Publié le dimanche 30 mars 2008 | http://prison.rezo.net/cedh-6-octobre-2005-h-c-royaume/
En l’affaire Hirst c. Royaume-Uni (no 2), La Cour européenne des Droits de l’Homme, siégeant en une Grande Chambre composée de : MM. L. WILDHABER, président, C.L. ROZAKIS, J.-P. COSTA, Sir Nicolas BRATZA, MM. G. BONELLO, L. CAFLISCH, Mme F. TULKENS, M. P. LORENZEN, Mme N. VAJI ?, MM. K. TRAJA, A. KOVLER, V. ZAGREBELSKY, Mmes A. MULARONI, L. MIJOVI ?, M. S.E. JEBENS, Mme D. JOCIENE, M. J. ŠIKUTA, juges, et de M. E. FRIBERGH, greffier adjoint, Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 avril et 29 août 2005, Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date : PROCÉDURE 1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 74025/01) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et dont un ressortissant de cet Etat, M. John Hirst (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 juillet 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). 2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me E. Abrahamson, solicitor à Liverpool. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents successifs, M. J. Grainger puis Mme E. Willmott, tous deux du ministère des Affaires étrangères et du commonwealth, à Londres. 3. Le requérant se plaignait d’avoir été frappé, en sa qualité de détenu condamné purgeant sa peine, d’une privation totale du droit de vote. Il invoquait l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 14, ainsi que l’article 10 de la Convention. 4. La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 8 juillet 2003, elle a été déclarée en partie recevable par une chambre de cette section composée de M. M. Pellonpää, Sir Nicolas Bratza, Mme V. Strážnická, M. R. Maruste, M. S. Pavlovschi, M. L. Garlicki, M. J. Borrego Borrego, juges, ainsi que de M. M. O’Boyle, greffier de section. 5. Une audience s’est déroulée en public au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 16 décembre 2003 (article 59 § 3 du règlement). Dans son arrêt du 30 mars 2004 (« l’arrêt de la chambre »), la chambre a conclu à l’unanimité qu’il y avait eu violation de l’article 3 du Protocole no 1 et qu’il ne se posait aucune question distincte sur le terrain des articles 14 et 10 de la Convention. Elle a dit aussi que le constat de violation constituait en soi une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral subi par le requérant. 6. Le 23 juin 2004, le Gouvernement a demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (article 43 de la Convention). 7. Le 10 novembre 2004, le collège de la Grande Chambre a décidé d’accueillir la demande de renvoi (article 73 du règlement). 8. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux dispositions des articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement. 9. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé un mémoire. Deux associations, le Prison Reform Trust et le Centre AIRE, ainsi que le gouvernement letton, autorisés par le président à intervenir dans le cadre de la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement), ont également soumis des observations. Les parties y ont répondu lors de l’audience mentionnée ci-dessous (article 44 § 5 du règlement). 10. Une audience s’est déroulée en public au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 27 avril 2005 (article 59 § 3 du règlement). Ont comparu : – pour le Gouvernement Mme E. WILMOTT, agente, M. R. SINGH, Q.C., conseil, Mme M. HODGSON, MM. M. RAWLINGS, B. DAW, conseillers ; – pour le requérant Mme F. KRAUSE, conseil, M. E. ABRAHAMSON, solicitor. La Cour a entendu en leurs déclarations M. Singh et Mme Krause. EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE 11. Le requérant est né en 1950. 12. Le 11 février 1980, il plaida coupable d’homicide involontaire, qualification retenue eu égard à sa responsabilité atténuée, les preuves médicales produites ayant montré que c’était un homme atteint de troubles graves de la personnalité qui en faisaient un être amoral. Il fut condamné à une peine d’emprisonnement perpétuelle discrétionnaire. 13. La partie incompressible (tariff) de sa peine (c’est-à-dire la partie devant répondre aux exigences de répression et de dissuasion) vint à expiration le 25 juin 1994. L’intéressé fut maintenu en détention pour des considérations de risque et de dangerosité, la commission de libération conditionnelle ayant estimé qu’il continuait de présenter un risque de préjudice grave pour le public. 14. L’article 3 de la loi de 1983 sur la représentation du peuple l’empêchant de voter aux élections législatives comme aux élections municipales, le requérant saisit la High Court sur le fondement de l’article 4 de la loi de 1998 sur les droits de l’homme pour solliciter une déclaration aux termes de laquelle la disposition susmentionnée était incompatible avec la Convention européenne des Droits de l’Homme. 15. La demande fut examinée par la Divisional Court les 21 et 22 mars 2001, conjointement avec une demande de contrôle juridictionnel formée par deux autres détenus, M. Pearson et M. Feal-Martinez, qui cherchaient eux aussi à obtenir une déclaration d’incompatibilité après s’être vu refuser par le responsable de la tenue des listes électorales leur inscription sur celles-ci. 16. Dans la décision rendue le 4 avril 2001 par la Divisional Court, le Lord Justice Kennedy releva que l’article 3 était l’aboutissement d’un long processus et cita les motifs fournis par le ministre, lors de la procédure, en faveur du maintien de la politique en vigueur : « En commettant des infractions qui, par elles-mêmes ou combinées avec des circonstances aggravantes, au nombre desquelles peuvent figurer la personnalité du contrevenant ou l’existence de condamnations antérieures, requièrent une peine privative de liberté, pareils détenus ont perdu, pour leur période de privation de liberté, le droit de peser sur la manière dont le pays est gouverné. La détention forcée n’est pas le seul aspect du châtiment. Le bannissement de la société emporte privation des privilèges de la société, et notamment de celui d’élire ses représentants. » Examinant la pratique suivie dans d’autres Etats, il releva qu’en Europe seuls huit pays, dont le Royaume-Uni, dépouillaient du droit de vote les détenus condamnés, vingt pays laissant la jouissance intégrale de ce droit aux détenus, et huit autres n’y portant que des atteintes limitées. Il cita la Cour suprême des Etats-Unis, qui avait rejeté un recours dirigé contre le retrait des droits électoraux aux détenus condamnés, consacré par la Constitution de l’Etat de Californie (Richardson v. Ramirez [1974] 418 US 24). Une grande attention fut accordée à la jurisprudence canadienne, invoquée par les deux parties, et en particulier à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Sauvé c. Canada (no 1) [1992] 2 SCR 438, où le retrait du droit de vote à tous les détenus avait été annulé au motif qu’il avait une portée trop large et enfreignait la règle de l’atteinte minimale, et à la décision de la Cour d’appel fédérale confirmant, dans l’affaire Sauvé (no 2) ([2000] 2 CF), la disposition législative adoptée dans l’intervalle qui restreignait le champ d’application de la privation des droits électoraux aux détenus purgeant une peine de deux ans ou plus dans un établissement correctionnel. Tout en relevant que les tribunaux canadiens appliquaient une disposition de leur Charte des droits et libertés au libellé différent, la Divisional Court considéra que le jugement exprimé par le juge Linden dans la seconde affaire portée devant la Cour d’appel fédérale contenait des observations utiles, notamment en ce qui concernait le risque que les tribunaux n’usurpent le rôle du Parlement. Elle passa également en revue les affaires examinées par la Commission et la Cour européennes des Droits de l’Homme, et nota que la Commission avait adopté une attitude cohérente consistant à accepter les restrictions à l’égard des personnes condamnées et détenues. Le Lord Justice Kennedy conclut : « (...) J’en reviens à ce que la Cour européenne a dit au paragraphe 52 de son arrêt Mathieu-Mohin. Evidemment, du point de vue de l’individu détenu, la privation du droit de vote porte atteinte à la substance même de ce droit, mais il s’agit là d’une approche trop simpliste, car le véritable objet de l’article 3 du Premier Protocole est la question plus large du suffrage universel et de la « libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif ». Si un individu doit être privé du droit de vote, ce ne peut être que dans un but légitime. Dans le cas d’un détenu condamné qui purge sa peine, ce but peut ne pas être facile à expliciter. Il y a manifestement un élément de châtiment et aussi un élément de droit électoral. Comme l’a dit le ministre de l’Intérieur, le Parlement a décidé que, pour la durée de leur incarcération, les détenus condamnés perdent leur droit de peser sur la manière dont le pays est gouverné. Le Groupe de travail a estimé que pareils détenus avaient perdu l’autorité morale nécessaire pour voter. Peut-être le meilleur parti à prendre est-il celui suggéré par le juge Linden, à savoir laisser aux philosophes le soin de définir la vraie nature de cette privation du droit de vote, tout en reconnaissant que la législation fait plusieurs autres choses. La Cour européenne exige également que les moyens employés pour restreindre les droits électoraux résultant de la Convention ne soient pas disproportionnés, et c’est là, à mon avis, qu’il faut que la Divisional Court s’en remette au législateur. Il est facile de critiquer une loi pour l’ampleur de son champ d’application (par exemple, le fait qu’il s’étende aux détenus ayant terminé de purger la partie punitive de leur peine perpétuelle et aux personnes détenues au titre d’une disposition de la loi de 1983 sur la santé mentale), mais, ainsi qu’il ressort clairement des sources citées, les Etats qui retirent le droit de vote aux personnes condamnées ne limitent pas tous la privation du droit de vote à la période de détention. Le Parlement de ce pays aurait pu légiférer différemment pour atteindre les objectifs qu’il s’était fixés, et, comme le juge McLachlin au Canada, j’admets que le processus d’adaptation aux cas particuliers est rarement parfait, de sorte que les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur. Comme le soutient [le conseil du Ministre], les mesures appliquées dans les différentes sociétés démocratiques forment un large spectre, au centre duquel se situe la solution britannique. Avec le temps, celle-ci peut se déplacer vers l’une ou l’autre extrémité du spectre, que ce soit légèrement (cas de la récente modification visant notamment les personnes détenues provisoirement) ou radicalement. Mais c’est au Parlement, et non aux tribunaux, d’en décider. Ce principe s’applique même au cas difficile des détenus ayant achevé de purger la partie punitive de leur peine perpétuelle discrétionnaire (...) Ces individus ont tous été condamnés et si, par exemple, le Parlement avait dit que toutes les personnes condamnées à une peine de réclusion à vie perdaient leur droit de vote à vie, l’anomalie apparente de leur situation aurait disparu. (...) Si l’article 3 § 1 de la loi de 1983 peut être réputé remplir les exigences de l’article 3 [du Premier Protocole], alors ni l’article 14 ni l’article 10 ne peuvent être d’aucun secours. » 17. Les prétentions du requérant furent donc rejetées, comme du reste celles des autres détenus. 18. Le 2 mai 2001, une demande d’autorisation d’interjeter appel, accompagnée d’un résumé de 43 pages des moyens envisagés, fut introduite au nom de MM. Pearson et Feal-Martinez. Le 15 mai 2001, le Lord Justice Buxton examina la demande sur dossier et refusa l’autorisation sollicitée, considérant que l’appel ne présentait pas de réelles chances de succès. 19. Le 19 mai 2001, le requérant sollicita lui aussi l’autorisation d’interjeter appel. Le 7 juin 2001, sa demande fut examinée sur dossier par le Lord Justice Simon Brown, qui la rejeta pour les mêmes motifs que ceux donnés par le Lord Justice Buxton pour écarter les demandes de MM. Pearson et Feal-Martinez. Le 18 juin 2001, après une audience, le Lord Justice Simon Brown repoussa une nouvelle demande formée par le requérant ; il débouta également MM. Pearson et Feal-Martinez, qui avaient eux aussi renouvelé les leurs. 20. Le 25 mai 2004, le requérant fut libéré sous condition. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS 21. L’article 3 de la loi de 1983 sur la représentation du peuple (Representation of the People Act 1983 – « la loi de 1983 ») est ainsi libellé : « 1. Toute personne condamnée est, pendant son incarcération dans un établissement pénitentiaire en exécution de sa peine (...), légalement incapable de voter aux élections parlementaires ou locales quelles qu’elles soient. » 22. Cet article a été adopté sans débat ; il reprend simplement les dispositions de l’article 4 de la loi de 1969 sur la représentation du peuple, dont la teneur remontait à la loi de 1870 sur la déchéance, laquelle reconduisait déjà des règles juridiques antérieures relatives à la déchéance de certains droits frappant les « criminels » condamnés (la « mort civique » de l’époque du roi Edouard III). 23. La privation du droit de vote ne s’applique pas aux personnes emprisonnées pour atteinte à l’autorité de la justice (article 3 § 2 a)) ni à celles emprisonnées faute, par exemple, d’avoir payé une amende (article 3 § 2 c)). 24. Lors des débats parlementaires concernant la loi de 2000 sur la représentation du peuple, qui reconnaît aux personnes en détention provisoire et aux malades mentaux non condamnés le droit de voter, le député Howarth, s’exprimant au nom du gouvernement, a défendu l’idée que « la perte de droits, dont celui de voter, doit faire partie intégrante de la peine d’un détenu condamné ». La loi était accompagnée d’une déclaration de compatibilité au titre de l’article 19 de la loi de 1998 sur les droits de l’homme par laquelle le ministre signifiait qu’il considérait les dispositions qu’il soumettait au Parlement comme compatibles avec la Convention. 25. L’article 4 de la loi de 1998 sur les droits de l’homme est ainsi libellé : « 1. Le paragraphe 2 du présent article s’applique à toute procédure dans le cadre de laquelle un tribunal est appelé à dire si une disposition législative est compatible avec un droit reconnu par la Convention. 