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(2006) Suivi de la Saisine 2006-53

Voir Rapport 2006 : Saisine n°2006-53

Saisine n°2006-53

AVIS et RECOMMANDATIONS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité

à la suite de sa saisine, le 14 juin 2006
par Mme Alima BOUMEDIENE-THIERY, sénatrice de Paris

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 14 juin 2006, par Mme Alima BOUMEDIENE-THIERY, sénatrice de Paris, des conditions du décès de M. O.T., survenu au quartier disciplinaire du centre pénitentiaire de Liancourt le 24 mars 2006. M. O.T. était libérable le 13 avril 2006.

La Commission a demandé le 15 juin 2006 une enquête de l’Inspection des services pénitentiaires, qui s’est effectuée le 25 juillet 2006.

Elle s’est rendue au centre pénitentiaire de Liancourt le 28 et le 29 novembre 2006. Elle a entendu M. M.A., détenu, auxiliaire d’étage au moment des faits. Elle a procédé aux auditions de M. B.G., commandant pénitentiaire, de M. J-P.H., chef de détention, de M. N’T., chef de service pénitentiaire (lieutenant), et des premiers surveillants MM. A.P., G.R. ,B.C., ainsi que de deux surveillants MM. M.C. et A.M. Elle a entendu M. H., directeur adjoint du centre pénitentiaire en charge de la maison d’arrêt et du quartier disciplinaire, ainsi que M. F.A., directeur du centre pénitentiaire de Liancourt.

Elle a pris connaissance le 11 décembre 2006 de la procédure initiée le 23 mars à l’encontre de M. O.T. par les surveillants A.M. et M.C., et de la procédure afférente au décès de M. O.T.

LES FAITS
Le 23 mars 2006, vers 12h00, le surveillant A.M. procédait avec l’auxiliaire d’étage M.A. à la distribution des repas, en commençant par le fond de la coursive. Selon ce surveillant, un détenu frappait contre sa porte depuis le début du service, et lorsqu’il était parvenu à la fin de la distribution au niveau de la première cellule, il avait su qu’il s’agissait de M. O.T.

Lorsqu’il avait ouvert la porte, M. O.T. était sorti « d’un bond, comme une furie », et s’était adressé à lui en criant, à propos d’un problème de cantine, se plaignant que lui ait été facturé quelque chose qu’il n’avait pas reçu. L’auxiliaire d’étage, M. M.A., s’était mis entre eux deux. Le surveillant dit avoir tenté d’expliquer à M. O.T. qu’il n’y avait plus de chef à cette heure pour s’occuper de son problème, qu’il fallait attendre une heure ; le détenu s’avançait vers lui. Le surveillant dit avoir essayé, d’abord en élevant la voix, puis « en parlant moins fort que lui » de raisonner M. O.T., qui refusait de réintégrer sa cellule. Il avait actionné discrètement son alarme portative et demandé à l’auxiliaire d’étage de s’écarter, ce que ce dernier avait fait tout de suite. M. A.M. se préparait à refermer la porte lorsque M. O.T. avait reculé dans sa cellule, puis avait voulu ressortir. Le surveillant dit encore « avoir mis la main en avant », et que le détenu lui avait alors donné un coup de poing au plexus. La respiration coupée, le surveillant s’était avancé vers lui pour le ceinturer. Il a déclaré : « O.T. a vrillé sur lui-même et avec l’élan je suis passé par-dessus la table ; lui est tombé sur la table. Je me suis blessé au niveau des côtes sur la table et j’ai eu deux grosses bosses sur la tête car elle avait tapé le sol. Ca m’a sonné quelques secondes ».

