Publié le mardi 16 septembre 2008 | http://prison.rezo.net/2008-09-maris-incarceres-femmes/ Maris incarcérés, femmes libérées Revue Sciences Humaines http://www.scienceshumaines.com/maris-incarceres-2c-femmes-liberees_fr_22805.html « ?L’autre peine ? ». c’est ainsi que l’on qualifie parfois les conséquences de l’emprisonnement pour les proches de détenus. Ces derniers subissent en effet de nombreux effets secondaires, et plus fondamentalement, c’est la relation elle-même qui est ébranlée, comme le montre une récente enquête de la sociologue Gwenola Ricordeau. Les ruptures sont fréquentes à l’entrée en prison, et si la relation se maintient, le cadre pénitentiaire impose des contraintes pesantes à son entretien. La visite au parloir (trente minutes en moyenne) devient par exemple une épreuve qui « ?déborde sur la vie quotidienne ? ». On s’y prépare (les détenus se font beaux, les proches organisent leur trajet et veillent à ne pas être en retard) puis il faut s’en remettre (culpabilité, sentiment d’abandonner l’incarcéré[e]). Fortement déstabilisatrice des relations familiales, la prison peut paradoxalement, dans des cas très particuliers, contribuer à les stabiliser. C’est ce qu’a montré dans un article récent la sociologue américaine Megan Comfort, qui a enquêté auprès de femmes de détenus de la prison de San Quentin (Californie). Pauvres, subissant souvent la violence (et parfois les vols) de leurs compagnons qui n’assuraient aucun soutien financier ou domestique, elles ne trouvent plus de soutien auprès de services sociaux en déliquescence. « ?Seul secteur du domaine public fonctionnant efficacement ? », la prison offre à ces femmes « ?un lieu de substitution à la vie domestique et conjugale qui paradoxalement, peut être préférable ou plus simple à gérer que le foyer familial ou règnent le chaos et le stress ? ». Elles y gagnent en effet en autonomie (financière notamment), et le ménage en respectabilité, l’incarcération fournissant une « ?excuse ? » à l’inactivité du père et à son absence de contact avec ses enfants. Le comportement des hommes change d’ailleurs derrière les barreaux ? : « ?repentis ? », ils se montrent reconnaissants et attentionnés. Leur libération est souvent une désillusion pour leur compagne, qui perd à nouveau son autonomie et voit assez vite reprendre, comme le dit l’une d’elles, « ?les hurlements, les cris, les bagarres, les disputes et les trucs comme ça ? ». D’où une profonde ambivalence des femmes vis-à-vis de la prison, à la fois heureuses du répit qu’offre l’incarcération de leur compagnon et impatientes de leur sortie, qu’accompagne la promesse toujours déçue d’un changement.
Gwenola Ricordeau, Les Détenus et leurs proches. Solidarités et sentiments à l’ombre des murs, Autrement, 2008.
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