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12 Des obstacles à la solidarité

Publié le dimanche 11 novembre 2007 | http://prison.rezo.net/12-des-obstacles-a-la-solidarite/

DEUXIEME CHAPITRE :
DES OBSTACLES A LA SOLIDARITE 

« N’avons-nous pas dépassé - tout de même - la demi-journée en mettant bout à bout ?? Douze heures par an... Je te jure, chéri, il faut au moins tout le plaisir que j’ai à t’y apercevoir, pour compenser la rage que j’ai à
m’y rendre
. »
Albertine SARRAZIN, Biftons de prison, Paris, J.-J. Pauvert éd., 1977, p. 9.
 
La formule selon laquelle, en prison, « on est nourri, logé, blanchi » (aux frais du contribuable) permet souvent d’habilement éluder une terrible réalité : la pauvreté en prison.
Sur cette dimension de la vie carcérale, le travail de Marchetti (1997) est précieux. Or les premières personnes à supporter le coût d’une incarcération sont bien souvent les proches. Non seulement la vie en prison coûte cher, mais l’incarcération se traduit généralement pour les proches par une diminution des ressources et l’apparition de nouvelles charges - l’avocat et les visites notamment. A cela s’ajoutent des difficultés de tous ordres, matérielles et psychologiques : la fatigue, le stress et la nervosité qu’accompagnent la visite, la frustration liée à sa brièveté, etc. Ces difficultés donnent justement tout leur poids à la solidarité des proches ou, plus exactement, au sens que les acteurs lui donnent. Elles peuvent toutefois, en grande partie, être imputée au système carcéral : la localisation des établissements, les affectations des détenus ou les conditions d’accueil des visiteurs sont rarement conçues dans le respect des liens familiaux des personnes incarcérées. Lors de sa IVe Rencontre nationale, en 2001, la FRAMAFAD, association quasi institutionnelle et difficilement taxable d’extrémisme, a formulé des recommandations qui donnent la mesure des problèmes rencontrés par les familles et les proches de détenus :
- Que soit facilité l’accès aux établissements pénitentiaires par la mise en place de moyens de transports en commun ;
- Que le temps minimum de parloir passe de 30 à 45 minutes dans l’ensemble des établissements ;
- Que la présence de toilettes soit généralisée sur le trajet entre la porte de l’établissement et le parloir, avec la possibilité d’y accéder pendant le parloir ;
- Que soit généralisé le cloisonnement des espaces dévolus aux familles dans les parloirs afin de favoriser la confidentialité ;
- Que soient aménagés des parloirs spécifiques pour les familles avec enfants ;
- La possibilité pour les familles d’effectuer le versement de subsides destinés aux détenus sur un compte spécial par virement postal ou bancaire.
Ces recommandations ne se sont pas concrétisées par de réformes. Ces préconisations sont d’ailleurs bien dérisoires face à la détresse de ceux et celles qui se rendent au parloir. D’ailleurs, l’épouse d’un détenu, Brigitte, le relevait funestement : « De toute façon, il fait toujours froid devant une porte de prison ! » 

A. LES OBSTACLES MATERIELS
Les enquêtes du CREDOC (Le Quéau, dir., 2000) ou de l’INSEE (2002) ont récemment fourni de précieux éléments quantitatifs sur le « coût » de la prison. Soulignant les moindres ressources et les nouvelles charges qui pèsent sur les proches des personnes incarcérées, elles confortent les données qualitatives recueillies lors de notre recherche.

1. Moindres ressources, nouvelles charges

L’incarcération se traduit généralement par une perte de ressources pour la personne concernée, se répercutant sur les revenus de la famille. Si les retraites continuent à être perçues, la plupart des aides sociales sont supprimées ou réduites. Ainsi, le Revenu Minimum d’Insertion (R.M.I.) est supprimé au bout de deux mois d’incarcération. Pour les personnes bénéficiaires de l’Allocation Adulte Handicapé (A.A.H.), après 45 jours d’incarcération, l’allocation est habituellement réduite à 12% de son taux mensuel. Le complément d’A.A.H., versé pour les personnes disposant d’un logement, n’est plus accordé. La qualité d’assuré social est préservée à la personne détenue, mais elle n’est plus considérée comme membre du foyer pour les aides sociales.
Or la grande majorité des détenus et de leurs proches sont économiquement précaires. Selon le CREDOC (Le Quéau, dir., 2000, 32, 39-40), seuls 52% des détenus avaient un emploi déclaré avant leur incarcération et 34% des conjoints de détenus en ont un. Selon l’INSEE (2002, 47), près de 11% des compagnes de détenus seraient à la recherche d’un emploi (contre 9% pour les autres femmes). Dans de nombreux cas, devenus « soutien de famille » et/ou afin d’aider la personne incarcérée, les proches doivent chercher un emploi ou une activité (pourquoi pas illégale ?) davantage rémunérée. L’incarcération d’un proche entraîne en outre une perte de revenus : du fait des contraintes des visites, souvent organisées les jours « ouvrables » et qui prennent beaucoup de temps, les proches ont moins la possibilité de travailler (dans le cas des commerçants, par exemple), voire perdent leur emploi.
Alors que 32% des détenus recevraient moins de 77 euros par mois de leurs proches (Le Quéau, dir., 2000, 52), le minimum « vital » est souvent estimé aux alentours de 100 euros. Or le travail est rare à l’intérieur, surtout dans les maisons d’arrêt. Le CREDOC a estimé (ibid., 60) qu’en moyenne, les proches dépensent 195 euros par mois pour la personne incarcérée, alors que 53% de ces proches ont des revenus inférieurs à 900 euros. À la fréquente perte de ressources que constitue l’incarcération d’un proche, s’ajoute souvent une augmentation des charges : outre le soutien de la personne incarcérée, les frais de visites et d’avocat - supportés par beaucoup de familles (pendant la prévention et en fin de peine pour les libérations conditionnelles), y compris en cas d’aide juridictionnelle - ne sont pas négligeables.
Selon Le Quéau (2000, 50), le coût moyen d’une visite à un détenu en maison d’arrêt est de 22 euros et de 38 euros pour un détenu dans un établissement pour peines. Pour la moitié des familles interrogées, une visite revient à environ 8 euros, mais pour 20% d’entre elles, le coût d’une visite se situe entre 30 et 150 euros. Le coût des visites s’explique par les charges indirectes (arrêt de travail, congé, etc.), mais surtout par la distance entre le lieu de résidence des proches et celui d’incarcération : les affectations, loin des proches, décidées par l’Administration pénitentiaire et l’implantation de prisons de plus en plus difficiles d’accès entraînent des coûts élevés de transport et d’hébergement.