L’auxiliaire d’étage donne une version très différente des faits. Selon lui, M. O.T. était effectivement énervé car on ne lui avait pas apporté les produits qu’il avait cantinés, et il demandait à voir le chef. Mais le surveillant A.M. lui avait alors répondu : « Si tu ne rentres pas [dans la cellule], je vais te faire rentrer ». Selon lui, le surveillant A.M. était en colère, hors de lui et s’est précipité sur M. O.T. L’auxiliaire a ceinturé le surveillant puis, craignant que son geste soit mal interprété par le surveillant, il l’avait lâché et s’était interposé entre eux. Il avait parlé à M. O.T., lui disant : « Tu as trois enfants, tu sors dans trois semaines ! ». M. O.T. avait alors regardé le surveillant, et selon l’auxiliaire, s’apprêtait à rentrer dans sa cellule, lorsque le surveillant lui avait bondi dessus. Les deux hommes étaient tombés ensemble. C’est M. O.T. qui avait chuté la tête contre la table : « C’était un choc très violent, je me suis dit : « Ça y est, il est mort » », rapporte l’auxiliaire. Puis il avait vu quelques minutes plus tard M. O.T. emmené par les surveillants accourus en renfort, soulevé par les bras menottés et par les jambes. Il relate que les autres détenus, qui avaient entendu l’intervention, ont commencé à frapper dans les portes. Plus tard dans la journée, ils avaient voulu manifester leur colère, « car O.T. était connu comme quelqu’un de gentil, qui ne posait pas de problèmes », selon l’auxiliaire, qui s’était efforcé de les calmer, ce qui avait été mal vécu par certains détenus.
A la demande du premier surveillant Cr., l’auxiliaire d’étage avait essuyé le sang répandu par M. O.T. tout le long du parcours de la coursive et dans les escaliers, et dit être resté très choqué psychologiquement par ce qui s’est passé ce jour-là.

C’est en se relevant de sa chute que le surveillant A.M. dit avoir vu son collègue M.C., arrivé le premier en renfort, qui maintenait M. O.T. à plat ventre sur le sol. Puis, relate-t-il : « Une masse était entrée, plusieurs surveillants ». Pendant le menottage du détenu, comme les surveillants se sont aperçus que ce dernier était blessé au bras, la menotte ne lui a pas été passée à l’autre main, selon ses déclarations.
Le surveillant A.M. indique avoir aussitôt relaté ces faits au chef de service pénitentiaire M.Z.

Le surveillant M.C., qui était en poste au troisième étage du même bâtiment, a confirmé être arrivé le premier sur les lieux, ayant entendu l’alarme. Il dit avoir trouvé son collègue A.M. debout devant l’entrée de la cellule ouverte, le détenu O.T. lui faisant face. Il a vu et entendu qu’il y avait un échange vif de paroles et que M. O.T. faisait de grands gestes. Selon lui, son collègue essayait « verbalement » de faire rentrer le détenu dans sa cellule. Le temps d’arriver à la cellule, son collègue était à terre, le détenu O.T. étant lui debout, sans que le surveillant M.C. ait pu voir quelle action avait pu mener à cette situation, semble-t-il. Il a voulu maîtriser le détenu, mais dans l’élan, ils sont tombés tous les deux. Il s’est alors retrouvé avec M. O.T. « tombé sur lui » qui se débattait. Très vite étaient arrivés derrière lui, le premier surveillant A. P. et le premier surveillant Cr. Le surveillant M.C. s’est aperçu qu’il s’était blessé à la main dans sa chute (un doigt fracturé).
Le surveillant M.C. ne se souvient pas de la présence d’une autre personne sur la coursive. Il ne sait plus si l’auxiliaire d’étage qui procède à la distribution des repas était là à ce moment-là. Il ne se souvient pas d’un chariot des repas sur la coursive. Concernant son collègue A.M., le surveillant M.C. a précisé qu’il faisait partie de son équipe, qu’il était arrivé en même temps que lui à Liancourt : « C’est quelqu’un que je considère comme calme », a-t-il tenu à préciser à la Commission.

Le commandant pénitentiaire B.G., qui se trouvait dans la nef sur le point de partir déjeuner avec d’autres personnels, a entendu l’alarme et vu alors beaucoup de personnels se rendre à l’étage concerné. Très vite, il a vu venir M. O.T. tenu par des surveillants, et semblant être dirigé vers le quartier disciplinaire. Constatant que ce détenu était blessé, il est intervenu pour que M. O.T. soit conduit immédiatement à l’Unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA).

Le directeur adjoint, M. H., ayant la responsabilité du quartier disciplinaire et du quartier d’isolement, a été informé de la conduite du détenu à l’UCSA dans le cadre de faits disciplinaires. Selon lui, c’est un premier surveillant - il ignore lequel - qui a dû prendre la décision de la mise en prévention du détenu O.T.
M. H. a vu M. O.T. à l’UCSA, où il attendait son extraction pour le centre hospitalier de Creil. Il a refusé que M. O.T. soit mis en cellule disciplinaire pendant cette période et l’a fait placer dans une cellule d’attente sous surveillance constante d’un personnel. Il dit ne pas avoir été avisé du retour de l’hôpital du détenu et de son placement au QD.

