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72 Conclusion : L’enquête face aux contraintes carcérales

Publié le mercredi 28 novembre 2007 | http://prison.rezo.net/72-conclusion-l-enquete-face-aux/

DEUXIEME CHAPITRE :
L’ENQUETE FACE AUX CONTRAINTES CARCERALES

« C’est surtout en prison qu’on croit à ce qu’on espère ! »
Honoré DE BALZAC, Splendeurs et misères des courtisanes, Paris, Flammarion, 1968 (1re éd. 1847), p. 527

Déclarer qu’il n’y a pas, en prison, de recherche innocente, suscite probablement, chez le lecteur, l’attente de voir les alibis du sociologue démontés et ses mobiles exposés. Toutes les recherches ne sont (heureusement) pas des quêtes aussi douloureuses que celle de Marchetti (Perpétuités, 2001, 397-398), qui révèle avoir été victime, pendant son enfance, d’un pédophile. On peut néanmoins venir en prison pour, sociologiquement parlant, de « mauvaises raisons » et y revenir avec de « bonnes raisons ». Je me reconnais en grande partie dans les propos de J. Atwood (2000, 11) :
On me demande souvent comment j’ai pu passer autant de temps sur un sujet aussi triste. Au départ, la curiosité était mon principal motif. La surprise, le choc et la stupeur ont pris le relais. Puis la rage m’a portée jusqu’au bout.
C’est, face au vertige morbide, la ressource d’avoir à satisfaire une curiosité intellectuelle, forcément riche d’un sentiment de vitalité et d’impérieuse urgence. En ce sens, la comparaison faite par Marchetti (2001, 194) de la relation du sociologue à son terrain avec celle du reporter de guerre aux champs de bataille me paraît pertinente. De plus, dans ma posture particulière, je comprends intimement ce qu’évoque Bettelheim (1972, 129-130), lorsque, prisonnier dans un camp de concentration, il trouva la force d’observer et d’interroger : « Ce n’était pas une curiosité détachée, mais un intérêt vital. » À cette attirance consciente, s’ajoute ce que, en prison, beaucoup de chercheurs, intervenants, etc. reconnaissent subir : l’attraction qui émane de toute « institution totale ».
Celle-ci est ressentie par les héros de Boyer - Tom l’éducateur (Des choses idiotes et douces, 1993) ou le narrateur et professeur dans En prison (1992) -, qui finissent par choisir l’enfermement, sous diverses modalités, après avoir cherché à « vivre la prison » ou à « en vivre ». Les points possibles de fixation de la fascination et de l’attirance sont nombreux : le lieu, clos et secret, sa non-mixité, et surtout ceux qui le peuplent, parés du sceau du « passage à l’acte ». Selon Declerck (2001, 103, 299), la fascination du passage à l’acte est d’autant plus importante que l’entretien étiologique induit forcément une dimension contre-transférentielle : l’interlocuteur a toujours une position « identificatoire et projective ». En bref : toute pensée est liée à une identification.

A. LE METIER DE SOCIOLOGUE EN PRISON
Le chercheur doit fréquemment répondre aux interrogations de ses interlocuteurs : ses objectifs sont supposés secrets (« Au fond, vous cherchez quoi ? »). De plus, son utilité sociale (« Vous servez à quoi/qui ? ») est souvent confondue avec celle de l’expert (« Votre but, c’est d’améliorer les prisons ? ») ou du journaliste. Nous ne pensions que celui-ci susciterait de la méfiance en détention. En fait, on mise souvent, plus qu’ailleurs, sur son influence (« J’espère que vous allez dénoncer ce qui se passe ici ») et sa présence est flatteuse (« J’veux bien vous répondre, j’aime bien parler aux médias »). Le sociologue doit surmonter la difficulté supplémentaire d’une discipline rarement identifiée clairement, à l’inverse des « sciences dures » : « Chercheur en nucléaire, d’accord, mais en sociologie... » Quasiment tous les détenus ayant été confrontés aux « psy » et autres experts, la sociologie est souvent amalgamée à la psychologie : « En fait, votre travail, c’est d’aller voir des gens et de parler avec eux ? C’est comme psychologue ? » Je ne résiste pas à l’envie d’évoquer ce détenu rencontré, à Fresnes, lorsque j’étais visiteuse de prison, et qui, semaine après semaine, tentait de me persuader de l’aberration de mes études. Ses arguments, de plus en plus péremptoires, dévoilent, en filigrane, mes réponses : « En prison, y a rien à étudier, on obéit, c’est tout », puis « il n’y a rien à étudier pour vous, car il n’y a pas de groupe, c’est chacun pour soi », et « vous vous y prenez de travers, parce qu’en prison, tout le monde devient fou ; vous devriez faire de la psychologie », et enfin, « on nous traite comme des animaux, alors c’est pas sociologue que vous devriez faire, mais vétérinaire ». Le sociologue doit, en prison plus qu’ailleurs, légitimer son rôle et sa place. Il doit aussi se faire accepter. Or ici l’« apprivoisement » mutuel de l’enquêteur et du terrain se fait en présence (discrète ?) des surveillants et sous le regard (neutre ?) des directions.