2. Si le tribunal considère que la disposition en cause est incompatible avec un droit reconnu par la Convention, il peut prononcer une déclaration d’incompatibilité. » III. LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Pacte international relatif aux droits civils et politiques 26. Les dispositions pertinentes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques sont ainsi libellées : Article 25 « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 [race, couleur, sexe, langue, religion, opinion politique ou autre, origine nationale ou sociale, fortune, naissance ou toute autre situation] et sans restrictions déraisonnables : a) de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ; b) de voter (...) » Article 10 « 1. Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. (...) 3. Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. (...) » 27. Dans l’observation générale no 25(57) qu’il a adoptée le 12 juillet 1996 au titre de l’article 40 § 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité des Droits de l’Homme des Nations unies déclare notamment au sujet du droit garanti par l’article 25 : « 14. Dans leurs rapports, les Etats parties devraient préciser les motifs de privation du droit de vote et les expliquer. Ces motifs devraient être objectifs et raisonnables. Si le fait d’avoir été condamné pour une infraction est un motif de privation du droit de vote, la période pendant laquelle l’interdiction s’applique devrait être en rapport avec l’infraction et la sentence. Les personnes privées de leur liberté qui n’ont pas été condamnées ne devraient pas être déchues du droit de vote. » B. Règles pénitentiaires européennes (1987, Recommandation R (87) 3 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe) 28. Cette recommandation expose les règles minimales à appliquer aux conditions de détention, dont le principe suivant : « 64. L’emprisonnement de par la privation de liberté est une punition en tant que telle. Les conditions de détention et les régimes pénitentiaires ne doivent donc pas aggraver la souffrance ainsi causée, sauf si la ségrégation ou le maintien de la discipline le justifie. » C. Recommandation R(2003)23 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée 29. Cette recommandation, adoptée le 9 octobre 2003, note l’augmentation du nombre de condamnations à perpétuité et vise à guider les Etats membres dans la gestion des détenus de longue durée. 30. Les buts de la gestion de ces détenus devraient être : « 2. (...) – de veiller à ce que les prisons soient des endroits sûrs et sécurisés pour les détenus (...) ; – d’atténuer les effets négatifs que peut engendrer la détention de longue durée et à perpétuité ; – d’accroître et d’améliorer la possibilité pour ces détenus de se réinsérer avec succès dans la société et de mener à leur libération une vie respectueuse des lois. » 31. Cette recommandation contient notamment les principes généraux suivants : « 3. Il faudrait prendre en considération la diversité des caractéristiques individuelles des condamnés à perpétuité et des détenus de longue durée, et en tenir compte pour établir des plans individuels de déroulement de la peine (principe d’individualisation). 4. La vie en prison devrait être aménagée de manière à être aussi proche que possible des réalités de la vie en société (principe de normalisation). 5. Il faudrait donner aux détenus l’occasion d’exercer des responsabilités personnelles dans la vie quotidienne en prison (principe de responsabilisation). » D. Code de bonne conduite en matière électorale 32. Ce document, adopté par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (la Commission de Venise) lors de sa 51e session plénière (5-6 juillet 2002) et soumis à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le 6 novembre 2002, comprend les lignes directrices élaborées par la Commission quant aux circonstances dans lesquelles il peut y avoir privation du droit de vote ou d’éligibilité : « d. (...) i. une exclusion du droit de vote et de l’éligibilité peut être prévue, mais elle est soumise aux conditions cumulatives suivantes : ii. elle doit être prévue par la loi ; iii. elle doit respecter le principe de la proportionnalité ; l’exclusion de l’éligibilité peut être soumise à des conditions moins sévères que celle du droit de vote ; iv. elle doit être motivée par une interdiction pour motifs liés à la santé mentale ou des condamnations pénales pour des délits graves ; v. en outre, l’exclusion des droits politiques ou l’interdiction pour motifs liés à la santé mentale doivent être prononcées par un tribunal dans une décision spécifique. » E. Droit et pratique dans les Etats contractants 33. D’après l’étude réalisée par le Gouvernement à partir d’informations fournies par ses représentations diplomatiques, dans dix-huit pays (Albanie, Allemagne, Azerbaïdjan, Croatie, Danemark, ex-République yougoslave de Macédoine, Finlande, Islande, Lituanie, Moldova, Monténégro, Pays-Bas, Portugal, République tchèque, Slovénie, Suède, Suisse, Ukraine) les détenus sont autorisés à voter sans aucune restriction, dans treize pays (Arménie, Belgique[1], Bulgarie, Chypre, Estonie, Géorgie, Hongrie, Irlande, Royaume-Uni, Russie, Serbie, Slovaquie[2], Turquie) tous les détenus sont frappés de l’interdiction de voter ou dans l’impossibilité de le faire, et dans onze pays (Autriche[3], Bosnie-Herzégovine[4], Espagne[5], France[6], Grèce[7], Italie[8], Luxembourg[9], Malte[10], Norvège[11], Pologne[12], Roumanie) le droit de vote des détenus peut se trouver limité d’une autre manière. 34. Les autres éléments dont dispose la Cour montrent qu’en Roumanie, les détenus peuvent se voir interdire de voter si la peine principale est supérieure à deux ans d’emprisonnement tandis qu’en Lettonie, les détenus purgeant une peine dans un pénitencier n’ont pas le droit de voter. Quant au Liechtenstein, les détenus n’y jouissent pas du droit de vote. F. Jurisprudence pertinente d’autres Etats 1. Canada 35. En 1992, la Cour suprême du Canada avait annulé à l’unanimité une disposition législative interdisant à tous les détenus de voter (Sauvé c. Canada (no 1) [1992] 2 SCR 438). Des amendements furent introduits pour limiter l’interdiction aux détenus purgeant une peine de deux ans ou plus. La Cour d’appel fédérale confirma cette disposition. Toutefois, à la suite de la décision rendue par la Divisional Court en l’espèce, la Cour suprême a dit le 31 octobre 2002 dans l’affaire Sauvé c. le procureur général du Canada (no 2), par cinq voix contre quatre, que l’alinéa 51 e) de la loi électorale du Canada de 1985, qui prive du droit de vote toute personne détenue dans un établissement correctionnel pour y purger une peine de deux ans ou plus, était inconstitutionnel, car contraire aux articles 1 et 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, aux termes desquels : « 1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. » « 3. Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales. » 36. Selon le juge en chef McLachlin, s’exprimant au nom de la majorité, le droit de vote est un droit fondamental pour la démocratie canadienne et la prééminence du droit, et il ne peut être écarté à la légère. Les restrictions à ce droit exigent non pas une retenue judiciaire, mais un examen approfondi. Pour la majorité, le Gouvernement n’a pas réussi à cerner les problèmes spécifiques qui nécessitent la privation du droit de vote et cette mesure ne répond pas au critère de la proportionnalité, en particulier parce que le Gouvernement n’a pas réussi à établir un lien rationnel entre la privation du droit de vote et les objectifs qu’elle poursuit. En ce qui concerne le premier objectif – accroître le sens civique et le respect de l’état de droit – le fait de priver du droit de vote les personnes détenues dans un pénitencier risque plus de compromettre le respect de l’état de droit et de la démocratie que de prôner ces valeurs. La légitimité de la loi et l’obligation de la respecter découlent directement du droit de vote de chaque citoyen. Priver les prisonniers du droit de vote équivaut à renoncer à un important moyen de leur inculquer les valeurs démocratiques et le sens des responsabilités sociales, et va à l’encontre des principes d’inclusion, d’égalité et de participation du citoyen, et est incompatible avec le respect de la dignité humaine qui se trouve au cœur de la démocratie canadienne et de la Charte. Pour ce qui est du deuxième objectif, à savoir infliger une sanction appropriée, la majorité considère que le Gouvernement n’a présenté aucune théorie convaincante pour expliquer pourquoi on devrait lui permettre de retirer ce droit démocratique fondamental à titre de peine infligée par l’Etat. Pareil retrait ne saurait non plus passer pour une forme légitime de peine car il est arbitraire – il n’est pas ajusté aux actions et à la situation particulière du contrevenant et a peu à voir avec le crime particulier commis par celui-ci – et ne vise pas un objectif pénal légitime, car ni le dossier ni le bon sens n’appuient l’affirmation selon laquelle la privation du droit de vote a pour effet de dissuader les criminels ou de les réadapter. 37. Selon l’opinion de la minorité, exprimée par le juge Gonthier, les objectifs de la mesure sont urgents et réels et se fondent sur une philosophie sociale ou politique à la fois raisonnable et rationnelle. Le premier objectif, à savoir accroître le sens civique et le respect de l’état de droit, est lié à la promotion de la citoyenneté. La réprobation sociale des actes criminels graves reflète un point de vue moral garantissant le respect du contrat social et de l’état de droit et affirmant l’importance du lien entre l’individu et la collectivité. D’après la minorité, la « promotion du sens civique » peut avoir un caractère abstrait ou symbolique, mais des objectifs symboliques ou abstraits peuvent être valables en soi et ne doivent pas être minimisés du simple fait qu’ils sont symboliques. Quant au deuxième objectif, une meilleure réalisation des objectifs généraux de la sanction pénale, la mesure a clairement un aspect punitif et une fonction de rétribution. Le législateur peut légitimement concevoir les sanctions et les peines qu’il convient d’infliger aux auteurs d’actes criminels graves. La privation du droit de vote est une incapacité civile découlant de la déclaration de culpabilité. La mesure satisfait aussi au critère de la proportionnalité car il existe un lien rationnel entre la disposition contestée et les objectifs, et elle est soigneusement définie pour s’adapter aux auteurs d’infractions graves. Le retrait du droit de vote aux auteurs d’actes criminels graves sert à signifier à la collectivité et aux contrevenants eux-mêmes que la collectivité ne tolérera pas la perpétration d’infractions graves. La société, de ce point de vue, peut suspendre temporairement le droit de vote des auteurs d’actes criminels graves pour affirmer que le sens civique et le respect de l’état de droit, en tant qu’objectifs légitimes, sont des conditions préalables à la participation démocratique. La minorité se réfère à la nécessité de respecter la limite fixée par le législateur et de tenir compte du fait que de nombreux dosages raisonnables et rationnels sont possibles. 2. Afrique du Sud 38. Le 1er avril 1999, dans l’affaire August and another v. Electoral Commission and others (CCT8/99:1999 (3) SA 1), la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud a examiné la demande que des détenus avaient présentée pour obtenir une déclaration et une ordonnance contraignant la commission électorale à prendre des mesures qui leur permettent, ainsi qu’à d’autres détenus, de s’inscrire sur les listes électorales et de voter pendant leur séjour en prison. Elle a relevé que dans la Constitution sud-africaine le droit de tout citoyen adulte de participer aux élections législatives était énoncé de manière absolue et elle a souligné l’importance de ce droit : « L’universalité du droit de vote est importante non pas seulement pour la nation et la démocratie. Le fait que tous les citoyens sans exception jouissent du droit de vote est une marque de reconnaissance de la dignité et de l’importance de la personne. Au sens littéral, cela signifie que chacun compte. » 39. La Cour constitutionnelle a jugé que, par sa nature même, le droit de vote entraînait des obligations positives pour les pouvoirs législatif et exécutif et que la loi électorale devait être interprétée de manière à donner effet aux déclarations, garanties et responsabilités constitutionnelles. Elle a relevé que beaucoup de sociétés démocratiques limitaient le droit de vote de certaines catégories de détenus. Bien que la Constitution ne renferme aucune disposition de ce genre, elle a reconnu qu’il était possible d’instaurer des restrictions à l’exercice des droits fondamentaux, à condition que celles-ci soient notamment raisonnables et justifiables. La question de savoir si la législation frappant les détenus d’interdiction était justifiée au regard de la Constitution n’a pas été soulevée dans la procédure et la Cour a souligné que son arrêt ne devait pas être interprété comme empêchant le Parlement de priver certaines catégories de détenus du droit de vote. En l’absence d’une telle législation, les détenus disposaient du droit constitutionnel de voter et ni la commission électorale ni elle-même n’avaient le pouvoir de les en priver. Elle conclut que la commission était tenue de prendre des mesures raisonnables afin de permettre aux détenus de voter. EN DROIT I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION 40. Le requérant se plaint d’avoir été privé du droit de vote. Il invoque l’article 3 du Protocole no 1, aux termes duquel : « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. » A. L’arrêt de la chambre 41. La chambre a trouvé que l’interdiction de voter frappant les détenus condamnés purgeant leur peine était disproportionnée. Elle a tenu compte du fait que cette mesure dépouillait un grand nombre de personnes du droit de vote, s’appliquait automatiquement quelle que fût la durée de la peine ou la gravité de l’infraction, et conduisait à des résultats arbitraires et à des anomalies selon la date des élections. Enfin, elle a relevé que, la privation du droit de vote devant passer pour une composante de la sanction infligée aux détenus, il n’y avait aucune raison logique de continuer d’appliquer cette mesure en l’espèce au requérant, qui