La prison, un reflet de la société. La prison est devenue un champ de prédilection pour les médias et les sociologues, sans doute parce qu’elle reste un indicateur précis de la santé d’une démocratie, révélant le niveau d’acuité de la justice à prononcer la peine avec discernement et, aussi, la dimension éthique des conditions de détention.
La volonté gouvernementale de répondre, vite et fort, aux préoccupations sécuritaires, dont médias et groupes de pression politiques ou associatifs se sont faits vecteurs, s’est exprimée par une lourde politique de pénalisation. Et si, en vingt-cinq ans, la longueur des peines a doublé, tout comme le nombre de personnes détenues, cette tendance s’accélère nettement ces dernières années. La prison concentre des personnes gui ont connu les traumatismes et les maladies de l’exclusion et qui, comme détenus, subissent des difficultés supplémentaires du fait d’une surpopulation carcérale historique. Cela entraîne le débordement, non seulement des établissements pénitentiaires, souvent vétustes, mais aussi du personnel de surveillance et des agents d’insertion.
Tout se passe comme si la prison était devenue un instrument de maîtrise sociale là où les structures ordinaires sont en échec. En même temps que les volontés de contrôle des dépenses publiques ont fait chuter le niveau de performances des structures d’aide sociale et d’insertion, et des établissements de soin psychiatrique, on voit ceux qui relevaient de ces institutions arriver en détention. À cela près que la prison n’est pas un lieu d’insertion, ni un lieu de soin.
Le même soin que dehors ? La santé des détenus est confiée à des équipes hospitalières depuis la loi de 1994, fondée sur les recommandations européennes, qui préconisent un soin équivalent à celui offert hors de la prison et exercé en toute indépendance. Les équipes sont pluridisciplinaires, associant médecins généralistes et spécialistes, psychiatres, dentistes, psychologues, infirmières. La proximité des unités de consultations en prison, leur disponibilité, leur réactivité, facilitent pour les détenus un réel accès aux soins, qui peut donner un sens à ce temps d’enfermement.
Mais, la surpopulation carcérale met en difficulté les équipes soignantes déjà le plus souvent insuffisantes en nombre. De plus, les exigences sécuritaires prévalent souvent sur les actions sanitaires, en particulier lorsque s’imposent des transferts vers des établissements hospitaliers pour des consultations spécialisées ou des hospitalisations, nécessitant une escorte de sécurité parfois impossible à obtenir.
Enfin, l’indépendance professionnelle est mise à mal par une volonté d’instrumentalisation du soin, suscitée par l’administration pénitentiaire ou par la Justice, pour qu’il puisse servir de source d’information « expertale » pour éclairer I’application de la peine ou son aménagement. Le secret médical, qui est pourtant le fondement même d’une relation avec un patient, devrait se dévoiler et se partager, selon un texte scandaleux récemment adopté à l’Assemblée Nationale.
Les mêmes maladies que dehors ? Les détenus ont le plus souvent un état de santé préoccupant. Les échecs scolaires, les difficultés sociales, les conditions de logement et d’alimentation défaillantes, les violences subies, ont induit des exclusions qui ont gêné ou empêché I’accès aux soins et fortement diminué la confiance dans la bienveillance des institutions.
Les maladies mentales, souvent graves, les abus de drogues et d’alcool, les infections à VIH ou les hépatites sont sept fois plus fréquentes que dans la population générale. L’enfermement et la surpopulation carcérale aggravent ces maladies, avec des taux de suicides importants, des états anxieux et dépressifs et des infections acquis à et des pratiques à risques.
Soigner mieux que dehors ? C’est sans doute ici le paradoxe du soin en prison, de pouvoir, malgré la perversion du terrain, poser une action chargée de sers, s’inscrivant dans la durée et donnant au patient un lieu et un temps pour se placer dans un projet contractuel et bienveillant, induisant une remise en respect de soi-même.
