DEMANDE DE SUIVI/DEMANDE DE SOIN ET TRAITEMENTS DU DENI
Odile Verschoot - Psychologue - SMPR de Nantes
Secrétaire générale de l’ARTAAS
Journée Nationale ARTAAS - Blois - 3 juin 2005
Ce témoignage résulte d’un cheminement, d’une pratique soignante et d’échanges formels et informels avec des étudiants et l’équipe du SMPR.
A travers cet intitulé, c’est de CONFUSION dont je souhaite parler : confusion entre suivi et soin. Accepter de « suivre » quelqu’un s’il n’est pas dans le soin, même a minima, relève d’une complicité avec le condamné contre la Loi.
La Justice lui demande-t-elle de « voir un psy » ou de faire un travail sur lui-même ? Notre mission de psy /soignant, est-elle de « suivre » un condamné ou d’accompagner un patient dans ce travail sur lui-même en favorisant l’émergence de la pensée ? Suivre n’est pas forcément soigner !
• Poursuivre est le travail de la Justice
• Suivre est le travail du SPIP
• Soigner est le travail du thérapeute
Si nous suivons sans soigner, nous sommes hors du cadre de notre mission et nous entretenons une confusion des rôles et des positions...comme la mère omnipotente de nos patients ! De même, qu’en étant « complice contre la loi », nous sommes comme leur mère incestuelle !
Il est important de ne pas être dans une « confusion des langues » entre judiciaire et thérapeutique. Pour créer des liens entre ces 2 champs, je crois impératif qu’au préalable, chacun ait délimité son territoire : on ne construit pas de pont s’il n’y a pas de fossé ou de cours d’eau qui sépare !
Chez nos patients, nous constatons beaucoup de « confusion des sentiments » (roman de S.ZWEIG) :
• confusion des rôles parent/enfant
• confusion des rôles conjugaux et parentaux
• confusion des générations
• confusion des désirs (certitude que la victime était d’accord)
• confusion Moi/non Moi dans un évitement de la séparation/frustration c’est à dire un refus de la réalité
S’interroger sur la demande, c’est poser la question du Sujet (qui veut quoi ?) et introduire de l’altérité.
Cette altérité est connotée de frustration et de souffrance puisqu’elle est à l’opposé de la Toute puissance.
Dans la simple question « qui demande quoi à qui ? », la triangulation est déjà présente.
SUIVI est un signifiant qui relève du langage judiciaire, utilisé par les JAP ou les CIP : « Il faut que vous ayez un suivi » ou encore « justificatif de suivi » est inscrit sur la liste des documents à fournir pour la Commission d’Application des Peines. Le terme « suivi » est repris par le condamné sans qu’il y mette un contenu thérapeutique. Il le traduit par « je voudrais un suivi », « j’étais suivi par Mme X » ou encore « je suivais Mme X ».
La réponse soignante est une offre de SOIN. Il s’agit alors de prendre le temps nécessaire pour évaluer si la demande du condamné est une soumission à l’injonction judiciaire ou si elle vise un « SOIN SUIVI » c’est à dire si une entrée en relation et une RENCONTRE sont possibles. Cette rencontre est le minimal requis pour que ce travail sur soi puisse avoir lieu. Certes la parole est accompagnée, soutenue et étayée par la bienveillance et l’empathie du soignant mais elle ne peut s’exercer que dans un CADRE DE SOIN solide, strict, solide et rigoureux.
Accepter de s’embarquer dans un « suivi » (rendez-vous réguliers) sans que cette rencontre ait lieu, résulte d’une EMPRISE du condamné et/ou du soignant dans la Toute-puissance. Cette emprise est une transgression du cadre de soin et s’avère une complicité latente ou patente entre soignant& détenu contre le système judiciaire. Je pense, en effet, que le fait que le détenu bénéficie ou non de RP, RPS, permission ou liberté conditionnelle est une affaire judiciaire qui n’a rien à voir avec notre cadre de soin. Par contre, le refus, la frustration, la déception ou la colère donnent du contenu aux soins. Notre travail est de permettre l’identification et la verbalisation de ces ressentis.
Au cours de réunion clinique d’équipe, j’ai entendu des propos tels que « si je ne le reçois plus, il fera une peine plus longue » C’est faux bien sûr car l’absence de suivi ne prolonge pas la condamnation...au pire, elle écourte moins la détention !! La durée de la peine doit-elle être une préoccupation thérapeutique ? Les remises ou aménagements de peine ne sont-elles pas une affaire entre le condamné et le JAP ?
Dans ces échanges d’équipe, certains soignants se demandent pourquoi ils « continuent à voir tel ou tel patient » Il me semble absolument nécessaire de toujours prendre le temps d’échanger et d’évaluer au risque sinon que patient et soignant soient dans un « jeu de dupe » : ils se font croire qu’ils sont dans le soin alors qu’ils sont dans un suivi routinier. Si aucun ne pense alors les entretiens n’ont plus/pas de sens !