avait terminé de purger la partie de sa peine répondant aux impératifs de répression et de dissuasion. Elle a conclu au paragraphe 51 : « La Cour admet qu’il s’agit d’un domaine où le législateur national doit jouir d’une large marge d’appréciation pour déterminer s’il se justifie encore de nos jours de restreindre le droit de vote des détenus et, dans l’affirmative, comment établir un juste équilibre. Il appartient au législateur notamment de décider si les éventuelles restrictions au droit de vote doivent être adaptées à des infractions spécifiques ou à des infractions d’une gravité particulière ou si, par exemple, le tribunal qui prononce la peine doit disposer d’une latitude totale pour priver ou non un condamné du droit de vote. La Cour relève que rien ne montre que le législateur britannique ait jamais cherché à peser les intérêts concurrents ou à évaluer la proportionnalité de l’interdiction frappant les détenus condamnés. Elle ne saurait admettre qu’une interdiction absolue de voter pour tout détenu purgeant sa peine, et ce quelles que soient les circonstances, relève d’une marge d’appréciation acceptable. En l’espèce, le requérant a été déchu du droit de vote parce que lui a été appliquée une restriction privant automatiquement et totalement du droit de vote les détenus condamnés ; il peut donc se prétendre victime de cette mesure. La Cour ne saurait spéculer sur le point de savoir si le requérant aurait aussi été déchu du droit de vote si avait été imposée au droit de vote des détenus une restriction plus étroite de nature à respecter les exigences de l’article 3 du Protocole no 1. » B. Les arguments des parties 1. Le requérant 42. Le requérant souscrit aux termes de l’arrêt de la chambre. Il avance que la thèse du Gouvernement selon laquelle cet arrêt rendrait nécessaire une révision radicale des lois de nombreux Etats contractants procède d’une conception erronée ; pour lui, en effet, ce texte se fonde sur la situation particulière qui règne au Royaume-Uni et vise une privation totale du droit de vote frappant les détenus condamnés qui résulte non d’une décision motivée et dûment justifiée prise à la suite d’un débat approfondi mais de la fidélité à une tradition historique. Il rejette aussi l’argument selon lequel la chambre n’aurait pas accordé le poids qui convient à la marge d’appréciation car cette notion n’a d’après lui que peu de portée dans les circonstances de l’espèce. 43. Le requérant souligne qu’il existe une présomption en faveur de l’octroi du droit de vote, qui s’accorde avec la nature profonde de la démocratie. Il ne s’agit pas selon lui d’un privilège, comme cela a parfois été dit, même pour les détenus, qui continuent de jouir des droits intangibles auxquels il ne peut être dérogé que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. Restreindre le droit de vote ne tendrait à aucun but légitime. En réalité, le législateur n’aurait guère, voire pas du tout, réfléchi à la privation du droit de vote des détenus puisque la loi de 1983, qui s’est bornée à refondre des lois antérieures, a été adoptée sans débat sur la question ; il n’y aurait pas non plus eu de débat approfondi au moment de l’adoption de la loi de 2000. Enfin, les juridictions internes ne se seraient pas penchées sur la légalité de cette interdiction mais auraient tranché l’affaire en s’en remettant à l’avis du Parlement. 44. Le Parlement a justifié la déchéance du droit de vote qui frappe les condamnés détenus en déclarant que cette mesure faisait partie de la sanction. Toutefois, le requérant ne pense pas qu’il soit légitime de punir en supprimant d’autres droits fondamentaux que le droit à la liberté car cela serait incompatible avec l’objectif proclamé de l’emprisonnement, c’est-à-dire la réadaptation. Rien ne montrerait que cette déchéance poursuive les buts annoncés et rien ne prouverait l’existence d’un lien quelconque entre la suppression du droit de vote et la prévention du crime ou le respect de l’état de droit. La plupart des tribunaux et des citoyens ignoreraient totalement que la perte du droit de vote accompagne la condamnation à une peine d’emprisonnement. Le renforcement du sens civique est, de l’avis de l’intéressé, un objectif qui a été invoqué a posteriori et doit être traité avec circonspection. D’ailleurs, cette mesure abolirait le sens civique et affaiblirait le respect de l’état de droit, puisqu’elle contribuerait à couper encore plus les détenus de la société. 45. Cette interdiction générale serait aussi disproportionnée et arbitraire et porterait atteinte à la substance même du droit de vote. Elle ne serait pas liée à la nature ou à la gravité de l’infraction commise et ses effets sur les détenus varieraient selon que leur incarcération coïncide ou non avec des élections. Elle priverait potentiellement une part importante de la population (plus de 48 000 personnes) de voix ou de la possibilité de contester par le biais des élections la politique pénale qui leur est appliquée. Le requérant soutient en outre que, étant donné qu’il a terminé de purger la partie incompressible de sa peine, il n’est plus détenu dans un but répressif mais en raison de sa dangerosité, de sorte qu’on ne saurait plus invoquer la punition comme justification. Il signale la peine de détention « par intermittence » récemment mise en place, par laquelle une personne peut voter pendant les périodes où elle reprend sa place dans la société mais ne le peut pas pendant qu’elle est en prison, et estime que cela affaiblit la portée du but que l’on affirme poursuivre en empêchant les autres détenus condamnés de voter. 46. Le requérant renvoie également à la tendance à reconnaître le droit de vote aux détenus qui se fait jour au Canada, en Afrique du Sud et dans divers Etats européens, et arguë que dix-neuf pays n’appliquent aucune restriction tandis que huit n’appliquent qu’une interdiction partielle ou spécifique. Il conclut qu’il n’existe aucune raison convaincante, en dehors de la sanction, de retirer le droit de vote aux détenus condamnés, et que cette punition supplémentaire ne s’accorde pas avec l’idée selon laquelle l’emprisonnement punit en raison de la privation du droit à la liberté qu’il entraîne et que le détenu ne perd par là aucun de ses autres droits fondamentaux, à moins que des considérations de sécurité par exemple ne commandent de l’en priver. A son avis, cette interdiction n’est qu’une affaire de jugement moral et il est inacceptable que le droit de vote soit soumis au jugement moral imposé par les personnes qui ont été élues, car cela reviendrait à ce que les élus choisissent l’électorat. 2. Le Gouvernement 47. Le Gouvernement considère que l’article 3 du Protocole no 1 n’énonce pas un droit de vote absolu et qu’il y a lieu de reconnaître aux Etats contractants une ample marge d’appréciation quand ils ont à fixer les conditions d’exercice du droit de vote. Il estime que l’arrêt de la chambre n’a pas accordé à cette considération l’importance qu’elle méritait. Selon lui, la chambre a cru à tort que la loi sur le droit de vote des détenus résultait d’une fidélité aveugle à une tradition historique. Il soutient que cette politique a été suivie pendant de nombreuses années avec l’approbation expresse du Parlement, formulée en dernier lieu lors de l’adoption de la loi de 2000 sur la représentation du peuple, qui a été accompagnée d’une déclaration de compatibilité au titre de la loi sur les droits de l’homme. La chambre n’aurait pas non plus tenu dûment compte de la grande variété qui règne au sein des Etats membres sur la question du droit de vote des détenus condamnés, et où l’on va de l’absence d’interdiction à des restrictions se prolongeant au-delà de la fin de la peine. Dans treize pays, les détenus ne peuvent pas voter. Il régnerait aussi une grande diversité dans les Etats démocratiques non européens. L’arrêt de la chambre ne cadrerait pas avec la démarche uniformément observée par les organes de la Convention et il n’aurait jamais auparavant été suggéré que le type de restriction ayant cours au Royaume-Uni posait problème. 48. De plus, la question a été examinée de manière approfondie par les tribunaux internes, qui ont appliqué les principes de la Convention repris dans la loi de 1998 sur les droits de l’homme. Or la chambre aurait accordé peu d’attention à ce facteur mais se serait concentrée sur la position d’une juridiction d’un autre pays (arrêt Sauvé no 2, cité aux paragraphes 35-37 ci-dessus). Le Gouvernement fait remarquer que ce précédent canadien a été adopté à une courte majorité (cinq voix contre quatre), qu’il portait sur une loi, dont la teneur et la structure différaient de celles de la Convention, qui a été interprétée par des tribunaux internes n’appliquant pas la notion de marge d’appréciation, et qu’il était accompagné d’une forte opinion dissidente plus conforme à la jurisprudence des organes de la Convention. Quant à l’affaire examinée en Afrique du Sud (August v. Electoral Commission, citée aux paragraphes 38-39 ci-dessus), elle ne serait pas pertinente car elle concernait des obstacles pratiques à l’exercice du droit de vote et non une interdiction de voter inscrite dans la loi. 49. Le Gouvernement pense aussi que la chambre a versé dans l’erreur en examinant dans l’abstrait la compatibilité de la loi interne avec la Convention sans tenir compte du fait que, dans les circonstances de l’espèce, si le Royaume-Uni devait amender la loi et ne priver du droit de vote que les personnes ayant commis les crimes les plus graves, le requérant resterait frappé par cette déchéance puisqu’il a été condamné pour homicide à une peine d’emprisonnement perpétuelle. Le constat de violation aurait donc été un résultat surprenant qui aurait heurté de nombreuses personnes. De plus, la chambre se serait trompée sur le nombre de détenus privés du droit de vote, en y englobant ceux qui étaient en détention provisoire et donc non touchés par cette mesure. 50. Le Gouvernement soutient qu’en l’espèce, l’incapacité visait deux buts légitimes indissolublement liés : d’une part, la prévention du crime et la punition des contrevenants et, d’autre part, le renforcement du sens civique et du respect de l’état de droit du fait que les personnes qui ont enfreint les règles fondamentales de la société se voient priver du droit de donner leur avis sur la manière dont ces règles sont élaborées, et ce pendant la durée de leur peine. Les détenus condamnés auraient rompu le contrat social et pourraient donc (temporairement) passer pour avoir perdu le droit de participer au gouvernement du pays. La recommandation du Conseil de l’Europe concernant la gestion des condamnés à perpétuité citée par le Centre AIRE dans sa tierce intervention ne serait pas contraignante et ne mentionnerait pas le droit de vote ; en tout cas, la législation ne serait pas incompatible avec les principes qui y sont contenus. 51. La mesure en cause serait par ailleurs proportionnée car elle ne touche que les personnes condamnées pour des crimes jugés suffisamment graves, eu égard aux circonstances individuelles, pour justifier une incarcération immédiate, ce qui exclut les personnes condamnées à une amende, à une peine avec sursis, à une peine d’intérêt général ou à une peine d’emprisonnement pour atteinte à l’autorité de la justice, ainsi que les personnes en défaut de payer une amende ou celles en détention provisoire. De plus, l’incapacité juridique est levée dès que le détenu recouvre sa liberté. La durée de cette mesure est ainsi fixée par le tribunal au moment du prononcé de la peine. 52. Pour ce qui est des effets prétendument arbitraires de cette mesure, le Gouvernement soutient que, sauf si la Cour devait dire qu’il n’existe absolument aucune marge d’appréciation dans ce domaine, il faut admettre que l’on doit tracer une ligne de démarcation quelque part. Enfin, les conséquences sur le requérant en l’espèce ne seraient pas disproportionnées puisqu’il a été condamné à une peine d’emprisonnement perpétuelle et n’aurait en tout état de cause pas pu bénéficier d’une interdiction plus adaptée à son cas, telle que celle qui, en Autriche, ne touche que les personnes condamnées à une peine supérieure à un an. Le Gouvernement conclut en se déclarant préoccupé par le fait que la chambre n’a fourni aucune explication quant aux mesures que le Royaume-Uni devrait prendre pour rendre son système compatible avec l’article 3 du Protocole no 1 et demande instamment que, dans l’intérêt de la sécurité juridique, les Etats contractants se voient fournir des indications détaillées à ce sujet. 3. Les tiers intervenants 53. Le Prison Reform Trust soutient que la suppression du droit de vote pour les détenus condamnés constitue un vestige du XIXe siècle remontant à la loi de 1870 sur la déchéance, qui tire elle-même son origine de la notion de mort civique. Il fait valoir que l’exclusion sociale est une cause majeure d’infraction et de récidive et que l’interdiction de voter va à l’encontre des idées de réadaptation et de responsabilité civique en excluant encore davantage les personnes qui sont déjà reléguées aux marges de la société et en accentuant leur isolement par rapport à la collectivité dans laquelle elles retourneront vivre à leur sortie de prison. Cette mesure ne servirait ni à dissuader de commettre des crimes ni à sanctionner de manière adéquate. La campagne qu’il vient de lancer en vue de faire rétablir le droit de vote des détenus a reçu un large soutien de la part de tous les partis politiques et cette cause a recueilli l’appui des Eglises anglicane et catholique, des groupes sur la réforme pénale, de l’inspecteur en chef des prisons d’Angleterre et du pays de Galles et de son prédécesseur, du président de l’association des directeurs de prison et de nombreux dirigeants de l’administration pénitentiaire. 54. Le centre AIRE attire l’attention sur la recommandation du Conseil de l’Europe concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée (paragraphes 29-31 ci-dessus), qui a pour objet de fournir aux Etats membres des conseils pour combattre les conséquences négatives des longues peines de détention et préparer les détenus à se réinsérer dans la société à leur libération. Il s’appuie sur trois principes cités dans la recommandation : le « principe d’individualisation », le « principe de normalisation » et le « principe de responsabilisation » (paragraphe 31 ci-dessus). Il avance que, même si la recommandation ne fait pas expressément référence au droit de vote des détenus, ces principes vont dans le sens d’une extension du droit de vote aux détenus car cela renforce leur lien avec la société, accroît leur conscience de leur place dans la société et tient compte des particularités de leur situation et de leurs caractéristiques personnelles. 