2. L’affectation des détenu(e)s et leurs transferts
Selon l’article D. 53 du Code de procédure pénale, l’affectation en maison d’arrêt est du ressort du siège de la juridiction d’instruction ou de jugement devant laquelle le prévenu doit comparaître, mis à part pour les délits/crimes qualifiés de « terroristes », instruits et jugés à Paris. Cette situation obéit aux contraintes liées à l’instruction de l’affaire, l’autorité judiciaire pouvant demander l’extraction du prévenu chaque fois qu’elle l’estime utile ou que le prévenu dépose une demande de mise en liberté.
Or nombre de personnes sont inculpées de délits/crimes commis loin du lieu de résidence de leurs proches. Ainsi, beaucoup de prévenus, résidant habituellement à l’étranger ou dans les départements et territoires d’outre-mer, sont incarcérés en métropole, où ils sont particulièrement isolés. La situation contraire existe aussi : français détenus à l’étranger et métropolitains incarcérés dans les DOM-TOM. Notre recherche n’évoquera pas davantage leur cas, mais signalons ici le soutien que leur apporte l’association Français Incarcérés au Loin (FIL).
Les contraintes de l’instruction sont généralement comprises et admises par les proches et les prévenus. L’attente, parfois longue, du procès, une fois l’instruction terminée, est, à l’inverse, souvent contestée : l’éloignement du lieu de résidence des proches est vécu comme une mesure punitive à part entière, c’est-à-dire une condamnation avant la condamnation.
Une fois la peine prononcée, les détenus peuvent demander l’affectation à un établissement pénitentiaire à proximité de leur famille et/ou de leurs proches. Mais la surpopulation carcérale et la carte pénitentiaire limitent, de fait, le « rapprochement familial ». Ce problème est particulièrement aiguë pour les femmes, puisque les seuls établissements pour peines les recevant se situent dans le nord de la France (Rennes, Joux-la-ville et Bapaume). En cas de « rapprochement familial », la carte pénitentiaire peut aboutir à des situations aberrantes. Noël, détenu au centre de détention de Caen, raconte ainsi : « L’absurde, c’est que j’ai été mis ici pour le rapprochement familial. Mais ça fait tout de même que je suis à 450 kilomètres de chez mes parents, soit 900 aller-retour...  »
Les procédures d’affectation sont, dans tous les cas, compliquées et longues, suivant la voie hiérarchique. D’autre part, l’absence de motivation des décisions d’affectation diminue leur légitimité auprès de la population carcérale et beaucoup de détenus en sont insatisfaits. Ainsi, en 2001, 20% des détenus des centres de détention nationaux et 10,9% des détenus des centres de détention régionaux ont demandé un changement d’affectation. Or ces demandes ne sont pas forcément prises en compte, comme le raconte Alain (maison centrale de Clairvaux), réclamant pour la troisième fois un rapprochement familial. Nombreux sont les témoignages de détenus confirmant les propos de Pascal (maison centrale de Clairvaux), qui déclare que « tous [ses] transferts ont été faits au détriment de la famille ».
On apprenait, le 16 mars 2001 (Libération), qu’un détenu de la maison centrale de Saint-Maur (Indre) avait incendié le bureau des surveillants car il demandait depuis sept mois un transfert pour être rapproché de sa famille. Sept jours après l’incendie, sa demande de transfert était acceptée. Ce fait divers, rapporté par la presse, confirme les propos de beaucoup de détenus rencontrés qui expliquent que l’obtention d’une affectation à proximité des proches est « affaire de stratégie », dans laquelle le recours à la violence a sa place et parfois son efficacité, « pour la bonne cause » :
Quand ils ont voulu me transférer à R***, je l’ai dit à la juge que je ne voulais pas. R***, c’est trop loin de chez moi... Alors, ce que j’ai fait, quand je suis arrivé au greffe, c’est que je me suis dit : « Il faut que je frappe quelqu’un. » Y avait un détenu libérable, j’lui ai défoncé la tête. Ils se sont dit : « Il fout le bordel, on n’en veut pas. » Et c’est comme ça que je suis reparti à V***. J’ai fait ça à un libérable parce qu’il s’en fout, demain, il est dehors, il se recoud la lèvre, et voilà ! En plus, l’Administration, elle s’en fout quand c’est un détenu... Si c’est un surveillant, c’est pas la même ! (Fayçal, centre de détention de Bapaume)
Il faut également évoquer la pratique de l’Administration pénitentiaire consistant à transférer, disciplinairement ou préventivement à toute contestation, des détenus, souvent étiquetés « Détenus Particulièrement Surveillés » (D.P.S.). L’Administration se défend de cette pratique, car aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit le transfert parmi les sanctions applicables en cas d’infraction. Cette pratique a été dénoncée à plusieurs reprises par ses victimes : les détenus [1] et leurs proches (qui doivent sans cesse se déplacer plus loin, s’adapter à de nouvelles conditions de parloir, etc.). La menace du transfert peut être utilisée par les Directions des établissements pour obtenir la docilité, comme le racontait, par exemple, le Collectif itinérant - un groupe de détenus dont le nom fait référence à leurs expériences respectives de ces transferts -, dans un texte intitulé « Non au camp de la mort à la française », en mai 2001 (Bulletin A.B.C./C.N.A., juin 2001) :
C’est un véritable exil intérieur. Certains cadres (directeurs ou chefs) le disent ouvertement : « Si vous continuez à nous emmerder, je vous fais transférer de l’autre coté de la France. Pensez aux conséquences de longs voyages sur la santé de votre bébé, de votre femme enceinte, de vos parents âgés. Sans compter les frais ! »
La crainte, par les proches, de ces transferts inopinés, les inciterait souvent à adopter une attitude de soumission à l’égard de l’Administration pénitentiaire, comme le raconte Nadège, épouse de détenu :
Je préfère éviter de me prendre la tête avec les matons parce que ça m’arrange bien qu’il soit ici. Après, ils peuvent faire ce qu’ils veulent, ils peuvent le transférer ailleurs...
La circulaire du 28 janvier 1983 prévoit que le détenu avertit, par écrit, sa famille de son transfert la veille de celui-ci. Toutefois, s’il a une cause disciplinaire, le transfert est inopiné. La circulaire prévoit aussi que l’Administration, à l’arrivée du détenu à destination, avertie les titulaires de permis de visite. La circulaire est en fait appliquée diversement, selon les établissements et les travailleurs sociaux. Les détenus doivent souvent demander à un codétenu, qui a ce jour-là un parloir, de prier ses visiteurs d’avertir ses proches par téléphone. La situation que je rapportais, en mai 2003, dans mon Journal, est éloquente :
Hier après-midi, vendredi, je suis allée à B*** [un établissement pour peines], comme d’habitude, d’une certaine façon. Pas mal mouvementé, parce qu’ils ont annoncé à une « copine de parloir » que son ami était transféré depuis quelques heures en maison d’arrêt. On savait tous le transfert imminent, mais vu le type d’établissement, elle pensait être prévenue. Ça a gueulé, un bricard a fini par arriver, mollement, puis par s’excuser, mollement également. Et en attribuant cette « mauvaise gestion » à l’assistante sociale. La « copine » était d’autant plus furieuse que, étant le vendredi, elle n’aura sans doute pas de parloir avec son ami avant la semaine prochaine (système maison d’arrêt oblige) et que son beau-père avait justement pris une journée de congé pour venir le lendemain...
Mais ça, le gradé lui a dit : « Vous saviez qu’il allait être transféré... » Oui, depuis deux mois...

