Publié le mardi 16 octobre 2007 | http://prison.rezo.net/temoignage-suite-a-un-stage-dans/ " La solitude est à l’esprit ce que la diète est au corps, mortelle lorsqu’elle est trop longue quoique nécessaire " Vauvenargues Au mois de mars 2006, je suis allée en stage dit de santé publique à l’UFPPP de la Maison d’Arrêt Charles III de Nancy. Mis en place en 1995, en même temps que l’UCSA, l’Unité Fonctionnelle de Psychiatrie Pénitentiaire et Probatoire est une unité de soins psychiatriques qui dépend du centre psychothérapique de Nancy. Le Docteur Boissenin est le praticien hospitalier à l’origine de la création de ce projet unique en France. Cette unité comprend une équipe qui travaille à la Maison d’Arrêt en milieu fermé et une équipe plus réduite qui travaille actuellement à la cité judiciaire auprès du service pénitentiaire d’insertion et de probation ainsi qu’en lien avec le centre de semi-liberté de Maxéville. L’UFPPP est une unité de consultations et de soins ambulatoires qui est en quelque sorte l’équivalent du Centre Médico Psychologique en milieu fermé. Mon expérience d’adjointe de sécurité de la Police Nationale m’avait déjà permis de côtoyer ce public. J’étais curieuse d’aborder cette population sous un autre angle et surtout en tant que soignante. Ce témoignage est un extrait de ce que j’ai écris chaque jour lors de mon stage. Je vous livre mes pensées avec simplicité et sincérité. En haut des escaliers qui me mènent à l’UFPPP, je me retrouve face à deux cellules minuscules, grandes comme mes toilettes, où attendent plusieurs détenus obligés de rester debout de par le caractère exigu de l’endroit. Des barreaux, pas de portes. Je me demande où je suis, ce que sont ces cellules « chiottes ». Je comprends vite qu’il s’agit des salles d’attente de l’unité médicale. Premier entretien de visite d’entrée d’un détenu avec l’infirmier psy. Je me retrouve dans un bureau minuscule face à un individu qui, pour 40 euros, a assassiné son meilleur ami à coups de hachoir à viande et de clou de menuiserie. Je suis assise aux côtés de l’infirmier psy qui part du principe que « la majorité des détenus sont des voleurs de poule au QI de mouche ». Raté. Premier entretien, premiers questionnements. Je suis fascinée par le détenu qui raconte son enfance, son adolescence et les raisons de son incarcération en 20 minutes chrono. Résumé d’une vie, de 23 ans de vie qui aboutissent ici, dans la moiteur de ces murs, ces murs qui n’absorbent plus ni la souffrance ni la solitude, ni la misère, ces murs qui regorgent d’indifférence, de peine et de désespoir. Café. Discussion avec l’homme d’entretien. Interlude. Information. L’homme d’entretien est un détenu qui a tué sa femme, amoureux de sa mère et bla bla bla.... La matinée s’enchaîne entre défenestration de cousins gitans, viols d’enfants, serial violeurs et braqueurs de banque. La matinée s’achève. Bol d’air. Les « voleurs de poule » me laisse sans voix. Je m’interroge sur cette fascination que je ressens et sur ce plongeon que je fais dans chaque histoire sans parvenir à sortir la tête de l’eau. Une femme m’interpelle : « Ca fait combien de temps ? C’est dur, hein ! de reprendre tout cet air dans les poumons ! ». Je reste muette. Je dépose à l’entrée de la prison ce que je suis dehors comme je vide mes poches sous l’arc du détecteur à métaux. Premier contact privilégié avec l’atelier dessin. Me voilà cloîtrée dan une salle avec trois détenus et de spots de peinture. Je suis béate devant les œuvres d’art des détenus qui ressemblent plus à celles d’élèves de maternelle qu’à celles d’adultes incarcérés. Premiers pas en détention. Je ne m’attendais pas à pire. Cliché de la prison française du siècle dernier. Trois coursives en bois sous une immense verrière. Les quelques rayons de soleil de ce mois de mars rendent déjà l’atmosphère irrespirable. Nous ne sommes pas encore au printemps... Le bois craque sous mes pas, je regarde en bas, au travers des filets de sécurité, des surveillants discutent et rient avec les auxi. Tour de distribution des médicaments. Je suis briefée sur les consignes de sécurité à respecter : blouse blanche, plateau contre soi bien à distance du détenu, ne jamais être derrière une porte ouverte, ne pas faire un pas dans la cellule... Quartier des pointeurs. Visite entre trouille, excitation et interrogation. Je me sens de mieux en mieux. Les jours passent. Je me sens dans mon univers. Je m’attendais à « des gueules à faire peur », je me retrouve face à moi-même avec mon délit de sale gueule. Etrangement, c’est le seul quartier où je n’entends pas de mots doux, où les regards sont durs à saisir, où le contact est écourté. Je suis fascinée par ce grain de sable qui, à un moment donné, dans un contexte particulier est venu enrayer la machine et tout foutre en l’air. Je suis fascinée par ce déclencheur du passage à l’acte qui ruine une vie, des vies entières, en toute connaissance de cause. Donner les médicaments seuls. Quelle aventure ! Les soignants m’encouragent comme si j’avais 5 ans et que je me lançais pour la première fois sans les petites roues de mon vélo. Entrée en détention, ouïe défaillante de la femme en blanc. Certains me baiseraient les pieds lorsque leur nom retentit dans la cellule et que je leur tends leur petit paquet de médicaments minutieusement scotché la veille. Heure bénie du soulagement médicamenteux. Fin du supplie de l’état de veille. Une dose pour 24 heures, pour oublier... un peu , pour supporter l’environnement et surtout soi même. Se retrouver face à soi même. Ipso facto. Dans le couloir de l’UFPPP, un détenu sort du bureau de l’infirmier psy, les yeux gonflés de larmes. Je souris à ce garçon qui répand autour de lui cette odeur fétide de souffrance et de solitude. Il m’interpelle, veut discuter. Je suis déstabilisée. Les infirmiers et les médecins déambulent autour de moi sans prêter attention. Derrière moi, une dizaine de détenus attendent leur rendez vous dans la cellule d’attente envahissant l’air de monoxyde de carbone, gravant les murs de dates et de prénoms, invectivant la surveillante « ce n’est pas parce qu’on paie pas qu’on doit attendre trois plombes ! ». LOUIS-WAGNER Gwénaelle
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