Publié le mercredi 26 mars 2008 | http://prison.rezo.net/contre-la-peine-de-mort-le-combat/ Mardi 20 février 2007 organisée par : Amnesty International et le GENEPI La peine de mort dans une société du « faire vivre » Introduction : La peine de mort est, nous le savons, un sujet très controversé. Si dans les civilisations anciennes il est courant de penser que tout meurtrier mérite la mort, il est également courant de défendre l’idée de respecter le droit à la vie. De même, la notion du pardon s’inscrit dans une tradition très ancienne. C’est l’idée contenue par exemple dans le « Tu ne tueras point » du Décalogue. Les réticences à l’égard de la peine de mort ne sont donc pas, contrairement à ce que l’on pourrait croire, récentes. Le combat pour l’abolition n’est pas un combat spécifique à notre modernité même s’il s’est largement, il est vrai, développé en Europe depuis trois siècles. Cette pratique n’est pas un invariant historique. La peine de mort n’a pas existé en tout lieu et en tout temps, ni de la même manière. La législation et la pratique judiciaire varient d’une période à une autre et la peine capitale est appliquée pour des raisons différentes et selon des fréquences inégales. Les partisans de la peine de mort évoquent différents arguments en faveur de son maintien ou de son rétablissement. Parmi ces arguments, nous pouvons en citer trois : celui de la juste rétribution, celui de la dissuasion et celui de l’incapacité. Pour ma part, je voudrais dans cet exposé réfléchir sur les arguments en faveur de son abolition. Notre propos se situera principalement dans une perspective française mais il est certain également que les diverses interrogations qui se poseront à nous vont nous mener sur des problématiques d’ordre plus général et il est à peu près certain enfin que dans notre parcours nous rencontrerons les États-Unis. Dans un premier moment donc, nous aborderons l’argument de « l’intolérable ». Depuis la fin du XVIIIème siècle essentiellement, la peine de mort en France suscite de vives réactions et de nombreuses controverses. Les partisans de son abolition s’opposent à ce châtiment par souci d’humanité. En effet, au nom de quels principes une Justice s’attribue-t-elle le droit de tuer un homme ? Dans un deuxième temps, au delà du sentiment d’intolérable que la peine de mort peut provoquer, nous montrerons son incohérence dans un système juridico-pénal qui pose comme principe premier « l’amendement du condamné ». Comment comprendre, en d’autres termes, que la peine de mort puisse fonctionner dans une société du « faire vivre ».
1° L’argument de « l’intolérable » : La question qui se pose ici est de savoir au nom de quoi une justice peut-elle s’attribuer le droit de tuer ? Au nom de quels principes ? Est-il possible qu’il existe un système juridique suffisamment parfait pour disposer du droit de vie et de mort des justiciables ? Plusieurs points concourent à ce sentiment d’intolérable. Tout d’abord, la peine de mort est en rupture totale avec les valeurs éthiques et morales de l’humanisme. Mais, pour Hugo, la peine de mort n’est pas seulement un scandale moral, c’est aussi un scandale social car dans une très grande majorité, la peine de mort touche les plus pauvres. Dans la préface au dernier jour d’un condamné à mort qu’il écrit en 1832, Hugo parle de ces « pauvres diables, que la faim pousse au vol, et le vol au reste ; enfants déshérités d’une société marâtre, que la maison de force prend à 12 ans, le bagne à 18, l’échafaud à 40 ; infortunés qu’avec une école et un atelier vous auriez pu rendre bons, moraux, utiles, et dont vous ne savez que faire [...] ». Hugo dans ce passage s’attaque à la société qui discrimine une partie de la