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Soins psychiatiques et prison ; le paradoxe entre soins et contrainte.

Mise en ligne : 27 novembre 2006

Dernière modification : 17 décembre 2007

Le développement d’une politique extrêmement sécuritaire et répressive conduit en prison des personnes qui n’ont rien à y faire, compte tenu de leurs troubles. L’alternative avec les structures de soins existantes n’est toutefois pas satisfaisante car ces structures sont des lieux d’enfermement, d’exclusion.

Texte de l'article :

La transgression de la loi provoque souvent des sentiments mélangés d’exclusion, de peur, de mépris à l’égard de ses auteurs. Mais les personnes ne sont pas réductibles à leurs actes et toutes sont susceptibles d’évoluer. Le processus qui amène ces sentiments de rejet est simple : quand l’ordre social est remis en cause, les repères vacillent et cela dérange ; parfois, cela questionne sur la notion de folie et remet en cause nos propres certitudes. Cela d’autant plus facilement que la précarité, qui guette tout un chacun, entraîne de plus en plus souvent des formes de souffrance aliénante liée au processus de dégradation sociale.

Le nombre de personnes incarcérées atteintes de troubles mentaux est en augmentation. L’irresponsabilité pénale est de moins en moins prononcée : on enferme dans les prisons des personnes qui devraient voir reconnaître leurs troubles et se voir proposer des soins. Les personnes qui bénéficient d’une expertise psychiatrique pré-sentencielle ne subissent pas toujours les effets positifs supposés de l’application du 2ème alinéa de l’article 122-1 du nouveau code pénal : "La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime". Dans la réalité, il ne s’agit pas d’une circonstance atténuante. L’augmentation du nombre de personnes incarcérées atteintes de troubles mentaux s’explique également par les effets hautement pathogènes de l’incarcération elle-même.

La loi de programmation de la justice du 9 septembre 2002 prévoit des unités d’hospitalisation spécialement aménagées (UHSA). Les UHSA correspondent, en psychiatrie, aux unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) ; la première UHSI a été inaugurée en février 2004 au CHU de Nancy. Celle-ci dispose de 17 lits et reçoit des personnes détenues en provenance de 16 établissements pénitentiaires, situés dans trois régions : Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne. Les UHSI accueillent des personnes incarcérées souffrant de pathologies somatiques non psychiatriques, pour des séjours d’une durée supérieure à 48 heures. La première UHSA devrait être créée en 2007. L’article 48 de la loi précitée indique que les UHSA auront vocation à recevoir des personnes incarcérées avec ou sans leur consentement. L’organisation de soins, sans consentement, quel que soit le statut des personnes (incarcérées ou non), pose un véritable problème éthique qu’il est difficile d’ignorer. Cela d’autant plus que la mise en œuvre de ces soins implique un enfermement.

Actuellement, l’administration pénitentiaire est parfois dans l’incapacité totale d’assurer une prise en charge des personnes. Ces personnes sont placées dans des Unités pour Malades Difficiles (UMD). Les UMD sont ces lieux où se retrouvent notamment celles et ceux que, ni la prison, ni l’hôpital psychiatrique ne veulent garder, avouant par là-même leurs limites. Se retrouvent en UMD, les personnes auteurs de délits ou de crimes et jugées irresponsables ; s’y retrouvent également les personnes vis-à-vis desquelles les services de psychiatrie sont impuissants ; sont en UMD des personnes incarcérées qui sont " psychiatriquement perturbées " et que la prison ne peut plus garder...

Les unités pour malades difficiles sont actuellement au nombre de 4 : Cadillac (33), Montfavet (84), Sarreguemines (57) et Villejuif (94). Au total cela représente environ 400 places. Les UMD aggravent les effets délétères de l’éloignement avec les familles et les proches. En 2008, une nouvelle UMD est prévue en Bretagne. La plus ancienne est celle de Villejuif, ouverte en 1910. Leur vocation tout au long du 20e siècle a été de préserver l’ordre social. Il s’agissait avant tout de mettre à l’écart ; la "perpétuité camisolée" faisait partie des "thérapies" utilisées. Ces lieux sont nommés UMD en 1986. Aujourd’hui, les séjours sont de courte ou moyenne durée ; il y a toujours une sortie, celle-ci se faisant systématiquement vers une institution (la prison ou l’hôpital), jamais vers le milieu libre. Pour autant, il ne s’agit pas de voir, dans cette forme de prise en charge, la solution idéale, cautionnant ainsi l’idée que l’augmentation du nombre de places en UMD serait forcément bénéfique. En effet, on ne peut ignorer l’ambivalence de ces lieux : s’agit-il d’accompagner ou de mettre à l’écart ? S’agit-il de protéger la société ou de proposer/d’imposer des soins en vue d’une amélioration pérenne de l’état de santé des personnes ? Ces lieux ne sont pas moins que la prison des lieux d’enfermement ; l’isolement y est souvent la règle, les visites sont exceptionnelles, voire inexistantes, alors même que les personnes sont en grande souffrance psychique. Les retours en UMD après quelques mois ne sont pas rares. En outre, voir dans les UMD une solution idéale reviendrait à admettre les défaillances du système en amont. Les personnes en situation de mal-être auraient probablement dû bénéficier d’un accompagnement psychologique et social bien avant.

Toute démarche de soin doit être, en toute circonstance, respectueuse de l’intégrité et de la dignité des personnes. Prison, UMD, UHSA...il faut cesser d’avoir recours à l’enfermement pour celles et ceux qui sont atteints de troubles psychiques.

La rédaction
Ban Public

(Novembre 2006)