Différencier soin et suivi, c’est rester à notre place soignante et en accepter les limites, le champ judiciaire n’est pas le nôtre. C’est aussi accepter de susciter de la frustration et du conflit. Sinon, nous entretenons le clivage gentil psy/méchant JAP ! Il me semble pourtant évident qu’opposer un refus (de suivi) peut permettre d’instaurer de la perte, du manque et peut donc avoir un effet structurant. En ce qui concerne le DENI, il y a la même CONFUSION des langues entre judiciaire et psychopathologie.
Du point de vue judiciaire, le déni est le contraire du plaider coupable et des aveux. C’est la revendication d’une innocence malgré des preuves accablantes. La question de l’innocence ou de la culpabilité est l’affaire du tribunal et non du soignant.
Du point de vue psychopathologique, le déni est un mécanisme psychique de défense, un clivage, qui vient signer et/ou signifier un mode d’appréhension (au sens peur comme au sens perception) du monde.
L’ « autre » est perçu comme dangereux, il est donc « annulé » ou forclos. Le psy travaille avec la « vérité historique » définit par GREEN comme « un produit complexe qui mêle un peu de réalité matérielle à beaucoup de réalité psychique » et avec le sentiment de culpabilité (s’il existe)
Le déni des psy est un déni d’altérité et non un déni des faits et nous le savons, le sentiment de culpabilité est bien différent du verdict de culpabilité prononcé au tribunal. Il est donc absolument primordial de définir le champ sémantique dans lequel on se situe lorsqu’on parle de DENI. De quel déni est-il question lors de nos rencontres avec les acteurs de la Justice ?
Au cours de la formation régionale à Rennes, la JAP et les CIP affirmaient que « le travail est plus évident quand le condamné reconnaît les faits » et aussi que « le suivi est plus facile quand la personne est intelligente et cultivée, pas frustre » Or, nous soignants, ne pouvons que constater que des aveux bien ficelés avec des explications bien rationnelles et bien logiques ou encore des défenses bien intellectualisées, ne laissent pas beaucoup (voire pas du tout) de place à l’autre, à la rencontre et au travail sur soi ! Les aveux ou le QI n’ont rien à voir avec la présence ou l’absence d’altérité ! Au contraire, bien souvent, la reconnaissance des faits ne s’avère qu’une soumission passive à un interdit sans intégration subjective.
Ainsi, par exemple, M. R. que je voyais en entretien chaque semaine depuis environ 18 mois. Il se disait innocent des accusations de viols de 2 de ses filles dont l’aînée avait largement dépassé les délais de prescription pour que sa plainte soir recevable. A la fin de son procès, il finit par avouer des faits concernant la cadette. Le hasard du calendrier fit que je rencontre son avocate lors d’une réunion régionale ARTAAS exceptionnelle, elle vint me féliciter du « bon travail » que j’avais accompli avec son client, elle était vraiment très satisfaite ! Quelques jours plus tard, je revois M. R. Il me raconte alors que vue la tournure des débats à son procès, il avait finit par suivre les recommandations de son avocate afin d’éviter une lourde condamnation. Il avait dit et fait ce qu’on attendait de lui... Comme d’habitude, il s’était soumis pour avoir la paix et éviter le conflit et ses conséquences. Ainsi, si dans le champ judiciaire et social, M. R. a avoué, sur le plan psychique le déni et le clivage sont toujours bien là. Cette petite vignette clinique vient démontrer combien la Justice et le thérapeutique utilisent les mêmes mots mais ne parlent pas la même langue !
On retrouve cette même confusion de langue dans la question de la RECIDIVE : ce mot appartient clairement au vocabulaire pénal et définit la réitération d’un acte criminel ou délictueux. Les soignants doivent-ils s’en préoccuper ? Leur objet n’est-il pas plutôt la REPETITION ?
Conclusion
Il me semble de la plus haute importance de poser un cadre de soin clair pour qu’il soit efficient et sécurisant pour le soignant comme pour le patient. Pour cela, il convient de définir les missions qui sont les nôtres et leurs limites par différenciation d’avec celles de nos partenaires. Comme nos patients sont, le plus souvent, dans la confusion et l’indifférenciation Moi/non Moi, nous devons avoir une vigilance particulière pour ne pas, nous aussi, être dans la confusion. Nous risquons sinon de ne pas être dans le soin mais dans la réponse à une commande sociale (le suivi)
L’indispensable dialogue judiciaire/sanitaire ne peut avoir lieu que si chacun connaît et accepte les limites de son champ d’intervention et de ses missions.