Le 23 mars, à 16h10, les surveillants A.M. et M.C. ont porté plainte contre M. O.T. auprès de la gendarmerie de Clermont pour violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique n’excédant pas huit jours et pour rébellion. Le premier ayant un certificat médical relevant : « Douleur minime du coude gauche avec plaie superficielle à la nuque suite à une griffure » fixant à trois jours d’ITT, le deuxième un certificat médical mentionnant : « Douleur post-traumatique de la face dorsale de la main droite avec fracture fissure de la tête du 5ème métacarpien droit non déplacée », fixant l’ITT à sept jours. Le 24 mars, le substitut du procureur a demandé l’extraction du détenu O.T. afin de le placer en garde à vue pour son audition.

Le détenu O.T. est rentré de l’hôpital de Creil le 23 mars vers 15h40 et a été placé en cellule disciplinaire vers 16h00.
M. G.R., premier surveillant, en poste fixe au QD et responsable du QD, a été chargé de l’enquête en vue de la comparution de M. O.T. à la commission de discipline fixée le 27 mars (la procédure limite à 48 heures la mise en prévention). C’est lui qui a recueilli les déclarations du détenu. M. O.T. a nié avoir agressé le surveillant A.M., disant « être tombé sur lui » dans sa chute ; « les autres surveillants sont arrivés », « ils m’ont attrapé et j’ai cogné mon bras sur la table », sont les propos du détenu reportés sur le dossier destiné à la commission de discipline. M. O.T. a indiqué les coordonnées d’un avocat pour être assisté le 27 mars.
M. O.T a pris connaissance à son retour de l’hôpital des faits graves qui lui étaient reprochés, des violences physiques à l’encontre d’un membre du personnel (faute du 1er degré aux termes de l’article D.249-1 du Code de procédure pénale).

Selon M. G.R., le détenu était calme lors de cet échange. Selon lui, il n’a posé aucune question sur les sanctions encourues pour sa faute disciplinaire. Il ne lui pas été dit qu’il encourait 45 jours de QD, selon M. G.R., ce qui remettait en cause sa sortie de prison prévue le 13 avril. Selon M. G.R., le surveillant J. Ta., en poste au QD, a avisé l’UCSA du retour de M. O.T. de l’hôpital et de sa présence au QD.

Il ressort de la procédure conduite par la gendarmerie qui a notamment entendu les surveillants affectés au QD les 23 et 24 mars 2006, que M. O.T. a reçu son traitement médical - des antibiotiques - des surveillants, transmis par une infirmière de l’UCSA, et ses affaires personnelles le 23 mars, avant la distribution du repas du soir. Il est déclaré que le détenu a refusé de s’alimenter le 23 mars au soir. Le surveillant P.B. lui avait alors demandé de faire un courrier au directeur pour préciser les motifs de sa grève de la faim. Le soir même, M. O.T. a rédigé un courrier transmis par ce surveillant « à la hiérarchie ». Ce même surveillant a déclaré avoir rempli les formulaires prévus en cas de grève de la faim et les avoir remis dans la boîte aux lettres de l’UCSA, ainsi qu’au chef de poste. Aucun incident particulier n’avait été relevé lors des rondes.

Le premier surveillant G.R. a déclaré à la Commission que le détenu avait refusé « l’eau chaude » pour le petit déjeuner le 24 au matin, ainsi que le repas de midi, servi à 11h30. Il avait refusé la promenade. Selon ce gradé, le détenu n’a pas demandé à voir un médecin le 23 mars après son retour de l’hôpital, ni le 24 mars au matin.
Selon celui-ci, c’est à 12h55 qu’un surveillant est saisi d’une demande de M. O.T. de voir le médecin, puis une nouvelle fois à 13h55. Vers 14h00, revenant de déjeuner, le premier surveillant G.R. a relaté qu’étant sur le point de boire un café avec le premier surveillant B.C., gradé du bâtiment C venu au quartier disciplinaire, il avait été informé par un de ses agents de la demande de M. O.T. de la visite du médecin et de l’arrivée imminente du docteur D., ce qui « sans doute a été transmis par interphone au détenu », selon lui.

