandation n° R (98) relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, Comité des Ministres, 8 avril 1998.

[12] Journée interrégionale PACA, Réduction des risques liés aux infections virales en milieu pénitentiaire, Marseille, 6 mars 2003.

[13] Conseil national de l’ordre des médecins, Aspects déontologiques de la médecine pénitentiaire, juillet 2001.

[14] Académie nationale de médecine, Situations pathologiques pouvant relever d’une suspension de peine, pour raison médicale, des personnes condamnées, suite à l’article 720-1-1 du code civil de procédure pénale, Rapport au ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées, décembre 2003.

[15] Ministère de la Justice / ministère de la Santé, Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues, avril 2004.

[16] Inspection générale des affaires sociale (IGAS) / Inspection générale des services judiciaires (IGS), L’organisation de soins aux détenus : rapport d’évaluation, La Documentation française, 2001.

[17] Mouquet (M-C), « La santé des personnes entrées en prison en 2003 », Ministère de l’Emploi, du travail et de la cohésion sociale / Ministère des Solidarités, de la Santé et de la Famille, DREES, Etudes et Résultats n°386, mars 2005.

[18] CEDH, Henaf contre France, 27 novembre 2003.

[19] CPT, Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements dégradants du 14 au 26 mai 2000. juillet 2001.

[20] Ministère de la Santé, communiqué de presse, 17 février 2004.

[21] CNDS, Rapport annuel 2004, 18 avril 2005.

[22] Ministère de la Justice / ministère de la Santé, Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues, avril 2004.

[23] Le « Pôle suspension de peine », créé en 2002, s’est donné pour mandat de veiller au respect du droit pour les personnes détenues gravement malades à être soignées en dehors des établissements pénitentiaires et à mourir dans la dignité.

[24] Ministre de la Justice, réponses aux questions écrites n°57 019 du député Thierry Mariani (JO du 24 mai 2005) et n° 47 571 du député Nicolas Perruchot (JO du 19 juillet 2005).

[25] L’APERI, association d’aide aux personnes en voie de réinsertion.

[26] Act Up-Paris, Action, n°98, avril 2005.

[27] Patrick Bloche, question écrite n° 61315, JO du 29 mars 2005

[28] Yves Feuillerat, DHOS/02/YF, ministère de la Santé, février 2004.