55. Le gouvernement letton se déclare préoccupé à l’idée que l’arrêt de la chambre pourrait avoir un effet horizontal sur les autres pays qui interdisent totalement aux détenus condamnés de voter. Il arguë que les Etats devraient se voir accorder en la matière une ample marge d’appréciation tenant notamment compte de l’évolution historique et politique du pays et du fait que la Cour n’a pas compétence pour substituer son propre point de vue à celui d’un pays démocratique sur le point de savoir ce qui est dans l’intérêt supérieur de la démocratie. A son avis, la chambre n’a pas accordé une importance suffisante à l’aspect préventif de la privation du droit de vote, qui tend de manière générale à combattre la criminalité et à éviter que les personnes qui ont commis des infractions graves ne participent à une prise de décision pouvant entraîner l’arrivée au pouvoir d’individus ou de groupes susceptibles d’avoir des liens avec des organisations criminelles. La chambre n’aurait pas non plus perçu que, dans les systèmes modernes de justice pénale, l’emprisonnement n’est utilisé qu’en dernier recours et que, même si l’interdiction de voter est automatique, elle reste liée à la qualification de l’infraction et à la personnalité de l’auteur de celle-ci. B. L’appréciation de la Cour 1. Principes généraux 56. L’article 3 du Protocole no 1 paraît à première vue différent des autres dispositions de la Convention et de ses protocoles garantissant des droits car il énonce l’obligation pour les Hautes Parties contractantes d’organiser des élections dans des conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple et non un droit ou une liberté en particulier. 57. Toutefois, eu égard aux travaux préparatoires de l’article 3 du Protocole no 1 et à l’interprétation qui est donnée de cette clause dans le cadre de la Convention dans son ensemble, la Cour a établi que cet article garantit des droits subjectifs, dont le droit de vote et celui de se porter candidat à des élections (Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, arrêt du 2 mars 1987, série A no 113, pp. 22-23, §§ 46-51). De fait, elle a considéré que ce libellé unique en son genre s’expliquait par la volonté de donner plus de solennité à l’engagement assumé par les Etats contractants et de souligner qu’il s’agit d’un domaine où ceux-ci sont dans l’obligation de prendre des mesures positives au lieu de se borner à s’abstenir de toute ingérence (ibidem, § 50). 58. La Cour a rappelé à maintes reprises l’importance des principes démocratiques qui sous-tendent l’interprétation et l’application de la Convention (voir, entre autres, Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, arrêt du 30 janvier 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, § 45), et profite de l’occasion pour souligner que les droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 sont cruciaux pour l’établissement et le maintien des fondements d’une véritable démocratie régie par l’état de droit (voir aussi, pour l’importance qui est reconnue à ces droits sur le plan international, les textes internationaux pertinents cités aux paragraphes 26 à 39 ci-dessus). 59. Ainsi que le requérant le fait observer, le droit de vote ne constitue pas un privilège. Au XXIe siècle, dans un Etat démocratique, la présomption doit jouer en faveur de l’octroi de ce droit au plus grand nombre comme l’illustre, par exemple, l’histoire parlementaire du Royaume-Uni ou d’autres pays où ce droit a été progressivement étendu, au fil des siècles, à d’autres personnes que des individus choisis, des groupes d’élite ou des parties de la population ayant l’approbation du pouvoir en place. Le suffrage universel est désormais le principe de référence (Mathieu-Mohin, précité, § 51, citant X c. République fédérale d’Allemagne, no 2728/66, décision de la Commission du 6 octobre 1967 sur la recevabilité, Annuaire de la Convention, vol. 10, p. 339). 60. Néanmoins, les droits consacrés par l’article 3 du Protocole no 1 ne sont pas absolus. Il y a place pour des limitations implicites et les Etats contractants doivent se voir accorder une marge d’appréciation en la matière. 61. L’ampleur de cette marge en l’espèce a suscité un vaste débat. La Cour réaffirme que la marge d’appréciation en ce domaine est large (Mathieu-Mohin, précité, § 52 et, plus récemment, Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, § 63, CEDH 1999-I, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 201, CEDH 2000-IV, et Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 33, CEDH 2002-II). Il existe de nombreuses manières d’organiser et de faire fonctionner les systèmes électoraux et une multitude de différences au sein de l’Europe notamment dans l’évolution historique, la diversité culturelle et la pensée politique, qu’il incombe à chaque Etat contractant d’incorporer dans sa propre vision de la démocratie. 62. Cependant, il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur l’observation des exigences de l’article 3 du Protocole no 1 ; il lui faut s’assurer que les limitations ne réduisent pas les droits dont il s’agit au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité, qu’elles poursuivent un but légitime et que les moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés (Mathieu-Mohin, § 52). En particulier, aucune des conditions imposées le cas échéant ne doit entraver la libre expression du peuple sur le choix du corps législatif – autrement dit, elles doivent refléter, ou ne pas contrecarrer, le souci de maintenir l’intégrité et l’effectivité d’une procédure électorale visant à déterminer la volonté du peuple par l’intermédiaire du suffrage universel. On peut par exemple envisager de fixer un âge minimum en vue d’assurer que les personnes participant au processus électoral soient suffisamment mûres ou encore, dans certaines circonstances, l’éligibilité peut être soumise à des critères, telle la résidence, afin d’identifier les personnes qui présentent des liens suffisamment étroits ou continus avec le pays en question ou nourrissent un intérêt à son égard (Hilbe c. Liechtenstein (déc.), no 31981/96, CEDH 1999-VI, Melnitchenko c. Ukraine, no 17707/02, § 56, CEDH 2004-X). Toute dérogation au principe du suffrage universel risque de saper la validité démocratique du corps législatif ainsi élu et des lois promulguées par lui. L’exclusion de groupes ou catégories quelconques de la population doit en conséquence se concilier avec les principes sous-tendant l’article 3 du Protocole no 1 (voir, mutatis mutandis, Aziz c. Chypre, no 69949/01, § 28, CEDH 2004-V). 2. Les détenus 63. La présente affaire met en lumière la question du droit de vote des détenus condamnés purgeant leur peine. 64. Par le passé, diverses restrictions touchant certaines personnes condamnées ont été admises par la jurisprudence des organes de la Convention. 65. Dans quelques anciennes affaires, la Commission a considéré que le législateur pouvait priver de leurs droits politiques les personnes condamnées pour incivisme (grave abus du droit de participer à la vie publique pendant la seconde guerre mondiale) et une personne condamnée à huit mois d’emprisonnement pour avoir refusé de donner suite à sa convocation au service militaire ; elle a fait référence à l’idée que certaines condamnations marquent d’infamie pour un temps déterminé, ce qui peut être pris en considération par le législateur relativement à l’exercice des droits politiques (no 6573/74, décision de la Commission du 19 décembre 1974, Décisions et Rapports (DR) 1, p. 87, et no 9914/82, décision de la Commission du 4 juillet 1983, DR 33, p. 244). Dans l’affaire Patrick Holland c. Irlande (no 24827/94, décision de la Commission du 14 avril 1998, DR 93-B, p. 15) où le requérant, condamné à sept ans d’emprisonnement pour possession d’explosifs, était de fait privé du droit de vote étant donné qu’aucune disposition ne permettait à un détenu de voter en prison, la Commission a estimé que la suspension du droit de vote n’entravait pas la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif et ne pouvait passer pour arbitraire vu les circonstances. 66. La Cour elle-même a rejeté le grief concernant l’impossibilité de voter frappant un député et découlant de la condamnation de celui-ci à une interdiction d’exercer des fonctions publiques pendant deux ans prononcée par un magistrat accessoirement à la condamnation à une peine de trois ans d’emprisonnement pour infractions fiscales (M.D.U. c. Italie, no 58540/00, décision du 28 janvier 2003). 67. Le Gouvernement soutient que l’arrêt de la chambre concluant à la violation pour ce qui est de l’interdiction frappant en l’espèce le requérant, un détenu condamné à une peine perpétuelle, constitue un revirement de jurisprudence inattendu par rapport aux affaires qui viennent d’être citées. 68. La Cour précise toutefois que c’est la première occasion qu’elle a d’examiner une privation générale et automatique du droit de vote pour les détenus condamnés. Elle relève que, dans l’affaire Patrick Holland (décision précitée), celle dont les faits se rapprochent le plus des circonstances de l’espèce, la Commission s’est bornée à rechercher si l’interdiction était arbitraire et a omis de se pencher sur les autres aspects du critère élaboré par la Cour dans l’arrêt Mathieu-Mohin, à savoir la légitimité du but poursuivi et la proportionnalité de la mesure. Dès lors, la Cour ne saurait accorder une importance déterminante à cette décision. C’est pourquoi le constat de violation auquel est parvenue la chambre n’est pas en contradiction avec une décision antérieure de la Cour ; au contraire, la chambre s’est employée à appliquer le précédent que constitue l’arrêt Mathieu-Mohin aux faits dont elle se trouvait saisie. 69. En ce qui concerne la présente cause, la Cour souligne tout d’abord que les détenus en général continuent de jouir de tous les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention, à l’exception du droit à la liberté lorsqu’une détention régulière entre expressément dans le champ d’application de l’article 5 de la Convention. Par exemple, les détenus ne peuvent être soumis à des mauvais traitements ou à des peines ou conditions inhumaines ou dégradantes, interdits par l’article 3 de la Convention (voir, entre autres, Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, CEDH 2002-VI, Van der Ven c. Pays-Bas, no 50901/99, CEDH 2003-II) ; ils continuent de jouir du droit au respect de la vie familiale (P ?oski c. Pologne, no 26761/95, 12 novembre 2002, X c. Royaume-Uni, no 9054/80, décision de la Commission du 8 octobre 1982, DR 30, p. 113), du droit à la liberté d’expression (Yankov c. Bulgarie, no 39084/97, §§ 126-145, CEDH 2003-XII (extraits), T. c. Royaume-Uni, no 8231/78, rapport de la Commission, 12 octobre 1983, DR 49, p. 5, §§ 44-84), du droit de pratiquer leur religion (Poltoratski c. Ukraine, no 38812/97, §§ 167-171, CEDH 2003-V), du droit d’avoir un accès effectif à un avocat ou à un tribunal aux fins de l’article 6 (Campbell et Fell c. Royaume-Uni, arrêt du 28 juin 1984, série A no 80, Golder c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1975, série A no 18), du droit au respect de la correspondance (Silver et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1983, série A no 61) et du droit de se marier (Hamer c. Royaume-Uni, no 7114/75, rapport de la Commission, 13 décembre 1979, DR 24, p. 5, Draper c. Royaume-Uni, no 8186/78, rapport de la Commission, 10 juillet 1980, DR 24, p. 72). Toute restriction à ces autres droits doit être justifiée, même si pareille justification peut tout à fait reposer sur les considérations de sécurité, notamment la prévention du crime et la défense de l’ordre, qui découlent inévitablement des circonstances de l’emprisonnement (voir, par exemple, l’affaire Silver et autres précitée, §§ 99-105, où des restrictions générales au droit des détenus de correspondre ont été jugées contraires à l’article 8 mais où l’interception de certaines lettres contenant des menaces ou d’autres références contestables a été considérée comme justifiée aux fins de la prévention des infractions pénales et de la défense de l’ordre). 70. Il n’est donc nullement question qu’un détenu soit déchu de ses droits garantis par la Convention du simple fait qu’il se trouve incarcéré à la suite d’une condamnation. Il n’y a pas non plus place dans le système de la Convention, qui reconnaît la tolérance et l’ouverture d’esprit comme les caractéristiques d’une société démocratique, pour une privation automatique du droit de vote se fondant uniquement sur ce qui pourrait heurter l’opinion publique. 71. Cette norme de tolérance n’empêche pas une société démocratique de prendre des mesures pour se protéger contre des activités visant à détruire les droits et libertés énoncés dans la Convention. L’article 3 du Protocole no 1, qui consacre la capacité de l’individu à influer sur la composition du corps législatif, n’exclut donc pas que des restrictions aux droits électoraux soient infligées à un individu qui, par exemple, a commis de graves abus dans l’exercice de fonctions publiques ou dont le comportement a menacé de saper l’état de droit ou les fondements de la démocratie (voir, par exemple, no 6573/74, décision précitée et, mutatis mutandis, Glimmerveen et Hagenbeek c. Pays-Bas, requêtes nos 8348/78 et 8406/78, décision de la Commission du 11 octobre 1979, DR 18, p. 198, où la Commission a déclaré irrecevables deux requêtes concernant le refus d’autoriser les requérants, chefs d’une organisation interdite professant le racisme et la xénophobie, à se présenter à des élections). Il ne faut toutefois pas recourir à la légère à la mesure rigoureuse que constitue la privation du droit de vote ; par ailleurs, le principe de proportionnalité exige l’existence d’un lien discernable et suffisant entre la sanction et le comportement ainsi que la situation de la personne touchée. La Cour prend note à cet égard de la recommandation de la Commission de Venise selon laquelle la suppression des droits politiques doit être prononcée par un tribunal dans une décision spécifique (paragraphe 32 ci-dessus). Comme dans d’autres contextes, un tribunal indépendant appliquant une procédure contradictoire offre une solide garantie contre l’arbitraire. 