Et les usagers de drogues ? Ils représentent une proportion importante des détenus, souvent consommateurs à problèmes d’alcool et de produits stupéfiants avant l’incarcération. La prise en compte de ces dépendances en prison, après une évolution laborieuse, semble aujourd’hui, satisfaisante, le nombre de traitements de substitution ayant fortement augmenté, ainsi que les soins médicaux et psychologiques les accompagnant. La crainte de la banalisation de cette substitution et des mésusages fait, sans doute, en sorte que les prescriptions soient parfois plus réduites que dehors. Ces médicaments sont souvent l’objet d’un trafic en détention, ce qui fait subir aux soignants une pression implicite de la part de l’administration pénitentiaire.
La prison, lieu de prises de risques ? La prison n’est pas protégée, malgré ses moyens de surveillance, des trafics de substances psycho-actives diverses et est même, pour nombre de détenus, un lieu de découverte de ces produits.
L’usage de drogues en milieu carcéral se heurte à la rareté de matériels, d’aiguilles, de seringues ou de pailles stériles, et, ceux-ci, sont encore souvent partagés, après des nettoyages plus ou moins soigneux. De plus, ces pratiques étant particulièrement combattues et surveillées, elles se font le plus souvent dons l’urgence, au détriment de précautions élémentaires. Il est à noter, ici, que les bonnes connaissances des usagers de drogues en prison ont, la plupart du temps, une expérience assez longue, concernant les risques liés aux injections et aux inhalations nasales. Ceci est, également, valable pour les moyens de prévention, dont I’indisponibilité en prison, face à une consommation impérieuse, entraîne des conduites à risques. Cela se mesure par la constatation de I’émergence de séropositivités au VIH, mais surtout aux hépatites C, acquises en prison. On ne peut, bien entendu, taire, ici, les relations sexuelles non protégées et souvent contraintes, les échanges de matériels de toilette (brosses à dents, rasoirs, etc.) et le rôle du « coiffeur de prison », utilisant des ciseaux et rasoirs souillés.
Réduction des risques ? Tout comme il n’y aurait pas de relations sexuelles en prison, puisque proscrites, il n’y aurait pas de drogues. Ce constat, absurde, sert, malgré tout, de fondement aux actions de prévention. Concernant les usagers de drogues et face aux épidémies successives des virus responsables du SIDA et des Hépatites, qui les ont touchés, la réponse a été claire, quoique lente, en proposant des traitements de substitution, des programmes d’échange de seringues, mettant fin à la norme du sevrage plus ou moins brutal, comme seul moyen thérapeutique. Cette urgence a imposé un soin plus souple, compréhensif, proposant, sans juger des moyens, de maintenir ou de sortir d’une dépendance, en tentant d’écarter les risques vitaux et judiciaires.
La prison n’a pas suivi ce mouvement, ne mettant à disposition, pour tout outil de prévention, que de I’eau de Javel ménagère, sans mode d’emploi, ne permettant, si les temps d’exposition et de rinçage sont parfaitement maîtrisés, que de désinfecter efficacement des matériels d’injections ou d’inhalations nasales vis-à-vis du VIH, mais pas de I’hépatite C.
Que conclure ? L’exercice du soin en prison est une mission considérable et indispensable, qui doit bénéficier de moyens suffisants et d’une indépendance professionnelle intacte. Il ne peut se concevoir sereinement que si les conditions qui lui sont appliquées ont réellement comparables avec ce qui existe dehors et que le milieu carcéral cesse d’être un lieu de grande exclusion, de prises de risques, de contaminations virales en proposant de meilleures possibilités d’insertion et de prévention. Si la prison est bien un reflet de notre société, on peut, aujourd’hui, s’inquiéter de sa santé, en mesurant à quel point les efforts de pénalisation se sont développés ou détriment du respect de la dignité humaine.
Dr. Philippe Griguère (Président du CSIP)