1. Le « choc carcéral » : peut-on s’habituer à la prison ?
Nous avons évoqué le « choc carcéral » ressenti par la personne détenue et ses proches. On ne peut assurément pas assimiler le trouble de passer quelques heures en détention avec la souffrance d’y être enfermé ou d’y laisser une personne proche. Certes différemment, mais les chercheurs aussi expérimentent ce « choc », comme du reste les intervenants extérieurs ou les surveillants stagiaires : l’ENAP (2004, 4) attribue d’ailleurs au « choc carcéral » les 53% de démissions d’élèves surveillants qui s’effectuent durant un stage pratique. La découverte de la détention est donc, pour tous les acteurs, comparable à un passage obligé et initiatique.
Parler de ce « choc » implique de rendre compte d’une expérience intime, liée aux représentations personnelles de ce lieu « avant » (parce qu’il y a un « avant » et un « après ») et aux modes personnels, diversement expressifs, de réaction. Ma première entrée en détention, en tant que visiteuse de prison, à Fresnes (Val-de-Marne), a été marquée par une perte des repères et des stimulations, assimilable à un état de sidération. Il me fallut plusieurs jours pour m’imprégner des réalités de la détention, certaines subtilement dissimulées : les déplacements incessants, les odeurs et les bruits particuliers de la prison (les cris des détenus, le sondage des barreaux ou le cliquetis des clés). Cette vie intense ne devient tangible qu’avec la perception que se trouve, derrière toutes les portes, derrière chaque judas, un homme dont l’existence est remplie d’au moins autant d’émotions, d’espoir, etc. que n’importe laquelle (à commencer par celle du sociologue). Même dans les lieux dont on perçoit d’abord la pesanteur et l’immobilité (comme les quartiers d’isolement ou les centrales), on est par la suite saisi d’une multitude d’informations sensorielles.
La réduction de l’espace personnel est un facteur de stress connu (d’où l’absurdité de la pratique consistant à mettre les détenus repérés comme suicidaires avec d’autres). Or la progression dans l’univers carcéral suppose le passage de nombreuses portes, se refermant sur le visiteur et le laissant seul avec ses peurs : la peur du détenu, figure « obligée » de la dangerosité, mais aussi la peur de ses propres réactions. D’ailleurs, l’architecture elle-même est productrice de peurs : les portes, les portiques, les filets ou les grilles rappellent la nécessité de se protéger contre la population pénale. L’absence d’autonomie, le regard des détenus qui vous « jaugent », la promiscuité, sont autant d’éléments - auxquels on doit s’habituer - qui contribuent à une désocialisation - qu’on apprend à maîtriser.
Lorsque j’ai rendu visite, pour la première fois, à un ami, dans une centrale, je ne pensais pas subir un second « choc carcéral ». Visiteuse à la prison de Fresnes pendant plus d’un an, j’avais pénétré, chaque semaine, dans la détention de cet établissement. A posteriori, le récit de cette expérience dans mon Journal m’a semblé d’autant plus intéressant que je connaissais déjà la détention. Je combattais la résurgence de l’image de dangerosité du détenu, sans doute à cause de l’indistinction (entre détenus et proches), qu’il me fallait, dans ce nouveau cadre, apprendre à déchiffrer. Cette peur ressurgissait alors même que j’aurai pu me sentir, nettement et définitivement, du « côté » des détenus, donc invulnérable. Ayant souvent, en me rendant au parloir, constaté les réactions perturbées (jusqu’à des crises de tétanie) des personnes lors de leur première visite, le récit de cette expérience d’« inquiétante étrangeté » (Freud, 1988), consigné dans mon Journal en mars 2001, me semble éloquent :
Trois fois, le surveillant m’ouvre une porte, me fait passer devant lui, me suit et referme la porte derrière nous. La quatrième fois, il me fait passer et ferme la porte derrière moi. Je me retrouve seule, dans une sorte de couloir... Non, il y a sur le côté des vitres et ça ressemble bigrement à un parloir... Mais je ne comprends pas pourquoi on m’a mis là : ce n’est pas prévu que nous ayons un « parloir hygiaphone »... Il me faut quelques minutes pour réaliser que je dois sonner à cette porte au bout, les parloirs « normaux » se trouvant dans la salle plus loin. Alors que dehors, tout naturellement, on sonnerait à la grille, on pousserait la porte devant soi... Ici, il me faut du temps pour me ressaisir et me persuader que cela ne doit pas être interdit. Plus tard, dans cette salle commune où se déroulent les parloirs, je me demandais : détenu ou famille ? A Fresnes, il m’avait fallu quelques semaines pour m’habituer à distinguer les détenus des différents personnels sans uniforme.
Le néophyte doit donc intégrer les règles de différenciation, des règles subtiles, mais parfaitement maîtrisées par les détenus et les surveillants. A l’Hôpital Psychiatrique, malades et personnels soignants n’ont pas de signes distinctifs : pourtant personne, jamais, ne s’y trompe. En prison aussi, cette subtile indistinction n’abuse personne. D’ailleurs, les surveillants rappellent (à ceux qui seraient tentés de l’oublier) que, derrière des apparences « normales », les détenus sont différents, puisque dangereux. À qui ne veut pas l’entendre, on évoque des drames terribles (par exemple le meurtre de l’infirmière Comte, en septembre 1971, à Clairvaux) ou on joue à lui faire peur :
Un gradé m’ouvre un petit local juste à côté de la salle de musculation. Du rondpoint où se tiennent en permanence les surveillants, il faut franchir une porte (vitrée), puis monter au premier étage, au niveau des cellules. Tous les regards des détenus se fixent sur moi, c’est palpable... Le surveillant lance à la cantonade : « Je la laisse là, mais vous me promettez d’être sages ! » (Journal de terrain)
Si les surveillants reçoivent des instructions précises sur les gestes à adopter avec les détenus, les autres personnels sont laissés libres de leur comportement. Toutefois, la présentation systématique de soi face au détenu, prescrite aux surveillants, est adoptée par les médecins (Milly, 2000, 287). Aux yeux des surveillants, la dangerosité attribuée aux détenus classe, a contrario, les sociologues - comme les Conseillers d’Insertion et Probation (CIP) - du « bon côté », c’est-à-dire du leur.
Apparemment, ici, on veut nous faire sentir la dangerosité potentielle des personnes qu’on doit rencontrer. On nous répète : « Vous savez, il n’y a pas que des enfants de cœur ici... » Malgré notre premier refus, on nous donne les fameuses Alarmes Portatives Individuelles (A.P.I.). Me voilà, définitivement, différente des détenus. (Journal de terrain)
La maison centrale de Clairvaux a été le seul établissement à nous imposer, comme aux CIP, le port d’une alarme. Cela n’a pas échappé aux détenus. Quittant le local où je réalisais les entretiens en y oubliant mon alarme sur la table, le détenu que je venais d’interroger me la tendit : « Vous oubliez ça ! Faites attention quand même... » Comme je lui exprimais mon scepticisme quant à l’usage de l’appareil, il insista : « Moi, je suis détenu, c’est pas pareil, mais je serais assistante sociale, je la prendrais l’alarme ! Vous ne vous rendez pas compte, vous, y a des psychopathes ici... »

2. Le regard neutre du sociologue ?
Certains terrains de recherche, comme la prison, disposent à s’interroger sur les rapports entre le travail du sociologue et celui du militant. Ils seraient néanmoins, selon Bourdieu (1992, 168) intimement liés :
Dans le cas de la science sociale, ce dévoilement est par soi, une critique sociale, et qui est d’autant plus puissante que la science est puissante, donc plus capable de dévoiler les mécanismes qui doivent une part de leur efficacité au fait qu’ils sont méconnus, et de toucher ainsi aux fondements de la violence symbolique.
Dans « Whose Side Are We On ? », Becker (1967) justifie la position de « prendre le parti » (« taking the part ») du délinquant ou du détenu. Cela suppose de prendre ses propos « sérieusement », de les « saisir » (« following through on it »). En fait, selon Becker (ibid., 239), la question n’est pas de prendre ou non parti - car on le fait inévitablement -, mais plutôt celle du parti pris.
Nous prenons parti comme nos engagements personnels et politiques nous l’indiquent de le faire, nous utilisons nos ressources théoriques et techniques pour éviter les distorsions qui pourraient s’introduire dans notre travail, nous limitons prudemment nos conclusions, nous reconnaissons la hiérarchie de crédibilité pour ce qu’elle est, et nous répondons le mieux que nous le pouvons aux critiques et doutes qui seront probablement notre sort. (Ibid., 247)
En Californie, le Berkeley Centre for Research On Criminal Justice, représentant la branche américaine de la « radical criminology », a justement délibérément choisi d’étudier « l’ennemi ».
Elle a publié de nombreux livres, dont The Iron Fist and the Velvet Glove (1975) et Punishment and Penal Discipline (1980), et a créé, en 1973, le Journal of Crime and Social Justice, l’une des principales publications de la « critical/radical criminology ». Ce courant de critique s’est étendu au Canada et, en partie, en Europe : il a, pendant un moment, été fortement informé et aidé par l’émergence d’une conscience politique radicale parmi les prisonniers. Selon Franklin (1978), ce courant sociologique s’est plus généralement nourri de toutes les luttes des minorités opprimées, et notamment de la minorité noire américaine. Cette criminologie « radicale » a généralement été le résultat d’un travail des auteurs avec des personnes détenues. Ainsi, les écrits de George Jackson (1971, 1972) et Angela Davis (1972) ont particulièrement influé le mouvement américain au début des années 1970 et leur portée a été décisive dans la création de la criminologie radicale. Les premiers travaux du Berkeley Centre étaient très influencés par les luttes des détenus californiens. Le premier numéro de Crime and Social Justice incluait de nombreuses contributions de prisonniers et il traitait directement des problèmes de détention. Ces relations entre prisonniers et chercheurs ont conduit à des travaux sur la base de leur engagement dans les luttes carcérales et à des tentatives pour créer des associations de prisonniers en Europe et en Amérique du Nord. Citons notamment Fitzgerald (1977) et Irwin (1980) aux Etats-Unis et, plus particulièrement, en Californie, Mathiesen (1974) en Scandinavie, Cohen (1981) au Royaume-Uni, où les travaux des « new criminologists » se sont réalisés en interaction avec les détenus de l’aile « maximum security » de la prison de Durham (County Durham).
De telles pratiques sociologiques se heurtent pourtant à un argument puissant : elles contribuent à la permanence d’une institution qui perdure en se réformant, qui perdure parce qu’elle est critiquable et parce qu’on la critique. Il n’y a certes aucune solution à cette impasse, du moins aucune au sein de la discipline sociologique. Les outils d’analyse qu’elle fournit permettent de comprendre les enjeux de son existence et de son fonctionnement, non de décider de sa légitimité sociale et politique.