population. Il définit les condamnés à mort comme une production sociale. La peine de mort est donc posée comme un scandale éthique et un scandale social. Nous l’avons illustrer ici au travers de deux citations de Victor Hugo mais nous aurions pu citer bien d’autres études et de fort récentes. Nous pouvons par exemple reprendre un chiffre fourni par Amnesty International : 42% des condamnés à mort aux États-Unis sont noirs tandis que la population noire, à l’échelle du pays, représente 11%. Ensuite, il est un autre point insupportable dans la pratique de la peine de mort : ce sont les erreurs judiciaires. Enfin, il est inacceptable aux abolitionnistes, au regard des études consacrées à la question, de constater que la peine de mort n’a pas d’effet sur la criminalité. En France par exemple, s’il est vrai que les homicides ont augmenté durant les 3 années qui ont suivi l’abolition, ils ont baissé les trois années suivantes. Il semble donc que la criminalité (le taux d’homicide) et la peine de mort soient deux phénomènes indépendants. La peine de mort serait donc inefficace dans sa prétention à résorber le crime. Inutile dans la lutte contre la criminalité, elle n’en n’est que plus intolérable. Nous pouvons bien évidemment évoquer encore de multiples autres scandales directement liés à la pratique de la peine capitale... Songeons par exemple aux États-Unis et aux problèmes qui précèdent le jugement même : à savoir les difficultés rencontrées pour la défense, les pressions exercées sur les juges, l’exclusion du jury des partisans de l’abolition sous prétexte d’impartialité. Songeons enfin à l’inacceptable, une fois le jugement rendu : à savoir les conditions extrêmement dures pour les condamnés dans ce que l’on nomme « les couloirs de la mort », les « death row »... Il me semble d’ailleurs avoir lu que la durée moyenne d’attente était de 10 à 11 ans. Pour conclure ce premier point, j’aimerais laisser la parole à Albert Camus et vous lire le début de ses Réflexions sur la guillotine datant de 1957 : « Peu avant la guerre de 1914, un assassin dont le crime était particulièrement révoltant (il avait massacré une famille de fermiers avec leurs enfants) fut condamné à mort en Alger. Il s’agissait d’un ouvrier agricole qui avait tué dans une sorte de délire du sang, mais avait aggravé son cas en volant ses victimes. L’affaire eut un grand retentissement. On estima généralement que la décapitation était une peine trop douce pour pareil monstre. Telle fut, m’a-t-on dit, l’opinion de mon père que le meurtre des enfants, en particulier, avait indigné. L’une des rares choses que je sache de lui, en tout cas, est qu’il voulut assister à l’exécution, pour la première fois de sa vie. Il se leva dans la nuit pour se rendre sur les lieux du supplice, à l’autre bout de la ville, au milieu d’un grand concours de peuple. Ce qu’il vit, ce matin-là, il n’en dit rien à personne. Ma mère raconte seulement qu’il rentra en coup de vent, le visage bouleversé, refusa de parler, s’étendit un moment sur le lit et se mit tout d’un coup à vomir. Il venait de découvrir la réalité qui se cachait sous les grandes formules dont on la masquait. Au lieu de penser aux enfants massacrés, il ne pouvait plus penser qu’à ce corps pantelant qu’on venait de jeter sur une planche pour lui couper le cou. Nous avons ici je pense un exemple, narré qui plus est avec talent, de l’intolérable viscéral face à la peine de mort. Il est donc certain que l’argument de l’intolérable est un argument pertinent en faveur de l’abolition de la peine de mort... mais il reste à mon sens un argument qui convainc difficilement les partisans de la peine capitale... restant sans doute trop une affaire de convictions...