3. La localisation des prisons
La plupart des maisons d’arrêt et la quasi-totalité des établissements pour peines sont difficiles d’accès, surtout en transports en commun. C’est par exemple le cas de toutes les maisons d’arrêt de la région parisienne, hormis celles de La Santé (située dans le XIVe arrondissement de Paris) et de Nanterre (Hauts-de-Seine), situées à proximité de stations de métro ou de R.E.R. Mais les lignes de bus qui relient les maisons d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne), Fleury-Mérogis (Essonne), Villepinte (Seine-Saint-Denis) ou Bois-d’Arcy (Yvelines) aux stations de R.E.R. sont rarement coordonnées avec les horaires de parloir. Les visiteurs sont donc contraints à de longues attentes. Quant à la maison d’arrêt d’Osny (Val-d’Oise), la plus proche gare et station R.E.R. est à cinq kilomètres, à Pontoise. En province, l’accès aux établissements pénitentiaires est également souvent compliqué :
 ? maison d’arrêt de Loos (Nord) : l’arrêt de bus le plus proche de l’établissement est à 1,6 kilomètres (voir aussi Dedans dehors, janvier 2000, 17).
 ? maison d’arrêt et centre de détention de Varennes-le-Grand (Saône-et-Loire) : les possibilités d’hébergement les plus proches sont à Chalon-sur-Saône, à 13 kilomètres. Il y a une navette (sur rendez-vous et payante) entre les deux villes, mais pas à chaque parloir (et pas le dimanche).
L’accès aux établissements pour peines est souvent davantage compliqué :
 ? centre de détention de Joux-la-Ville (Yonne) : la plus proche gare est à 30 kilomètres.
 ? centre de détention de Villenauxe-la-Grande (Aube) : les parloirs ont lieu le week-end. La gare la plus proche est à une quinzaine de kilomètres (à Nogent-sur-Seine). Le week-end, pour se rendre à l’établissement, il n’y a pas de bus.
 ? maison centrale de Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime) : il faut emprunter un bus pour se rendre sur l’Île de Ré.
Il n’existe, en France, aucune volonté politique pour desservir par des transports publics adéquats les nouvelles maisons d’arrêt, construites dans des villes où on souhaite oublier leur sinistre présence (Combessie, 1996). En 2000, les commissions d’enquête parlementaires ont d’ailleurs constaté que, très souvent, les terrains des nouvelles prisons se situaient à l’extérieur des villes, sans accès par les transports en commun. Il avait été donc demandé au ministère de la Justice de « s’assurer que les infrastructures nécessaires existent ou seront construites pour faciliter l’accès desdits établissements aux familles » (Hyest, Cabanel, dir., 2000). Certains pays ont toutefois, en la matière, une politique volontariste : ainsi, en Finlande, les établissements qui ne sont pas desservis par les transports publics ont leur propre système de bus (Albrecht, Guyard, 2001, 72). 
 ? maison d’arrêt de La Farlède : l’établissement, qui remplace celui situé au centre-ville de Toulon (Var), a été implantée dans une zone accessible uniquement en voiture.
 ? maison d’arrêt de Seysses : suite à la fermeture de la maison d’arrêt du centre-ville de Toulouse (Haute-Garonne), il faut, pour se rendre à la nouvelle, à 19 kilomètres, emprunter une ligne de bus qui mène à Seysses, puis une autre qui va à la prison.
En fait, pour beaucoup de proches, se rendre au parloir réclame une grande disponibilité sociale : la demi-journée, voire une journée entière, que nécessite la visite est parfois pris sur le temps de travail. La durée moyenne du trajet aller-retour serait trois fois supérieure à celle de la visite (Le Quéau, 2002, 49). Au temps passé dans les transports, s’ajoutent la fatigue, le stress, la peur d’un éventuel retard qui ferait manquer l’heure du « tour de parloir », c’est-à-dire du rendez-vous. Ainsi, Natacha, qui rend visite chaque week-end à son compagnon, incarcéré dans un centre de détention, constate :
C’est une heure le matin et une heure l’après-midi. Ils sont trop bons avec nous ! Je passe cinq heures le matin dans les trains et trois heures le soir pour rentrer... Soit huit heures, pour deux heures...
Pour Hélène, dont le compagnon est incarcéré, en maison d’arrêt, depuis huit mois, les semaines sont rythmées par les trois parloirs auxquels il a droit en tant que prévenu. Bien qu’il soit incarcéré relativement près de chez elle, ses journées de parloir sont bien longues :
Je suis là tous les mercredi, jeudi et vendredi... Tous... J’arrive vers 13 heures pour être sûre de rentrer à 13 h 30. [...] Je pars de chez moi à 11 h 30, [...] ça veut dire que le matin, j’ai le temps de rien. Quand je rentre, il est 16 heures, 16 h 30... C’est crevant !
Pour Madeleine, qui va voir son mari incarcéré dans une maison centrale une fois par mois, si les déplacements sont plus rares, ils n’en sont pas moins de véritables épopées :
Je pars le vendredi soir, en train. J’en ai pour quatre heures, parce que j’ai un changement à faire à Paris. En plus, je ne peux pas prendre le dernier train, parce que je couche dans une association pour les familles et ils veulent pas que tu arrives après 9 heures [du soir]. Donc je pars en fin d’après-midi. Le samedi et le dimanche, j’ai mes parloirs. Je rentre chez moi le dimanche soir, très tard... Quand je peux, je dors sur place le dimanche soir pour rentrer tranquillement le lundi matin. Mais franchement, ça va, comparé à quand j’allais à Lannemezan : y en a pour une nuit en train... Donc le samedi, tu arrives épuisée au parloir, et le lundi, quand tu arrives chez toi, t’es morte !