3. Des significations de l’anonymat
Nous ne recherchions pas une vérité sur les personnes rencontrées, notamment quant à leur délit/crime. Nous ne confrontions donc pas leurs propos à leur dossier pénal : du reste, nous ne disposions généralement pas de leur nom de famille. Cela a probablement permis à certains détenus de se sentir plus « dégagés », donc de réinterpréter des faits à leur goût et/ou à leur avantage, voire de nous « balader » (« mentir »). Je préférais néanmoins cette liberté aux discours convenus servis aux travailleurs sociaux et aux psychologues. Dans cet univers où la parole du détenu est systématiquement examinée, évaluée et dévalorisée, écouter et « prendre au sérieux » sont des préalables à l’instauration d’une confiance. Or beaucoup de détenu(e)s voulaient parler « en leur nom propre ». Les contraintes à l’encontre des formes d’expression des détenus et de leurs proches, ajoutées au discrédit qui les entache généralement, contribuent sans doute à créer de fortes attentes à l’égard du sociologue. En conséquence, il ne faut pas sousestimer les stratégies de reconnaissance et de visibilité des interviewés (Dubar, 1990). Cette recherche respecte l’anonymat de ceux/celles qui souhaitaient ne pas être reconnues, ni inquiétées en raison de leur témoignage : les prénoms ont alors été changés, parfois même certains détails, évitant ainsi tout recoupement. À l’inverse, certaines personnes souhaitaient la mention de leur véritable prénom, à la fois pour se reconnaître et être reconnu.
J’espère que vous allez sortir un livre. Si vous le faites, vous changez pas mon nom, comme ça, plus tard, je pourrais montrer à mes enfants ce que je pensais quand j’étais au placard ! (Fayçal, centre de détention de Bapaume)
Toutefois, lorsque les personnes évoquaient certains actes délictueux pour lesquels ils n’avaient pas été poursuivis ou des pratiques que nous considérons devoir rester secrètes, nous avons supprimé les noms, quand bien même on nous affirmait : « Je n’ai rien à cacher, j’assume ce que j’ai fait, ce que je pense. »
La quasi-totalité des études et reportages sur la prison font des personnes incarcérées des interprètes interchangeables du « Détenu » : ni nom, ni visage, ni Moi. Celui-ci est effrayant ou dénigré. La parole du détenu est quelquefois entendue, mais elle est rarement prise au sérieux. Elle reste systématiquement dépréciée par rapport à celle d’un intervenant extérieur, comme un détenu nous en avisait pertinemment :
Si vous aviez enregistré, ça serait pareil, parce que là, vous prenez des notes. Mais si l’Administration a une personne à croire entre vous et un détenu, ce sera vous et pas moi... (Alain, centre de détention de Caen)
Les recherches et les documentaires sur la prison entretiennent souvent un flou sur les lieux d’enquête et les personnes interrogées : les initiés reconnaissant pourtant les établissements, voire certains détenus. Il ne faut pas être dupe des arguments de l’Administration : la prison, institution encore « totale », est menacée par la liberté d’expression. Le port de la cagoule par les surveillants et les ERIS - comme par les détenus de la prison d’Arles (en octobre 2001) - relève de ce même cache-misère du mythe d’une institution démocratique. En effet, l’Administration, au nom de la protection des personnes détenues (et parfois des victimes), conditionne de plus en plus fréquemment les prises d’images à l’anonymat. Ainsi, Karlin, réalisateur de documentaires sur les détenu(e)s et les surveillant(e)s (1991), a été interdit par la Direction de l’administration pénitentiaire de filmer des détenus à visage découvert et/ou de dévoiler les raisons de leur incarcération (Libération, « Prison, zone de non-droit à l’image », 13 avril 2000). Atwood (in Albrecht, Guyard, 2001, 11) a également dénoncé la politique actuelle interdisant aux journalistes, photographes et cinéastes de filmer ou de photographier des personnes détenues, même si elles l’acceptent ou le désirent.
On n’échappe pas facilement à l’emprise de la prison : libéré, l’ancien détenu continue de porter le stigmate carcéral. Lorsqu’ils recueillent son témoignage, beaucoup d’auteurs préfèrent que l’ex-détenu reste anonyme. Ainsi, Guéno a réuni, pour Paroles de détenus (2000), des textes de détenus, d’ex-détenus et de proches de détenus. Les photographies de l’ouvrage ont été prises (sans vocation artistique) récemment dans des prisons françaises : elles montrent, impitoyablement, l’état des cellules ou des cours de promenade. Sur ces clichés, les détenus n’ont pas de visage : il arrive qu’un barreau cache opportunément une figure. De plus, les noms des auteurs de textes sont dissimulés, contre l’avis même des personnes, libres alors, qui avaient été sollicitées lors de la collecte des textes. Caché sous les initiales « A. A. B. », après l’avoir été, sous celles d’« A.-H. B. », dans le livre de Marchetti (2001), Abdel-Hafed Benotman est pourtant un « homme public », notamment par ses livres (2000, 2003). Quant au pseudonyme d’« Idora », il dissimule Idoia Lopez Riaño, une détenue et militante basque, réalisatrice, en prison, d’un film (Les Maisons hantées, 2000). La façon dont Guéno a traité ces auteurs ne l’a bizarrement pas empêché de présenter ainsi le dessein de son ouvrage :
[Le livre aspire] à rappeler que l’homme assassin, criminel ou délinquant reste un être humain, même lorsqu’il a franchi les limites de l’inhumanité. À briser ce mur de silence et de tabous qui nous incite les uns et les autres à ne pas regarder ce qui nous gêne, ce qui nous trouble ou nous effraie. (Guéno, 2000, 9)

B. ACCEPTEE DES UNS, TOLEREE DES AUTRES
Malgré le sentiment du sociologue d’être, dans ce lieu, « pris à parti », il lui faut laisser là les les bavardages sur ses états d’âmes et poursuivre sa tâche, celle de « faire parler ». Or notre présence - et nos éventuelles relations de confiance avec les détenu(e)s - influait sur les rapports de force entre détenu(e)s et surveillant(e)s. Nos choix méthodologiques expliquent que beaucoup de nos observations rejoignent celles de Le Caisne (2000, 41-75), même si notre présence dans chaque établissement pénitentiaire n’a duré qu’une semaine.