2) L’argument de l’incohérence : La peine capitale n’a pas toujours eu la même fonction au cours de l’histoire ou selon les sociétés. Sa pratique est historique et donc, fragile et instable. 2-1) La logique des supplices : Michel Foucault s’interroge dans la première partie de Surveiller et punir sur les supplices de l’Ancien Régime afin de comprendre la mutation qui va s’effectuer dans l’exercice du pouvoir de châtier. Mais lorsque le peuple se sent de plus en plus proche des suppliciés, lorsque les agitations populaires se multiplient autour de l’échafaud, lorsqu’une solidarité naît entre les petits délinquants... Bref, lorsqu’un seuil d’intolérance est atteint, le pouvoir souverain se trouve en danger. Le pouvoir de punir doit alors adopter une autre forme d’exercice : il est déplacé de la vengeance du souverain à la défense de la société. 2-2) La guillotine : La guillotine va permettre, d’une certaine manière, de médicaliser et donc de cautionner la peine capitale. S’instaure une nouvelle « morale » propre à l’acte de punir : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée » (article 3 du Code pénal de 1791). Comme le dit Foucault dans Surveiller et punir : « Presque sans toucher au corps, la guillotine supprime la vie, comme la prison ôte la liberté, ou une amende prélève des biens. Elle est censée appliquer la loi moins à un corps réel susceptible de douleur, qu’à un sujet juridique, détenteur, parmi d’autres droits, de celui d’exister ». « La mort y est réduite à un événement visible, mais instantané ». Par la volonté de supprimer la douleur, la justice se défend d’être une vengeance. La peine capitale se présente comme un mal nécessaire au bon fonctionnement de la société : il faut défendre la société contre l’ennemi social qui a rompu le contrat. Sous couvert de la médecine, la justice peut rendre le crime légal acceptable. Sous couvert d’humanité, la justice se donne le droit légitime de tuer. 2-3) Comment comprendre la peine de mort dans une société du « faire vivre » ? La société s’expose donc à une incohérence en légalisant le crime alors même qu’elle l’interdit. Beccaria parlait déjà à propos de la peine de mort d’un « assassinat légal ». Hugo, après lui, dénonçait cette scandaleuse légalisation du meurtre par la société au nom de la justice. Citons-le une dernière fois : « Rien qu’une chose horrible et inutile, rien qu’une voie de fait sanglante qui s’appelle crime quand c’est l’individu qui l’accomplit, et qui s’appelle justice quand c’est la société qui la commet. Sachez ceci, qui que vous soyez, législateurs ou juges, aux yeux de Dieu, aux yeux de la conscience, ce qui est crime pour l’individu est crime pour la société ». Pourtant, à y regarder de plus près, la société a d’autres moyens d’assurer sa conservation et la sécurité de ses citoyens. La peine de prison est inscrite dans le Code pénal de 1791 comme une peine privative de liberté. Or, enfermer un criminel, le priver de sa liberté, ne permet-il pas de protéger la société ? Si le criminel a commis un crime des plus atroces et que la société veut l’éliminer de l’espace public, l’institution judiciaire peut le condamner à la réclusion à perpétuité. Pourquoi donc l’éliminer en le tuant ? Nous retrouvons ici un des arguments les plus défendus pas les abolitionnistes américains. Plutôt que d’affirmer simplement la peine de mort comme inhumaine, ils essayent de montrer à travers l’article 8 de leur Constitution, l’incohérence ou l’excès juridique de la peine capitale. L’article 8 de la Constitution américaine stipule en effet que « Les cautions et les amendes excessives, ainsi que les châtiments cruels ou exceptionnels, sont interdits ». D’une part donc, l’institution judiciaire possède d’autres moyens pour exclure les criminels de la société mais d’autre part, la peine de mort rentre en contradiction avec les principes même de ce nouveau pouvoir de punir et avec la politique pénitentiaire qui se donne comme principe premier depuis près de deux siècles : « l’amendement du condamné ». Une peine ne doit plus seulement être intimidante, éliminatrice, expiatoire, elle doit permettre le relèvement du condamné. L’individu commence à s’amender lorsqu’il est capable d’accepter sa propre punition, de prendre en charge sa propre culpabilité. Or, comment peut-il entreprendre cette introspection alors qu’il est condamné à mourir ? Si le système judiciaire aujourd’hui ne consistait qu’à appliquer les lois, les justiciables seraient des sujets purement juridiques soumis au Code. Nous pourrions alors reconnaître la cohérence d’un système de rétribution. L’institution judiciaire serait basée sur une parfaite proportionnalité des crimes et des peines. À chaque crime, sa peine. Le sujet juridique ayant donné la mort, il serait cohérent, selon un certain point de vue et en dehors donc de toutes considérations humanistes, qu’il la reçoive. Posons maintenant une question plus générale : comment comprendre que la peine de mort puisse fonctionner dans une société du « faire-vivre » ? Longtemps, une des caractéristiques et un des privilèges du souverain a été de disposer du droit de vie et de mort de ses sujets. Si l’un de ses sujets remettait en cause son pouvoir, le mettait en danger en enfreignant ses lois, il pouvait exercer son droit de tuer. C’est ce que nous avons expliqué au travers de la logique des supplices et c’est ce que Foucault entend lorsqu’il parle du droit de « faire mourir ou laisser vivre » . S’il s’agit donc davantage d’une « exception de souveraineté » que d’une incohérence interne au système disciplinaire du « faire-vivre », il me semble peut-être plus convaincant d’opposer cet argument aux partisans de la peine de mort plutôt que celui de l’intolérable viscéral. Comment en effet convaincre lorsqu’il s’agit essentiellement de convictions, de certitudes catégoriques ? Dès lors, l’intolérable de la peine de mort se situerait à un autre niveau. Il ne s’agirait plus d’un intolérable viscéral mais d’un intolérable politique. J’en arrive donc à ma conclusion dans laquelle je voudrais ouvrir cette problématique sur un sujet non moins révoltant : la peine de prison.