4. Le C.N.O. ET L’E.P.S.N. F. : Fresnes, un outrage aux familles
Le centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne) mérite une attention particulière. Il est composé de plusieurs bâtiments : une Maison d’Arrêt des Femmes (MAF) où sont incarcérées une petite centaine de détenues, un Hôpital pénitentiaire, de 216 places, dont une dizaine pour des femmes, et le « Grand Quartier ». Ce dernier est l’une des plus grandes maisons d’arrêt pour hommes de la région parisienne (avec environ 1 500 détenus) : elle abrite en outre le Centre National d’Observation (C.N.O.).
La répartition des condamnés s’est longtemps limitée à la nature juridique de leur peine. Les condamnés à une peine criminelle de travaux forcés perpétuelle ou à temps étaient dirigés vers les bagnes, d’abord situés en France, puis à partir de 1854, en Guyane et en Nouvelle-Calédonie.
En deçà de ces peines, les condamnés se répartissaient entre les « maisons de force » (pour les criminels) et les « maisons de correction » (pour les auteurs d’actes relevant du correctionnel).
Au terme de « classification » (Fulrat, 1992, 287), s’est substitué, pour les courtes peines, celui de « répartition » et, pour les longues peines, celui « d’orientation » (art. D. 69-1 et D. 77 du Code de procédure pénale).
Créé en 1950, le Centre National d’Observation (C.N.O.) - qui s’appelait à l’origine Centre National d’Orientation - est situé dans la deuxième division du Grand Quartier du centre pénitentiaire de Fresnes. Le personnel (psychologues, assistantes sociales, surveillants, etc.) procède à l’observation et à l’orientation de 124 détenus par sessions de six semaines. Le passage au C.N.O., qui n’a pas d’équivalent chez les femmes, est obligatoire pour les condamnés dont le reliquat de peine est égal ou supérieur à dix ans au moment où la condamnation devient définitive. Il arrive aussi que, en raison de la personnalité du détenu, il soit dérogé à cette limite.
Se retrouvent donc au C.N.O. des condamnés originaires de la France entière (y compris des DOM-TOM).
Mais à la session de six semaines, s’ajoutent, pour les détenus et leurs proches, les mois d’attente à Fresnes, avant et après la session (souvent douze à dix-huit mois pour un transfert en maison centrale ou en centre de détention). La commission d’enquête du Sénat (Hyest, Cabanel, dir., 2000) suggérait d’ailleurs la suppression du C.N.O., considérant que celui-ci a « plus d’inconvénients que d’avantages ». Ainsi, Noël qui est passé par le C.N.O. avant d’être affecté au centre de détention de Caen, raconte : « L’attente au C.N.O. est insupportable. Je suis resté près de deux ans à Fresnes. On doit attendre comme si on n’existait pas... On a le droit de rien, c’est épouvantable. » La frustration est certainement d’autant plus grande que les souhaits d’affectation formulés par les détenus sont rarement satisfaits, confirmant l’impression de temps perdu. D’ailleurs, les avis donnés par le personnel du C.N.O. sont souvent ignorés par le ministère de la Justice, qui décide, en dernière instance, des affectations. Cela renforce le sentiment des détenus d’être l’objet d’une mystification.
Lors du passage au C.N.O. (et plus généralement de l’attente à Fresnes), les détenus ont beaucoup de difficultés à maintenir les liens avec leurs proches vivant loin de la région parisienne, d’autant que les parloirs sont réputés y être « les pires de France ». Ainsi, Alban, qui a passé onze ans en prison, raconte le délitement des liens avec ses proches, lors de son passage à Fresnes :
Je vois, quand j’étais à la maison d’arrêt de B***, j’avais plein de parloirs... J’avais 26 permis de visite ! Ça allait... Et puis, quand je suis arrivé au C.N.O., bah, ils ne m’ont plus trop écrit. J’leur en veux pas, je sais que c’est pas facile d’écrire, mais c’était dur. En plus, je savais qu’ils viendraient pas jusqu’au parloir... Ça faisait quand même plus de mille bornes aller-retour... Et vu que je suis resté pas mal de temps là-bas, j’ai douillé...
Le centre pénitentiaire de Fresnes comprend également l’Etablissement Public de Santé Nationale de Fresnes (E.P.S.N.F.), plus couramment appelé l’« Hôpital Pénitentiaire de Fresnes » (H.P.F.). Cet hôpital a pour mission d’accueillir, en court séjour, les détenus malades de la région parisienne et des régions pénitentiaires de Lille et de Dijon. Il est censé couvrir les besoins d’une population carcérale de 18 000 personnes. Il comporte aussi une unité de rééducation fonctionnelle à vocation nationale et une unité de moyen séjour.
L’activité médicale de l’établissement a donné lieu à de sévères critiques, notamment de Pradier (1999). Il évoque un équipement technique inadapté et sous-utilisé, une durée moyenne de séjour anormalement longue (même en tenant compte des servitudes pénitentiaires), un service de chirurgie où 80% des interventions relèvent de la chirurgie « mineure », un taux d’utilisation du bloc opératoire de l’ordre de 36% (contre 81% à l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, par exemple), un taux d’occupation des lits anormalement bas et la non-conformité aux normes hospitalières des locaux et des équipements. D’autre part, l’E.P.S.N.F. accueille des détenus, qui, comme au C.N.O., viennent de la France entière. Or l’arrêté du 24 août 2000 prévoit, pour des raisons de sécurité, la mise en place d’Unités Hospitalières Sécurisées Interrégionales (U.H.S.I.) - des secteurs sécurisés dans des Centres Hospitaliers Universitaires (C.H.U.) - d’ici 2007. La première U.H.S.I. a ouvert à Nancy, en février 2004. Leur généralisation évitera ce regroupement à Fresnes des détenus malades, souvent privés de leurs proches, du fait de leur éloignement, comme l’évoque Christian, qui a purgé vingt-deux années de prison :
J’ai eu un assez gros pépin quand j’étais encore en maison d’arrêt en région parisienne. Faut dire qu’ils m’ont super bien soigné, ça, je peux pas dire le contraire. En plus, ça fait du bien de voir des infirmières, elles sont sympas... Pour moi, c’était pas pire d’être ici ou à F***, mais ça fait mal au cœur de voir tous les gars qui viennent de vachement loin, qui flippent pour leur santé et qu’ont plus leurs parloirs parce que la famille, ça lui fait trop cher de venir. Y a quand même des mecs qui sont en train de crever là-bas, ils sont seuls... Moi, je pense que tu as le droit de mourir avec tes proches, tu peux pas enlever ça à quelqu’un. Aux États-Unis, quand ils exécutent quelqu’un, la famille peut venir. Ouais, ça vous paraît un peu extrême comme exemple, mais ça vous fait réfléchir...
À l’E.P.S.N.F., quelle que soit leur affectation d’origine (maison d’arrêt, centre de détention ou centrale), les détenus sont soumis aux conditions de détention d’une maison d’arrêt, notamment pour les parloirs, dont la durée (45 minutes) et l’aménagement (une cabine avec un muret entre les visiteurs et le détenu) sont particulièrement contestés. Les détenus affectés dans cet établissement étant malades et les familles venant souvent de loin (et donc rarement), ces conditions de visite sont très mal vécues.
J’étais choquée quand je suis allée à l’Hôpital de Fresnes. C’est pas un hôpital, c’est une prison... Faut dire ce qui est... Tu es séparé par un muret, comme si les détenus qui sont là allaient s’échapper, ou je sais pas, comme si nous on allait vouloir rester dans ce lieu de misère... C’est infâme comment on est traité, mais surtout comment ils ne respectent pas le secret médical. Quand on attendait pour le parloir, le maton est arrivé pour dire à une femme qu’elle n’aurait pas parloir dans les cabines, comme nous, qu’elle irait directement voir son mari en salle de réanimation. Sur le coup, tu te dis que c’est bien, qu’elle puisse le voir quand même... et puis là tu réalises qu’ils balancent ça comme ça, devant tout le monde... [...] Moi, en plus, y a un truc qui m’a choqué, ça va peut-être vous paraître débile, mais y a des matonnes avec des blouses blanches. Sur le coup, j’ai pensé : « C’est des infirmières. » Ben non, c’est des matonnes... Mon fils était là pour pas grand-chose, heureusement, mais ce que j’en ai entendu était terrible. Alors, une demi-heure de parloir quand tu es angoissée par la santé de ton fils, c’est que dalle... (Christine, mère de détenu)
Christiane, une compagne de détenu, critique également la confusion entre les fonctions hospitalières et pénitentiaires de l’établissement, se traduisant par un manque de bienveillance, d’humanité face à la maladie et à l’angoisse des proches : 
Mon ami, il est passé quelques jours à l’Hôpital de Fresnes, enfin, il n’est pas resté longtemps, mais c’était déjà trop. Ils m’ont fait péter un câble là-bas. Tu les appelles, t’es angoissée, c’est normal, et là tu tombes sur des gens, tu sais pas si c’est des matons ou des médecins, de toute façon, tout le monde te parle de la même façon... C’est pas humain. T’es en prison, t’as fait une connerie, peut-être même une grosse connerie, mais t’es pas un chien ! Et encore moins tes proches.

B. PERIPETIES AUTOUR DU DROIT DE VISITE
Beaucoup de nos interlocuteurs ont insisté sur les multiples obstacles (obtention du permis, réservation du parloir, accès difficile et/ou coûteux) à visiter un proche. Cumulés, ils tendent à remettre en cause, de facto, l’exercice du droit de visite. Bref, « un parloir, ça se mérite ! » (Annie, épouse de détenu). Piètre récompense alors que ces lieux de visite généralement sinistres et ces temps de parloir souvent réduits. De plus, certaines maisons d’arrêt sont tellement gigantesques que les parloirs se déroulent fatalement dans des conditions impersonnelles, avec des horaires de visite, des heures de réservation et des conditions d’accès particulièrement compliquées (voir, pour Fresnes : Annexes, doc. 4.c). La Maison d’Arrêt des Hommes (M.A.H.) de Fleury-Mérogis (Essonne) reçoit ainsi régulièrement plus de 5 800 visiteurs au parloir en une semaine (L’Echo des peupliers, juin-juillet 2004).