Questionné sur le comportement de M. O.T. le 23 et le 24 mars au QD, le premier surveillant G.R. a répondu que ce dont il se souvenait concernant M. O.T., c’était qu’il se plaignait d’avoir mal au bras, et que son traitement lui avait été donné dès son retour de l’hôpital. Il a précisé que ne lui avait été transmis aucun élément sur une éventuelle fragilité psychologique de ce détenu.

Dans la procédure examinée par la Commission, figure l’examen de l’enregistrement vidéo par la caméra située dans le couloir du QD pour la journée du 24 mars de 7h00 à 15h01. Il ressort que de 8h19 à 13h53, le détenu a actionné six fois l’interphone de sa cellule pour parler aux surveillants - le voyant rouge s’étant allumé et éteint quand un surveillant avait répondu-. Il a eu des contacts directs avec un personnel de surveillance lors des rondes ou de la distribution du repas, et le dernier contact direct a eu lieu à 13h01. Puis le détenu a actionné l’interphone à 13h42 et a reçu une réponse d’un surveillant à 13h49. Il a rappelé à 13h53, et on lui a répondu à 13h54. Le Dr D. s’est présenté pour la visite des détenus du QD avec une infirmière et des personnels de surveillance. L’enregistrement de la caméra vidéo établit que la cellule de M. O.T. a été ouverte à 14h12 ; il montre la présence de M. B. C., premier surveillant, gradé du bâtiment C, de M. Y.L., premier surveillant responsable de permanence au QD, et du Dr D. Il n’y a pas de mention d’une présence du premier surveillant G.R.
Le Dr D. avait mentionné aux enquêteurs le 24 mars la présence à l’ouverture de la cellule du premier surveillant B.C. et du surveillant J.C.

Le surveillant V.C., en poste en début d’après-midi, a indiqué à l’Inspection que M. O.T., vers 13h00, lui avait demandé si le médecin devait passer car il disait ne pas avoir reçu son traitement. Celui-ci lui avait alors confirmé le passage prévu du médecin mais non l’heure précise, dont il l’informerait après contact avec l’UCSA. L’UCSA lui ayant confirmé que le Dr D. passerait vers 14h00, le surveillant avait transmis cette information concernant l’heure de passage à M. O.T. lorsque vers 13h55, le détenu l’avait encore questionné à ce sujet.

Vers 14h05 selon les éléments transmis à l’Inspection par les personnels présents - 14h12 selon l’enregistrement de la caméra vidéo -, le Dr D.,accompagné d’une infirmière et des surveillants, a découvert à l’ouverture de sa cellule le détenu, à genoux, pendu à la grille avec son drap. Le Dr D. et le gradé B.C., qui est lieutenant pompier volontaire, ont tenté de le réanimer en pratiquant le bouche-à-bouche et des massages cardiaques. Du matériel de secours était aussitôt apporté de l’UCSA. Les sapeurs pompiers intervenaient vers 14h35, puis le SMUR vers 14h40. M. O.T. était déclaré décédé à 14h55.

Lors des premières constatations effectuées par les enquêteurs de la gendarmerie nationale, une inscription au crayon de papier était relevée sur un pan de mur : « J’ai assez subit des magouille de la justice. J’ai appelé plain de fois en vain ».

Les auditions du personnel médical de l’UCSA.
Le Dr D. a exposé à la Commission qu’il n’y a pas d’heure fixe pour son passage le vendredi au QD et QI.
Selon ses déclarations, le vendredi 24 mars, avant son arrivée au QD pour la visite réglementaire, il ne lui a pas été transmis que le détenu O.T. aurait demandé à voir un médecin : « Rien ne m’a été dit concernant ce détenu et sa demande de voir un médecin, ce n’est pas pour O.T. spécialement que je venais au QD », a-t-il déclaré. Il n‘a pas été non plus informé que M. O. T. avait commencé la veille une grève de la faim. Il a exposé : « Dès qu’il y a une grève de la faim d’un détenu placé au QD, nous nous déplaçons tout de suite ».

