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Hans van Temsche : l’heure de la vengeance ou le temps de la réflexion ?

Publié le lundi 8 octobre 2007 | http://prison.rezo.net/hans-van-temsche-l-heure-de-la/

 

Il avait souhaité pour épitaphe : "Killed in Action". Il joue encore avec des killergames dans sa cellule. A peine sorti de son opération après sa randonnée meurtrière, il a voulu lire le journal parce qu’il voulait savoir « combien de victimes exactement il avait fait et ce que cela avait suscité comme réaction dans le public ». Il n’en faut guère plus pour typer le jeune homme qui s’est transformé à lui seul en commando suicide pour abattre une petite merveille de deux ans et sa nounou et blesser grièvement une femme turque.
 
The American way.
Son acte semble venir en droite ligne du genre de drames horribles qui secouent de temps à autre les Etats-Unis. Comme l’histoire de Charles Carl Roberts. Le 2 octobre 2006, tout comme Hans Van Temsche (HVT), il écrit une lettre dans laquelle il annonce son suicide et part abattre cinq écolières de 6 à 13 ans. Cinq autres seront handicapées à vie. Puis il se suicide. Le jugement de « l’assassin froid et insensible », HVT, est pratiquement déjà rendu, ne serait-ce que pour « donner un exemple ». Il faut tranquilliser une opinion publique choquée, qui souhaite que cette sorte de Dutroux ne retrouve plus jamais la liberté.

Les paroles de la famille de Oulematou Niangadou m’ont touché. Son beau-frère dit : « Mes enfants ont encore toujours peur en rue, ils font chaque nuit des cauchemars, ils ne veulent pas aller dormir sans lumière allumée dans leur chambre ». Et la nièce d’Oulematou déclarait à Terzake : « Je vis le racisme au quotidien, ce ne sont peut-être pas des racistes, mais ils n’aiment pas les étrangers ». Ou encore : « Ma tante entretenait ma famille au Mali, maintenant ils n’ont plus rien ».
Je crains que ce procès et son verdict ne résolvent pas ces problèmes. Si l’acte de HVT a tout de cette violence insensée à l’américaine, notre préoccupation majeure doit être de savoir comment ne pas nous enfoncer davantage dans le bourbier de cette folie. Certains estiment important de lier cette affaire à la politique du Vlaams Belang. Il me semble encore bien plus important de la lier à la discussion sur l’américanisation de notre société. Et pour commencer, de veiller à ne pas nous-mêmes traiter « à l’américaine » ce type de crimes.

 
Les "peines de prison lourdes" ne facilitent pas le deuil des victimes.
Il est de bon ton de dire qu’une peine sévère offrirait une réponse à la souffrance des familles. Demandez aux familles des victimes de Dutroux si leur vie est moins dévastée aujourd’hui ou si la réclusion de Dutroux adoucit la perte de leur enfant. Non, évidemment. Il n’existe pas de lien entre le deuil et la punition ; au contraire, plus ces deux choses sont liées, plus cela devient difficile et dur à vivre.
Cela n’implique nullement qu’un crime ne doit pas être puni. Mais la seule question que nous pouvons nous poser est celle-ci : dans quelle mesure pouvons-nous réussir à faire de HVT une personne qui s’efforcera d’adoucir la souffrance de ses victimes et de réparer l’irréparable. Cessons de le présenter comme un « pauvre type », « qui se racrapote lâchement sur son banc", comme le font certains articles de presse. Il n’est pas permis de dire d’un jeune inculpé qui dit « sorry », qui dit « être dégoûté de ce qu’il a fait", que c’est un hypocrite, dont "les regrets viennent trop tard ".
Dans quelle mesure sommes-nous capables de formuler des solutions, afin qu’il consacre le reste de sa vie à s’engager pour des petits comme Luna, pour la famille de Niangadou ici et au Mali, pour celle de Songul Koç, pour la communauté issue de l’immigration ici ?