1. Des détenu(e)s entre méfiance, sentiment d’incompétence et implication
Le sentiment d’incompétence de la plupart des détenus a été un obstacle lors de la réalisation d’entretiens. Beaucoup de détenus rencontrés fortuitement (sur les coursives, dans les cours de promenade, etc.) nous disaient que « n’ayant pas de parloir, [ils ne pouvaient] pas [nous] renseigner ». Certains nous proposaient alors : « J’vais demander à un pote, lui ça fait dix ans que sa nana le suit, il pourra mieux vous parler que moi. » Certaines remarques au cours de l’entretien signalaient également ce sentiment d’incompétence, soit en le soulignant (« Je suis pas un intello, j’vous dis les choses simplement... »), soit en le dissimulant maladroitement (« Ça, c’est une bonne question, mais c’est un sujet qui mérite réflexion... »). En outre, nos interviewés éludaient régulièrement les questions, en nous les retournant : « Si vous me posez la question, c’est que vous avez bien votre petite idée. » Enfin, le sentiment d’incompétence des interviewés pouvait se traduire par leur tendance à faire des réponses courtes et d’obliger l’intervieweuse à constamment formuler des relances.
Le sentiment d’incompétence de beaucoup de détenus est lié à la disqualification symbolique souvent générée par l’incarcération, mais il est aussi induit par le sociologue lui-même : celui-ci est détenteur de savoirs et de techniques, notamment langagières. Il fallait donc, avec les détenus comme avec leurs proches, s’évertuer à instaurer une relation égalitaire, notamment en soulignant l’utilité de leur aide. D’ailleurs, beaucoup de nos interlocuteurs se sont montrés sympathiques et serviables à notre égard, d’aucuns nous apportant un soutien décisif. Cependant, certains ont voulu s’accaparer l’enquête. On pourrait synthétiser l’enjeu ainsi : « voyous contre pointeurs ». Alors que nous nous efforcions de recevoir, pour d’évidentes raisons méthodologiques, autant les uns que les autres et de respecter les susceptibilités respectives, les « voyous » nous reprochaient régulièrement de trop souvent nous entretenir avec les « pointeurs » (et vice-versa), se qualifiant mutuellement de « mythos » (« mythomanes »), dénigrant l’intérêt d’entretiens effectués avec les « autres » et se présentant comme seuls « interlocuteurs valables ».
Régulièrement, nous avions à gérer la nervosité, la déception (surtout des « pointeurs »), voire la colère (de certains « voyous ») nous ayant vu, pour des raisons pratiques et souvent indépendantes de notre volonté, recevoir avant eux un « baltringue » (« minable »). Il en fallait de peu pour qu’on soit « mises à l’amende » (« tenues à l’écart »). Avant même de pouvoir commencer l’entretien, il nous fallait parfois restaurer la confiance de la personne, qui se sentait, injustement, trahie. Il était parfois difficile de faire entendre que notre travail sociologique accorde la même valeur aux paroles d’un pointeur et à celles d’un « voyou ».
Ici, comme ailleurs, les « voyous » nous ont mis gentiment le grappin dessus. Ils collaborent vraiment avec nous, nous indiquant les « bonnes » personnes à rencontrer. Mais on sent tout de même une certaine rivalité. Pendant tout le temps de l’entretien avec D***, un détenu, M***, que nous connaissons de vue car il nous apporte souvent le café et nous a promis, à moult reprises, de venir témoigner, fait des allers-retours devant la porte de la petite salle où se déroule l’entretien. A plusieurs reprises, il fait des gestes pour dire de ne pas écouter D*** et comme quoi il raconte n’importe quoi... (Journal de terrain)
« Et quelle voix sinistre ulule / Guillaume qu’es-tu devenu ? » Aux célèbres vers d’Apollinaire (A la santé, Alcools, 1992, 126), écrits en septembre 1911, font écho ceux de Verlaine : « Qu’as-tu fait, ô toi que voilà / Pleurant sans cesse / Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà, / De ta jeunesse ? » (Le ciel est par-dessus le toit, Sagesse, 1987, 226). Il n’y a pas que les poètes qui, en prison, font le bilan de leur vie : la prison rend, en partie, un peu poète... Il existe en effet une véritable « littérature prisonnière », pour reprendre le titre d’un chapitre du Livre des vies coupables (Artières, 2000, 398-420). De la littérature à la mythomanie, il n’y a parfois qu’un pas. Or les détenus estiment souvent qu’une grande partie de leurs pairs sont atteints de mythomanie : on dit d’ailleurs parfois qu’elle « s’attraperait » en prison. Nous faisons évidemment la part entre les propos franchement farfelus et l’inévitable reconstruction de sa vie que suscite l’entretien - en particulier avec une femme.
La présence d’une sociologue, surtout quand il s’agit d’une jeune femme, ne passe effectivement pas inaperçue dans une détention masculine, en particulier dans les établissements pour peines où les intervenant(e)s extérieur(e)s sont rares. « Mais vous, au fait, vous êtes qui ? » Question souvent entendue, de la part de surveillants et de détenus. Ceux-ci ont raison de demander au sociologue pourquoi il « vient » [1] en prison. Mais ses raisons cachées sont rarement aussi mystérieuses que celles imaginées par les détenus.
En prison, le sociologue est mis à dure école : ailleurs, le « regard extérieur » peut-être sollicité, toléré ou ignoré. En détention, on est minutieusement examiné à son insu par de vrais professionnels de l’observation : les détenus. À la moindre information personnelle donnée à l’un, un autre cherche à la vérifier et à la compléter. Plus encore, les détenus développent des aptitudes à saisir immédiatement et globalement la personnalité de leur interlocuteur, provoquant souvent son impression d’être « cerné ». Nous critiquons donc la réduction du monde carcéral, par Cormier (1975), à des surveillants et des surveillés (The Watcher and the Watched). Nous avons en effet trop partagé (avec les surveillants) cette question, dont la réponse reste - mais peu nous chaut - incertaine : « Qui observe qui ? »
Ne serait-ce pas alors prétentieux que de vouloir « faire parler » ces personnes qui nous étudient si minutieusement ? Prétention d’autant plus exagérée qu’elles sont souvent rompues aux techniques des interrogatoires, qu’elles reconnaissent, majoritairement, le silence comme une valeur et qu’elles sont naturellement méfiantes... Certes, il faut, comme Irwin et Cressey (1962, 142-155) le suggèrent, distinguer la sous-culture carcérale (« convict subculture ») de la sous-culture délinquante (« thief subculture »). Si la prison n’est pas le « Milieu », elle en reproduit toutefois certaines valeurs et règles. Comme Marie-Christine Guérini [2] (1985), Marie Paoleschi, l’épouse du fameux Dominique Paoleschi, a en effet dû justifier sa « parole » :
Tant que le Milieu a représenté quelque chose, une planète à part si vous voulez, je ne me suis pas permis de violer la règle de la bouche cousue. On reconnaissait d’ailleurs que j’avais « une bonne mentalité ». [...] Aujourd’hui, le Milieu, c’est cuit, c’est fini. Dans ces conditions, plus rien ne m’empêche de raconter mes souvenirs sur les grands truands que j’ai connus et dont la presse a parlé à maintes reprises. (Paoleschi, 1987, 7-8)