3. Application en l’espèce 72. Pour en venir à la présente affaire, la Cour rappelle que le requérant, condamné à une peine d’emprisonnement perpétuelle pour homicide, a été déchu du droit de vote pendant sa détention en vertu de l’article 3 de la loi de 1983, qui s’applique aux personnes condamnées purgeant une peine privative de liberté. Le Gouvernement avance que la chambre a versé dans l’erreur car, selon lui, elle a apprécié dans l’abstrait la compatibilité de la législation avec la Convention sans rechercher si le fait de retirer le droit de vote au requérant, qui avait été condamné pour une infraction grave à une peine d’emprisonnement perpétuelle, entraînait une violation. La Cour n’accepte pas cette critique. Le grief formulé par le requérant n’est en aucun cas une actio popularis. En effet, l’intéressé a été touché de manière directe et immédiate par la disposition législative dont il se plaint et, dans ces conditions, c’est à juste titre que la chambre a examiné la compatibilité de cette mesure avec la Convention, sans se préoccuper de la question de savoir si, dans le cas où la loi aurait été rédigée autrement et dans des termes compatibles avec la Convention, le requérant aurait quand même pu se voir priver du droit de vote. La Divisional Court avait elle aussi examiné la compatibilité de la mesure litigieuse avec la Convention. Il ne serait en tout état de cause pas correct que la Cour suppose que, si le Parlement devait amender la loi en vigueur, les restrictions au droit de vote continueraient forcément de s’appliquer aux condamnés à perpétuité ayant terminé de purger la partie incompressible de leur peine ou qu’elle conclue que pareil amendement serait nécessairement compatible avec l’article 3 du Protocole no 1. 73. La Cour va donc rechercher si la mesure querellée visait un but légitime et revêtait un caractère proportionné eu égard aux principes définis ci-dessus. a. But légitime 74. La Cour rappelle que, contrairement à d’autres dispositions de la Convention, l’article 3 du Protocole no 1 ne précise ni ne limite les buts qu’une restriction doit viser. Une grande variété de buts peuvent donc se trouver compatibles avec lui (voir, par exemple, Podkolzina, précité, § 34). Le Gouvernement fait valoir que la mesure en cause a pour finalité de prévenir le crime, puisqu’elle sanctionne le comportement de détenus condamnés, ainsi que de renforcer le sens civique et le respect de l’état de droit. La Cour relève qu’à l’époque où la législation la plus récente a été adoptée, le gouvernement a déclaré que l’interdiction frappant les détenus condamnés avait pour objectif de leur infliger une punition supplémentaire. Telle fut également la position adoptée par le ministre lors de la procédure interne engagée par le requérant. S’il se peut que l’intention première au niveau interne ait été la sanction, on peut cependant considérer comme découlant implicitement des références à la déchéance des droits que cette mesure tend à inciter à un comportement citoyen. 75. Tout en rejetant l’idée que l’emprisonnement à la suite d’une condamnation entraîne la déchéance de droits autres que le droit à la liberté, et en particulier l’affirmation selon laquelle voter est un privilège et non un droit (paragraphe 59 ci-dessus), la Cour admet que l’article 3 de la loi de 1983 peut passer pour viser les buts indiqués par le Gouvernement. Elle rappelle que la chambre a exprimé des réserves quant à la validité de ces buts et cité à l’appui l’opinion exprimée par la majorité des juges de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Sauvé no 2 (paragraphes 44-47 de l’arrêt de la chambre). Toutefois, et quelque doute qu’il puisse y avoir quant à l’efficacité du recours à l’interdiction de voter pour atteindre ces buts, la Cour ne trouve dans les circonstances de la cause aucune raison d’exclure ces buts au motif qu’ils seraient indéfendables ou incompatibles en soi avec le droit garanti par l’article 3 du Protocole no 1. b. Proportionnalité 76. La Cour rappelle que la chambre a jugé la mesure en cause disproportionnée notamment parce qu’il s’agissait d’une interdiction automatique frappant tous les détenus condamnés, ayant des effets arbitraires et ne pouvant plus passer pour viser à punir le requérant dès lors que celui-ci avait fini de purger la partie de sa peine devant répondre aux impératifs de répression et de dissuasion (tariff). 77. Le Gouvernement soutient que la mesure est proportionnée. Il observe notamment qu’elle ne concerne que 48 000 détenus (et non 70 000 comme indiqué dans l’arrêt de la chambre, qui a omis de décompter les personnes en détention provisoire, épargnées par l’interdiction) et qu’elle est en réalité peu appliquée car elle ne touche que les personnes reconnues coupables de délits suffisamment graves pour être condamnées à une peine privative de liberté, et non celles placées en détention provisoire ou incarcérées pour atteinte à l’autorité de la justice ou défaut de paiement d’une amende. A ce dernier égard, le gouvernement letton a aussi mis l’accent sur le fait que, dans les Etats contractants, l’emprisonnement est utilisé en dernier recours par la justice pénale (paragraphe 55 ci-dessus). La Cour, premièrement, ne considère pas que la différence numérique susmentionnée soit décisive. Il demeure que le nombre dont il s’agit est élevé et l’on ne saurait donc affirmer que l’interdiction en cause a un effet négligeable. Deuxièmement, s’il est vrai que certaines catégories de détenus échappent à cette interdiction, celle-ci concerne néanmoins une grande fraction des personnes incarcérées et toutes sortes de peines d’emprisonnement, allant d’un jour à la réclusion à perpétuité, et d’infractions, allant d’actes relativement mineurs aux actes les plus graves. En outre, la Cour observe que même les auteurs de délits suffisamment graves pour entraîner une peine d’emprisonnement ferme ne sont privés du droit de vote que si le juge du fond décide de prononcer une telle peine et non de choisir une autre forme de sanction, telle une peine d’intérêt général. A ce propos, on peut noter que, lorsqu’elles prononcent leur condamnation, les juridictions pénales d’Angleterre et du pays de Galles ne mentionnent nullement la privation du droit de vote et qu’il n’apparaît pas, au-delà du fait qu’un tribunal a jugé approprié d’infliger une peine privative de liberté, qu’il existe un lien direct entre les actes commis par un individu et le retrait du droit de vote frappant celui-ci. 78. Le Gouvernement souligne l’ampleur de la marge d’appréciation, arguant que lorsqu’aucun consensus manifeste ne se fait jour dans les Etats contractants alors que le législateur et les tribunaux internes ont examiné la question, il doit être dans l’ordre des choses possibles de priver du droit de vote toute personne dont le comportement a été suffisamment grave pour lui valoir une peine d’emprisonnement. 79. En ce qui concerne le poids à accorder à la position adoptée par les pouvoirs législatif et judiciaire au Royaume-Uni, rien ne montre que le Parlement ait jamais cherché à peser les divers intérêts en présence ou à apprécier la proportionnalité d’une interdiction totale de voter visant les détenus condamnés. La question a certes été examinée par la conférence multipartite de députés qui s’est tenue en 1968 sur la loi électorale et qui a recommandé à l’unanimité de ne pas autoriser un détenu condamné à voter. Il est également vrai que le groupe de travail qui a préconisé d’amender la loi pour permettre aux détenus non condamnés de voter a pris note de l’avis exprimé par les gouvernements successifs selon lequel les détenus condamnés avaient perdu l’autorité morale nécessaire pour voter, et n’a donc pas recommandé de modification de la législation pour ces derniers. Peut-être peut-on considérer qu’en se prononçant comme il l’a fait, c’est-à-dire en exemptant les détenus non condamnés de la restriction au droit de vote, le Parlement a implicitement reconnu la nécessité de maintenir cette restriction pour les détenus condamnés. Cependant, on ne saurait dire que les députés ont tenu un débat de fond sur le point de savoir s’il se justifiait toujours, à la lumière de la politique pénale moderne et des normes en vigueur en matière de droits de l’homme, d’appliquer une telle restriction générale au droit de vote des détenus. 80. Il ressort aussi de l’arrêt de la Divisional Court que la nature des restrictions à imposer le cas échéant au droit de vote des détenus condamnés est en général considérée comme une question relevant du Parlement et non des tribunaux internes. C’est pourquoi cette juridiction n’a pas entrepris d’apprécier la proportionnalité de la mesure elle-même. On peut aussi noter qu’elle a trouvé un appui dans la décision rendue par la Cour d’appel fédérale en l’affaire Sauvé no 2, décision qui a ultérieurement été annulée par la Cour suprême du Canada. 81. Pour ce qui est de l’existence ou non d’un consensus au sein des Etats contractants, la Cour note que, bien qu’il y ait un certain désaccord au sujet de la situation légale dans quelques Etats, le Royaume-Uni n’est incontestablement pas le seul à priver tous les détenus condamnés du droit de vote. On peut également dire que la loi britannique a une portée moins grande que celle d’autres Etats. En effet, non seulement des exceptions sont prévues pour les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement pour atteinte à l’autorité de la justice ou pour défaut de paiement d’une amende mais en outre, à la différence de ce qui se passe dans certains pays, l’incapacité légale de voter est levée dès que la personne sort de prison. Néanmoins, il demeure que seule une minorité d’Etats contractants retirent totalement le droit de vote aux détenus condamnés ou ne prévoient aucune disposition pour permettre aux détenus de voter. Même selon les propres chiffres du Gouvernement, le nombre d’Etats dans ce cas ne dépasse pas treize. Quoi qu’il en soit, le fait qu’on ne puisse discerner aucune approche européenne commune en la matière ne saurait être déterminant pour la question à trancher. 82. La Cour réaffirme dès lors que, si la marge d’appréciation est large, elle n’est pas illimitée. De surcroît, bien que la situation ait été quelque peu améliorée avec la loi de 2000, qui a accordé pour la première fois le droit de vote aux personnes en détention provisoire, l’article 3 de la loi de 1983 demeure un instrument sans nuance, qui dépouille du droit de vote, garanti par la Convention, un grand nombre d’individus, et ce de manière indifférenciée. Cette disposition inflige une restriction globale à tous les détenus condamnés purgeant leur peine et s’applique automatiquement à eux, quelle que soit la durée de leur peine et indépendamment de la nature ou de la gravité de l’infraction qu’ils ont commise et de leur situation personnelle. Force est de considérer que pareille restriction générale, automatique et indifférenciée à un droit consacré par la Convention et revêtant une importance cruciale outrepasse une marge d’appréciation acceptable, aussi large soit-elle, et est incompatible avec l’article 3 du Protocole no 1. 83. Quant aux observations du Gouvernement relatives au fait que la chambre n’a pas indiqué quelles restrictions au droit de vote des détenus condamnés seraient éventuellement compatibles avec la Convention, la Cour note qu’elle a en principe pour fonction de statuer sur la compatibilité avec la Convention de mesures existantes. Il appartient au premier chef à l’Etat en cause de choisir, sous réserve du contrôle du Comité des Ministres, les moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention (voir, entre autres, Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 202, CEDH 2004-II, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005-...). Dans les affaires où elle a conclu à une violation structurelle, la Cour a indiqué le type de mesures susceptibles d’être prises pour mettre un terme à la situation constatée, et ce pour aider l’Etat défendeur à remplir ses obligations au titre de l’article 46 (voir, par exemple, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, §§ 193-194, CEDH 2004-...). Dans d’autres affaires exceptionnelles, il arrive que la nature même de la violation constatée n’offre pas réellement de choix parmi différentes sortes de mesures propres à y remédier, auquel cas la Cour peut décider de n’indiquer qu’une seule mesure de ce type (Assanidzé, précité, § 202). 84. Dans une affaire telle que l’espèce, où les Etats contractants ont adopté un certain nombre de méthodes différentes pour traiter la question du droit de vote des détenus condamnés, la Cour doit se borner à déterminer si la restriction applicable à tous les détenus condamnés purgeant leur peine outrepasse une marge d’appréciation acceptable et laisser le législateur choisir les moyens de garantir les droits énoncés à l’article 3 du Protocole no 1 (voir, par exemple, les affaires portant sur les procédures qui régissent le maintien en détention des détenus condamnés à une peine perpétuelle, qui montrent que la jurisprudence de la Cour et la législation interne ont évolué progressivement : Thynne, Wilson et Gunnell c. Royaume-Uni, arrêt du 25 octobre 1990, série A no 190-A, Singh c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1996, Recueil 1996-I, Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, CEDH 2002-IV). 85. La Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 3 du Protocole no 1. II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION 86. Le requérant allègue avoir été l’objet, en tant que détenu condamné, d’une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention, lequel dispose : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. » 87. Eu égard à sa conclusion ci-dessus relative à l’article 3 du Protocole no 1, la Cour considère à l’instar de la chambre qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 14. III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION 88. Le requérant soutient que la privation du droit de vote l’empêche d’exercer son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10, qui dispose en ses passages pertinents : « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. (...) 