1. Les carences de la Justice et de l’Administration pénitentiaire
L’obtention d’un permis de visite pour une proche incarcéré n’est pas automatique. Les démarches sont rarement simples : pour les personnes ayant des problèmes d’écriture, la rédaction d’une lettre à une administration est déjà un obstacle. Les autorités compétentes (le directeur de l’établissement ou le juge d’instruction dans la plupart des cas) sont en outre souvent surchargées. Ainsi, pendant l’été 2003, la direction de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne), où sont incarcérées plus de 4 000 personnes - dont plus d’un tiers de condamnés -, annonçait que 1 600 demandes de permis de visites pour des condamnés étaient en souffrance et le délai minimum d’obtention était de trois semaines (Dedans dehors, juillet 2003, 38, Le Parisien, 14 juillet 2003).
La présentation d’un certain nombre de documents (voir Annexes, doc. 3.a) est exigée, afin notamment de faire valoir les liens avec le détenu. Quand la personne est prévenue, il est rare qu’un permis soit délivré à des personnes extérieures à la proche famille. Le Conseil d’Etat, par sa décision du 9 août 2001 (aff. Aït-Taleb), a confirmé le bien-fondé d’un refus de permis de visite à une personne n’appartenant pas à la famille (voir Annexes, doc. 3.b), décision contre laquelle il n’existe pas de recours tant que le détenu est prévenu. Le problème se pose aussi lorsque les liens n’ont pas été officialisés par un mariage : des compagnes « de fait » se voient refuser le permis, contrairement à l’épouse légitime. En outre, les enfants n’obtiennent pas toujours le droit de visite au parent incarcéré. Ainsi, début 2002 (Dedans dehors, mai 2002, 31), le Parquet général de la cour d’appel de Versailles refusait systématiquement d’accorder des permis de visite pour les enfants des détenus âgés de sept à seize ans, « sauf circonstances particulières ».
Les éléments pris en compte pour l’attribution du permis de visite interdisent généralement aux ex-détenus l’accès au parloir. Le combat d’Annie, pour obtenir un droit de visite à l’ami avec qui elle vivait, avant leur incarcération, maritalement (et avec qui elle s’est depuis mariée, en prison), est exemplaire :
Quelques mois avant, j’étais incarcérée à R*** pour finir ma peine. J’ai eu plusieurs permissions pour aller voir M*** [son ami], qui était déjà en centrale, à L***. Quand j’ai été libérée, juste à ce moment-là, la prison de L*** a eu un nouveau directeur. Et alors que mon permis aurait dû être valable en permanence, puisqu’il datait de l’arrestation de M*** cinq ans avant, le directeur a décidé de le supprimer. Pendant plusieurs mois, je n’ai pas pu le voir. Il a entamé une grève de la faim et déjà nous avons « menacé » de nous marier médiatiquement. Le directeur a alors décidé que je pourrais venir le voir de temps en temps, mais qu’il faudrait que je lui demande une autorisation spéciale chaque fois. Cela a duré deux ans je crois. Un autre directeur l’a remplacé. Et quand je l’ai appelé pour lui demander l’autorisation spéciale, il est tombé des nues en me disant : « Mais vous avez un permis permanent, pourquoi m’appeler ? »

Une fois l’attribution du permis notifiée (voir Annexes, doc. 3.c), les personnes doivent réserver leur « tour » de parloir, à part dans quelques établissements où les visiteurs se présentent sans rendez-vous (surtout dans des maisons centrales, comme à Poissy) ou qui laissent aux visiteurs la possibilité de venir sans rendez-vous s’il reste des places (comme à Perpignan). La prise de rendez-vous s’effectue généralement sur place ou par téléphone, parfois par minitel, et désormais, dans beaucoup d’établissements, par borne électronique. La multiplicité des moyens mis en oeuvre a peu réduit les difficultés des proches à obtenir ces rendez-vous, notamment dans les maisons d’arrêt (en particulier dans les plus grandes).
Ainsi, la saturation des lignes téléphoniques permettant la réservation des parloirs de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) est légendaire : la presse s’en fait régulièrement l’écho (Le Parisien, 28 janvier 2003, 16 juin 2003). Début 2001, 243 proches de détenus de la prison Saint-Michel à Toulouse (Haute-Garonne) avaient signé une pétition pour protester contre un système de réservation se faisant le jour même pour l’après-midi par téléphone (Dedans dehors, juillet 2001, 26). En décembre 2001, des détenus des quartiers Saint-Paul et Saint-Joseph de la maison d’arrêt de Lyon (Rhône) ont adressé au directeur une pétition protestant contre un délai d’attente pouvant aller jusqu’à deux heures lors des réservations de parloir par l’unique ligne téléphonique existante (Le Progrès, 28 décembre 2000). Sans doute que la réservation des parloirs souffre, dans de nombreux établissements, du nombre insuffisant de personnels au standard. Ainsi, en l’an 2000, une seule personne répondait aux appels des proches pour réserver les parloirs à la maison d’arrêt des Baumettes, où 1 600 personnes sont détenues (Dedans dehors, juillet 2000, 20). En 2000, à la maison d’arrêt de Toulouse (Haute-Garonne), la surpopulation et l’encombrement du standard téléphonique rendaient difficile l’exercice du droit de visite (Dedans dehors, septembre 2000, 21).
Ces dernières années, des bornes électroniques ont été installées dans de nombreux établissements et les visiteurs se sont vus remettre des cartes magnétiques leur permettant de prendre rendez-vous. Ce système n’est cependant qu’un palliatif. De fréquentes pannes ont été rapidement révélées, à la maison d’arrêt de Besançon (Doubs), à la maison d’arrêt d’Osny (Val-d’Oise) ou Grenoble-Varces (Isère) notamment (Dedans dehors, novembre 1999, 16, septembre 1999, 15, septembre 2003, 39). Ailleurs, comme à la maison d’arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine), leur difficulté d’utilisation a été dénoncée par les proches (Le Parisien, 10 mai 2003). À Rouen (Seine-Maritime), des bénévoles de l’Abri Familles (c’est le nom, peu avenant, de l’association d’accueil des visiteurs) prennent, sur un cahier, une bonne partie des rendez-vous - transmis ensuite à l’Administration -, car les visiteurs jugent généralement le fonctionnement des deux bornes compliqué et/ou peu fiable.
Autre déficience de l’Administration pointée par des proches de détenus : le nombre insuffisant de parloirs prévus dans certains établissements. Cette situation a ainsi été dénoncée à la maison d’arrêt de Belfort (L’Alsace, 9 avril 2003), où le parloir ne peut accueillir que 21 détenus. Mais cette situation est évidement particulièrement choquante dans les établissements les plus récents, notamment les « prisons 13 000 ».
Y a la question du nombre de box par taule. Si tu les multiplies par le nombre d’heures de parloirs, c’est loin de correspondre au nombre de prisonniers et de prisonnières. Si tous les prisonniers avaient des visites, il n’y aurait pas assez de places. Ce qui veut dire que quand ils ont construit le programme 13 000 et sans doute pour les nouvelles prisons, ils n’ont pas tenu compte de la capacité de la prison, mais du fait que tous les prisonniers n’ont pas de visites et que rien n’est fait pour les encourager. (Bénédicte, compagne de détenu)
Dans d’autres établissements, le nombre de parloirs avec hygiaphone est insuffisant, compte tenu de la quantité de sanctions prononcées. Ainsi, Sylvie, dont le compagnon est incarcéré dans une maison centrale, a récemment dû le rencontrer derrière un hygiaphone. Les trois parloirs avec un hygiaphone existant dans cet établissement ne sont pas utilisés simultanément, ce qui entraîne des difficultés pour les visiteurs :
Lorsqu’il y a parloir avec hygiaphone, ils ne font pas passer deux parloirs en même temps. Donc, si tu t’amènes à 2 heures et qu’il y a déjà un parloir, tu dois attendre qu’ils aient fini. On est obligé de se débrouiller entre nous. On se téléphone pour savoir qui va au parloir, comme ça on attend moins.
Le premier parloir est, sans conteste, pour les proches comme pour les détenus, le plus difficile d’entre tous, comme l’observait Deane (1988, 48). Pourtant, beaucoup de proches disent ne s’y être par la suite jamais habitués, comme d’ailleurs au sentiment d’être traité comme des criminels. Ce premier parloir confronte le visiteur à des obstacles rarement appréhendés auparavant : le temps de visite, très court en maison d’arrêt (généralement trente minutes), n’atténue pas le choc carcéral causé par le lieu lui-même et les étapes qui marquent l’entrée dans la prison (l’attente, le passage du portique, etc.). Alexandre, compagnon d’une détenue, évoque ce tout premier parloir :
Je me souviens quand j’ai eu mon premier parloir à la maison d’arrêt de V***. C’était un truc de fou... Y a un unique bus qui dessert la prison, il passe toutes les heures. On arrive avec au moins 45 minutes d’avance. Remarque, ça t’évite la crise cardiaque, t’as le temps de te remettre de chaque étape ! Après, pour attendre, t’as une espèce de hall, avec plein de courants d’air... Après, c’est classique, tu donnes tes papiers au maton, qui te donne un numéro de cabine. Mais putain ! Le premier jour, tu crois que tu vas jamais réussir à t’en souvenir, t’as déjà trop de trucs dans la tronche ! Après, on a fini par rentrer... Ah non ! Avant, t’as le portique. Bien sûr, la première fois, t’hallucines... En plus, y a les gamins qui sont bien plus rodés que toi ! Bon eux, au début, j’avais des envies de meurtre, parce qu’ils font un boucan d’enfer et toi t’es déjà bien stressé... Mais c’est comme tout, tu t’habitues... Après, tu attends encore dans une autre salle. Là, ils se foutent de nous, parce qu’ils mettent même pas suffisamment de chaises pour tout le monde. Y a des mères, c’est la honte quand même... Enfin, ça, la première fois, j’ai même pas calculé... Après, faut que tu trouves ta cabine, que t’attendes dedans, et enfin, t’as la personne qui arrive... En plus, à V***, y a un muret, mais ça aussi, au début, t’es au dessus de ça, c’est plus tard que ça te prend vraiment la tête... Bon, et puis, c’est pas fini, parce qu’il faut faire le même chemin en sens inverse, mais là, t’as d’autres choses dans la tête.