2. Une enquête sous surveillance
Il s’agit de se « situer », à « bonne distance », par rapport aux détenus et aux surveillants, dès l’entrée en détention et, parfois, même avant. En effet, une partie du personnel (notamment de direction, comme à Clairvaux) voit, a priori, comme il nous l’a été dit, les sociologues comme des « emmerdeuses » et des « touristes » : le « tourisme pénitentiaire » ne serait donc plus l’apanage des détenus. Toutefois, plus souvent qu’une franche hostilité à la population pénale, le personnel formulait surtout des propos désobligeants :
Rencontre avec le directeur : ses propos dénigrent - subtilement, mais on a l’habitude... - notre travail. Il nous fait sentir son peu de sympathie pour les personnes qui sont là « pour » les détenus... « L*** [un mineur] ? Il finira mercenaire en Angola ! Mais si ça vous chante d’aller écouter ce qu’il a à dire... » Il confie notre prise en charge en détention à un gradé tout à fait différent : autant dire enthousiaste, qui veut nous être utile, à tout moment. Très vite, on apprend des détenus qu’il fait l’unanimité. Ils l’appellent « Pin’s », parce qu’il est partout et on ne s’en débarrasse pas comme ça... Peu à peu, nous prenons l’habitude de nos entretiens interrompus par ses : « Alors, ça se passe bien ? » (Journal de terrain)
Notre enquête se basait sur la réalisation d’entretiens avec des détenus. Outre notre propre expérience (lors de notre activité de visiteuse de prison et de parloirs), nous avons eu de multiples occasions de nous entretenir avec les surveillants, en détention ou au mess (le midi). Notre présence les laissait généralement indifférents, hormis en maison d’arrêt, en raison du surplus de travail qu’elle occasionnait. Certains sont néanmoins spontanément venus s’entretenir avec nous : d’abord pour savoir « ce qu’on faisait là » (les surveillants n’avaient pas toujours été prévenus ou ne se souvenaient plus de l’information), ensuite pour donner leur avis sur notre sujet de recherche. On nous reprochait alors immanquablement de « trop » nous occuper des détenus. Le discours alors tenu sur leur dangerosité devait servir à nous « affranchir » [3] de nos supposées croyances. En outre, la plupart des surveillants attaquaient la légitimité de notre travail : non seulement on s’intéressait plus aux détenus qu’à eux, mais les détenus ne seraient pas ces « bons pauvres » qu’on aide impunément.
Apparemment, notre présence ne plait pas à tous les surveillants. Leur argumentaire est toujours le même : soit on ne s’occupe pas assez des surveillants (et trop des détenus), soit on ferait mieux de s’occuper des vrais malheureux (les malades, les handicapés, etc.). Une phrase parmi d’autres : « Le social, toujours le social... Et pour ceux qui dorment sous les ponts, vous ne faites rien ! » (Journal de terrain)
Nous avons entendu fréquemment ce type d’argument. Il était souvent accompagné de considérations sur un changement de mentalité de la population pénale, une idée d’ailleurs également éculée parmi les détenus, les travailleurs sociaux, etc. Notre Journal de terrain relate ces sempiternels échanges avec les membres du personnel :
Le sujet des « relations familiales des personnes détenues » doit aussi être pour quelque chose dans l’animosité que l’on ressent... Un gradé (se) lâche :
- Les U.V.F., si c’est pour qu’ils emmènent leur pute au parloir, c’est pas la peine... Avant, c’était la honte d’avoir quelqu’un en prison, maintenant c’est une fierté. Si c’était une vraie famille qui venait d’accord, mais...
Le monde carcéral est marqué par ces « relations à plaisanteries » (Radcliffe-Brown, 1968) qui rappellent constamment à chacun sa place et son rôle. Avec les détenus, se joue régulièrement l’opposition entre la liberté et l’enfermement : « Je continue les entretiens à votre place et vous, vous allez à ma place en cellule ! » Les surveillants sont également souvent pris à parti dans ces plaisanteries, permettant au détenu de réaffirmer son statut d’« homme comme les autres ». À plusieurs reprises, des détenus lançaient aux surveillants, après l’entretien : « Je repars avec elle, si, si ! » Sonia (maison d’arrêt de Pau), en nous proposant de nous accompagner lors de nos entretiens dans le quartier des hommes (« Je prends un bloc-notes, un stylo, et voilà ! »), raillait, quant à elle, la non-mixité de l’institution. Les plaisanteries marquaient également nos relations avec le personnel de surveillance : notre posture (extérieure à l’Administration pénitentiaire et à la population pénale) dérangeait et méritait clarification, voire vérification. Ainsi, venues, à l’heure du déjeuner, nous chercher dans le local où nous menions les entretiens, les surveillantes demandent : « On vous laisse là pour manger ? Vous êtes sûres que voulez sortir ? » Visitant, à la maison d’arrêt de Pau, le service anthropométrique (au greffe), notre accompagnateur nous propose : « Vous voulez pas qu’on fasse une photo de vous pour rire ? » Boutade sans doute éculée dans ce service, mais marquant, justement, qu’on était pas là pour « ça ».
Pour beaucoup de surveillants, notre (relative) jeunesse nous accordait le bénéfice du doute et l’excuse de la « naïveté ». Néanmoins, lors de l’épisode rapporté ci-dessous dans notre Journal de terrain, nous étions perplexe sur ce qui ressemblait fort à un canular, révélateur de la façon dont on était perçue en détention :
Ce matin, le surveillant en poste est le même qui nous avait montré son scepticisme - pour le dire vite... - à propos de notre enquête. Il faut le déranger à chaque fois qu’un détenu vient pour l’entretien, qu’il repart, etc. À chaque occasion, il nous envoie des remarques, pas agressives, mais on comprend bien son opinion : « Qu’est ce qu’ils peuvent bien vous raconter ? », « vous n’avez pas marre d’écouter leurs salades ? », etc. Surprise : il me dit qu’il a pensé à un détenu qu’il faudrait que je voie pour l’enquête. Il revient avec lui. La personne est bourrée de médicaments, ses paroles sont complètement incohérentes, aucune discussion n’est possible, même avec la meilleure volonté du monde... Je reste une heure avec la personne, qui a l’air manifestement heureuse d’être écoutée. En ressortant, le surveillant m’interpelle : « Alors ? » Et moi de répondre mystérieusement, à sa grande surprise : « C’était très intéressant. » L’échange s’est arrêté là, et il ne nous a plus adressé la parole...
La volonté de nous accaparer et/ou de nous instrumentaliser n’a pas été l’apanage des détenu(e)s. Les directions ont agi similairement, notamment en voulant nous placer en porte-à-faux vis-à-vis des détenu(e)s, sous couvert de contribuer à l’objectivité de notre travail. Ainsi, la direction d’un établissement - mémorable pour l’unanimité des détenus à son encontre - a tenté, à plusieurs reprises, malgré nos refus, de faire de nous des intermédiaires (voire des « balances ») entre détenus et surveillants. Les deux mutineries qui ont éclaté, quelques mois seulement après notre enquête, dans cet établissement ne nous ont donc pas surprise. Il nous a en effet été proposé d’observer, à l’insu des détenus et de leurs proches, les parloirs (pour y constater « les difficultés de travail des surveillants ») et de porter (« une journée, pour voir ») l’uniforme du personnel. Ces propositions nous signalaient que, selon l’Administration, « on écoutait trop les détenus ». L’épisode suivant, relaté dans notre Journal de terrain, est révélateur de la volonté de l’Administration de nous « mouiller », de nous « mettre de son côté ». Nous venions de discuter, derrière la grille de la porte de sa cellule, avec un détenu placé au « mitard », après sa dégradation de la cellule du quartier d’isolement où il était placé :
Une conversation s’amorce : il accepte de pour nous rencontrer, mais demande un peu de temps pour se préparer. Je fais part de son accord aux surveillants et leur demande de venir le chercher quand il le demandera, d’ici un quart d’heure. Les surveillants referment la porte. Regards entendus : « Si ç’avait été nous... » Là, surgit leur peur qu’on soit, un peu trop, du côté des détenus : « Faut quand même qu’on vous montre la cellule qu’il a ravagé... » On monte au Q.I. voir la fameuse cellule. Elle n’a rien d’extraordinaire cette cellule, elle a été dévastée, c’est tout. Mais maintenant, nous partageons un secret avec eux : ils nous l’ont fait voir (sans qu’on le demande), mais on ne doit pas le dire au détenu (« ça nous retomberait dessus »). L’entretien avec S*** se déroule normalement, il nous confie sa haine de la direction, des surveillants. L’imminence d’une dégradation grave de la situation est palpable. Le lendemain matin, nous apprenons que le soir de l’entretien, il s’en prenait à la gradée qui accompagne le gameleur... La spirale continue.
Assez naturellement, beaucoup de surveillants nous considéraient comme d’excellents moyens d’occuper les détenus. À plusieurs reprises, nous avons vu arriver des détenus un peu surpris, voire inquiets, d’avoir été appelés et nous dire : « Mais j’ai pas envoyé de papier... » Il s’agissait donc de l’initiative d’un surveillant d’étage, ayant trouvé ainsi le moyen de joindre l’utile (occuper les sociologues) à l’utile (occuper un détenu).
Début d’après-midi. Retour en détention. Une jeune femme attend au PIC [/em]. Elle n’a pas l’air bien, le regard un peu hagard, mais son ton est agressif, elle a un peu de mal à s’exprimer. A priori, elle semble sous l’effet de médicaments. Elle me demande si je suis « la Dame pour les cours... ». Une surveillante intervient :
 - Eh bien, vous avez qu’à aller avec la Dame, elle fait des entretiens avec les détenues...
J’explique ce qu’on fait ici et lui demande si elle serait intéressée... mais la surveillante nous emmène illico presto au local où nous menons les entretiens, tout en disant à la jeune femme :
- Ça va vous occuper. L’entretien, ça va faire une heure de passée, puis un peu de télé, et l’après-midi va être terminé...
(Journal de terrain)
Autre facette du même problème : la tendance de surveillants à faire de nous des dérivatifs à l’expression de la révolte de certains détenus. Ces procédés ne nous dupaient guère, d’autant que le personnel ne s’en cachait pas, comme notre Journal de terrain le relève :
Premier entretien chez les hommes. Un détenu avait écrit une lettre pour se porter volontaire. Le surveillant arrive avec lui :
- Voilà, vous allez pouvoir exposer toutes vos revendications à ces demoiselles ! Au moins, pendant ce temps-là, vous nous emmerderez pas !
On peut décidément (et sans doute en détention plus qu’ailleurs) dire, en empruntant à Pierre Carles le titre de son film (2001), que « la sociologie est un sport de combat ! »