Le Dr B. est le médecin qui est présent à temps complet à la prison de Liancourt. C’est lui qui a examiné M. O.T. le 23 mars après l’intervention des surveillants et qui, après examen, a décidé de l’extraire vers les urgences de l’hôpital de Creil. Il expose que toutes les extractions sont évaluées dans les 24 heures qui suivent, « généralement, le patient est revu le lendemain », précise-t-il.
Le Dr B. n’a pas revu M. O.T. à son retour de l’hôpital le 23 mars, mais il a pris connaissance de la fiche médicale établie par son collègue de l’hôpital. Il a validé la prescription médicamenteuse et a constaté « qu’il n’y avait pas de souci majeur et qu’il serait de toute façon revu le lendemain ». Il ignore si M. O.T. a reçu les médicaments le 23 mars de l’infirmière ou s’ils ont été montés par le monte-charge et donnés à M. O.T. par un surveillant. Présent le 23 mars en fin de journée très tard à la prison, jusque vers 19h30, et d’astreinte la nuit du 23 au 24 mars, il n’a pas été informé que M. O.T. avait refusé ses repas. Aucune demande particulière de médecin qui aurait été faite par M. O.T. ne lui a été transmise le 23 et le 24 dans la matinée. Il a exposé : « Si nous avions su à l’UCSA qu’un détenu du QD faisait une grève de la faim et demandait à voir un médecin, nous nous serions immédiatement rendus sur place. Il faut savoir que 70 à 80 % des passages à l’acte suicidaires interviennent lors de la première nuit du placement au QD ». Il a indiqué qu’il prenait connaissance de cet élément de grève de la faim concernant M O.T. lors de son audition à la Commission le 19 décembre 2006.

Le Dr Bo. se trouvait le 24 mars au matin à une réunion au mess avec notamment deux cadres de l’UCSA, le directeur M. F.A., et Mme S., médecin psychiatre. En vue de son audition à la Commission, elle dit s’être fait repréciser par le cadre infirmier, Mme M., les échanges téléphoniques entre le QD et l’UCSA ayant eu lieu le 24 mars. Selon ce recueil d’éléments, il y a eu un appel dans la matinée venant du QD et un autre en début d’après-midi, où il était dit que M. O.T. menaçait de se suicider. Elle n’a pas été informée que ce détenu avait refusé ses repas depuis son placement au QD.

Le Dr S., psychiatre, chef de service de la fédération des soins aux détenus et qui a la responsabilité de tous les établissements pénitentiaires de l’Oise, a indiqué qu’elle savait qu’une psychologue suivait M. O.T. Aussi, apprenant qu’une intervention le concernant s’était mal passée, elle avait téléphoné le 24 mars à l’infirmier de la fédération des soins aux détenus pour lui demander s’il fallait qu’elle monte voir M. O.T. Elle se trouvait alors à la même réunion que le Dr Bo au mess. L’infirmier a appelé le QD et a eu un personnel de surveillance, le premier surveillant lui semble-t-il, qui lui a répondu qu’« il n’y avait pas de problème », que « ce n’était pas la peine [qu’elle] monte ». Apprenant en début d’après-midi le suicide du détenu, le Dr S. avait rappelé M. G.R., le premier surveillant en poste au QD, qui lui avait répondu que « chaque fois que le détenu avait demandé à voir un médecin, il avait pu en voir un, et que toutes les choses avaient été faites, que M. O.T. n’avait pas demandé à [la] voir ». Le Dr S. dit ne pas comprendre qu’on ne l’ait pas alertée pour M. O.T., alors qu’habituellement, dès qu’il y avait un problème au QD, on l’appelait.

AVIS
Sur l’incident du 23 mars 2006
La Commission constate que l’auxiliaire d’étage qui était présent aux côtés du surveillant A.M. pour la distribution des repas le 23 mars fait un récit très différent de celui de ce surveillant concernant l’incident qui a opposé ce dernier au détenu O.T.

Elle a retiré de l’audition de ce jeune détenu le contexte préoccupant de tension pesant particulièrement sur lui depuis les faits et lié à sa situation fortuite de témoin ; tension qui s’exprime à son égard tant du côté des détenus que de la part de certains surveillants : les premiers l’accusant d’être un traître pour avoir tenté de calmer la détention le jour de l’intervention des surveillants, les seconds ayant depuis deux mois complètement changé de comportement à son égard, lui reprochant de « n’être plus aussi gentil qu’avant ».

Malgré cette pression, le détenu M.A., auxiliaire d’étage ce jour-là, est catégorique sur le fait que M. O.T. n’a porté aucun coup au surveillant A. M., et que le surveillant A.M. a perdu son sang froid. Il a précisé : « C’est un surveillant qui ne parle pas du tout aux détenus, il ne les supporte pas, surtout les détenus de couleur. Il agit tout de suite violemment ». Selon ses déclarations, c’est le surveillant A.M. qui a bondi sur le détenu alors que ce dernier voulait réintégrer sa cellule, l’entraînant au sol dans son action.

