Dans les champs dévastés de la fraternité où plus rien ne pousse, tournoient imperturbables, les vautours de la sécurité. Rien. Plus la moindre trace de vie. Tout n’est plus que peur, individualisme et désolation.
La vraie rupture est là. Puissante, paralysante, tétanisante, horrible plaie grouillant de vers déshumanisants. Elle infecte, irradie, atomise et désintègre les dernières lueurs d’humanité.
La solidarité, elle, a la densité d’un nuage empli d’aigreurs qui tombent en pluie sur nos âmes corbillards de grands enfants égarés. Tandis, que le système nous livre, ses alibis en kit, dans de gros oeufs « Kinder », pondus par l’inflation sécuritaire, notre résistance, aussi légère qu’une aile de papillon, s’envole vers le mirage des technosciences et de l’hypra consommation.
Pendant ce temps, rêvant d’un monde meilleur à défaut d’être bon, l’humanité grelotte pieds nus dans l’illusion.
Et, dans nos jours agonisants, intermittents de nos spectacles, nous détournons les yeux sur toutes nos lâchetés.
Rien à foutre qu’on torture en prison. « Z’ont qu’à, ne pas z’y aller ». Ben oui, c’est forcément d’leur faute si ils en sont là, où ils en sont arrivés. Et puis, y’a pas de fumée sans feu, comme le dit la phrase consacrée.
Et, on finit par accepter, les injustices sociales, et le manque de justice en général, comme un mal nécessaire ou une fatalité.
Telles d’impromptues coulées de merde, dans le slip du système, elles nous paraissent inévitables. Pourtant, elles sont la conséquence directe d’une logique laxative que nous buvons tout en serrant les fesses, et surtout, sans tousser.
Evidemment, certains vont forcément rétorquer, qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs. Ceux qui, pour rentabiliser la misère, sont prêts à cautionner le pire, au nom du mieux. Eux, qui, baveuse, garnie ou brûlée, en espèrent tous une part...
Et, dans les intestins démocratiques, dans nos prisons, au cœur de l’occlusion, si proche de la flamme, la colère gronde, enfle et mugit. Tandis que le magma en fusion, pétri de toutes les haines et frustrations est en ébullition. Et les nœuds de rubans de feu, en gros bouillons, portés par des années d’humiliations, éclatent, comme des bulles de béton, dans les entrailles de la bête.
Et, ça et là, au cœur de toutes les escarbilles volantes, nées de leurs éruptions, perdurent, stériles, mais efficaces, la haine, la colère, la vengeance.
Pourtant, sur un bord de la déchirure, quelques âmes pures résistent avec leurs tous petits moyens. Une femme m’a guettée dans la rue. Deux fois. A quelques jours d’intervalle. C’est une jurée qui a siégé au procès d’assises de mes garçons, au mois de mars dernier. C’est la seconde femme jurée qui me contacte en quelques mois. La première avait claqué la porte, en pleine audience, après avoir dit à la présidente, ses quatre vérités. Du jamais vu ! Et puis aussi, cet autre membre du même jury, un homme cette fois, qui a offert à mes garçons, une boite de chocolat lors du procès.
12 heures. Temps du délibéré. Ils ont réellement bataillé, avec les autres, pour tenter de sauver, Cyril, mon fils cadet. Jamais, je ne pourrais oublier.
Et puis, il y a aussi, tous ces juristes qui, encore penchés sur ce dossier, nous permettent d’aller devant la cour européenne des droits de l’homme, dénoncer toutes ces ignominies.
L’Oip (observatoire international des prisons), l’Acat (actions des chrétiens pour l’abolition de la torture), madame Alima Boumédienne Thierry, sénatrice du parti des verts qui s’est rendue en prison, ainsi que tous et ceux et celles, que j’oublie de citer.
Toutes ces personnes ont replanté en moi, au cœur de la désolation ambiante, arbres de vie et de liberté, herbes d’amour et fleurs d’espoir, en m’empêchant de cultiver la haine.
Elles, qui n’ont pas voulu sortir du champ fleuri de leur âme, de leurs valeurs, de leur conscience, là où fleurissent, sur le terreau de l’honnêteté, tous les élans du monde et toutes les roses du petit prince...
Madame Charles-Catherine
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