3. Les contraintes du terrain et la déontologie
En prison, on s’entend constamment dire : « Ici, ce n’est pas la foire, vous ne faites pas ce que vous voulez. » Pourtant, on a moins souvent été confrontée à des restrictions de nos mouvements en détention que dans l’obligation (pour des raisons déontologiques ou morales) de repousser ce qu’on nous proposait de voir ou de faire. Néanmoins, entre ce qu’on refuse et les « pièges » du terrain, se trouve une série d’amères expériences. L’une des plus éloquentes est certainement celle que nous avons faite lors de la rencontre de ce détenu placé au quartier disciplinaire (voir supra, p. XX). Dans cet endroit oppressant (à dire vrai, le pire de tous ceux où je me suis rendue), je me sentais complice, par mon évidente impuissance, d’une situation terrible :
Ce matin, nous nous rendons au mitard et au Q.I., qui sont un peu excentrés par rapport au reste de la détention : la fameuse « villa Suchet », du nom de cette famille de surveillants qui y régna pendant plusieurs générations. Visite obtenue plus facilement que prévu, grâce (aussi) à un éducateur. On arrive accompagnées de l’éducateur. Il voudrait qu’on rencontre S***, qui vient d’être placé au mitard alors qu’il était au Q.I. Il a saccagé sa cellule du Q.I., suite au refus, par la commission d’indigence (où intervient la direction), du renouvellement de son statut d’indigent. Les surveillants veulent aller lui proposer l’entretien, tout en précisant qu’ils pensent qu’il ne sera pas d’accord. Je parviens alors à obtenir d’aller directement discuter avec lui. Ils ouvrent la première porte, S*** est derrière la grille. J’arrive alors qu’il est en train de se brosser les dents. Les premières minutes sont pénibles. Il a toutes les raisons de s’énerver d’être ainsi dérangé. Moi, je me sens prise au piège d’avoir voulu éviter que les surveillants l’importunent, mais j’ai moi-même, en prenant leur place, participé à la violation de l’intimité de cette personne. (Journal de terrain)
Au-delà de la tentative d’instrumentalisation - de la part des détenu(e)s comme de l’Administration - à laquelle le sociologue peut et doit être vigilant, celui-ci est confronté, en détention, à de réels problèmes déontologiques. Par notre présence, on est complice de ce qu’on réprouve et/ou dénonce, notamment l’immixtion dans l’intimité. Le regard du sociologue en prison s’ajoute certes à ceux habituels des surveillants et des intervenants. Il s’ajoute aussi au regard, plus exceptionnel, des « touristes » qui profitent des visites organisées par l’Administration (futurs jurés d’assises, élèves magistrats, responsables d’administrations pénitentiaires étrangères, etc.). Ce problème s’aggrave de l’introduction, par le sujet même de la recherche entreprise, d’une observation là où la surveillance pénitentiaire est constamment déjouée, davantage douloureuse et difficilement vécue.
Il y a, chez les femmes, une détenue dont on nous a parlé à plusieurs reprises. En fait, on n’arrête pas de nous en parler, souvent à mots couverts, en désignant du menton sa cellule... Elle est seule en cellule, contrairement aux autres : « Vaut mieux », dit la surveillante qui nous y accompagne pour lui proposer de s’entretenir avec nous. « Sûre qu’elle sera partante, elle sera gentille avec vous... Parce qu’avec nous, c’est différent... » Elle risque une longue peine... « Quand on sait ce qu’elle a fait... Hum ! » Dans les conversations, ça revient souvent « ce qu’elle a fait », sans que jamais on nous le dise, d’ailleurs... La surveillante ouvre la porte. Sonia nous tourne le dos, assise, en train de dessiner, à sa table. Elle dessine, mais elle est en train de pleurer aussi. Comment lui proposer de nous donner de son temps, de sa confiance, alors que notre rencontre commence par une immixtion brutale dans son intimité ? (Journal de terrain)
En détention, le sociologue a souvent l’impression d’être observé, épié et jugé. Il n’est cependant pas exempt de ce sentiment de voyeurisme dont n’est jamais totalement dénué l’observateur. Face aux « cérémonies de dégradation » (Garfinkel, 1956) dont le sociologue est - forcément - témoin en détention, l’attitude la plus naturelle est sans doute celle décrite par Marchetti (2001, 85) :
Quand le détenu « appelé » arrive, il est palpé. De haut en bas. Les premières fois, j’ai regardé, détourné les yeux puis regardé à nouveau. Subrepticement. Malaise et voyeurisme. Puis j’ai décidé de sauter désormais cette séquence du film. Je sais, je sais, c’est pour ma sécurité ! N’empêche ! Entre le gars qu’on fouille, chosifié, et le gars à qui je vais sourire et serrer la main d’humaine à humain, il n’y a que quelques mètres. Deux conditions différentes dans un espace si réduit, je n’arrive pas à m’y faire.
Il serait fastidieux de faire ici la liste des pratiques critiquables et des situations humiliantes pour les détenus auxquelles nous avons assisté, en tant que visiteuse de prison, puis de sociologue. Que ce soit devant l’évacuation musclée (observée fortuitement) d’un détenu vers le Q.D., l’arrivée d’un détenu travesti en détention ou le déplacement de détenus malades entravés, je me suis retrouvée, à chaque fois, désemparée et consciente de la difficulté de réduire les dissonances entre les rôles tenus face aux surveillants, aux directions et aux détenus.