Les blessures de M. O.T., à l’avant-bras, ayant heurté le bord de la table, et sur le front, semble-t-il, sont compatibles avec une chute en avant, causée par l’action du surveillant A.M.

La Commission relève par ailleurs que les déclarations des deux surveillants A. M. et M.C. sont à la fois divergentes et incohérentes concernant l’emplacement et les actions des uns et des autres. En effet, le surveillant A.M. affirme avoir voulu maîtriser le détenu et être tombé « dans l’élan » avec lui au sol. M. M. C. affirme que trouvant son collègue au sol, c’est lui qui, voulant maîtriser M. O.T., « dans l’élan », est tombé avec le détenu, et s’est retrouvé avec le détenu sur lui au moment où ses collègues arrivaient. La Commission a par ailleurs relevé que le surveillant M.C., lors de son dépôt de plainte contre le détenu à la gendarmerie le 23 mars après-midi, faisait un autre récit des faits, affirmant que M. O.T. s’était jeté sur lui.

Quant au premier surveillant A.P. qui est intervenu avec ses collègues en renfort et qui a pris la décision de mise en prévention du détenu O.T., il relate dans un rapport fait ultérieurement à la direction de l’établissement qu’il avait trouvé à son arrivée le détenu O.T. sur le surveillant A.M., version invraisemblable au vu de la situation relatée par le surveillant M.C., arrivé le premier sur les lieux.

En conclusion, ces variations dans les récits des faits par certains des surveillants intervenants, importantes, décisives quant à l’établissement de la faute disciplinaire imputée à M. O.T., sont sujettes à caution et tendent fortement à accréditer le récit du témoin, l’auxiliaire d’étage M.A.

La Commission constate de plus que les blessures relevées par les certificats médicaux des deux surveillants (une griffure au cou pour M. A.M. et une fracture légère d’un doigt pour M. M.C.) semblent peu en rapport avec les actions décrites lors de l’intervention et indûment imputées à M. O.T.

La blessure de M. O.T. témoigne d’une action à son encontre qui l’a fait chuter contre la table et lui a causé une plaie assez profonde à l’avant-bras. Il est difficile de se prononcer concernant les deux bosses au front relevées par la famille sur le corps du défunt et évoquées lors de l’audition du Dr B. par l’Inspection. Bien que disant qu’il n’avait pas remarqué l’existence de bosses pendant l’examen initial tout de suite après l’intervention, le Dr B. a confirmé que « ces deux bosses au front pouvaient être consécutives à la chute du détenu sur la table puis au sol, et que ces dernières auraient pu apparaître ultérieurement ». Cependant, la Commission n’a retrouvé aucune mention de ces traces sur le front de M. O.T dans les éléments relevés par les enquêteurs ayant fait les premières constatations dans la cellule, pas plus que dans le rapport d’autopsie. La Commission n’a pas retrouvé dans la procédure de pièce comportant des éléments médicaux éventuellement relevés par le centre hospitalier de Creil.
Les premières constatations faites le 24 mars après-midi par les enquêteurs et le rapport d’autopsie médico-légale relèvent sur M. O.T. « l’absence d’autres traces de lésions de violence ou de lutte » autre que celle de la plaie suturée au poignet et les traces compatibles avec la pendaison. Les experts concluent à « une mort consécutive à une asphyxie mécanique par suffocation ».

Sur les conditions du décès de M. O.T.
La Commission constate que le détenu O.T., blessé lors d’une intervention de surveillants, conduit à l’hôpital pour une blessure ayant nécessité des points de suture, a été placé en cellule disciplinaire dès son retour de l’hôpital.

Alors même qu’il manifeste du 23 mars après-midi au 24 mars 13h55 tous les signes d’une détresse morale et psychologique, se plaignant d’avoir mal à son bras blessé, ne s’alimentant plus, refusant aux surveillants tous ses repas et la sortie en promenade, et demandant, à plusieurs reprises semble-t-il, à voir un médecin, aucun de ces signes d’alarme n’est pris en compte par les surveillants, pas plus que par le gradé en poste fixe au quartier disciplinaire. Tous ces éléments préoccupants ne sont pas transmis au personnel médical de l’UCSA.
La Commission constate par ailleurs qu’il n’a pas été trouvé de trace dans les analyses toxicologiques du traitement antibiotique que les surveillants affirment avoir donné au détenu.
Plus grave, la Commission estime au vu des auditions et de ses investigations qu’il est fortement probable que c’est délibérément que les professionnels de santé et la direction, à même d’évaluer la situation et de sortir ce détenu en détresse du QD, ont été tenus à l’écart.