2. Des prisons difficilement accessibles

Selon Les Chiffres clés de l’Administration pénitentiaire (2004b, 10), il existe, aux abords des 188 prisons françaises, 134 structures d’accueil et 25 lieux d’hébergements, que regroupe la Fédération des Associations des Maisons d’Accueil des Familles et Amis des Détenus (FRAMAFAD), ainsi que 55 salles d’attente intra-muros. Dans beaucoup d’établissements pénitentiaires, il n’y a donc ni accueil, ni possibilité d’hébergement pour les personnes qui viennent y visiter un proche. Lorsqu’elles existent, ces structures sont tenues par des bénévoles.
Les locaux sont, pour certains, sur le domaine pénitentiaire lui-même, mais cela ne signifie pas que ces aménagements soient financés par l’Administration pénitentiaire. Ainsi, à la maison d’arrêt de Grenoble-Varces (Isère), la construction d’un bâtiment couvert pour les visiteurs a été financée par les collectivités territoriales et le Barreau. Néanmoins, dans beaucoup d’endroits, les familles attendent devant la porte, quel que soit le temps. C’est par exemple le cas devant les maisons d’arrêt des Baumettes et de Pau, les maisons centrales de Poissy (Yvelines) et de Lannemezan (Hautes-Pyrénées), entre autres. Or l’attente devant certains de ces établissements dure, au minimum, une demi-heure.
En fait, les conditions d’accueil sont le résultat d’une faible volonté politique, conjuguée à l’indifférence de l’Administration pénitentiaire. Ainsi, il y a une dizaine d’années, le café Ici mieux qu’en face, situé devant les Baumettes, a été mis en vente : face à l’hostilité de la population du quartier, le Centre d’accueil des familles des Baumettes n’a pas pu le racheter. Il est finalement revenu à l’Administration pénitentiaire, qui l’a transformé en logements pour les surveillants stagiaires. Un centre d’accueil a finalement ouvert en avril 1999 dans un local exigu à une cinquantaine de mètres de la prison (Dedans dehors, juillet 2000, 20). L’absence de (bonne) volonté de l’Administration ne manque pas d’illustrations. À la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime), l’Administration pénitentiaire justifie l’absence de salle d’attente, obligeant les proches à patienter devant l’entrée de l’établissement, par le classement en « site historique » de l’établissement, qui ne permet pas de construction supplémentaire (Dedans dehors, septembre 2000, 21). À la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines), entre le 1er août et le 15 octobre 2001, en raison de travaux au local d’accueil habituel, les proches des détenus attendaient l’entrée au parloir sous une tente militaire, installée sur le parking. À proximité, se trouvait un mobil home dans lequel les surveillants contrôlaient l’identité des visiteurs. Les jours de visite, plus de cent cinquante personnes s’y succédaient (Dedans dehors, novembre 2001, 28).
La localisation rarement pratique de ces accueils, le peu d’information des proches, notamment lors des premières visites, leur aménagement parfois sordide... Tout cela contribue à décourager, dans certains lieux, le visiteur : 
 ? maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) : l’accueil, situé à proximité de la maison d’arrêt des hommes, mais loin de la MAF et du C.J.D., n’est pas ouvert tous les jours, alors que les parloirs se déroulent du lundi matin au samedi après-midi.
 ? maison d’arrêt de La Santé (Paris) : un mobil home est posé sur le trottoir en face de l’entrée.
 ? centre de détention et maison d’arrêt de Melun (Seine-et-Marne) : devant la prison, il n’y a pas d’accueil, mais il y a depuis peu un abribus. Une « maison d’accueil » du Secours Catholique, à environ 500 mètres, est ouverte par les bénévoles de 11 à 14 heures, le samedi et le dimanche, c’est-à-dire entre les parloirs du matin et ceux de l’après-midi.
De plus, sans remettre en cause la bonne volonté de ces bénévoles, beaucoup de proches de détenus se plaignent de ne pas pouvoir réellement se reposer sur leur présence, comme l’explique Natacha, compagne de détenu :
Le problème avec ces accueils, c’est que c’est seulement quand ils sont à l’heure et quand ils n’oublient pas. On ne peut pas vraiment compter dessus et peu de personnes y vont par rapport au nombre de ceux qui vont au parloir.
Bien évidemment, les familles ressentent souvent l’absence de lieu d’attente, devant la prison, comme une humiliation supplémentaire de la part de l’Administration pénitentiaire. Danielle, épouse de détenu, exprime ce sentiment :
Ils en ont rien à foutre de nous... Ils nous font attendre comme des cons devant la taule, même en hiver, ou quand il pleut... Le maton, il ouvrirait pas cinq minutes plus tôt la porte, non, on préférerait s’arracher l’oeil plutôt que de nous faire une fleur... Et nous, on a au moins une demi-heure à attendre avant d’entrer.
Selon les établissements, les conditions d’accueil des proches ne sont donc pas similaires : il y a donc, pour les proches, des prisons réellement cauchemardesques et d’autres moins terribles.
Françoise, amie de détenu, devenue, au fils des années, une véritable « spécialiste » des maisons centrales, raconte :
Le mieux, c’est Moulins, car là le samedi matin la Croix Rouge vient même offrir des galettes et cafés aux familles. En plus, ça fait du monde, car de l’autre côté, tu as aussi la maison d’arrêt... Le pire de tout étant Ensisheim où tu dois redescendre la nuit sur Metz car il n’y a pas de lieu pour dormir. Tu prends un car et tu reviens le lendemain... Et quand il neige, quel régal !
Certaines structures, qui existent aux abords de certains établissements pour peines, où les familles se rendent généralement pour le week-end entier, permettent aux visiteurs d’être hébergés à un tarif réduit (10 à 15 euros). Ces lieux sont tenus par des bénévoles, parfois des religieuses : c’est le cas de l’Escale Louise de Marillac, à proximité du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne), de la Fraternité Saint-Bernard à Clairvaux (Aube) ou de l’association Accueillir Pour Aider à Vivre (APAV), à Moulins-Yzeure (Allier). Il faut toutefois noter que la
personnalité des bénévoles et/ou leurs liens avec l’Administration pénitentiaire posent parfois problème aux proches de détenus :
L’hébergement, à Saint-Martin-de-Ré, c’est un truc de fou : t’es en taule ! Les draps, y sont lavés dans la centrale et ils sont étiquetés « Administration pénitentiaire » au cas où t’aurais envie de les emporter ! Bon, en plus, c’est vachement discipliné, à 9 heures, t’as plus le droit d’être dans la salle commune... La taule, j’te dis ! (Naïma, compagne de détenu)
Ces structures associatives sont généralement membres de la FRAMAFAD. Mais malgré la localisation de nombreuses prisons loin des centres urbains, voire en pleine campagne, ces structures d’hébergement n’existent pas partout :
 ? maison centrale de Lannemezan (Hautes-Pyrénées) : les proches doivent payer entre 20 et 45 euros dans l’un des deux hôtels de la ville.
 ? centre de détention de Varennes-le-Grand (Saône-et-Loire) : les parloirs se déroulent le week-end. L"hébergement le plus proche est à Chalon-sur-Saône, à treize kilomètres.
À l"inverse de la France, certains pays ont mis en place une politique d"aide aux proches de détenus. Ainsi, en Nouvelle-Zélande, l’association Prisoners- Aid and Rehabilitation Society (PARS) est financée par le Department of Justice. Formée de 600 volontaires, elle opère depuis le début des années 1960. Chaque détenu est systématiquement reçu par un membre de ce service.
Le PARS a également des structures d’accueil et d’hébergement à proximité des prisons. Il fournit des transports entre certaines villes et les établissements pénitentiaires. La structure du PARS, en intervenant en liaison directe avec les assistantes sociales, a pour mission de veiller à ce que les familles de détenus ne soient pas, matériellement, dans l’impossibilité de visiter leur proche.