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. » 89. La Cour considère que l’article 3 du Protocole no 1 constitue une lex specialis pour ce qui est de l’exercice du droit de vote et conclut comme la chambre qu’aucune question distincte ne se présente en l’espèce sur le terrain de l’article 10. IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION 90. Aux termes de l’article 41 de la Convention, « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. » A. Dommage 91. Le requérant réclame 5 000 livres sterling (GBP) en réparation des souffrances et de la détresse provoquées par la violation alléguée. 92. Le Gouvernement estime qu’un éventuel constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable pour le requérant. Il considère à titre subsidiaire que, si la Cour devait allouer une somme, celle-ci ne devrait pas dépasser 1 000 GBP. 93. La chambre a conclu ainsi (paragraphe 60 de l’arrêt de la chambre) : « La Cour examinera ci-après les prétentions du requérant concernant les frais et dépens qu’il a personnellement exposés pendant la procédure. Pour ce qui du dommage moral, elle déclare qu’il appartiendra au gouvernement britannique de mettre en œuvre en temps voulu les mesures qu’il jugera appropriées pour satisfaire à l’obligation qui lui incombe d’assurer le droit de vote conformément au présent arrêt. Dans ces conditions, elle estime que cela peut passer pour offrir au requérant une satisfaction équitable pour la violation constatée en l’espèce. » 94. Pas plus que la chambre, la Grande Chambre n’alloue d’indemnité au titre du dommage moral. B. Frais et dépens 95. Le requérant sollicite le remboursement des frais exposés lors de la procédure devant la High Court et la Cour d’appel afin de faire redresser dans l’ordre juridique interne la violation de ses droits, à savoir les honoraires et frais de ses solicitors et de ses conseils devant la High Court, soit 26 115,82 GBP, et devant la Cour d’appel, soit 13 203,64 GBP. Pour la procédure de Strasbourg, il avait réclamé devant la chambre 18 212,50 GBP pour les honoraires et frais de ses solicitors et de son conseil. En ce qui concerne la procédure devant la Grande Chambre depuis le prononcé de l’arrêt de la chambre, le requérant demande en outre au titre de ces honoraires et frais le remboursement de 20 503,75 GBP, qui se décomposent en 7 800 GBP pour 26 heures de travail (à raison de 300 GBP de l’heure), 1 650 GBP pour 55 lettres et communications téléphoniques (30 GBP chacune), 1 653,75 GBP de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), 8 000 GBP pour les honoraires de son conseil pour les deux jours d’audience et 20 heures de travail plus 1 400 GBP de TVA. Il sollicite enfin 300 GBP de frais divers (téléphone et autres). 96. Le Gouvernement soutient que, comme le requérant a bénéficié de l’assistance judiciaire lors de la procédure interne, il n’a en réalité eu aucuns frais. Pour autant que l’intéressé semblait réclamer des sommes non couvertes par l’assistance judiciaire, le Gouvernement considère que de tels frais supplémentaires ne sauraient passer pour avoir été nécessairement exposés ou raisonnables quant à leur montant et qu’il n’y a pas lieu d’en accorder le remboursement. Quant aux frais supplémentaires demandés pour la procédure devant la Grande Chambre à Strasbourg, le Gouvernement trouve excessif le taux horaire de 300 GBP facturé par le solicitor ainsi que le tarif forfaitaire indiqué pour la correspondance. D’après lui, il ne convient pas d’accorder plus de 4 000 GBP pour les honoraires du solicitor. Quant à ceux du conseil, le taux horaire est également exagéré, tout comme le nombre d’heures compté pour la préparation d’une plaidoirie extrêmement brève. Selon le Gouvernement, il n’y a pas lieu de rembourser plus de 3 000 GBP. 97. La chambre a conclu ainsi (paragraphes 63 et 64 de l’arrêt de la chambre) : « La Cour rappelle qu’au titre de l’article 41 de la Convention, elle rembourse les frais et dépens dont il est établi qu’ils ont été réellement et nécessairement exposés et qu’ils sont d’un montant raisonnable (voir notamment Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999 ?II, et Smith et Grady c. Royaume-Uni (satisfaction équitable), nos 33985/96 et 33986/96, § 28, CEDH 2000 ?IX). Cela peut englober les frais afférents à la procédure interne réellement et nécessairement exposés pour prévenir ou redresser le fait jugé constitutif d’une violation de la Convention (voir, par exemple, I.J.L. et autres c. Royaume-Uni (satisfaction équitable), nos 29522/95, 30056/96 et 30574/96, § 18, 25 septembre 2001). Toutefois, comme les frais que le requérant a engagés pour sa représentation devant la High Court et la Cour d’appel afin de contester la perte du droit de vote ont été couverts par l’assistance judiciaire, on ne saurait dire qu’il a déboursé ces sommes ; par ailleurs, il n’a pas montré qu’il devait ou doit toujours verser d’autres sommes à ses représentants à ce titre. L’intéressé ne saurait utiliser la soumission de la présente requête à la Cour pour réclamer après coup des sommes dépassant les barèmes de l’assistance judiciaire interne. Quant aux frais afférents à la procédure de Strasbourg, la Cour prend note des objections du Gouvernement et constate que les sommes réclamées peuvent passer pour exagérément élevées : le requérant fait état en particulier de trois jours de présence pour une audience qui a duré une matinée et il ne ventile pas les sommes suivant la nature du travail accompli par son solicitor. En revanche, s’il est vrai que certains de ses griefs ont été déclarés irrecevables, le requérant s’est plaint essentiellement de la privation du droit de vote, ce sur quoi sa défense était centrée, et il a obtenu gain de cause sous l’angle de l’article 3 du Protocole no 1. Aucune déduction n’est donc appliquée à ce titre. Tenant compte du montant de l’assistance judiciaire versée par le Conseil de l’Europe et eu égard aux circonstances de la cause, la Cour alloue 12 000 euros (EUR), TVA comprise, pour frais et dépens. En ce qui concerne les frais que le requérant affirme avoir lui-même exposés pour présenter sa requête, la Cour note qu’ils ne sont pas ventilés mais, reconnaissant que l’intéressé a dû engager certains frais, elle lui accorde 144 EUR. » 98. La Cour confirme la conclusion de la chambre selon laquelle il ne convient pas d’accorder une somme pour les frais afférents à la procédure interne. Par ailleurs, bien que la préparation de l’audience devant la Grande Chambre et la comparution à celle-ci représentent forcément un travail important, elle juge que les montants demandés pour la période postérieure au prononcé de l’arrêt de la chambre sont d’un montant excessif et déraisonnable. Tenant compte du montant versé par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire, elle porte la somme allouée pour frais et dépens à un total de 23 000 euros, TVA comprise. Pour ce qui est des frais divers déboursés par le requérant, qui ne les a guère ventilés, elle octroie 200 EUR. C. Intérêts moratoires 99. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage. PAR CES MOTIFS, LA COUR 1. Dit, par douze voix contre cinq, qu’il y a eu violation de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention 2. Dit, à l’unanimité, qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 14 de la Convention ; 3. Dit, à l’unanimité, qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 10 de la Convention ; 4. Dit, à l’unanimité, que le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral subi par le requérant ; 5. Dit, par douze voix contre cinq, a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir en livres sterling au taux applicable à la date du règlement : i) 23 000 EUR (vingt-trois mille euros) au titre des frais et dépens exposés par les représentants du requérant pendant la procédure devant la Cour ; ii) 200 EUR (deux cents euros) au titre des frais et dépens exposés par le requérant ; b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ; 6. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus. Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, a ? Strasbourg, le 6 octobre 2005. Erik FRIBERGH Président Luzius WILDHABER Greffier adjoint Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions suivantes : – opinion concordante de M. Caflisch ; – opinion concordante commune à Mme Tulkens et M. Zagrebelsky ; – opinion dissidente commune à MM. Wildhaber, Costa, Lorenzen, Kovler et Jebens ; – opinion dissidente de M. Costa. L.W. E.F. OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE CAFLISCH (Traduction) 1. J’approuve dans l’ensemble tant la conclusion de la Cour que son raisonnement. Je souhaite toutefois commenter certains des arguments avancés par le gouvernement défendeur et par l’un des tiers intervenants. J’ajouterai ensuite quelques mots au sujet des restrictions qui peuvent ou ne peuvent pas être apportées aux droits individuels garantis par l’article 3 du Protocole no 1. 2. Il règne peut-être dans les Etats démocratiques contemporains une présomption en faveur du suffrage universel. Cela ne signifie pas pour autant que l’Etat ne peut pas restreindre le droit de voter, d’élire et de se présenter à des élections, et il se peut que les Etats contractants jouissent en la matière d’une marge d’appréciation « étendue » – même si cette expression ne veut pas dire grand-chose sauf à laisser entendre que les Etats disposent d’une certaine liberté d’action. Les restrictions au droit en question doivent toutefois comporter des limites ; et c’est à la Cour plutôt qu’aux Parties contractantes de décider si une restriction donnée est compatible avec le droit individuel de voter, d’élire et de se présenter à des élections. Pour trancher la question, la Cour doit examiner le but légitime visé par la mesure d’exclusion et la proportionnalité de cette dernière (voir Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, arrêt du 2 mars 1987, série A no 113, p. 23, § 52). Autrement dit, en des termes plus généraux, il aurait été plus utile de dire que les mesures d’exclusion doivent être « raisonnables » au lieu de se référer à une marge d’appréciation « étendue ». 3. C’est ce que, semble-t-il, le Gouvernement défendeur n’a pas pleinement apprécié et le Gouvernement letton, tiers intervenant, encore moins. Le Gouvernement britannique a fait valoir que l’arrêt de la Chambre ne cadrait pas avec l’approche observée par les organes de la Convention et qu’il n’avait jamais été suggéré que le type de restrictions imposées au Royaume-Uni posait problème (paragraphe 47 de l’arrêt) ; il a également indiqué que la question avait été examinée de manière approfondie par les tribunaux internes, qui avaient appliqué les principes de la Convention repris dans la Loi de 1998 sur les droits de l’homme. Ainsi, il a critiqué la Chambre pour avoir tiré ses propres conclusions au lieu de suivre les traditions nationales ou le point de vue des tribunaux internes. Cet argument a été repris et poussé un cran plus loin par le Gouvernement letton, qui a affirmé (paragraphe 55 de l’arrêt) que la Cour n’avait pas compétence pour substituer ses propres vues à celles d’un pays démocratique sur le point de savoir ce qui était dans l’intérêt supérieur de la démocratie. Cette affirmation appelle deux observations : premièrement, ce n’est pas une question d’« intérêt supérieur » mais une question de droit à laquelle il s’agit ici de répondre ; deuxièmement, et cela est plus important, si la thèse lettone était admise, cela signifierait que tout ce que la Cour peut faire est de marcher sur les traces des autorités nationales. Je ne peux accepter pareille idée. La marge d’appréciation des Etats contractants peut certes, comme cela a été dit, être relativement étendue dans le domaine couvert par l’article 3 ; toutefois, la détermination des limites de cette marge ne saurait être quasiment abandonnée à l’Etat concerné mais doit être soumise à un « contrôle européen ». 4. Le Gouvernement britannique a également prétendu que la politique sous-tendant la législation pertinente reposait sur une tradition expressément approuvé par le Parlement, en dernier lieu lors de l’adoption de la Loi de 2000 sur la représentation du peuple. Il a critiqué la Chambre pour avoir apprécié cette législation dans l’abstrait, sans tenir compte des faits de la cause, car même si le Royaume-Uni devait amender la Loi et limiter son application aux personnes ayant commis les crimes les plus graves, le requérant, condamné pour homicide à une peine d’emprisonnement perpétuelle, resterait privé du droit de vote. Dès lors, a estimé le Gouvernement, le constat de violation était un résultat surprenant susceptible de heurter de nombreuses personnes (paragraphes 47 et 49 de l’arrêt). Cela se peut, mais les décisions de la Cour ne visent pas à plaire ou à déplaire au public, mais à défendre les principes relatifs aux droits de l’homme. 5. Par ailleurs, le Gouvernement britannique a soutenu qu’en l’espèce, la privation du droit de vote contribuerait à la prévention et la répression des crimes et, par là, au renforcement du sens civique (paragraphe 50 de l’arrêt). J’en doute très fortement. Je pense au contraire que la participation au processus démocratique peut constituer un premier pas vers la resocialisation. 6. Enfin, il a été avancé que la situation au Royaume-Uni s’est nettement améliorée grâce à l’adoption de la Loi de 2000 sur la représentation du peuple, notamment parce que cette Loi autorise le vote des personnes en détention provisoire (paragraphe 51 de l’arrêt). Cet argument paraît erroné. Les personnes provisoirement détenues bénéficient de la présomption d’innocence au titre de l’article 6 § 1 de la Convention. Détruire la présomption en privant ces individus du droit de vote équivaut à une violation de cette disposition. La nouvelle Loi a donc eu pour seul effet,à cet égard, d’empêcher des atteintes à la présomption d’innocence. 