Conclusion : La peine de mort a été abolie en France le 9 octobre 1981 . Sans remettre bien évidemment en question l’abolition de la peine de mort en France, je veux conclure sur ce qu’elle a permis de cautionner et signaler pour finir un des problèmes majeurs qu’elle a pu entraîner dans la pratique judiciaire : à savoir l’allongement des peines. Aujourd’hui, persiste le problème de la prison, des conditions inacceptables de détention et de la perpétuité. Voici cet appel qui nous donne à réfléchir, sérieusement et gravement : ____________________________ « A ceux de l’extérieur osant affirmer que la peine de mort est abolie. Silence ! On achève bien les chevaux !... Nous, les emmurés vivants à perpétuité du Centre pénitentiaire le plus sécuritaire de France (dont aucun de nous ne vaut un Papon) nous en appelons au rétablissement effectif de la peine de mort pour nous. Assez d’hypocrisie ! Dès lors qu’on nous voue en réalité à une perpétuité réelle, sans aucune perspective effective de libération à l’issue de notre peine de sûreté, nous préférons encore en finir une bonne fois pour toute que de nous voir crever à petit feu, sans espoir d’aucun lendemain après bien plus de 20 années de misères absolues. A l’inverse des autres pays européens, derrière les murs gris de ses prisons indignes « la République des Lumières et des libertés » de 2006 nous torture et nous anéantit tranquillement en toute apparente légalité, « au nom du peuple Français », en nous assénant en fonction du climat social ou à la faveur d’un fait divers ou encore d’échéances électorales, mesures répressives sur mesures répressives sur le fondement du dogme en vogue du « tout sécuritaire » érigé en principe premier supplantant tous les autres. Qu’on se rassure : de nos jours, ici, même « les mauvaises herbes ne repoussent plus. » Il n’y a que le noir et le désespoir De surenchères en surenchères : la machine à broyer l’homme a pris impitoyablement le pas. A quoi servent les peines de sûreté qu’on nous inflige quand une fois leur durée dûment purgée on n’a aucun espoir de recouvrer la liberté ? (depuis l’année 2000 à la Loi Perben II de 2005- on a fait mine de s’appliquer à légiférer en instituant de nouvelles « juridictions de libération conditionnelle », seulement, comme hier le ministre de la justice, les juges d’aujourd’hui à l’oreille de l’administration nous opposent... refus sur refus, nous vouant à des durées de détention à la Lucien Leger). Pourtant sur « la finalité de la peine » l’État français, admettant que nous avons vocation de sortir un jour, et s’inscrivant dans le cadre des recommandations du Conseil de l’Europe a posé pour principe s’étendant aux longues peines et aux (700) condamnés à perpétuité que : « L’exécution des peines privatives de liberté (...) a été conçue non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer sa réinsertion » ? En réalité : tout est au châtiment [...] ». Et de conclure : « À choisir à notre mort lente programmée, nous demandons à l’État français, chantre des droits de l’homme et des libertés, de rétablir instamment pour nous tous la peine de mort effective ». Clairvaux, le 16 janvier 2006 Soussignés, les susnommés ci-après du mouroir de Clairvaux : Abdelhamid Hakkar, André Gennera, Bernard Lasselin, Patrick Perrochon, Milivoj Miloslavjevic, Daniel Aerts, Farid Tahir, Christian Rivière, Jean-Marie Dubois et Tadeusz Tutkaj ____________________________
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