3. Le parloir : ultimes obstacles
Les parloirs sont loin d’être des lieux d’accueil, dont la neutralité, voire la chaleur, fournirait aux détenus et à leurs proches un cadre optimal de rencontre. Non seulement ils manquent généralement d’intimité, mais ils sont souvent - ce que confirmaient les Commissions d’enquête de l’Assemblée nationale et du Sénat (2000) - sordides, sales, mal éclairés, etc. Certains ont une réputation particulièrement exécrable, comme ceux de la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne), qui sont situés, en sous-sol, à proximité des cuisines et de leurs odeurs. Ainsi, à leur sujet, Hélène, compagne de détenu, raconte : « Une fois, ils ont fait le grand jeu tellement ça puait... Le maton, il est passé avec un déodorant pour chiottes avant le début du parloir...  »
Signalons également que les sièges ou les bancs sont, dans de nombreux parloirs, scellés, ce qui ajoute au sordide du lieu. Ainsi, à la maison d’arrêt de Rouen, les tabourets sont vissés au sol, d’une étrange manière : ils sont placés de telle sorte que deux d’entre eux sont face au détenu et le troisième est placé, au « second rang », exactement derrière l’un des deux.
En outre, la circulation dans les couloirs (souvent sombres et oppressants) pour rejoindre les parloirs, provoquent régulièrement des malaises chez certains proches, notamment lors de la première visite. À cela se superpose un sentiment de manque de considération lorsque, par exemple, la salle d’attente, avant l’accès au parloir, ne contient notoirement pas suffisamment de places assises.
 ? maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne) : après les formalités d’entrée et une première attente dans une salle, les visiteurs empruntent un long couloir en sous-sol, afin de rejoindre les parloirs de l’une des trois divisions (selon l’affectation du détenu).
 ? maison d’arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine) et de Villepinte (Seine-Saint-Denis) : après le passage du portique, les visiteurs attendent dans une salle, sans fenêtre sur l’extérieur, avec insuffisamment de places assises pour tous.
Dans certains établissements, des parloirs aménagés pour les enfants sont prévus. Il s’agit d’exceptions et d’initiatives locales, souvent conjointes entre une association et la Direction de l’établissement. Dans beaucoup de maisons d’arrêt, ces parloirs sont réservés aux enfants accompagnés d’un bénévole : comme le remarquait Lesage de La Haye (2002), paradoxalement, c’est une fois en difficulté que les familles bénéficient d’aménagements, les autres étant reléguées dans des « placards ». Dans certains établissements pour peines, où les parloirs se déroulent dans un espace aménagé (et non dans des cabines), une partie de la salle est disposée pour les enfants, en libre accès (comme à la maison centrale de Poissy). Ces aménagements sont généralement appréciés par les parents, même si Christian, ex-détenu, exprime un avis plus réservé :
À Fresnes [à l’Hôpital Pénitentiaire], il y a ce qu’on appelle là-bas un « parloir Mac Do » : faut dire ce qui est, c’est sordide... Enfin, ça ressemble aux trucs de Mac Do, avec des jeux, des trucs de couleurs pour faire oublier la misère, soi-disant... Moi, j’ai pas de gamins, mais une fois, y a un codétenu qui m’a dit : « Ils sont fous ou quoi ? Ils veulent que nos gosses deviennent des hamsters ? » C’était bien dit...
L’éventuelle présence d’un muret entre le détenu et ses visiteurs n’est pas l’unique objet de polémique concernant les parloirs : ainsi, le 10 septembre 2002, des détenus de la maison centrale de Poissy se plaignaient officiellement au directeur, M. Voituron, de la non-conformité des parloirs aux recommandations officielles, en particulier de l’absence de box (le parloir étant un vaste « espace aménagé »). Le manque d’intimité est assurément le problème le plus souvent pointé par les détenus et leurs proches. Pourtant, il dépend autant de l’aménagement de l’espace - ainsi que de la présence de caméras et de leur orientation - que de sa gestion par l’Administration : passages plus ou moins répétés des surveillants, attitude zélée ou circonspecte de ceux-ci, etc. La remarque selon laquelle les parloirs des établissements pour peines sont davantage respectueux de l’intimité doit, en définitive, être nuancée, comme le rappelle Natacha, compagne de détenu :
T’as pas forcément des visites plus longues ou plus intimes en centre de détention... Quand mon mec était en maison d’arrêt, l’intimité c’était déjà autre chose, parce que le parloir, ça se passait dans un box. Dans ce centre de détention, les box sont ouverts sur les box d’en face et les matons passent sans arrêt, pire qu’en maison d’arrêt...
Autre problème évoqué par de nombreux proches : la pratique consistant à faire sortir les familles et à soumettre le détenu à une fouille intégrale au milieu d’un « parloir double ». Cette pratique a été par exemple dénoncée par les détenues de la maison centrale de Rennes (L’Envolée, 1, juin 2001). Bénédicte, dont le compagnon est détenu dans un centre de détention, a elle aussi été soumise à cette interruption impromptue : « Quand tu as parloir double, tu es obligée de sortir entre les deux... Je n’ai jamais vu mon copain plus d’une heure d’affilée en taule...  »
Signalons enfin que l’entrée au parloir est conditionnée à de multiples interdictions pour le visiteur : il ne doit être en possession d’aucun argent, document (même administratif), nourriture, objet métallique, etc. (voir l’affiche, à destination des visiteurs, à la maison d’arrêt de Pau : Annexes, doc. 4.b). En revanche, la circulaire du 17 novembre 2000 permet aux parents incarcérés de consulter et de signer, au parloir, les documents concernant leur enfant (autorisation d’intervention chirurgicale, livret scolaire, etc.). 