7. Il aurait pu être utile que la Cour, après avoir conclu à la violation de l’article 3 du Protocole no 1, indique certains des paramètres à respecter par les Etats démocratiques lorsqu’ils limitent la participation à des votes ou élections. Ces paramètres devraient, à mon sens, comporter les éléments suivants. a. Les mesures de privation du droit de vote susceptibles d’être prises doivent être prévues par la loi. b. Cette loi ne saurait être générale : elle ne peut simplement priver du droit de vote les auteurs de toutes les infractions sanctionnées par une peine d’emprisonnement sans sursis. Autrement dit, elle ne doit porter que sur les infractions graves, comme l’indique à juste titre la Commission de Venise dans son Code de bonne conduite en matière électorale (paragraphe 32 de l’arrêt). On se saurait se contenter d’affirmer que toute personne purgeant une peine d’emprisonnement a rompu le contrat social. c. La loi en question doit prévoir que la privation du droit de vote, peine accessoire, relève du juge et non de l’exécutif. Cet élément se retrouve lui aussi dans le Code de bonne conduite adopté par la Commission de Venise. d. Enfin – et c’est probablement là le point essentiel pour la présente affaire – dans les Etats contractants où la peine peut comporter une partie punitive (répression et dissuasion) et une période de détention fondée sur le risque que comporterait la libération du détenu, la privation du droit de voter, d’élire et de se faire élire doit se limiter à la partie punitive et ne doit pas s’étendre au reste de la peine. En l’espèce, ce raisonnement semble confirmé par le fait que la répression est l’une des raisons invoquées par le législateur britannique pour justifier la législation en cause, voire la raison fondamentale. Dès lors, ce motif perd toute pertinence lorsqu’un individu cesse d’être détenu dans un but punitif. Tel est, selon moi, le principal argument portant à conclure à la violation de l’article 3 du Protocole no 1. 8. Deux des quatre éléments précités figurent dans le Code de bonne conduite de la Commission de Venise. Je le dis non pas parce que je pense que ce Code est contraignant mais parce que, en l’espèce, ces éléments sont éminemment pertinents. OPINION CONCORDANTE COMMUNE À MME TULKENS ET M. ZAGREBELSKY, JUGES (Traduction) Nous partageons le point de vue de la majorité de la Cour selon lequel la privation du droit de vote qui a frappé le requérant du fait qu’il purgeait une peine d’emprisonnement emporte violation de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention. Nous soutenons entièrement les principes généraux développés dans l’arrêt, qui apportent une contribution fondamentale à la question du droit de vote des détenus condamnés (paragraphes 56 à 71). Cependant, en ce qui concerne l’application de ces principes en l’espèce, notre raisonnement diffère à certains égards de celui adopté dans l’arrêt. A l’époque où le requérant a été privé du droit de vote, la loi interdisait à tous les détenus de voter. Ce n’est qu’avec la réforme de 2000 que les personnes en détention provisoire (et les malades mentaux non condamnés) furent autorisés à voter. Depuis 2000, l’interdiction de voter frappe tous les détenus condamnés pendant qu’ils purgent leur peine, indépendamment de l’infraction qu’ils ont commise, à la seule exception des personnes incarcérées pour atteinte à l’autorité de la justice ou pour défaut de paiement d’une amende. Selon nous, la véritable raison à l’origine de cette disposition est que la personne est en prison. Cela était évident avant la réforme intervenue en 2000, où la question de la condamnation n’importait pas. Mais même après cette réforme, l’extrême variété des infractions pénales conduisant à priver les détenus du droit de vote, quelle que soit la gravité ou la nature de l’infraction, montre que l’interdiction qui s’exerce à leur égard repose sur le fait qu’ils purgent une peine d’emprisonnement. En effet, ils ne seraient pas privés du droit de vote s’ils n’étaient pas incarcérés. Nous admettons qu’une condamnation à une peine d’emprisonnement peut refléter l’appréciation négative du juge quant à l’infraction commise et à la personnalité de son auteur, ce qui peut dans des cas exceptionnels justifier d’infliger une peine supplémentaire telle que la privation du droit de vote. Toutefois, il existe diverses raisons de ne pas prononcer une peine d’emprisonnement ferme. L’âge, l’état de santé ou la situation familiale peuvent conduire à assortir la peine d’un sursis. Ainsi, la même infraction pénale et la même personnalité criminelle peuvent déboucher sur une peine d’emprisonnement ferme ou sur une peine avec sursis. Outre que la nature et la gravité de l’infraction ne sont pas prises en compte, cela démontre selon nous que la véritable raison de la privation du droit de vote est le fait que la personne se trouve en prison. Or cette raison n’est pas acceptable. Il n’existe aucun motif d’ordre pratique qui justifie d’interdire aux détenus de voter (les personnes en détention provisoire peuvent voter) et les détenus en général continuent de jouir des droits fondamentaux garantis par la Convention, à l’exception du droit à la liberté. Quant au droit de vote, il n’y a aucune place dans la Convention pour l’ancienne notion de « mort civique » qui est à l’origine de l’interdiction de voter frappant les détenus condamnés. Nous en concluons que l’absence de prise en compte par le système juridique britannique de la gravité et de la nature de l’infraction pour laquelle le détenu a été condamné n’est que l’un des aspects à considérer. Le fait que la loi dispose que c’est la détention d’un condamné qui motive l’interdiction de voter qui le frappe est à notre avis décisif. Cette disposition est dépourvue de base rationnelle, ce qui constitue une raison suffisante pour conclure à la violation de la Convention sans qu’il soit aucunement nécessaire de procéder à un examen approfondi de la question de la proportionnalité. Le raisonnement, différent, suivi par la majorité de la Cour prête selon nous le flanc à certaines des critiques exprimées par les juges Wildhaber, Costa, Lorenzen, Kovler et Jebens dans leur opinion séparée. En particulier, nous constatons que l’étude de la proportionnalité a conduit la Cour à évaluer non seulement la législation et ses conséquences, mais aussi les débats du Parlement (paragraphe 79 de l’arrêt). Il s’agit d’un domaine de rencontre entre deux sources de légitimité, celle de la Cour d’une part et celle du Parlement national d’autre part. C’est un terrain délicat et glissant pour la Cour eu égard à la nature du rôle qui est le sien, en particulier lorsqu’elle admet elle-même qu’une ample marge d’appréciation doit être reconnue aux Etats contractants. OPINION DISSIDENTE COMMUNE À MM. LES JUGES WILDHABER, COSTA, LORENZEN, KOVLER ET JEBENS (Traduction provisoire) 1. Nous ne pouvons souscrire à la conclusion de la majorité selon laquelle il y a eu violation de l’article 3 du Protocole no 1 au motif que la législation britannique ne permet pas aux détenus condamnés de voter pendant qu’ils purgent leur peine d’emprisonnement. Voici les raisons pour lesquelles nous ne concluons pas à la violation de cette disposition. 2. Aux termes de l’article 3 du Protocole no 1, les Etats contractants sont tenus d’« organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif ». Le libellé de cet article diffère de celui de presque toutes les autres clauses normatives de la Convention et de ses protocoles car il ne garantit pas directement des droits individuels et ne renferme aucune autre condition relativement aux élections, notamment quant à la portée du droit de vote, en dehors de l’exigence d’assurer « la libre expression de l’opinion du peuple ». Cela indique que c’est le fait de garantir le bon fonctionnement du processus démocratique qui a été considéré comme primordial. C’est également la raison pour laquelle, dans la jurisprudence qu’elle a élaborée à ses débuts, la Commission n’a pas estimé que cet article protégeait des droits individuels (no 530/59, déc. 4.1.1960, Recueil des décisions 2 ; no 1028/61, déc. 18.9.1961, Recueil des décisions 6, 69, p. 78). La Commission a ultérieurement modifié son approche puis la Cour a par la suite dit que cet article garantit bien des droits individuels, dont le droit de vote, tout en reconnaissant en même temps que pareils droits individuels ne sont pas absolus mais peuvent faire l’objet de « limitations implicites » pour lesquelles les Etats contractants jouissent d’« une large marge d’appréciation », soumise cependant à un examen de sa part. La Cour doit donc s’assurer que ces limitations ne réduisent pas les droits dont il s’agit au point de les atteindre dans leur substance me ?me et de les priver de leur effectivité (voir, tout d’abord, Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, arrêt du 2 mars 1987, série A no 113, p. 23, § 52, et, plus récemment, Py c. France, no 66289/01, §§ 45-47, CEDH 2005-...). Bien que l’article 3 du Protocole no 1 ne mentionne pas les conditions auxquelles sont soumises ces restrictions, comme cela est fait au deuxième paragraphe des articles 8 à 11 de la Convention, la Cour a dit en outre que toute restriction doit viser un but légitime et que les moyens employés ne doivent pas se révéler disproportionnés. Tout comme la majorité, nous nous bornerons à examiner ces deux conditions, ce qui revient à admettre implicitement que la législation britannique ne porte pas atteinte à la substance même du droit de vote et ne le prive pas de son effectivité, contrairement à la conclusion rendue dans l’arrêt Aziz c. Chypre (no 69949/01, §§ 29-30, CEDH 2004-V), qui concernait une minorité ethnique de la population chypriote privée du droit de vote. 3. Etant donné que l’article 3 du Protocole no 1 n’indique pas dans quels buts il peut se justifier de restreindre les droits garantis, ces restrictions ne sauraient selon nous se limiter à l’énumération figurant au deuxième paragraphe des articles 8 à 11. Nous rappelons de plus que, dans leur jurisprudence, les organes de la Convention ont jusqu’à présent été très attentifs à ne pas contester les objectifs invoqués par le gouvernement défendeur pour justifier une restriction à un droit garanti par la Convention ou ses Protocoles. Tel est également le cas lorsqu’il s’agit de restrictions au droit de vote. Ainsi, dans sa décision rendue le 4 juillet 1983 en l’affaire H. c. Pays-Bas (no 9914/82, Décisions et rapports (DR) 33, p. 244), la Commission a considéré qu’une telle restriction à l’égard des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement supérieure à un an pouvait s’expliquer par « l’idée que certaines condamnations marquent d’infamie pour un temps déterminé, ce qui peut être pris en considération par la législation relativement à l’exercice des droits politiques ». Dans l’affaire M.D.U. c. Italie (no 58540/00, décision du 28 janvier 2003), la Cour a admis qu’une interdiction de voter pendant deux ans prononcée accessoirement à une condamnation pour infractions fiscales visait « le bon fonctionnement et le maintien du régime démocratique ». Dès lors, nous n’avons aucun mal à reconnaître que la limitation au droit de vote des détenus prévue par la législation britannique était légitime afin de prévenir le crime, sanctionner les contrevenants et renforcer le sens civique et le respect de l’état de droit, comme le Gouvernement l’a soutenu. Toutefois, puisque, contrairement à la chambre, qui ne n’est pas prononcée à ce sujet, la majorité admet que la restriction en cause visait des buts légitimes, nous n’avons nul besoin de poursuivre l’examen de la question. 4. Comme indiqué plus haut, la Cour a constamment affirmé dans sa jurisprudence que les Etats contractants bénéficient d’une ample marge d’appréciation en ce domaine. Elle a en outre admis que les critères pertinents peuvent varier en fonction de facteurs historiques et politiques propres à chaque Etat. Dans le récent arrêt Py (précité, § 46), la Cour a déclaré : « Les Etats contractants jouissent en effet d’une ample marge d’appréciation eu égard à la diversité dans l’espace et à la variabilité dans le temps de leurs lois en matière électorale. Les règles relatives à l’octroi du droit de vote, reflétant les soucis de participation des citoyens mais également de connaissance de la situation particulière de la région concernée, varient en fonction des facteurs historiques et politiques propres à chaque Etat ; la multitude de situations prévues dans les législations électorales de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe démontre la diversité des choix possibles en la matière. Cependant, aucun de ces critères ne devrait en principe être considéré comme plus valable qu’un autre, à condition qu’il garantisse l’expression de la volonté du peuple à travers des élections libres, honnêtes et périodiques. Aux fins d’application de l’article 3, toute loi électorale doit toujours s’apprécier à la lumière de l’évolution politique du pays, de sorte que des détails inacceptables dans le cadre d’un système déterminé peuvent se justifier dans celui d’un autre. » A la lumière de ces considérations, on ne saurait estimer que l’article 3 du Protocole no 1 interdit les restrictions au droit de vote de nature générale, sous réserve qu’elles ne soient pas arbitraires et n’entravent pas « la libre expression de l’opinion du peuple », ce qui est le cas par exemple de restrictions portant sur l’âge, la nationalité ou la résidence (voir, entre autres, Hilbe c. Liechtenstein (déc.), no 31981/96, CEDH 1999-VI, et Py, précité). Contrairement à la majorité, nous ne pensons pas qu’une limitation générale au droit de vote des détenus doive en principe être jugée différemment et à ce jour la jurisprudence des organes de la Convention ne vient pas étayer une autre conclusion, comme il ressort de l’analyse effectuée par la majorité (paragraphes 65 à 69 de l’arrêt). Nous ne pensons pas non plus qu’une telle décision doive être prise par un juge au cas par cas. Au contraire, il est à l’évidence compatible avec le fait de garantir le droit de vote de laisser le législateur trancher pareille question dans l’abstrait. 5. La majorité a réaffirmé que la marge d’appréciation en la matière est ample, et a à juste titre porté attention aux nombreuses manières d’organiser et de faire fonctionner les systèmes électoraux et aux innombrables différences qui existent en ce domaine en Europe, notamment quant à l’évolution historique, à la diversité culturelle et à la pensée politique. La majorité a néanmoins conclu que « force est de considérer » qu’une restriction générale au droit de vote des personnes détenues « outrepasse une marge d’appréciation acceptable, aussi large soit-elle » (paragraphe 82 de l’arrêt). Selon nous, cette affirmation catégorique est difficile à concilier avec l’intention déclarée de respecter la jurisprudence constante de la Cour voulant que l’article 3 du Protocole no 1 laisse une ample marge d’appréciation aux Etats contractants pour définir leur système électoral. Quoi qu’il en soit, le manque de précision du libellé de cet article et les arbitrages politiques délicats en jeu appellent à la prudence. A moins que des restrictions ne portent atteinte à la substance même du droit de vote ou soient arbitraires, il ne faut déclarer la législation nationale sur le droit de vote incompatible avec l’article 3 que si de puissantes raisons justifient de conclure en ce sens. Or nous ne pensons pas que de telles raisons aient été avancées. 