Il est inquiétant, inacceptable, qu’un courrier rédigé par M. O.T. et remis le 23 mars par un surveillant du QD « à la hiérarchie », pour peu qu’elle ait trouvé un destinataire gradé, n’ait pas suscité de réaction. Le directeur de l’établissement M. F.A., questionné sur ce point, a indiqué avoir eu connaissance de ce courrier adressé à la direction bien après le décès de M. O.T. Dans ce courrier, M. O.T. demandait à rencontrer une personne de la direction, disait qu’il était innocent, qu’il n’avait rien fait. Le directeur, M. F.A. a fait part à la Commission qu’il pensait que « si Mme D., personnel de direction de permanence, ou M. H., directeur adjoint présent le 23 mars et le 24 mars, avaient connu cette demande, ils seraient allés voir immédiatement le détenu ».

Des auditions et de ses investigations, la Commission retire que le détenu O. T. n’a pas bénéficié de l’assistance que requérait l’état de danger manifeste dans lequel il se trouvait.

Par ailleurs, l’état des lieux institutionnels de Liancourt, mis en relief lors des auditions et des investigations de la Commission, révèle des dysfonctionnements graves, anciens, dus principalement aux positionnements inadaptés et aux carences de certains membres de l’encadrement, de certains gradés, et ne peuvent que donner un éclairage particulier aux manquements à la déontologie concernant le détenu O.T.
Si les raisons du suicide de M. O.T. demeurent inexplicables, la Commission estime que ce détenu n’a pas bénéficié de l’attention minimum que le respect des règles et des valeurs lui aurait assurée.

La Commission ne peut que s’interroger sur la présence et le rôle auprès du premier surveillant G.R., responsable du QD, du premier surveillant B.C., mentionné comme l’un des intervenants gradés de l’intervention sur M. O. T. le 23 mars avec son collègue M. M.Cx. dans le rapport de signalement de l’agression des deux surveillants par M. O.T. au procureur de la République adjoint près le tribunal de grande instance de Beauvais. Des éléments portés à la connaissance de la Commission dans les autres dossiers dont elle a été saisie à Liancourt et de ceux apportés par les témoignages anonymes faits auprès d’elle par deux surveillants de l’établissement, il ressort que le premier surveillant B.C. porte une responsabilité particulière dans l’instauration, dès l’ouverture du nouvel établissement, d’un véritable climat de peur et de représailles, brimades, provocations et humiliations, exercées sur des détenus. Ce premier surveillant, qui « venait régulièrement au QD lorsqu’il estimait que la mise en prévention d’un détenu n’avait pas été assez violente » et participait aux violences, semble avoir exercé un pouvoir illégitime, arbitraire, de par la passivité, si ce n’est la complaisance, du directeur adjoint M. H., et a eu une influence désastreuse sur certains jeunes surveillants sortant d’école.
Cependant, la Commission tient à souligner qu’elle retire de toutes les auditions, des témoignages de surveillants, et principalement de ceux de tous les détenus qu’elle a entendus à Liancourt, que les agissements contraires aux règles et aux valeurs sont le fait d’une minorité, et que la majorité des surveillants de Liancourt se comportent « correctement et humainement » avec les détenus.

RECOMMANDATIONS
Cet avis sera adressé au procureur de la République.

Il appartient au garde des Sceaux d’évaluer de façon urgente les responsabilités des uns et des autres, notamment au niveau de l’équipe d’encadrement, et de saisir les instances disciplinaires.

La Commission demande au garde des Sceaux de veiller à ce que l’administration pénitentiaire prenne les mesures adéquates pour assurer la sécurité des détenus qui ont été amenés, par son témoignage, à mettre en cause des surveillants de Liancourt.

Adopté le 15 janvier 2007

Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé son avis à M. Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux.


Conformément à l’article 8 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé cet avis au procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Beauvais, dont la réponse a été la suivante :