C. « IL N’Y A PLUS DE PRISONNIERS POLITIQUES EN FRANCE » [2]
Jusqu’à son abolition en 1981, le régime carcéral des prisonniers politiques était défini dans le Code de procédure pénale aux articles 490 et suivants. La suppression de la Cour de Sûreté de l’Etat et du Tribunal permanent des forces armées a entraîné celle, de jure, des « prisonniers politiques » en France. Mais en 1986, la loi dite « antiterroriste » a créé un corps spécialisé de police, la Division Nationale Anti-Terroriste (D.N.A.T.), placée sous l’autorité du ministre de l’Intérieur. Elle prévoit aussi que les dossiers soient instruits par une magistrature spécialisée (la XIVe section du Parquet de Paris) et que les inculpés soient jugés par une Cour d’assise spéciale.
Actuellement, près de 200 personnes dépendent de cette procédure particulière : militants nationalistes (basques, corses et bretons), islamistes ou d’extrême gauche (Action Directe, espagnols membres du P.C.E.(r) et des GRAPO). A cela s’ajoutent l’incarcération systématique de ces personnes, pendant la préventive, dans une maison d’arrêt de la région parisienne et généralement leur classement « D.P.S. », voire leur placement à l’isolement. Ces particularités légitiment, à notre sens, l’expression de « prisonniers politiques ».
Néanmoins, après nos rencontres et discussions avec des personnalités impliquées dans la défense de ces militants incarcérés, nous continuons à penser que les conditions de détention de ces prisonniers (classement « D.P.S. », isolement, longueur de la détention provisoire, difficultés d’accès aux soins, etc.) ressemblent à celles de beaucoup d’autres détenus et que les problèmes rencontrés par leurs proches sont aussi ceux de beaucoup de familles de « droits communs » (éloignement, transferts réguliers, etc.).
Les défenseurs de ces détenus, au-delà de leurs aspirations politiques particulières et de leur rôle de soutien morale, juridique et financier, réclament tous la reconnaissance du statut de « prisonnier politique ». Ils médiatisent également régulièrement les difficultés pour ces détenus et leurs proches de maintenir leurs liens affectifs et/ou familiaux, en raison de la dispersion systématique des détenus (dans différentes prisons, voire différents quartiers d’une même prison). Ils réclament notamment le rapprochement des détenus de leurs proches (c’est-à-dire leur retour au Pays basque, en Corse ou en Bretagne) et le regroupement affinitaire des prisonniers en détention (voir Annexes, doc. 1.c). Ces détenus politiques ont également un autre point commun : les conditions d’arrestation. La Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (F.I.D.H.) a estimé, en 1999, que ces conditions « dépassent l’acceptable ». Elle a également souligné les cas fréquents où les femmes de militants sont utilisées comme « otage », soit pour obtenir des aveux du mari, soit pour qu’il se rende à la police. Malgré des liens informels entre les différentes organisations - par exemple à l’occasion des journées de Corte (chaque été en Corse) - et des revendications communes, il n’existe pas de réelle coordination entre eux.
Les détenus militants indépendantistes basques et leurs proches sont, pour leur part, confrontés à la pratique des extraditions. Elles sont fortement contestées et qualifiées par les militants de « livraison » à l’Espagne, car parfois réalisées en l’absence de demande d’extradition (cas d’Itraxe Sorzabal, en mars 2001) ou après des grèves de la faim (cas de Kepa Mugica Garmendia, en décembre 2001). De plus, les extraditions temporaires [3], inutilisées depuis 1927, ont repris à partir de 2001 (cas de Josetxo Arizcuren).
Depuis 1999 (Libération, 12 janvier 1999), il y a eu régulièrement des manifestations au Pays basque, mais également à Paris (janvier 2000, juin 2001) pour demander le rapprochement des détenus et la fin des extraditions. Des actions plus spectaculaires ont aussi été réalisées, comme celle du 6 octobre 2001 à la maison d’arrêt de La Santé (Paris) ou du 19 décembre 2003 à la centrale de Poissy. Mais ce soutien a été contrarié par l’illégalisation, le 19 décembre 2001, des Gestoras Pro Amnistia (G.P.A., « Groupes pour l’Amnistie »), puis celle, le 5 février 2002, d’Askatasuna (« Liberté »), organisation qui reprenait les fonctions remplies, depuis mars 1976, en Espagne, par les G.P.A. et depuis novembre 1997 en France par la Coordination des comités de soutien aux prisonniers politiques basques.
Les détenus corses, liés aux différentes tendances du mouvement indépendantiste, sont notamment soutenus par le Cumitatu Cont’à Repressioni (CAR), qui édite, depuis août 2001, le journal mensuel A Liberta, A Voci di a Prighjò, et l’association Patriottu, proche d’A Cuncolta Indipendentista. La question du regroupement des détenus corses sur leur île fait partie de leurs principales revendications, étant donnés les frais entraînés pour les familles se rendant sur le continent pour visiter leurs proches. Il y a régulièrement des manifestations avec le mot d’ordre « Prijoneri in Borgu ! » (Libération et Le Monde, 30 octobre 2001).
La ministre de la Justice, Guigou, avait affirmé, le 25 septembre 2000, qu’il n’était « pas question de regroupement ». Le 3 octobre 2000, le Premier ministre, L. Jospin, à l’Assemblée nationale, avait déclaré que « le regroupement à Borgo n’est ni possible, ni souhaitable ». La situation a pourtant évolué, avec la reconnaissance, le 27 octobre 2001, par le ministre de l’Intérieur, D. Vaillant, soutenu par la garde des Sceaux, M. Lebranchu, de la légitimité de cette revendication : la création d’un centre de détention en Corse a été annoncée. Il s’agissait toutefois que d’un « mouvement général » de rapprochement des prisonniers vers leur lieu de résidence, c’est-à-dire qu’il concernerait les « corses », incarcérés pour des raisons politiques ou non. Le 3 novembre 2003, un communiqué de D. Perben, ministre de la Justice, annonçait l’ouverture du centre de détention de Borgo (Haute-Corse). Depuis, des détenus, politiques ou non, y ont été transférés, souvent en fin de peine.
Après l’arrestation de militants indépendantistes bretons, en septembre 1999, plusieurs association de soutien, dont Skoazell Vreizh (« Secours breton ») - créé en 1969, qui édite un journal, Kannadig - et la Coordination Anti-Répression de Bretagne (CARB) ont régulièrement réclamé, comme pour les détenus basques et corses, leur regroupement et leur rapprochement, en l’occurrence en Bretagne. Un Collectif de Femmes contre la Répression s’est en outre constitué pour dénoncer les conditions d’arrestation des militants, notamment pour leurs proches (en particulier pour les enfants). Leurs propos corroborent le rapport de la F.I.D.H. (1999) au sujet des arrestations de militants basques et corses. 
 

[1] Voir les récits de ceux qui ont été - dans le landernau pénitentiaire - surnommés les « déportés de Saint-Maur », après leur transfert, le 13 février 2002, consécutif à leur « déstabilisation de la détention » (L’Envolée, avril 2002, 5, 4-5 ; juillet 2002, 6, 2-3)

[2] Sur les prisonniers politiques en France, voir le site de l’Agence de Presse Associative (APA)

[3] C’est-à-dire le « prêt » de certains détenus par la France à l’Espagne