6. Dans quelques arrêts rendus au cours des dernières années, la Cour a souligné le rôle qu’elle joue dans l’évolution des droits de l’homme et la nécessité de maintenir une approche dynamique et évolutive dans son interprétation de la Convention et de ses protocoles afin de permettre des réformes ou des améliorations (voir, par exemple, Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 68, CEDH 2002-IV, et Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 74, CEDH 2002-VI). La majorité n’a pas mentionné cette jurisprudence mais cela ne change selon nous rien à la réalité des choses : la conclusion de la majorité se fonde en fait sur une interprétation « dynamique et évolutive » de l’article 3 du Protocole no 1. Nous ne contestons pas que l’une des tâches importantes de la Cour soit de veiller à ce que les droits garantis par le système de la Convention respectent les « conditions d’aujourd’hui », ce qui peut justifier dans certains cas une approche « dynamique et évolutive ». Cependant, il est indispensable de se rappeler que la Cour n’est pas un organe législatif et qu’elle doit veiller à ne pas exercer de fonction législative. Une interprétation « évolutive » ou « dynamique » doit être suffisamment ancrée dans une transformation de la société dans les Etats contractants, comme l’apparition d’un consensus quant aux normes à atteindre. Or nous ne discernons rien de tel en l’espèce. La majorité déclare que « seule une minorité d’Etats contractants retirent totalement le droit de vote aux détenus condamnés ou ne prévoient aucune disposition pour permettre aux détenus de voter » (paragraphe 81 de l’arrêt). Or l’arrêt de la Grande Chambre – qui cite en détail deux arrêts prononcés récemment par la Cour suprême du Canada et la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud – ne décrit malheureusement que de manière succincte la législation sur le droit de vote des détenus dans les Etats contractants. D’après les informations dont la Cour dispose, dix-huit des quarante-cinq Etats contractants n’appliquent aucune restriction au droit de vote des détenus (paragraphe 33 de l’arrêt). Dans treize Etats contractants, en revanche, les détenus ne peuvent pas voter soit en raison d’une interdiction prévue dans la législation soit de facto, parce qu’aucune disposition n’est prise pour leur permettre de voter. Il est fondamental de noter que, dans quatre de ces pays au moins, la privation du droit de vote découle d’une Constitution adoptée récemment (Russie, Arménie, Hongrie et Géorgie). Treize autres pays au moins prévoient des restrictions plus ou moins étendues au droit de vote des détenus dans leur législation, restrictions qui ont une base constitutionnelle dans quatre d’entre eux (Luxembourg, Autriche, Turquie et Malte). La conclusion de la majorité va entraîner des problèmes législatifs non pas seulement dans les Etats appliquant une interdiction générale, comme le Royaume-Uni. Etant donné que la majorité a estimé que la Cour n’avait pas pour rôle d’indiquer quelles restrictions au droit de vote des détenus condamnés seraient éventuellement compatibles avec la Convention (paragraphe 83 de l’arrêt), l’arrêt rendu en l’espèce signifie que tous les Etats appliquant de telles restrictions vont devoir procéder à de difficiles évaluations pour déterminer si leur législation est conforme aux exigences de la Convention. Pour conclure, la législation en vigueur en Europe montre selon nous qu’il n’existe qu’un consensus limité quant au point de savoir si les détenus doivent ou non jouir du droit de vote. En fait, la majorité des Etats membres connaissent de telles restrictions, bien qu’il s’agisse dans certains cas de restrictions générales et dans d’autres de restrictions limitées. On ne saurait donc affirmer que la législation britannique n’est pas conforme à une norme européenne commune. 7. En outre, la majorité accorde de l’importance à la thèse selon laquelle rien ne montre que le Parlement britannique « ait jamais cherché à peser les divers intérêts en présence ou à apprécier la proportionnalité d’une interdiction totale de voter visant les détenus condamnés » (paragraphe 79 de l’arrêt). Toutefois, nul ne conteste qu’une conférence multipartite de députés qui s’est tenue en 1968 sur la loi électorale a recommandé à l’unanimité de ne pas autoriser une personne condamnée à voter. Nous notons aussi que la proposition du Gouvernement d’amender la loi de 2000 sur la représentation du peuple afin de permettre aux personnes en détention provisoire et aux malades mentaux non condamnés de voter repose sur l’idée que la perte, entre autres, du droit de vote doit faire partie intégrante de la peine d’un détenu condamné. Si les députés avaient été majoritairement d’un avis différent, ils auraient pu prendre une autre décision. La majorité de la Cour, comme la chambre, a jugé qu’il ne convenait pas d’accorder d’importance à ce fait car « on ne saurait dire que les députés ont tenu un débat de fond sur le point de savoir s’il se justifiait toujours, à la lumière de la politique pénale moderne et des normes en vigueur en matière de droits de l’homme, d’appliquer une telle restriction générale au droit de vote des détenus » (paragraphe 79 de l’arrêt). Nous réfutons cette objection car ce n’est pas à la Cour qu’il appartient de dire au législateur national comment il doit faire son travail. On doit supposer que l’article 3 de la loi de 2000 sur la représentation du peuple reflète les valeurs politiques, sociales et culturelles qui ont cours au Royaume-Uni. 8. S’agissant en particulier de la condition selon laquelle les restrictions ne doivent pas être disproportionnées, nous pensons qu’il est fondamental de souligner que la sévérité de la peine correspond non seulement à la gravité du crime commis mais aussi à la pertinence et à l’importance des objectifs que vise le gouvernement défendeur lorsqu’il limite le droit de vote des détenus condamnés. Nous n’excluons pas la possibilité que des restrictions soient disproportionnées lorsque des infractions mineures et/ou de très courtes peines sont en jeu. Toutefois, il n’y a pas lieu d’entrer dans ces considérations en l’espèce. La Cour a constamment affirmé dans sa jurisprudence qu’elle n’a pas normalement pour tâche d’examiner dans l’abstrait la législation et la pratique pertinentes, mais de rechercher si la manière dont elles ont été appliquées au requérant ou l’ont touché a donné lieu à une violation de la Convention. Nous ne voyons pas bien dans quelles circonstances, si ce n’est dans le cas de personnes condamnées à une peine d’emprisonnement à perpétuité, des restrictions au droit de vote pourraient être acceptables. De façon générale, l’arrêt de la Cour se concentre avant tout sur la législation britannique pour la trouver incompatible avec la Convention dans l’abstrait. Nous regrettons que, malgré cette étude approfondie, elle ne donne aux Etats que peu ou pas de conseils quant aux solutions qui seraient compatibles avec la Convention. Etant donné que des restrictions au droit de vote demeurent compatibles avec celle-ci, il semble évident que la privation du droit de vote pour les crimes les plus graves, comme le meurtre ou l’homicide involontaire, n’est pas exclue pour l’avenir. Soit la majorité estime qu’une telle privation est exclue pour la période postérieure à la partie punitive de la peine, soit elle considère qu’un juge doit ordonner cette privation au cas par cas. Nous pensons qu’il aurait été souhaitable d’indiquer la solution correcte. 9. Notre propre point de vue sur la question de savoir si les personnes purgeant une peine d’emprisonnement doivent être autorisées à voter aux élections législatives ou autres importe peu. Vu le caractère politiquement sensible de la question, la diversité des systèmes juridiques au sein des Etats contractants et l’absence dans l’article 3 du Protocole no 1 d’un fondement suffisamment clair quant à un tel droit, nous ne pouvons admettre que la Cour impose aux systèmes juridiques nationaux l’obligation soit de supprimer l’interdiction de voter qui frappe les détenus soit de ne lui reconnaître qu’une portée très restreinte. OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE COSTA 1. J’ai voté dans le même sens que mes collègues les juges Wildhaber, Lorenzen, Kovler et Jebens, et je souscris volontiers à leur opinion, qui nous est donc commune. 2. Je souhaite cependant ajouter au raisonnement de mes collègues, que je partage, quelques brèves considérations auxquelles je tiens plus personnellement. 3. Premièrement, tout en admettant volontiers avec mes collègues (point 3 de notre opinion commune) qu’il n’est pas nécessaire de poursuivre l’examen de la question du « but légitime » de la limitation au droit de vote des détenus prévue par le législateur, j’avoue avoir quelques doutes sur la légitimité – ou la rationalité – de ce but. On peut très bien imaginer, par exemple, qu’une personne condamnée pour fraude électorale, ou pour dépassement du plafond de campagne électorale, ou même pour corruption, soit, dans un système fondé sur l’élection, privée pendant un certain temps de ses droits de vote ou d’éligibilité. Il y a en effet un lien logique et peut-être même naturel entre l’acte commis et le but de la sanction (accessoire, mais importante) prévue pour punir cet acte et dissuader d’autres citoyens de le perpétrer. Il n’en va pas de même, du moins n’est-ce pas évident, pour une interdiction de voter et/ou d’être candidat aux élections sanctionnant n’importe quelle infraction ayant entraîné la condamnation à l’emprisonnement. 4. Je n’insisterai cependant pas sur ce point, d’abord parce que, comme les autres juges dissidents, et comme ceux appartenant à la majorité d’ailleurs, je considère qu’en matière d’application de l’article 3 du Protocole no 1, qui n’énumère pas limitativement les « buts légitimes » comme le font les articles 8 à 11 de la Convention, il faut, par exception, entendre de tels buts extensivement. Je n’y insisterai pas non plus parce que limiter la marge de manœuvre des Etats dans ce domaine quant aux buts visés par leur législation pourrait me pousser, paradoxalement, à rejoindre la majorité par une autre voie (je dois d’ailleurs avouer que la lecture de la rigoureuse opinion concordante de mon collègue le juge Caflisch aurait pu m’entraîner sur un chemin voisin). 5. Mais, précisément, ayant refusé cette démarche, c’est-à-dire ayant admis une ample marge d’appréciation des Etats quant aux buts en vue desquels ils restreignent ou limitent, ou même interdisent, le droit de vote (et/ou d’éligibilité), comment pourrais-je sans inconséquence réduire cette marge lorsqu’il s’agit d’apprécier la proportionnalité de la mesure restrictive du suffrage universel (lequel demeure, bien entendu, l’idéal démocratique) ? 6. Comment pourrais-je me satisfaire de l’arrêt Py c. France du 11 janvier 2005 (que je peux citer d’autant plus librement que je n’ai pas siégé dans cette affaire) ? Par cet arrêt, la Cour unanime (à la suite, d’ailleurs, du Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, constatations du 15 juillet 2002, citées aux paragraphes 17 et 63) a jugé que l’obligation de résidence de dix ans au moins pour pouvoir voter aux élections des représentants du Congrès en Nouvelle-Calédonie ne porte pas atteinte à l’essence même du droit de vote, tel que garanti par l’article 3 du Protocole no 1, lequel n’a pas été violé. Comment pourrais-je, dis-je, me satisfaire de cet arrêt, et approuver en même temps le présent arrêt, qui affirme au paragraphe 82 que « si la marge d’appréciation est large, elle n’est pas illimitée », avec la conséquence concrète qu’un détenu condamné à une peine d’emprisonnement perpétuelle discrétionnaire tient de l’article 3 du Protocole no 1 le droit de voter (et à partir de quand ?). N’y a-t-il pas deux « standards » ? 7. Peut-être objectera-t-on que l’arrêt Py prend en compte les « nécessités locales » au sens de l’article 56 § 3 de la Convention. En effet. Mais quid de la décision Hilbe c. Lichtenstein (7 septembre 1999, Recueil 1999-IV) ? Pour écarter du droit de vote aux élections parlementaires au Liechtenstein un ressortissant de cet Etat résidant en Suisse (je ne sache pas que l’article 56 fût applicable en l’espèce), la Cour, rappelant que « les Etats contractants jouissent d’une ample marge d’appréciation pour entourer le droit de vote de conditions », s’est bornée à conclure, à l’unanimité, que la condition de résidence « ne peut passer pour déraisonnable ou arbitraire, ni donc pour incompatible avec l’article 3 du Protocole no 1 ». 8. Comme il est écrit dans notre opinion commune au point 4, la jurisprudence de notre Cour admet les restrictions de vote de nature générale, telles que celles portant sur l’âge, la nationalité ou la résidence (sous réserve qu’elles ne soient pas arbitraires et n’entravent pas la libre expression du peuple). Je ne vois pas d’arguments convaincants dans le raisonnement de la majorité (avec tout le respect) qui puissent me faire croire que la mesure frappant le requérant était arbitraire, ni même qu’elle entravait la libre expression du peuple. 9. En réalité, il ne faut pas confondre l’idéal à atteindre, que je partage – c’est-à-dire les efforts les plus grands à accomplir pour rompre l’isolement des condamnés, même ceux sanctionnés pour des crimes graves, et pour préparer leur réinsertion dans la société et dans la citoyenneté – avec la réalité de l’arrêt Hirst (no 2), qui d’une part affirme théoriquement une large marge d’appréciation des Etats quant aux conditions d’exercice d’un droit subjectif (dégagé par voie prétorienne !), et qui d’autre part conclut à une violation de ce droit, ce qui annihile pour l’Etat toute marge et toute appréciation. |