C. A PROPOS DE QUELQUES BIAIS INELUCTABLES
La critique de la recherche doit distinguer les problèmes méthodologiques et les difficultés techniques, notamment celles d’une durée et de moyens nécessairement limités. Nos conditions de travail ont été remarquables, même si elles ne peuvent coïncider avec les exigences de la passion du chercheur. Il est toutefois également indispensable de s’intéresser à ceux et celles que nous n’avons pas (ou insuffisamment) rencontrés et aux sujets sur lesquels il est le plus dur de les faire parler. En outre, au cours de l’enquête, aux questions qu’il faut, à regret, laisser en suspens, s’ajoutent des biais évidents (et obsédants).

1. Une femme sociologue et des hommes détenus
Le monde carcéral nous a paru extrêmement machiste. On dit d’ailleurs souvent que les surveillantes ont plus de difficultés avec leurs collègues qu’avec les détenus. Ainsi, le 12 mai 2001, au lendemain d’un Comité technique paritaire central à la Direction de l’administration pénitentiaire, où avait été abordée la question de la féminisation du personnel, F.O.- Pénitentiaire exigeait, dans un communiqué, de « revoir les critères de recrutement afin de “viriliser” la campagne de recrutement pour permettre un afflux de candidatures masculines, qui résorberait l’hystérique recrutement de personnel féminin ». Cette qualification, à caractère sexuelle (« virile » versus « hystérique »), d’un choix politique - plutôt qu’une argumentation reposant sur des choix idéologiques, moraux, etc. - constitue indéniablement un des multiples avatars du machisme, dont l’essence est la disqualification a priori de ce qui appartient à la sphère féminine. Le machisme de la littérature de F.O.-Pénitentiaire, comme le surnom (« Fesses Ouvertes ») que lui donnent ses détracteurs, confirme l’observation d’un hétérosexisme largement partagé par les détenus et les surveillants [4].
J’ai évoqué l’importance de la virilité attribuée, par les détenus, à certains comportements. La présence d’une jeune femme dans un milieu exclusivement masculin peut provoquer des attitudes de vantardise et de séduction : exaltation d’une image (supposée irrésistible) du « voyou » ou du « caïd », exagération des « exploits » (« Le casse de chez Cartier, à Paris, personne ne m’a soupçonné ! »), de l’agressivité (« Quand on a tué, on n’a plus peur de recommencer... ») et des succès féminins (« Pour moi, ça jamais été un problème »). Comment serait-on abusée par ces confidences trop rapides ? D’ailleurs, je soupçonne mes interlocuteurs de ne pas avoir été totalement dupes de leurs propres mises en scène (face à une « cavette »), à l’instar de celui qui me déclarait : « Au bas mot, il me fallait 5 000 balles par jour pour vivre, le quotidien quoi... par mois, ça fait quinze plaques. » Il s’est brusquement arrêté pour me demander : « Et vous, vous faites comment pour vous en sortir avec votre salaire ? »
Notre statut de femme a sans doute facilité les confidences. Beaucoup de détenu(e)s nous ont déclaré qu’il leur aurait été plus difficile d’évoquer avec un homme des sujets tels que les rapports sexuels, les relations conjugales ou l’homosexualité. Un extrait parmi d’autres : « Je vous ai parlé parce que vous êtes des femmes... sinon... À un homme, j’aurais pas parlé de ma copine, ni des pédés par exemple ! On sait jamais si ç’en était un ! » Dans leur enquête sur les pratiques sexuelles en France, Spira et Bajos (1993, 177) notaient, à propos des échanges sur la sexualité, que « les confidents sont des confidentes ». Analysant plus précisément les résultats de cette enquête, Ferrand et Mounier (1993, 1463-1467) constataient que la confidence est subordonnée à une proximité d’âges et de niveaux sociaux, corroborant les recherches sur la notion d’« homophilie » (voir Rogers, Bhowmik, 1971). Il est évident que les entretiens avec les plus jeunes (14 à 16 ans) et avec les personnes d’un certain âge ont été les plus difficiles à mener. Bizarrement, la question des différences sociales ne s’est pas présentée : les uns nous louaient d’être « quelqu’un de simple » (une « étudiante »), les autres se reposaient sur notre statut de sociologue, auquel le rattachement à l’université de la Sorbonne confère d’autant plus de prestige.