Si l’on pense qu’une peine exemplaire pour HVT effraiera de nouveaux criminels potentiels, on se trompe. La manière forte dans la répression du crime aux Etats-Unis n’a nullement provoqué une diminution de ce type de violence. Dans un rapport du 4 septembre 2007, la police fédérale des USA, le FBI, signale qu’en 2006, et cela pour la deuxième année consécutive, le nombre de crimes avec violence (assassinats, viols, vols avec violence...) a augmenté, en particulier dans les agglomérations moyennement grandes et grandes. A New York, en 2006, 14% des individus arrêtés pour meurtre avaient moins de 18 ans. Et cela, dans des prisons qui comptent plus de deux millions de prisonniers, dont 2.200 jeunes qui purgent une peine de prison à vie, « without parole », c’est-à-dire sans la moindre chance d’être un jour libéré, pour un crime qu’ils ont commis avant d’avoir atteint l’âge de 18 ans.
 
Les idées que nous proposons aux jeunes sont plus fortes que les armes.
Ce procès ne peut avoir de sens que si nous rouvrons le débat sur le racisme et la violence dans la société. HVT ne peut pas être traité comme un monstre isolé et sa faute ne peut pas être ramenée à sa « responsabilité individuelle ». Les jeunes ne sont pas seulement les acteurs de leur vie, ils sont aussi et surtout encore un produit influençable par l’environnement social dans lequel ils grandissent. N’insistons pas trop sur le caractère exceptionnel du « premier procès d’assises en Belgique ayant un arrière-fond raciste », mais bien sur le climat de plus en plus raciste et violent qui s’amplifie dans nos pays. Deux meurtres racistes en Belgique me viennent à l’esprit : le 7 mai 2002, des parents marocains sont assassinés à Schaerbeek par un partisan déçu du Front National et le 26 novembre 2002, Mohamed Achrak, un professeur d’islam de Borgerhout, est abattu par son voisin, un homme à l’esprit dérangé et raciste. Au-delà de nos frontières, c’est encore plus grave. L’ Institute for Race Relations (IRR) signale que de 1993 à 2006, 68 meurtres avec motivation raciste ont été commis en Grande Bretagne. Soit une moyenne de cinq meurtres racistes par an !
Nous vivons dans un monde de plus en plus imprégné de violence, sur un fond d’indifférence, de passivité et d’impuissance pour ceux qui s’y opposent. Mettons quelques chiffres à plat, qui nous émeuvent encore si peu. Depuis le début de cette année, 1.096 immigrants clandestins ont perdu la vie en tentant de rejoindre l’Union européenne. Depuis le début de la guerre en Irak, vingt citoyens irakiens mouraient chaque jour pendant la première année de l’invasion, ce nombre est passé à 74 morts de civils par jour en 2007 ! Cette guerre réelle trouve son prolongement dans la culture de la violence cinématographique, des clips musicaux ou des jeux-vidéo. Cessons de feindre l’indignation sur le fait qu’HVT joue avec ces jeux-vidéo dans sa cellule, puisqu’ils sont à la disposition de tous les jeunes en prison, et que des dizaines de milliers d’autres jeunes en dehors de la prison s’amusent exactement de la même façon.
Si nous pouvons donner un sens aux trop courtes vies de Luna et d’Oulematou, si nous voulons panser les plaies de Sogul, nous devons alors mobiliser tous les acteurs sociaux afin d’imposer un radical changement de course. Tant sur le plan idéologique du « mon peuple d’abord », qu’à propos du racisme antimusulman ou de la politique d’asile meurtrière, que partage presque toute la classe politique. Que ceux qui estiment que c’est placer la barre trop haut cessent de s’indigner du crime du ’jeune tueur froid’, HVT.
 

Luk Vervaet (enseignant en prison)

Rue Van Artevelde 161/bt19, 1000 BXL.