2. La constitution de l’échantillon 
Les entretiens se sont déroulés sur la base du volontariat. Nous avons toutefois essayé de constituer un échantillon le plus divers. Il est important de s’intéresser à ceux et celles les moins représentés dans notre recherche. Les détenus les plus marginalisés (toxicomanes, étrangers sans papiers notamment) ont sans doute, involontairement, été exclus de cette enquête. Par ailleurs, malgré notre accès aux quartiers disciplinaires et d’isolement, les détenus qui y sont affectés ont certainement été partiellement écartés de notre échantillon. À l’extérieur, la grande discrétion des familles de « pointeurs » a certainement défendu de plus nombreuses rencontres.
À l’inverse, certains groupes se rencontrent plus facilement : les prisonniers politiques, les « intellos », etc. Leur volonté de visibilité et leurs compétences socioculturelles font d’eux les clients privilégiés des sociologues.
En outre, le type de sélection que nous avons choisi peut induire des « effets de grappe ». En effet, beaucoup de personnes se sont portées volontaires par le bouche-à-oreille. Fréquemment, les plus jeunes se vantant d’avoir été choisis par « la sociologue » aux copains, ceux-ci ne voulaient pas être en reste. Or interroger toute une bande, avec le discours stéréotypé qu’elle implique, serait une erreur. Il nous est pourtant arrivé d’interviewer des détenus ayant des liens (d’amitié ou de domination) si puissants qu’ils interrompaient incessamment leurs propos pour déclarer : « Mais B***, il a dû vous le dire, parce qu’ici, on pense tous la même chose là-dessus... »
Le premier jour, les détenus ne se sont pas bousculés pour venir... Depuis hier, le bouche-à-oreille a dû fonctionner. On est régulièrement interrompue dans nos entretiens par des détenus qui viennent demander : « Est-ce que vous pouvez me voir ? Mon copain « untel » que vous avez vu hier, il m’a dit que c’était possible... » (Journal de terrain)
Le premier obstacle auquel se confrontent beaucoup d’enquêtes en prison est la difficulté d’accéder directement aux personnes, et donc la nécessité de solliciter les entretiens en passant par le personnel de surveillance et/ou les membres du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP), voire la direction. Or on ne maîtrise ni cette interaction, ni les critères (objectifs et subjectifs) de la sélection. D’ailleurs, à lire Perego (1990, 133), le résultat est peu pertinent pour le sociologue :
Tantôt il s’agissait de types complètement soumis à l’autorité répressive, tantôt, c’était des gars en perte de réalité, tenant des propos complètement incohérents ou décousus. Des gars dont la révolte même avait rompu ses amarres et dont l’ancre, incapable de se fixer sur des origines précises, dérapait sur le tissu social tout entier. [...] Des caricatures d’individus vénaux ou à demifous qui confortaient les honnêtes gens dans l’assurance de leur différence et dans la bonne conscience de l’enfermement généralisé.
Nous avons évité ce travers en procédant par voie d’affichage dans les détentions et en rencontrant les personnes détenues dans les bibliothèques, les cours de promenades, les lieux d’activités, etc. Notre affichette (voir Annexes, doc. 8.a), que les directions ont accepté de placarder avant notre venue, précisait : « L’entretien est prévu pour durer 45 minutes, mais la durée dépend de la personne qui accepte de témoigner. » Nous ne voulions pas effrayer les personnes d’avoir à parler longuement. Toutefois, à quelques exceptions près, les entretiens duraient au moins deux heures. La formulation de notre affichette, qui montrait notre position d’écoute, a encouragé les candidatures spontanées. Celles-ci nous étaient alors transmises par les membres des services sociaux (voir Annexes, doc. 8.b). En effet, dans chaque établissement, des détenu(e)s nous avaient écrit des lettres, souvent motivées, pour qu’on les reçoive (voir Annexes, doc. 8.c).
De nombreux détenus se sont investis dans notre projet, en particulier dans la constitution d’un échantillon représentatif, en recherchant des personnes dont le témoignage nous intéresserait et en les convainquant de nous rencontrer. Cette démarche n’était pas anodine : elle impliquait pour eux d’aller discuter avec des personnes extérieures à leur cercle habituel de relations. Ces détenus nous ont, parfois d’autorité, désigné comme indispensables à notre travail certaines personnes : un ex-prêtre, un voyou homosexuel (et non un « banal » détenu homosexuel), une mère infanticide, un handicapé, etc. Évidemment, cela peut induire une tendance à ne rencontrer que des situations exceptionnelles : « Faut absolument que vous alliez voir avec D***, parce que sa fille est handicapée, mais elle vient tous les mois. »

3. Interroger la douleur et l’intime : la question du dicible

Pollak (1986), à propos des survivants des camps de concentration nazis, a évoqué les difficultés à faire parler une personne qui dit avoir « surmonté une épreuve ». Le chercheur est confronté à la méfiance de ceux qui voient en lui celui qui « exproprie les victimes de leur souffrance ». Elle rejoint l’idée que « certaines réalités ne pouvaient être comprises que par ceux et celles qui les avaient vécues ». En prison, cela revient à dire que « ceux de dehors, ils n’entravent rien au placard » (« ne comprennent rien à la prison »). Ce serait évidemment davantage vrai pour ceux qui y purgent les peines les plus longues.
Parler en prison ou de la prison, implique de recueillir, selon l’expression de Goffman (Asiles, 1968, 209 sqq.), une « sad tale » (« histoire de ses malheurs »), avec la notion de reconstruction qu’elle implique de la part de l’interviewé. Le sociologue se retrouve à solliciter un récit (des malheurs), déjà maintes fois sollicité par divers intervenants. Or ce récit peut être tenu, comme nous y invite Declerck (2001, 297), pour une « monnaie d’échange symbolique dans les interaction soignants/soignés, [...] il flatte le narcissisme du soignant [...] et apaise ses angoisses ». Fréquemment produit, ce récit risque de se transformer en « récit-écran », d’autant qu’avec l’intimité et la sexualité, on explore le « domaine le plus privé de la vie privée », comme l’écrit Elias (1973, 283-319). En fait, les frontières du travail sociologique sont délimitées par ce qui est exprimable (par l’interviewé) et par ce qui est audible (par le chercheur), comme le formule Pollak (1990, 179) :
Entre celui qui est disposé à reconstruire son expérience biographique et ceux qui sollicitent de le faire, ou sont disposés à s’intéresser à son histoire, s’établit une relation qui définit les limites de ce qui est effectivement dicible.
Au cours de sa peine, le détenu apprend à tenir le discours adéquat sur son histoire selon son interlocuteur (l’assistante sociale, sa famille, ses codétenus, etc.). Laquelle de ses « images de soi pour autrui » le détenu présente-t-il au sociologue ? La vérité sur l’interviewé n’existe assurément pas et nous sommes condamnés suivre la recommandation de Pollak (1990, 181) : « Notre problématique suppose que tout document a un sens, à condition de reconstruire le système de repérage de ce sens. »

*
* *

Comment se prétendre un « pur esprit » quand tout - l’Administration, les détenu(e)s, leurs proches, sa propre conscience, ... - enjoint de « prendre parti » ? Comment faire accroire être ce « pur esprit » quand, involontairement et forcément, on est « pris » ? Si la lecture de Dante est précieuse, c’est qu’il dit tout du voyage d’un vivant parmi ces ombres encore sensibles à la douleur : ce voyage n’est-il pas aussi intéressant que l’Enfer lui-même ? Malgré ses « bas désirs » et sa peur d’y rester - parce qu’on est autant attiré que contaminé -, le voyageur doit « prendre congé » de cet univers, devenu, par les hasards de son existence, si familier. Et, avec ces ombres - parfois agaçantes d’incrédulité -, on s’interroge : Comment La Comédie pourrait-elle finir ?

[1] Le sociologue ne « va » pas en prison, il s’y « rend » ou il y « vient »

[2] Fille de Mémé et nièce d’Antoine Guérini, figures du milieu corse de l’après-guerre

[3] Quasiment au sens argotique de « renseigner officieusement »

[/em] Le PIC (Poste d’Information et de Contrôle) - sans doute en raison de sa proximité phonétique avec « piquet » - est appelé, par une partie de la population carcérale (qui ignore souvent sa véritable signification), la « pique ». Le PIC est le lieu d’où s’exerce la surveillance de la détention et la gestion des mouvements des détenus. Il se trouve à l’entrée d’une aile, alors que le Poste d’Entrée Principale (PEP) est à l’entrée de l’établissement

[4] Du reste, l’UFAP, le principal syndicat pénitentiaire, s’illustre régulièrement par une littérature égalant celle de son rival. Un tract, intitulé « “Vibre ô Vasseur” (beaucoup de secousses, peu de résultats) », a ainsi été distribué le 8 décembre 2000, à Fresnes (Val-de-Marne)